Le grand écart (par Jean Marie Haribey, co-président d’ATTAC)

mercredi 28 novembre 2007.
 

Être ou ne pas être écologiste. Après avoir négocié le « Grenelle de l’environnement » avec de nombreux représentants de la société civile, le gouvernement est confronté à un dilemme. D’un côté, il annonce un train de mesures qui, bien que n’étant pas à la hauteur de la crise écologique majeure, seront toujours bonnes à prendre si elles sont appliquées. De l’autre, il mandate une commission, présidée par Jacques Attali, pour « libérer la croissance ». Celle-ci déclare néfaste le principe de précaution, encourage les grandes surfaces, veut libéraliser un peu plus le marché du travail et celui du logement, et surtout rabâche à son tour la nécessité de diminuer les dépenses publiques qui bloqueraient la croissance économique, sans laquelle le nirvana ne pourrait être atteint.

La contradiction entre ces deux impératifs, résoudre la crise écologique et obtenir une croissance très forte, souligne à quel point l’achèvement de la marchandisation du monde par le capitalisme conduit à une impasse globale. Non seulement une croissance de 5% par an est impossible durablement, mais vouloir diminuer les dépenses publiques ou sociales montre la vacuité de la réflexion sur le type de production à développer.

L’un des dogmes libéraux les plus tenaces est que toute dépense publique parasiterait l’activité privée au motif qu’elle serait financée par un prélèvement sur le fruit de celle-ci : seule la ponction sur l’industrie capitaliste rendrait possible l’école publique. C’est le degré zéro de la pensée économique. Nous avons souvent dit ici2 que l’activité réalisée dans la sphère non marchande était éminemment productive de richesse, c’est-à-dire de valeurs d’usage répondant à de vrais besoins sociaux, et que la valeur monétaire mais non marchande des services d’éducation et de santé publiques était créée par les travailleurs de ces services et non prélevée sur celle créée par les salariés du capital.

L’origine de la richesse monétaire - à la fois marchande et non marchande - est obscurcie par la confusion avec son paiement, individuel ou collectif : parce que le prix inclut tous les coûts privés et sociaux, on a l’illusion que celui qui s’en acquitte est à l’origine de la richesse. Or les consommateurs paient individuellement le prix des automobiles qu’ils achètent et leurs achats valident les anticipations de débouchés des entreprises. Et les usagers des services non marchands paient le prix de ceux-ci de manière collective, via les impôts et les cotisations sociales qui, en socialisant cette prise en charge, la répartissent un peu plus équitablement que ne le ferait le marché, et, ainsi, les « prélèvements » valident l’anticipation publique des besoins sociaux. Dans les deux cas, le paiement valide le travail productif de ladite « valeur ajoutée ».

Voilà de quoi heurter les croyances les plus répandues que l’on peut réfuter par le raisonnement suivant : si l’activité humaine se démarchandisait progressivement, l’activité capitaliste tendant vers zéro pourrait-elle être considérée comme la source de l’activité non marchande qui tendrait vers 100% ? Illogique. Donc le discours ressassant que le marchand finance le non marchand est absurde. Mais pas innocent, car il est vrai que soustraire des forces de travail et des ressources matérielles à l’appétit du capital empêche celui-ci de les utiliser pour se valoriser : c’est pour lui un manque à gagner.

La contradiction des idéologues du capitalisme est là : ils veulent relancer la croissance de la production qui seule, à leurs yeux, est légitime, celle qui grossit le capital, et, simultanément, ils veulent réduire la production dont l’impact social positif est élevé et dont l’impact écologique négatif est plus faible que celui de l’industrie et de l’agriculture productivistes.

On mesure l’importance de l’enjeu que représente l’articulation du social et de l’écologie. Très dangereuse serait la substitution de taxes écologiques aux cotisations sociales comme le réclame le Medef au nom de la « neutralité fiscale ». Car diminuer les cotisations sociales ferait reculer la partie socialisée du salaire et donc la protection sociale. Or nous avons besoin de cotisations sociales et de taxes écologiques.

Si l’on veut que la greffe du social sur l’écologie ou vice versa prenne, il faut faire de la socialisation de la richesse la plus vitale un processus continu et irréversible. Le vagissement3 de l’altermondialisme, il y a dix ans, « le monde n’est pas une marchandise », annonçait ce programme : rendre inaliénables les biens communs, développer l’éducation et la protection sociale accessibles à tous, réduire le temps de travail pour permettre à tous de participer à toutes les sphères de la société et pour libérer la vie et non la croissance. Être ou ne pas être écologiste et solidaire.


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