En islam, il n’y a pas de distinction entre politique, loi civile et religion

vendredi 24 octobre 2008.
 

Riposte Laïque : Pour le public français qui ne vous connaîtrait pas, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bat Ye’or : Je suis une réfugiée juive d’un pays arabe, l’Egypte. Mon père était italien, ma mère française, sa famille a porté l’étoile jaune en France durant l’Occupation. Après les lois fascistes italiennes, mes parents ont demandé la nationalité égyptienne qui fut créée en 1924 avec l’abolition de l’empire ottoman.

Je fais partie de ce million de juifs qui ont dû quitter les pays arabes après une série de pogromes et de tueries, dépouillés de leur nationalité et de tous leurs biens. Je suis partie avec ma famille emportant deux valises par personne. Seuls des vêtements étaient autorisés – ils furent publiquement déchirés avant notre départ par des employés à l’aéroport – tout argent et bijoux étaient interdits. Déchus de notre nationalité égyptienne, nous avons dû signer un document certifiant que nous renoncions à tous nos biens en Egypte et que nous n’y retournerions jamais.

Nous devînmes apatrides et partîmes avec un laisser passer Nansen délivré par le consulat suisse au Caire. Personne n’a voulu raconter ces événements, excepté les personnes qui en ont souffert, mais les médias et les hommes politiques n’ont jamais évoqué les épreuves, bien plus tragiques que celles des Palestiniens, des réfugiés juifs des pays arabes. Les juifs, en effet, ont subi un régime de terreur dès la seconde guerre mondiale causé par l’alliance des populations arabes, notamment en Palestine, avec les régimes fascistes et nazis.

L’exode juif fut suivi d’un exode chrétien, qui fut provoqué par un régime de discriminations et de meurtres, comme on le voit encore dans certains pays musulmans, Soudan, Irak, Egypte. Désormais, après le nettoyage ethnique des juifs il reste les chrétiens. Je suis le résultat de tout cela, mais je suis également un écrivain, un chercheur, qui a écrit sur la condition des juifs et des chrétiens selon la loi du Jihad et de la Charia dans la civilisation islamique : comment ces lois ont évolué, ce qu’elles ont représenté pour l’ensemble des populations juives et chrétiennes soumises à ce statut particulier que j’ai appelé la dhimmitude.

RL : Depuis combien d’années travaillez-vous sur ces sujets là ?

BY : J’ai commencé des études d’archéologie à Londres, que j’ai dû interrompre. Mon mari, historien de formation, m’a beaucoup aidé. Je travaille sur ces sujets depuis une trentaine d’années. Mais il est difficile de faire des recherches, parce que la dhimmitude est un nouveau concept, et parce qu’il s’oppose à la politique suivie par les gouvernements européens depuis 1973.

RL : Vous êtes connue justement pour avoir popularisé ce terme de la dhimmitude. Pouvez-vous en donner une définition succincte pour nos lecteurs ?

BY : J’ai étudié la situation des juifs et les chrétiens parce qu’elle est identique et mentionnée dans d’innombrables documents des pays méditerranéens islamisés. Mais la dhimmitude embrasse en fait l’ensemble des populations d’Asie : zoroastriens, bouddhistes, hindous.

La dhimmitude résulte du Jihad et partout où il y a Jihad il y a dhimmitude. La dhimmitude représente la civilisation des populations non musulmanes conquises par le Jihad, guerre impérialiste d’islamisation de leur territoire. Le Jihad donnait aux vaincus le choix entre la conversion, la soumission ou l’esclavage ou la mort. Les populations qui se soumirent subirent un statut discriminatoire qui tolérait les non-musulmans, mais les rejetait dans une condition d’infériorité et d’avilissement dans tous les domaines. Quant aux païens, ils devaient généralement choisir entre l’islam et la mort.

RL : Comme en Inde ?

BY : C’est cela, mais il y eut quand même des arrangements avec les hindous, puisque tous ne furent pas massacrés. La dhimmitude est prescrite par la Charia – les lois de la dhimmitude sont liées au Jihad, c’est-à-dire à la conquête islamique des territoires non musulmans. C’est cette conquête qui détermine le statut de ces populations. Les juifs et les chrétiens partagent exactement le même statut, mais les autres populations comme les zoroastriens ou les hindous ont un statut différent et inférieur à celui des chrétiens.

RL : On a entendu dire par Tariq Ramadan par exemple que la Charia serait une « voie spirituelle ». Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur la nature de la Charia ?

BY : La Charia représente une voie spirituelle pour les musulmans, ça fait partie de leur façon d’être, de penser, de se comporter et de gouverner. C’est le pilier de leur civilisation parce qu’elle instaure un ordre à la fois juridique et religieux. La Charia indique aussi aux musulmans comment vivre conformément à l’enseignement du Coran et du Prophète, ainsi que le comportement qu’un bon musulman doit adopter envers le non musulman. Naturellement on ne peut généraliser et en Occident nombre de musulmans refusent de s’y conformer. Beaucoup d’ailleurs ne la connaissent pas, c’est un sujet spécialisé réservé aux juristes et aux théologiens.

RL : Quel est le statut de la Charia par rapport au droit positif, par rapport à une loi politique ?

BY : La Charia est définie par la religion. Elle édicte les règlements donnés par le Coran et la Sunna, la tradition vivante des paroles et des actes attribués à Mahomet. En islam, il n’y a pas de distinction entre politique, loi civile et religion. La juridiction est liée à la religion. Par exemple en Egypte et dans les autres pays musulmans les lois doivent être conformes à la Charia, c’est-à-dire aux prescriptions du Coran et de la Sunna. Il en est de même des droits de l’homme, d’où la nécessité de promulguer la Charte musulmane des droits de l’homme car la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas conforme à la Charia fondée sur ces deux sources islamiques, Coran et Sunna. Nous avons ainsi deux types distincts de règlements concernant les droits de l’homme.

RL : Est-ce que l’on peut dire avec Thomas Hobbes que la Charia est un « droit positif révélé » ?

BY : On peut dire que la Charia est une droit révélé, dans la mesure où le Coran est une révélation dont chaque mot est attribué à Allah, à la divinité, ce qui n’est pas du tout conforme à l’interprétation de la Bible par les juifs et les chrétiens, qui ne considèrent pas que chaque mot de la Bible est la parole littérale et incréée de Dieu. La Bible est conçue comme un compendium écrit par différents auteurs, à différentes époques, composé de différents livres : historiques, juridiques, prophétiques, liturgiques, poétiques avec des psaumes et des proverbes, et dont l’enseignement résultant de l’exégèse des textes, peut s’adapter à différentes époques. La conception de la prophétie est d’ailleurs totalement différente dans la Bible et dans le Coran.

RL : Est-ce que l’on peut identifier ce corpus, la Charia, comme on a par exemple le Code civil napoléonien ?

BY : Oui, on peut identifier le corpus de la jurisprudence islamique (fiqh ou droit musulman) Les différentes interprétations de la Charia comprennent les quatre écoles sunnites de droit et la cinquième école qui est chiite. Il n’y a pas de grandes différences entre ces écoles qui se réfèrent aux mêmes sources : Coran et Sunna. Je me permets de vous signaler l’excellent livre de Anne-Marie Delcambre, Soufi ou mufti ? Quel avenir pour l’Islam ? (Editeur Desclée de Brouwer, 2007) qui explique parfaitement les fondements de la Charia et ses interprétations modernes.

RL : Est-ce que l’on pourrait dire que le droit musulman, le fiqh, correspond au droit canon dans l’Eglise catholique ?

BY : Non, c’est très différent. Le droit canon est fondé sur les écrits des Pères de l’Eglise et les décisions des conciles, or les Pères de l’Eglise ne sont pas considérés comme des personnes ayant reçu une Parole divine infaillible, comme Mahomet. On peut critiquer les Pères de l’Eglise, on peut critiquer Saint Ambroise, on peut critiquer Saint Jérôme, on peut rejeter les décisions des conciles sur la base d’arguments rationnels. Il en est de même du Talmud, corpus des exégèses de rabbins dont l’autorité normative ne provient pas d’une origine divine infaillible mais comporte l’élément de doutes et d’erreurs inséparable de la nature humaine.

Ce relativisme permet d’assouplir, d’adapter et de renouveler le dogme. Le droit canon a influencé le droit byzantin hérité de Rome, mais il ne l’a pas créé comme la Charia a créé la jurisprudence islamique. Il y eu toujours un conflit avec l’Eglise qui cherchait bien sûr à influencer le pouvoir politique, mais le pouvoir politique maintenait son autonomie par rapport à l’Eglise. Par contre la Charia institue un droit fondé sur des paroles révélées et incréées qui ne prêtent pas à discussion, et chargées d’une valeur normative exécutoire et obligatoire. Ce sont ces différences dans les conceptions mêmes des révélations biblique et coranique qui ont déterminé les évolutions si différentes, voire opposées, de leur civilisation. Sans parler des contenus fort différents des textes sacrés.

RL : Que pensez-vous du foulard islamique, du voile des femmes ?

BY : Moi, si j’étais une jeune fille et si je vivais dans un pays musulman, je me couvrirais du voile de la tête aux pieds ne serait-ce que pour me protéger de l’agression masculine. Parce que toute jeune fille, un peu jolie, un peu attirante, est soumise à un tel harcèlement sexuel à chaque moment de son existence dès qu’elle franchit le seuil de sa maison, qu’une vie normale est absolument impossible. On devient obsédé par le harcèlement sexuel que l’on supporte, par les attouchements continuels d’inconnus qui vous bousculent, qui vous touchent, dans les lieux publics, dans les cinémas, dans la rue, surtout dans les transports publics où les gens sont serrés comme des sardines en boite. Je me place sur le plan pratique de la femme qui veut se protéger de l’agression des mâles.

RL : Quelles sont les raisons de ce harcèlement sexuel dans les pays arabo-musulmans ?

BY : J’ignore pourquoi les hommes dans les pays musulmans sont aussi agressifs envers les femmes. Serait-ce le climat, serait-ce la nourriture ? Ce sont des comportements que l’on retrouve à divers degrés dans les pays du Sud. En Europe, le voile ne se justifie pas, sauf si l’on veut suivre absolument les préceptes de la Charia, car en Europe, ce harcèlement sexuel n’existe pas. Je trouve que le voile ne devrait pas être autorisé dans les lieux publics et surtout sur les pièces d’identité. On doit pouvoir montrer son visage, car on ne sait pas qui se cache derrière le voile, ce pourrait être un criminel ou un terroriste.

RL : Que pensez-vous de la loi française interdisant le voile à l’école ?

BY : La France est une République laïque, donc l’interdiction du voile à l’école est justifiée. Le voile est une forme de propagande qui devrait être interdite auprès d’enfants à l’école. Je pense aussi que les immigrés musulmans ont choisi d’immigrer en Europe, et que par conséquent il est de leur devoir de respecter les lois des pays d’accueil et non pas d’imposer leurs propres lois.

RL : Est-ce que vous pensez que la laïcité est en danger en Europe ?

BY : Oui, c’est certain. Avec le multiculturalisme, c’est-à-dire avec l’acceptation des lois islamiques et des codes de comportement islamiques dans l’espace européen, on accepte un principe qui est totalement opposé à la laïcité, puisque la laïcité n’existe pas dans l’islam, pour l’instant, même si la Turquie a essayé de le faire. C’est même totalement interdit par la Charia : en islam, la politique doit être au service de la religion, afin d’étendre la domination de l’islam. Et cela, c’est Ibn Khaldun qui l’a énoncé, un grand juriste et érudit musulman du 14ème siècle...

Propos recueillis pas Radu Stoenescu


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