NPA : la révolution sabordée (Marianne)

mardi 21 novembre 2017.
 

Il aurait dû "capitaliser" sur la crise économique. Il n’en a rien été. Cinq ans après sa création, le constat est clair : le navire NPA prend l’eau.

Bensaïd n’est plus là, Besancenot joue les intermittents du spectacle politique et Poutou a le sentiment d’être méprisé par ses camarades. Concurrencé jusqu’à présent par le Front de gauche et pariant encore et toujours sur des luttes sociales qui ne prennent pas, le NPA n’est pas loin du naufrage.

Ils ne sont qu’une petite vingtaine de militants à être présents, le 9 octobre dernier, lors de la réunion de rentrée politique du comité de l’Essonne, mais leurs interrogations résument parfaitement la profonde crise idéologique et organisationnelle que traverse le Nouveau parti anticapitaliste : « Comment ne pas laisser le terrain libre à l’extrême droite  ? », « Les manifs qui se multiplient, à quoi ça sert  ? », « Le problème, ce ne serait pas la forme du parti  ? »,« Comment rendre crédible notre projet  ? », « Comment rebondir sur les échecs passés ? »... Cinq ans à peine se sont écoulés depuis la création du NPA, soit autant d’années de crise économique mondiale. Et pourtant, le parti n’a étonnement pas su « capitaliser » sur la crise. A l’heure où ses membres défilent contre l’austérité au côté d’une multitude d’organisations politiques et syndicales, à quelques semaines aussi de son prochain congrès (qui doit avoir lieu début 2015), nous sommes allés à la rencontre de ses militants, de ses dirigeants et des anciens du NPA, pour leur poser toutes ces questions. Histoire de comprendre pourquoi la révolution NPA n’a pas eu lieu, comment ce vaisseau anticapitaliste lancée en 2009 a pris l’eau et frôle aujourd’hui le naufrage.

Le retour de la vieille LCR et de ses manières

Et le dernier à avoir sonné la charge, de manière inattendue, c’est Philippe Poutou. Le 8 octobre dernier, son mail de démission du comité exécutif (CE), envoyé à ses camarades de la direction,a fuité dans la presse. Exactement le genre de remue-ménage que le parti préfère gérer, discrètement, en interne. Depuis, un seul mot d’ordre à ce sujet : « Il n’y a pas de problème avec Poutou ». L’unique réaction officielle à ce sujet viendra d’Olivier Besancenot dans Le Figaro :« Que nos détracteurs comprennent bien une chose : dans les semaines qui viennent, il faudra compter avec Poutou, le NPA et tous ceux qui veulent changer ce monde avant qu’il nous écrase ! ». De son côté, l’ex-candidat à la présidentielle de 2012, que nous avons contacté, se désole que l’« "affaire" qui aurait dû rester privée, comme toute dispute de famille » ait fini par apparaître au grand jour.

On comprend que la chose soit mal vécue. L’image qu’il dresse du NPA, dans son courrier électronique, est catastrophique pour une telle organisation. Oublié, en effet, le bel esprit de camaraderie censé habiter l’extrême gauche : « opportunisme individuel », « incapacité collective à fonctionner démocratiquement », « manque de transparence », « impossible intégration », « Comité exécutif trop parisien »... Bref, au NPA, règne le chacun pour sa pomme et les Poutou sont pris pour des ploucs d’ouvriers de province ! Aujourd’hui, Philippe Poutou, qui ne veut pas s’exprimer plus longuement sur le sujet, essaie tout de même de tempérer son propos. Son but avec ce mail ? Il cherchait simplement, dit-il, à « reconstruire » ce parti. Avec ses camarades, il avait donc tout logiquement des « débats sur le comment-faire ».

On voit ça... L’ambiance, en tout cas, n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs à ceux qui ont quitté le navire LCR quand celui-ci avait été rebaptisé NPA (tous les marins savent d’ailleurs que cela porte malheur...). C’est le cas de Christian Picquet, ancien membre du bureau politique de la LCR et porte-parole de Gauche unitaire (une des trois entités, avec le PCF et le PG, à l’origine du Front de gauche). Il revoit là ce qu’il rejetait déjà à l’époque : cette politique « sectaire et diviseuse ». Pour lui, le témoignage de Poutou confirme la « grande supercherie » sur laquelle s’est fondé le NPA, à savoir un parti qui renoue avec ses « vieilles pratiques peu transparentes et démocratiques, autoritaires et opaques » qui ne font de lui qu’« un petit groupe d’extrême gauche ».

Les trotskistes, ces puristes

L’émergence du PG et de Jean-Luc Mélenchon, la création du Front de gauche, voilà des facteurs qui ont pesé dans le naufrage du NPA. Car Picquet n’est pas seul à avoir sauté par dessus bord. D’autres ont aussi quitté le navire pour s’aligner derrière Mélenchon. Comme Myriam Martin, qui était pressentie pour représenter le parti à la présidentielle de 2012, avant que Poutou ne soit sorti de nulle part. Aujourd’hui, elle est à la tête de Gauche anticapitaliste (parti membre d’Ensemble, lui-même membre du Front de gauche). Désormais, Martin explique avoir tourné la page et préfère tendre la main à ses anciens camarades, non sans critique : « Le problème avec le NPA, c’est son refus de voir les convergences avec d’autres courants de la gauche radicale ». Car elle l’assure, le NPA « aurait sa place dans un front plus large », s’il le désirait. Hélas, l’union de la gauche de la gauche débecte encore les plus puristes des trotskistes. Certains revendiquent toujours fièrement leur indépendance vis-à-vis du PS, du PC, mais aussi du Front de gauche. D’autres commencent à comprendre que cet isolement a signé l’hémorragie militante et s’est révélé suicidaire. Récemment dans le journal Sud Ouest, Poutou déclarait d’ailleurs qu’il fallait « recoller les morceaux du parti, mais aussi avec le Front de gauche, les syndicats, et pourquoi pas les écolos ». Bref, le NPA devrait la « jouer plus collectif ».

Cette union, la gauche radicale a peut-être failli y parvenir en avril 2014. En marge de la manifestation unitaire du 12 avril contre l’austérité, organisée via le Collectif 3A (pour l’« Alternative À l’Austérité »), le NPA proposait au PC, au PG, à LO et à Ensemble de constituer pour les élections européennes des « listes unitaires avec toutes les forces politiques qui entendent se situer en opposition au gouvernement, à la droite et à l’extrême droite ». La proposition était-elle sincère ? Quelques jours plus tard, LO refusera la proposition, Besancenot accusera Pierre Laurent et le PC de faire capoter l’alliance et le NPA, par la voix de Poutou, prendra sa posture de vilain petit canard de l’extrême gauche : « On sera marginalisé et on fera un petit score, mais on sera là ». Du côté de la Gauche anticapitaliste, Martin regrette encore cette attitude de « parti qui ne se sort pas du vase-clos, qui cherche la petite bête qui pourrait nous diviser. »

Si le parti anticapitaliste est isolé politiquement, Alain Krivine assure à Marianne être convaincu que sa « ligne sera payante à long terme ». Le Grand soir ne sera donc pas pour demain, mais tant pis puisqu’il adviendra, c’est sûr, après-demain ! L’ancien mentor de la LCR désigne deux tentations à éviter : l’opportunisme et le sectarisme. D’après lui, le NPA se situerait juste entre les deux : « Il doit être unitaire et garder sa radicalité. » C’est cette position qui, avec l’« échec du Front de gauche », permettrait au NPA de survivre. Selon Krivine, ils seraient beaucoup à admettre s’être trompés en rejoignant le Front de gauche, et certains commenceraient même à revenir. Sans doute que le Front de gauche n’est pas au mieux de sa forme — Mélenchon l’a d’ailleurs compris, le lancement du Mouvement pour la VIe République en atteste — mais tout de même Krivine pousse un peu : relativiser l’échec du NPA, en pointant celui beaucoup moins criant du Front de gauche, et espérer même en profiter, c’est un peu gonflé tout de même. C’est ne pas voir que le bateau prend l’eau, perd des militants et s’affaiblit dans les urnes chaque jour qui passe...

Daniela Cobet et Guillaume Loïc, membres du Comité exécutif et représentants du Courant communiste révolutionnaire, la gauche du NPA (sic), partagent l’analyse de Krivine sur la posture radicale à conserver et affirment que l’union avec les autres forces de la gauche de la gauche, « ça n’est qu’une tentative électorale de survie, pas une solution pour la classe ouvrière ». Le CCR, c’est cette frange qui regrette la « perte idéologique du parti lorsqu’il s’est positionné en négatif, de "communiste révolutionnaire" à "anticapitaliste" ». Ce courant du NPA avance toujours avec cette question en tête : « Comment s’extraire de cette gauche institutionnelle pour un retour vers des idées révolutionnaires ? ». Alors plutôt que de se fondre dans le Front de gauche, ils envisagent de profiter de l’espace qui se creuserait à « leur droite », avec ce credo : « On frappe ensemble, mais on marche séparément ».

Martin déplore cette position d’auto-exclusion de certains de ses anciens camarades : « Un seul parti ne peut pas agir seul, il faut confronter les idées. Je veux que l’ensemble du NPA réfléchisse à son rôle dans la recomposition de la gauche radicale. » Martin, qui devrait être invitée au congrès du NPA, semble assez confiante quant à leurs futures retrouvailles : « Le Front de gauche doit s’ouvrir, et je suis sûre qu’on va bientôt se retrouver avec une alliance plus pérenne avec le NPA. Le processus va s’accélérer. » Un brin d’optimisme qui n’est pas vraiment partagé par Christine Poupin, porte-parole du NPA et camarade de longue date de Martin. Elle ne voit pas de raison d’entrer au Front de gauche « au moment où il n’a plus de projet commun ». Les pourparlers, on le sent, vont être longs !

Besancenot trop et... pas assez présent !

À la ramasse dans les urnes et les caisses vides, le NPA n’a d’autre choix que de se concentrer sur les luttes sociales. Bien sûr, cela fait partie de son ADN idéologique. Mais c’est aussi un moyen pour le NPA, même s’il ne l’admettra jamais, de s’afficher médiatiquement au côté des « travailleurs en lutte ». Et pour cela, le parti anticapitaliste peut compter sur son « atout charme », celui qui avait réussi à attirer les projecteurs et les voix électorales : Olivier Besancenot. Exemple le 14 octobre dernier quand le postier se pointe au palace Royal Monceau, venu soutenir les femmes de chambre en grève. Celui qui détient le record de voix de la LCR à une élection présidentielle ne ressemble plus qu’à une sorte de mascotte avec laquelle on se fait prendre en photo. Pour beaucoup, le NPA, ce n’est plus que « le parti de Besancenot » alors même que Besancenot ne veut plus l’incarner.

Pour nos deux membres du CCR, c’est une évidence, le parti est « trop dépendant d’Olivier Besancenot ». Ils aimeraient bien « réussir à combler l’écart entre son influence et [leur] réelle influence ». Et cela s’est illustré jeudi dernier, lors du meeting parisien contre l’austérité et la guerre, avec en tête d’affiche le même Besancenot. Sans lui et sa facilité à produire à la chaîne, dans ses discours, des punchlines fracassantes, il faut bien le dire, ce rendez-vous n’aurait pas eu la même saveur. Au moins 300 personnes se sont rendues au gymnase Bidassoa. Beaucoup de jeunes sont présents, attirés pour certains par la présence du NPA dans les mobilisations pour Rémi Fraisse. Ça débat de la Syrie, de l’Irak, du FN, du PS, de l’austérité, de la violence policière, etc. La salle est enthousiaste, comme heureuse de se réunir enfin pour parler politique.

La tentation habituelle de la rue

Même genre de conversation dans un bar de l’avenue de Flandres où la section du XIXe arrondissement s’était réunie à la mi-octobre. Ils sont une quinzaine, militants et curieux à venir discuter autour d’un verre. Ils parleront longtemps de l’Irak, bien plus fascinés par la résistance kurde que préoccupés par la situation sociale et politique française. Yann, la quarantaine, pressent pourtant qu’en France « beaucoup de choses sont possibles du jour au lendemain, ça peut péter ! », mais il admet ne pas savoir si ça ira dans le sens du NPA, ou celui du FN. Pour ce samedi 15 novembre et la manifestation unitaire du Collectif 3A, il espère y retrouver une « colère de gauche ».

Mais pour l’instant, le parti semble tiraillé sur la stratégie à adopter. Sur les mouvements de soutien à Rémi Fraisse par exemple, deux attitudes se sont opposées : certains voulant rejoindre la manifestation interdite place Stalingrad, la direction préférant le « sit-in pacifique » du Champs-de-Mars, sans qu’aucune des figures du parti ne tranche réellement. Confusion ou division interne ? Quoi qu’il en soit, c’est la visibilité et la présence du parti qui en pâtit, au profit des Verts, du Front de gauche et même des groupes d’anarchistes. Il faut dire aussi que le NPA a déjà donné en matière de manifestation interdite. On se souvient du rassemblement pro-palestinien de Barbès cet été. Un rassemblement qui révélait, une fois de plus, cette habitude fâcheuse de l’organisation d’extrême gauche : sa tendance à fricoter de très près avec des organisations communautaristes. Comme si les leçons de l’épisode désastreux, en interne et en externe, de la candidate voilée présentée par le NPA aux régionales de 2010, n’avaient jamais été tirées...

Ce n’est pas le NPA qui est paumé, mais la classe ouvrière !

Pour Krivine néanmoins, ce n’est pas tant le NPA qui traverse une crise que son électorat. Voilà qui est pratique ! La fameuse classe ouvrière, explique-t-il, est pourtant « plus forte qu’avant, même si elle ne s’en rend pas compte ». Il constate qu’elle oscille entre défiance et confusion idéologique. De plus, le capitalisme et sa société individualiste auraient formaté les gens, analyse-t-il, à se tourner vers des réponses simplistes, qui sont celles du FN. À cela, le NPA doit ajouter la perte de Daniel Bensaïd, en 2010. Il était le dernier grand intellectuel au parti, cité à plusieurs reprises lors du meeting parisien du 13 novembre, comme si sa pensée n’avait toujours pas trouvé de relais.

Désormais, pour Krivine, le NPA ne peut « rendre crédible [son] alternative au capitalisme[qu’]en faisant de la politique ». En effet, ce serait judicieux... Et ils essayent tant bien que mal. Lorsque Besancenot se retrouve face à ses « pires ennemis », PS, UMP et FN, sur le plateau deMots Croisés, le 20 octobre, il fait de son mieux pour s’imposer comme l’autre alternative au bipartisme. Des points difficilement marqués et surtout rapidement perdus, lorsque Besancenot se transforme en intermittent du spectacle politique et gaspille le peu d’espace médiatique de son parti en comparant Jouyet à Nabilla, par exemple...

« Faire de la politique », c’est peut-être aussi regarder ses erreurs passées et tenter de construire un chemin pour le futur. Le prochain congrès le permettra-t-il ? Pas sûr. En attendant cette échéance, le parti semble donc faire le pari de la rue. Une nouvelle fois. Comme ce samedi 15 novembre et la mobilisation contre l’austérité. Et pourtant, le NPA ne peut se contenter de ça. Il faudra bien, à un moment donné, se demander pourquoi, ça ne prend pas. Olivier Besancenot a avancé une piste intéressante lors du meeting du 13 novembre dernier : « On a un terrible adversaire, nous-même » !

Loïc Le Clerc


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