3 mars 1957 : La France passa par la guillotine le héros Larbi Ben M’hidi

mardi 7 avril 2015.
 

Ben M’hidi s’est suicidé dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise, le 3 mars dernier ». C’est ce qu’annonçait la presse française en Algérie au lendemain de la conférence de presse animée par le porte-parole du gouvernement, Robert Lacoste.

Comment un homme aussi solide mentalement, ayant eu des responsabilités de haut niveau au sein du FLN et un passé historique de militantisme pour la cause nationale, peut-il se suicider par pendaison ? Ben M’hidi avait un idéal, un rêve et une espérance pour l’indépendance de l’Algérie ; comment un homme chargé de tout cet espoir de vivre un jour libre du joug colonial peut-il aller au suicide ? Ben M’hidi était impressionnant de calme, de sérénité, et de conviction durant son arrestation », avait déclaré le Colonel Allaire. Voici l’histoire de ce militant exceptionnel qui a ébranlé la politique coloniale francaise en Algérie :

Mohamed Larbi Ben M’hidi est né en 1923 à Ain Mlila dans les Aurès, actuelle Oum Bouaghi ; c’est un militant nationaliste, membre du PPA, puis du MTLD, un des fondateurs du FLN en 1954, puis combattant pendant la guerre de libération (1954-1962). Il est cadet d’une famille rurale aisée de trois filles et deux garçons. Après une année à l’école primaire française de son village natal, il part pour Batna où il obtient son certificat d’études primaires, puis commence des études secondaires à Biskra. En 1939, il s’engage dans les rangs des Scouts musulmans algériens et devient responsable d’un groupe au sein de cette association.

Ben M’hidi travaille ensuite comme comptable au service du Génie civil de Biskra, puis s’installe à Constantine. Il devient également un militant très actif du Parti du Peuple Algérien (PPA). Il est arrêté après les massacres du 8 mai 1945. Le PPA étant devenu clandestin après 1945, il adhère au Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques (MTLD) et devient cadre de l’Organisation Spéciale l’(OS). Lors du démantèlement de cette structure en 1950, il est de nouveau recherché et condamné par défaut à dix ans de prison pour « menées subversives et activité illégale ».

En avril 1954, Ben M’hidi est l’un des neuf fondateurs du Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action qui, le 10 octobre 1954, transforment le CRUA en FLN et décident de la date du 1er novembre 1954 comme date du déclenchement de la lutte armée pour l’indépendance algérienne. On lui confie la direction de l’Oranie (wilaya V à partir de 1956) qu’il organise efficacement malgré les difficultés. En 1956, laissant le commandement de la wilaya V à son lieutenant Abelhafid Boussouf, il devient membre du Conseil National de la Révolution algérienne (CNRA), après avoir présidé le Congrès de la Soummam au mois d’aout 1956 ou il est proche des idées d’Abane Ramdane et de Krim Belkacem. Nommé à la tête de la Zone autonome d’Alger, il participe à l’organisation des premiers attentats dans la capitale. En janvier, le gouverneur général Robert Lacoste lance la bataille d’Alger, confiant aux parachutistes du général Massu les pouvoirs de police dans la Zone Alger-Sahel. Larbi Ben M’hidi est arrêté le 23 février 1957 par les parachutistes (la direction de la ZAA passe alors à son adjoint Yacef Saadi, responsable militaire). Refusant de parler sous la torture, il est tué par un groupe de soldats français aux ordres du futur général Paul Aussaresses, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.

La mort de Ben M’hidi selon le général Aussaresses :

« Un matin je me suis rendu au PC de Bigeard, à El Biar, pour rencontrer Ben M’hidi. L’atmosphère se voulait très détendue, mais Bigeard était nerveux. Il savait qu’il devait me convaincre que Ben M’hidi était prêt à collaborer. Ça n’avait aucun sens puisque les ordres étaient de liquider les chefs du FLN et que j’étais là pour ça. Je pensais que Bigeard perdait les pédales. Bigeard essaya encore de tendre une perche au prisonnier :

– Et pourquoi ne pas travailler pour nous ? Si tu te rapprochais de la France, tu ne crois pas que ça pourrait être utile à ton pays ?

– Non, je ne crois pas, répondit Larbi Ben M’hidi.

- Et bien, tu penses ce que tu veux, mais moi je crois à une plus grande France, conclut Bigeard en haussant les épaules. Ben M’hidi ne souhaitant pas collaborer, Bigeard ne pouvait ignorer les conséquences de ce refus. Le 3 mars 1957, nous en avons longuement discuté avec le général Massu en présence de Trinquier. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un procès Ben M’hidi n’était pas souhaitable. Il aurait entraîné des répercussions internationales.

- Alors qu’en pensez-vous ? me demanda Massu.

- Je ne vois pas pourquoi Ben M’hidi s’en tirerait mieux que les autres.

- Je suis entièrement d’accord avec vous, mais Ben M’hidi ne passe pas inaperçu. On ne peut pas le faire disparaître comme ça.

- Pas question de le laisser à la PJ. S’il y a un procès et qu’il n’a rien avoué, il risque de s’en sortir et tout le FLN avec lui. Alors laissez-moi m’en occuper avant qu’il ne s’évade, ce qui nous pend au nez si nous continuons à hésiter. – Eh bien, occupez vous-en, me dit Massu en soupirant. Faites pour le mieux. Je vous couvrirai. Je compris qu’il avait le feu vert du gouvernement. C’est moi qui ai récupéré Ben M’hidi la nuit suivante à El Biar. Bigeard s’était arrangé pour s’absenter.

- Présentez, armes ! a commandé l’officier Allaire au moment ou Ben M’hidi, qu’on venait de réveiller, est sorti du bâtiment. C’était l’hommage de Bigeard à celui qui était devenu son ami. Ce geste spectaculaire et quelque peu démagogique ne me facilitait pas la tâche. Je l’ai même trouvé très déplacé. C’est bien entendu à ce moment là que Ben M’hidi a compris ce qui l’attendait. Je l’ai fait monter précipitamment dans le Dodge. Nous nous sommes arrêtés dans une ferme isolée qu’occupait le commando de mon régiment. Nous avons installé le prisonnier dans une pièce déjà prête. Un de mes hommes se tenait en faction à l’entrée.

Une fois dans la pièce, avec l’aide de mes gradés, nous avons empoigné Ben M’hidi et nous l’avons pendu, d’une manière qui puisse laisser penser à un suicide. Quand j’ai été certain de sa mort, je l’ai tout de suite fait décrocher et transporter à l’hôpital. J’ai appelé aussitôt Massu au téléphone : – Mon général, Ben M’hidi vient de se suicider. Son corps est à l’hôpital. Je vous apporterai mon rapport demain matin ».

Aussaresses retrace les dernières heures de Larbi Ben M’hidi, amené d’Alger dans la Mitidja, dans la ferme désaffectée d’un colon extrémiste. Six hommes dont Aussaresses préparaient l’exécution en passant une corde à travers un conduit de chauffage. Un parachutiste veut bander les yeux de Ben M’hidi. Celui-ci refuse. Le soldat répond qu’il exécute un ordre. Ben M’hidi réplique qu’il est colonel de l’ALN et qu’il sait ce que sont les ordres. Sa demande sera refusée ; il sera pendu les yeux bandés. Le général Aussarresses révèlera en détail, dans un entretien accordé à Florence Beaugé, journaliste du Monde en mars 2007, en détail les circonstances de la mort du responsable de l’ALN, affirmant que l’ordre de tuer Ben M’hidi était venu de François Mitterrand, alors garde des Sceaux.

Le colonel Jacques Allaire : « Ben M’hidi était un seigneur ! »

Dans le film documentaire d’Yves Boisset sur la bataille d’Alger réalisé en 2006, le colonel Jacques Allaire, à l’époque lieutenant, qui avait arrêté Larbi Ben M’hidi en 1957, déclare à son sujet : « Si je reviens à l’impression qu’il m’a faite, à l’époque où je l’ai capturé, et toutes les nuits où nous avons parlé ensemble, j’aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté, j’aurais aimé avoir beaucoup d’hommes de cette valeur, de cette dimension, de notre côté. Parce que c’était un seigneur Ben M’hidi. Il était impressionnant de calme, de sérénité, et de conviction. Lorsque je discutais avec lui et que je lui disais : « Vous êtes le chef de la rébellion, vous voilà maintenant entre nos mains, la bataille d’Alger est perdue », et j’extrapolais un peu : « La guerre d’Algérie, vous l’avez perdue maintenant ! » Il dit : « Ne croyez pas ça ! »

Et il me rappelait les chants de la résistance, le chant des Partisans : un autre prendra ma place. Voilà ce qu’il m’a dit. Ça m’a fait de la peine de le perdre, parce que je savais qu’on ne le reverrait plus. Je l’ai remis à l’Etat-major, et à une équipe qui est venue le chercher, et c’était la nuit, et bien que le règlement s’y oppose, je lui ai fait présenter les armes, parce qu’il faut reconnaître chez son adversaire la valeur et le courage.

Et Ben M’hidi était pour moi un grand monsieur, et j’ai appris à travers la presse, les journaux, et tous les livres d’histoire que j’ai parcourus qu’il s’était suicidé dans sa cellule ».

Le Héros national est enterré dans le « carré des martyrs » du cimetière d’El Alia, à Alger. En son honneur, une importante artère d’Alger, l’ancienne rue d’Isly, porte son nom et devient après l’indépendance « Rue Larbi Ben-M’hidi », et chaque ville d’Algérie a une rue portant son nom, ainsi que différents établissements scolaires à travers le pays .

Par Rachid Moussaoui.


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