Dans la Révolution française se combinent une révolution bourgeoise et un embryon de révolution antibourgeoise, ou pré-prolétarienne (Daniel Guérin)

lundi 2 août 2010.
 

" La Révolution française est le plus grand évènement de notre histoire nationale. Et au même titre que la Révolution russe, un évènement universel. [...]

Dans la révolution française se combinent une révolution bourgeoise et un embryon de révolution antibourgeoise, ou pré-prolétarienne. [...] Il reste encore beaucoup à dire sur cet embryon de révolution prolétarienne, sur la façon notamment dont celui-ci s’insère dans la révolution bourgeoise. [...]

Au cours de la période qui va, grosso modo, de la chute des Girondins (31 mai 1793) à l’exécution de Babeuf (27 mai 1797), la lutte de classes entre bourgeois et sans - culottes, première manifestation de la lutte de classes moderne entre bourgeois et prolétaires, fait son apparition.

DEUX POINTS DE VUE

L’historien qui étudie la révolution française à la lumière de la conception matérialiste de l’histoire se trouve amené à considérer les faits de deux points de vue. Ces points de vue ne sont contradictoires qu’en apparence.

a) Une révolution bourgeoise dans ses résultats

Marx et Engels ont découvert que les formes de la production et de la propriété conditionnent l’évolution des sociétés ? Appliquée à la révolution française, cette conception nous aide à comprendre que la grande Révolution fut une révolution bourgeoise, et que, dans ses résultats, elle ne pouvait être que bourgeoise. [...]

b) Une révolution permanente dans son mécanisme interne

Marx et Engels ont découvert, parallèlement, que considérée non plus du point de vue des conditions objectives de son temps, mais du point de vue de son mécanisme interne, la grande Révolution avait revêtu le caractère d’une révolution permanente. Ils ont montré que le mouvement révolutionnaire avait, par une série d’étapes successives, ininterrompues, découlant l’une de l’autre, amené au pouvoir (ou au seuil du pouvoir) des couches de plus en plus avancées de la population et qu’il avait un moment enjambé le cadre de la révolution bourgeoise.[...]

Le jeune Marx avait étudié à fond la grande Révolution. Il songea un moment à utiliser son séjour à Paris (1843-1844) pour écrire une histoire de la Convention. Plus tard Engels racontera que, dans leur jeunesse, Marx et lui-même avaient été « sous la hantise de l’expérience historique antérieure, et notamment de celle de la France ».

Dès 1843, dans la Question juive, Marx employa l’expression de révolution permanente à propos de la révolution française. Il montra que le mouvement révolutionnaire en 1793 tenta de dépasser les limites de la révolution bourgeoise, qu’il alla « jusqu’à la suppression de la religion, jusqu’à la suppression de la propriété privée, et au maximum, à la confiscation », en « se mettant en contradiction violente » avec les conditions d’existence de la société bourgeoise, « en déclarant la révolution à l’état permanent ». Dans un article de 1849, Engels indiqua la « révolution permanente » comme un des traits caractéristiques de la « glorieuse année 1793 ».

Le premier, Marx aperçut qu’en France, en pleine révolution bourgeoise, les enragés, puis les babouvistes avaient introduit un embryon de révolution prolétarienne. Dès 1845, donc avant Michelet, Marx observait dans La Sainte Famille, que « le mouvement révolutionnaire [...] avait fait éclore l’idée communiste ». Et deux ans plus tard, à propos des babouvistes, il soulignait que « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant se produit dans le cadre de la révolution bourgeoise. »

Dans un article à la fin de sa vie, Engels devait rappeler que pour Marx comme pour lui-même, la révolution allemande de 1848 avait été, non la conclusion, mais le point de départ « d’un long mouvement révolutionnaire dans lequel, comme dans la grande révolution française, le peuple, par ses propres luttes, a atteint un stade supérieur de son développement [...] et dans lequel diverses positions ont été conquises l’une après l’autre par le prolétariat dans une série de journées de luttes. » Et Engels ajoutait : « lorsque plus tard, je lus le livre de Bougeart sur Marat, je constatai qu’à plus d’un égard nous n’avions fait qu’imiter inconsciemment le grand modèle authentique de l’Ami du Peuple et que celui-ci, comme nous, refusait de considérer la Révolution comme terminée, voulant qu’elle soit déclarée permanente. »

Marx et Engels, en effet, s’inspirèrent de cette conception historique de la révolution permanente pour en faire une règle de conduite pour les révolutions futures. [...]

Trotsky, qui a approfondi et développé sur ce point la pensée marxiste, écrit : « La Révolution permanente, au sens que Marx avait attribué à cette conception, signifie une révolution qui ne veut transiger avec aucune forme de domination de classe, qui ne s’arrête pas au stade démocratique, mais passe aux mesures socialistes et à la guerre contre la réaction extérieure, une révolution dont chaque étape est contenue en germe dans l’étape précédente, une révolution qui ne finit qu’avec la liquidation totale de la société de classe. »

Jaurès qui, pourtant, oscille entre une interprétation marxiste et une interprétation social-démocrate de la Révolution française, admet que « dans une Révolution qui était essentiellement bourgeoise par la conception de la propriété », une sorte de dictature prolétarienne ait pu se former ». [ ...]

Comme l’écrit Trotsky : « la distinction entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne, c’est l’alphabet. Mais après avoir appris l’alphabet, on apprend les syllabes qui sont formées de lettres. L’histoire a réuni les lettres les plus importantes de l’alphabet bourgeois avec les premières lettres de l’alphabet socialiste. » [...]

Le fait qu’au cours même d’une révolution bourgeoise la dynamique interne de la Révolution conduise le prolétariat à prendre plus ou moins conscience des ses intérêts propres de classe et à chercher, plus ou moins confusément, à s’emparer du pouvoir ne contredit pas la conception matérialiste de l’histoire selon laquelle les rapports matériels conditionnent de façon impérieuse l’évolution des sociétés. [...]

Extraits de l’introduction de La lutte des classes sous la 1ère République Edition de 1968


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