Roumanie. 21 août 1968, le moment de gloire de Ceausescu

mercredi 12 septembre 2018.
 

21 août 1968 – Le jour de l’invasion de la Tchécoslovaquie, le dirigeant communiste roumain Nicolae Ceausescu, avec le soutien enthousiaste de son peuple, surprend le monde entier en condamnant l’intervention du pacte de Varsovie. Une histoire trop belle pour être vraie.

À l’aube du 21 août, un demi-million de soldats soviétiques, bulgares, polonais, est-allemands et hongrois pénètrent en Tchécoslovaquie. 29 divisions, 7 500 blindés et 1 000 avions – une force équivalente à celle des Américains au Vietnam. C’est la fin du Printemps de Prague.

Dès qu’il en est informé, le dirigeant communiste roumain Nicolae Ceausescu convoque le présidium du parti pour une réunion extraordinaire à 4 h 30. La décision est prise d’organiser un grand rassemblement populaire. L’idée est qu’un acte d’opposition à Moscou a besoin du soutien du peuple. Plus tard dans la matinée, la radio annonce la nouvelle de l’invasion de la Tchécoslovaquie, et lance un appel à un rassemblement sur la place du Palais, devant le Comité central.

Le nombre de participants est plus élevé qu’escompté. Le peuple est conscient de la menace qui pèse sur la sécurité de la Roumanie. Parmi les leaders communistes roumains, la tension est extrême. Des vétérans de l’équipe qui gouvernait à l’époque ont rapporté comment Ceausescu, fébrile, faisait les cent pas dans le palais, en sueur, avant de tenir son discours.

Une mascarade

La scène du balcon du 21 août 1968, lors de laquelle Ceausescu s’est adressé à une foule de 100 000 personnes, est devenue une véritable légende du communisme roumain. En réalité, c’est une mascarade. Ceausescu, dirigeant néostalinien qui ne manifeste aucun désir d’instituer des principes démocratiques, réussit cependant à susciter un réel enthousiasme chez le peuple, qui espère que la Roumanie va ainsi s’orienter vers la libéralisation et l’ouverture à l’Occident.

Le discours commence presque immédiatement par une critique, à l’adresse des pays du pacte, de leur action en Tchécoslovaquie : “L’entrée des cinq pays socialistes en Tchécoslovaquie constitue une grande erreur et un grave danger pour la paix en Europe, pour l’avenir du socialisme dans le monde.” Puis il dénonce les raisons invoquées par les Soviétiques pour justifier l’invasion :

Il est inconcevable […] qu’un État socialiste, que des États socialistes empiètent sur la liberté et l’indépendance d’un autre État.”

À la fin de son discours, Ceausescu évoque la possibilité que la Roumanie soit envahie à son tour et il demande au peuple son soutien total à une éventuelle résistance : “On dit qu’en Tchécoslovaquie il y a le danger de la contre-révolution. Il y aura peut-être des gens qui diront demain qu’ici aussi, dans cette assemblée, on manifeste des tendances contre-révolutionnaires. […] Soyons prêts, camarades, à défendre à tout moment notre patrie socialiste, la Roumanie.”

À cet instant, Ceausescu est vraiment aimé et respecté. Le 21 août 1968 est un des rares moments où le régime communiste en Roumanie peut être considéré comme légitime. Et ainsi naît un mythe, celui de l’indépendance de Ceausescu. Un mythe qui leurre notamment les Occidentaux, qui voient dès lors en lui un communiste de confiance, qui s’oppose vigoureusement à Moscou.

La propagande de Bucarest a profité de l’invasion de la Tchécoslovaquie, laissant croire que la participation militaire de la Roumanie à l’opération était initialement prévue, mais que Ceausescu s’était opposé aux prétentions du Kremlin. En fait, la Roumanie ne s’est jamais retrouvée dans la situation de devoir refuser de participer, sachant qu’elle n’a été officiellement informée à ce sujet qu’au dernier moment.

L’implication roumaine n’était pas nécessaire

Bien sûr, cet aspect n’a jamais été porté à la connaissance des citoyens roumains. La presse ne cesse de faire l’éloge de celui qu’elle dépeint désormais comme le “champion de la paix”. Les causes pour lesquelles Brejnev n’a pas envisagé la participation de la Roumanie à l’opération sont multiples. Avant l’invasion de la Tchécoslovaquie, la Roumanie est plutôt isolée par rapport aux autres pays du bloc communiste. C’est le Kremlin qui a décidé que les troupes roumaines ne prendraient pas part à l’invasion, et non Ceausescu qui s’y est opposé. Du point de vue militaire, une implication roumaine n’est même pas nécessaire.

En revanche, l’attitude de Ceausescu a été interprétée comme une expression de la démocratie interne au sein du bloc socialiste, ce que le Kremlin a mis en évidence pour montrer à l’Occident que, à l’intérieur du bloc, les différences d’opinions étaient acceptées.

Quoi qu’il en soit, Ceausescu ne saura pas gérer à long terme son moment de gloire de 1968. Ainsi ce succès se muera-t-il en échec après une longue série d’erreurs politiques. Ceausescu finira par croire qu’il pouvait renouer à n’importe quel moment avec cette atmosphère de 1968.

Au point, un jour de décembre 1989, de rééditer la scène du balcon. Avec les conséquences que l’on sait.

Ionut Marcu


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message