Princes et nobles d’Allemagne des années 1920 à l’effondrement du IIIe reich

mardi 23 avril 2019.
 

1918, en sonnant la défaite allemande et l’effondrement successif des monarchies fédérées par l’Empire de Guillaume II, passés les troubles de la révolution et l’établissement de la République, donnait aux princes nobles d’outre-Rhin ce que mille ans de Saint-Empire n’auraient rendu possible : le statut de citoyen susceptible de poser les choix politiques et moraux propres à la masse de leurs anciens sujets.

Compromission ou refus, opposition ou service, vont dès lors caractériser l’action et l’attitude de plusieurs envers le IIIe Reich. Certains se déshonorèrent, d’autres rehaussèrent, en quelques années de dictature, le prestige de leurs maisons. Ombre et lumière, collaboration active ou souffrances de la déportation : voici ce que vécurent ces hommes, ces femmes, souvent trop mal connus.

par Philippe Gain

docteur en histoire, historien-chercheur.

1) DU TRIOMPHALISME DU IIe REICH à LA DECOMPOSITION

L’Empire allemand fondé, au lendemain de la victoire prussienne de Sedan, sur la base d’un partenariat et d’une délégation d’autorité entre États libres et souverains, dans les priorités qu’il s’était fixées eut, pendant près de quarante-quatre ans, comme principale priorité de rapprocher du trône des Hohenzollern la masse disparate, et quelques fois frondeuse, des hobereaux qui, de l’Elbe au Neckar, de l’Oder au Main, continuaient de croire à la mystique de la vassalité. Un temps, le glissement s’était effectué au bénéfice de l’Autriche catholique et de son souverain, le roi des Romains. La disparition du Saint-Empire romain et germanique et la perte d’influence de la maison d’Autriche accentuèrent encore ce rapprochement. De fait, n’y eut-il plus guère que le Baedecker et l’almanach de Gotha pour continuer jusqu’à l’effondrement de 1918 à maintenir la fiction de l’autonomie des royaumes, principautés et grands-duchés constituant l’Empire. Les monarchies allemandes se rapprochaient toutes plus ou moins des souverains de Berlin. À le trop faire, ou trop rapidement, elles couraient le risque de s’affaiblir et d’être en cas de revers pénalisées de cette sujétion. L’avenir le démontra tragiquement.

L’exemple du Hanovre demeure pour l’époque considérée le plus [1] éloquent et induit la problématique de la fascination collective qu’exerça Guillaume II sur ses féaux et associés du Reich. Sur une clientèle avide d’être subjuguée, la personnalité du prince imprime une marque si forte qu’elle incite plusieurs de ses cousins couronnés à en copier les aspects les moins compatibles avec leur particularisme. Signe d’essoufflement de l’Allemagne de la geste et des légendes ? Les funérailles de son père révèlent qu’à ses côtés marchaient des princes trop âgés pour se réformer, bon nombre d’entre eux se refusant à envisager le projet wilhelmien qui devait, quoi qu’il pût advenir, les broyer ou les contraindre.

La princesse Louise de Belgique, au lendemain de 1918, avait sans doute raison d’écrire que « les rois allemands ont disparu ; il n’est pas impossible qu’ils reviennent, sinon les mêmes, d’autres peut-être, mieux adaptés » [2]. L’ensemble de la noblesse d’outre-Rhin, les princes en tête, cultivait une curieuse nostalgie entre service armé, propriétés foncières et exploitations agricoles. La chute était inéluctable et elle survînt à la suite de celle du Kaiser qui, perdant la guerre et abdiquant, contraignit les autocrates de Dresde, Munich et Stuttgart à en faire autant. L’attachement, ou l’indifférence, de leurs peuples ne suffit point, malheureusement pour eux, à les sauver. À la honte des premiers revers succéda une vague d’abdications qui, souvent trop rapidement négociées, compromettaient les chances de restaurations ; ainsi que l’écrivit un auteur français : « La révolution anglaise avait été respectable et la Révolution française grandiose, la révolution allemande avait été simplement ridicule et insincère et [...] les circonstances où elle était née la rendaient suspecte dès le berceau [...] elle laissait, sinon à Guillaume II et au Kronprinz trop compromis par les fautes accumulées, mais au principe monarchique – peut-être même à un Hohenzollern qui aurait été intelligent et audacieux – des chances. » [3]

L’ensemble des Alliés, à la suite des gouvernements de Paris, Londres et Washington, pariaient sur l’avenir en estimant que l’abolition de la monarchie allemande handicapait davantage le vaincu qu’elle ne le conforterait dans un projet de revanche. Calcul d’évidence erroné. Une idéologie parallèle aux systèmes monarchique et républicain allait conduire les anciennes maisons souveraines à s’opposer les unes aux autres, en reproduisant sur un terrain inattendu les archaïsmes de la division religieuse ; Hervé Pinoteau met le fait en lumière : les familles anciennement souveraines seront « fortement compromises avec le nazisme » quand elles sont réformées, cependant que les catholiques auront « tout au contraire résisté à l’emprise hitlérienne, la maison de Bavière étant un bel exemple du maintien des principes chrétiens... » [4]

Les dynasties allemandes – du moins certains dynastes – s’apprêtaient à effectuer des choix dont les conséquences demeurent de nos jours perceptibles. Encore fallait-il que la voie fût libre et qu’elles aient réintégré le rang du commun des citoyens. À partir du 29 octobre 1918 ce fut chose faite, le processus des révoltes, abdications et proclamations de républiques s’enclenchant avec une rapidité surprenante pour se conclure par la célèbre Semaine Rouge du 6 au 11 janvier 1919. La logique révolutionnaire contraignait l’ensemble des vassaux du Kaiser à signer l’acte décisif qui les dépossédait des derniers pouvoirs régaliens que le Reich leur avait laissés.

Le 22 octobre 1918, Max de Bade, chancelier de l’Empire, entame pourtant une réforme institutionnelle susceptible de sauver l’essentiel de la cohésion nationale ; elle échoue, se heurtant à la mutinerie des marins de la 3e escadre basée à Wilhelmshaven qui refusent d’exécuter l’ordre que leur a donné l’amiral von Hipper. La lassitude morale et physique de ce fleuron des armées de Guillaume II offre à la propagande spartakiste le meilleur des terrains d’application comme le plus favorable des échos et le soulèvement gagne rapidement la Bavière, deuxième puissance au sein du Reich après la Prusse. Le 8 novembre y est créée une République indépendante de Bavière au détriment de la dynastie des Wittelsbach. Paralysé par la rapidité de l’action rouge menée par Kurt Eisner [5], le vieux roi Louis III voit, un temps, son pouvoir mis à mal par un Conseil provisoire des ouvriers, soldats et paysans constitué la veille. Louis III avait pourtant entamé le processus de parlementarisation qu’il estimait susceptible de sauver ce qui pouvait l’être de son autorité et de ses droits. La révolution munichoise est prompte à décider de l’avenir du plus francophile des royaumes d’outre-Rhin. Commençant au retour d’une promenade – celle que Louis III a coutume d’effectuer quotidiennement – elle croise la manifestation qu’Eisner dirige sur la Theresien Wiese, manifestation que le ministre de la Guerre favorise en donnant l’ordre aux troupes présentes de ne pas faire usage de leurs armes. Une dernière fois, alors que les troupes fidèles étaient au front et le Kronprinz Rupprecht à Bruxelles, Louis III souhaita aller au-devant de son peuple. Du moins, des émeutiers qu’il pensait ramener, par son seul prestige, à plus de raison. Le gouvernement le lui déconseilla. L’ultime chance des Wittelsbach passa. Le soir même, le roi, sa femme et leurs filles quittaient Munich pour le Schloss Wildenwarth d’où, le 13 novembre suivant, il délia, en dépit de l’avis contraire et des protestations du Kronprinz, l’ensemble des fonctionnaires et des militaires du serment qu’ils lui avaient prêté. Il n’abdiqua pas et conserva intacts, pour lui-même et pour sa descendance, les droits au trône de Munich.

Ce ne fut pas le cas de tous. Le 8 novembre, Ernest-Auguste III duc de Brunswick et gendre du Kaiser [6] abdiquait, suivi par Guillaume II qui, le 9, renonçait à ses droits à l’Empire mais non à ceux de Prusse, songeant sans doute qu’il venait de sauver le principal. Ce même 9 novembre, Ernest-Louis, grand-duc de Hesse et du Rhin, Guillaume-Ernest, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, descendaient de leurs trônes. Les journées des 10 et 11 novembre ne sont guère plus plaisantes à Bernard III, duc de Saxe-Meiningen-Hildbourghausen, Auguste, grand-duc d’Oldenbourg, Henri XXVII, prince Reuss [7] . Les 12 et 13, la chute devant être générale, Léopold IV, prince de Lippe, Aribert, prince d’Anhalt, Ernest II, duc de Saxe Altenbourg et Frédéric-Auguste III, roi de Saxe, s’effacèrent à leur tour. Encore, le cas du roi de Saxe est-il particulier.

Le 2 novembre, Frédéric-Auguste III, réunissait au palais royal de Dresde l’ensemble des membres de sa famille et de son gouvernement. Il leur exprima, non sans grandeur, qu’il « n’avait pas l’intention de continuer la guerre sur l’avenue du château ». Le sang des Saxons ne serait point versé pour lui ; il partirait. Trop tardivement sans doute il avait quelques semaines auparavant demandé au Kronprinz Georges de créer un gouvernement parlementaire. L’Histoire le rattrapait. Déposé le 11 novembre, Frédéric-Auguste abdique donc le 13 mais, comme le Kaiser, il renonce à la couronne depuis l’étranger et non du territoire qui l’avait vu régner. Sa décision est sans appel ; la nuit précédente, au château de Moritzbourg, il en a pesé le pour comme le contre, ce qui lui vaut ce commentaire du ministre de l’Intérieur : « Sa Majesté a agi comme un roi. » Le monarque déchu en a-t-il conçu l’amertume que l’on prête aux exilés ? Il ne semble pas ; traversant la Saxe en train, il s’adresse avec une bonhomie non dénuée d’humour à ses anciens sujets leur déclarant : « Je dois vous dire que vous faites une fameuse bande de républicains. » Lesquels anciens sujets s’étaient, à l’annonce de son passage, précipités pour le voir et le saluer.

Le 14 novembre 1918, sonne le glas de la monarchie à Meklembourg, quand abdique Frédéric-François IV qui détenait aussi, depuis le mois de février précédent, pour le grand-duché de Meklembourg-Strelitz la régence [8]. Charles-Édouard, duc de Saxe-Cobourg et Gotha, déchu le même jour, signe aussi l’acte de renonciation ; cependant qu’en principauté de Waldeck et Pyrmont la passation de pouvoir s’effectue moins aisément. Frédéric, prince de Waldeck, ne veut pas se démettre – et sûrement pas se soumettre – il refuse donc d’obéir à l’injonction d’un conseil de trente soldats venu lui demander de renoncer au trône. Sa volonté n’était déjà plus souveraine et le conseil, passant outre, fit connaître que si « le prince de Waldeck et Pyrmont refuse de renoncer volontairement au trône... ». Le prince persiste dans son refus, « en conséquence, et par ordre du conseil des ouvriers et soldats de Cassel, le conseil des ouvriers et soldats d’Arolsen destitue à partir de ce jour le prince Frédéric de Waldeck et Pyrmont. Arolsen, le 14 novembre 1918 ».

Le 15 ou 16 novembre 1918, venait de s’éteindre la flamme de la monarchie en principauté de Schaumbourg-Lippe. Y régnait Adolphe II.

Onze jours après la signature de l’armistice qui entérine la défaite de l’Allemagne, Frédéric II, grand-duc de Bade [9], confirme, de Karlsruhe, sa renonciation du 14. Ce cas n’étant nullement isolé puisque le 25, c’est au tour de Gonthier, prince de Schwarzbourg, de confirmer ce qu’il avait exprimé le 22 : qu’il renonce aux trônes de Rudolstadt, par lui occupé depuis 1890, comme à celui de Sonderhausen sur lequel il était assis depuis 1909.

Il restait à Guillaume II, roi de Wurtemberg, à quitter, lui aussi, la scène politique ; ce qu’il fait le 29 novembre, après avoir, vingt jours durant, tenté de demeurer en place, seul à affronter le cataclysme qui mettait bas les trônes de ses parents. Pourtant, lui aussi, le 9 novembre, n’est-il pas confronté à la révolution qui avait éclaté à Stuttgart ? N’avait-il point vécu, sans trop d’aménité, la démission du cabinet de guerre Weissäcker et son remplacement, le 11, par une coalisation de partis bourgeois ? Isolé dans sa résistance passive, Guillaume II, roi de Wurtemberg, renonça et prit, se retirant en ses domaines, le titre de duc de Wurtemberg jadis porté par ses ancêtres [10]

La page était tournée et l’épilogue de cette funeste chronique fut signé du Kronprinz de Prusse qui, lui aussi, des Pays-Bas, renonça à ses droits dynastiques le 1er décembre 1918 [11].

2) LES INDEMNISATIONS

Le Kaiser avait quitté l’Allemagne en laissant une classe politique encore largement favorable à la monarchie [12] et l’idée même de lui imputer toutes les responsabilités n’y était pas si répandue que dans les rangs alliés. Rassuré sur son sort par les autorités néerlandaises, le chef de la maison de Hohenzollern, n’ayant pas à répondre à l’Histoire, allait avec méthode et ténacité reconstituer une fortune que la révolution avait – en apparence – mise à mal. Ses cousins, des rois aux princes médiatisés, s’attachant à la même action. Mis sous séquestre en 1918, leurs biens leur sont rendus par les autorités des divers nouveaux Länder, à mesure des années et avec d’autant moins de difficulté qu’à la différence de l’Autriche qui a assorti la déchéance de sa dynastie d’une expropriation pure et simple, aucun d’eux n’avait véritablement subi pareil traitement.

La Constitution de Weimar ne s’étant pas souciée de cet aspect du changement des institutions, plusieurs chefs de maison, via leurs représentants légaux, entamèrent les démarches nécessaires pour recevoir des juges les compensations et indemnités qu’ils réclamaient. Le risque existait qu’ils fussent déboutés, car le climat hostile que la gauche activiste, SPD comme KPD, tentait de développer, tout au long du mois de décembre 1925, pouvait leur être funeste ; en effet, dès le 3 décembre, le parti communiste prend violemment parti contre les accommodements financiers et fonciers en faveur des princes, accommodements que le gouvernement souhaitait régler par voie législative. Dans une lettre ouverte aux socialistes allemands, les communistes fulminent contre ces « gouvernements des Länder [qui] sont d’une faiblesse inouïe à l’égard des revendications des princes [puisqu’ils] concluent des accords eux-mêmes ou bien renvoient l’affaire devant les tribunaux qui rendent une justice de classe et exaucent les moindres désirs des dynasties détrônées » [13].

Ce fut l’époque des défilés savamment orchestrés au cours desquels les manifestants les plus ultra brandissaient des guirlandes faites de billets qui avaient eu cours pendant l’inflation en guise « d’indemnité pour Guillaume » avant que de poursuivre en appelant à l’union du SPD ou du KPD pour « tirer sur la corde pour rompre le cou des princes ». Ainsi que le rapporte Kurt Rosenfeld, membre de l’aile gauche du Parti socialiste allemand, « on travaillait des milieux que nous ne touchions pas d’habitude. C’était une joie de vivre » [14]. Le 24 décembre, un projet de loi communiste, préconisant l’expropriation totale et sans indemnité des divers principicules de l’ancien Empire, était déposé au Reichstag.

Dans la plus stricte logique communautaire, les biens ainsi confisqués devaient être « mis à la disposition des chômeurs, des blessés de guerre et des mutilés, des retraités, des victimes de l’inflation, des ouvriers agricoles et des petits paysans » [15]. Les propriétés familiales, devenues bien du peuple, seraient tout naturellement transformées en maisons de repos, sanatoriums, ou centres de scolarisation. Autant de points que le Reichstag repoussa. Les socialistes avaient voté pour, cependant que les nationaux-socialistes s’étaient prononcés pour une expropriation des princes, mais « des princes de la banque, la bourse et autres parasites... ».

Parade légale ou mesure d’appel au peuple ? Le recours au référendum, que prévoyait la Constitution de Weimar, s’imposa. Pour qu’il soit valide, du moins que son organisation puisse s’effectuer, 10 % des électeurs devaient en prendre l’initiative. Le SPD entra dans la campagne en faveur du référendum afin de se protéger, craignant que certaines de ses troupes ne se rallient aux communistes. Le maréchal Hindenburg fit entendre sa voix, déclarant que « refuser l’indemnisation, ce serait violer les principes juridiques de l’État et mettre en cause les bases de la morale et du droit ».

L’indemnisation des princes relève bel et bien du droit et cela justifie peut-être que les partis de droite aient appelé en faveur de l’abstention. Le vote a lieu le 20 juin. Mais, n’ayant pas été approuvé par les 50 % d’électeurs requis et n’étant pas susceptible d’être reformulé, le texte soumis au référendum est repoussé comme l’article 76 de la Constitution le disposait. Ainsi que l’écrit Jean-Marie Argelès, « l’indemnisation se fit sans tapage, pendant les vacances parlementaires ». Dernier soubresaut de la lutte conjointe des forces de gauche contre les anciennes dynasties, l’appel aux socialistes que lance le quotidien communiste Die Rote Fahne lors de la transaction à l’amiable que la maison royale de Prusse allait conclure avec le social-démocrate dans le courant du mois d’octobre 1926 [16]

En huit ans, une page délicate de l’histoire républicaine allemande s’était écrite et non sans mal, dans un réel souci d’équité. Quel en avait été l’enjeu ? De l’argent bien sûr, mais aussi des terres et des demeures attachées à la gloire de la nation tout entière. Guillaume II ne s’y trompa pas lui qui, dès le 28 novembre, demandait aux autorités berlinoises la restitution de ses biens propres et de ceux de sa famille, l’argenterie familiale notamment [17]. À réception de ce courrier, le nouveau gouvernement fit parvenir à l’empereur déchu, outre son argenterie – les regalia étant exclus de la conciliation – la somme de 40 millions de marks-or. Au cours des mois qui suivront, le Hausschatz effectuera d’autres versements et, six ans après l’effondrement de l’Empire, le régime de Weimar commencera à lui verser une rente mensuelle de 50 000 marks [18]. Les fils de l’empereur et son frère, prince Henri, reçoivent de même des pensions dont le montant fut négocié par les représentants de la maison impériale et le nouvel État allemand.

Au moment où débute la crise des indemnisations, les Hohenzollern, à eux seuls, rentraient en possession de 97 000 ha de terres et récupéraient certaines de leurs propriétés. En outre, le gouvernement de Prusse débloquait au profit de son ancien souverain un dédommagement de 15 millions de marks-or, et le Kronprinz bénéficiait d’un adoucissement de ses conditions d’exil [19].

Au terme de la procédure de l’indemnisation des princes, Charles-Édouard, duc de Saxe-Cobourg et Gotha, récupérera 10 300 ha de terre et de forêts confisqués à la révolution. Le grand-duc de Saxe-Weimar, en plus d’une rente annuelle de 300 000 marks-or, du règlement d’une indemnité de 3 millions de marks-or, pouvait, en outre, augmenter son patrimoine foncier de 2 700 ha de bois que lui rendaient les autorités.

Tout autant favorisée, la maison de Meklembourg-Strelitz avait, dès novembre 1918, négocié un certain nombre d’arrangements financiers avec la République ; en septembre 1921, en la personne de la Kronprinzessin Militza, elle allait bénéficier du versement de 5 200 000 marks-or.

3) FASCINATION, DUPLICITÉ ET MÉPRIS : LE NAZISME ET LES PRINCES

En 1933, alors même que l’Allemagne entre dans l’une des phases cruciales de son histoire contemporaine, dans un ouvrage tout autant modeste que riche d’enseignement, Moeller Van den Bruck écrit [20] , à propos de la monarchie, ce qui n’allait guère tarder à imprégner les mentalités de l’homme nouveau voulu par Adolf Hitler : « Une monarchie doit être conquise. Une monarchie ne saurait être octroyée. L’idée de la monarchie est une idée de sacre que le dernier monarque a laissé profaner. [En conséquence de quoi], le monarchiste conscient doit aujourd’hui se taire. » Comment s’étonner alors des choix parfaitement antinomiques que vont faire certains des anciens princes souverains du IIe Reich, croyant peut-être en toute bonne foi que le IIIe réconcilierait l’histoire et la modernité ? Qui d’eux ou d’Hitler, l’ancien caporal des armées de Louis III de Bavière, s’est servi de ce que représentait l’autre ? Lequel des deux protagonistes jouera le mieux la carte de l’ambiguïté ? Plusieurs exemples permettent d’affirmer que, si fascination il y eut, elle n’est nullement unilatérale. Opportuniste, freudienne et pitoyable parce que contre nature, cette attraction de l’un à l’autre grandit autant qu’elle rabaissa, humilia autant qu’elle ennoblit. Encore fallut-il près de quinze ans pour que l’on pût dresser un tel constat, le « Reich de mille ans » s’étant effondré et l’Allemagne se retrouvant au ban des nations libres.

Des balbutiements du national-socialisme à ses ultimes soubresauts la relation d’Adolf Hitler et de l’aristocratie s’avère particulière, faite de frustration et d’attirance, d’opportunisme et de mépris. Le chancelier du Reich au faîte de sa puissance, le 4 avril 1942, réaffirme ce qu’il avait écrit dans Mein Kampf, quelques années auparavant quand il exprime qu’il « ne devrait y avoir, au service de l’État, que des hommes courageux et capables, à sa tête, que quelqu’un de vraiment très brave » car ajouta-t-il, « La classe inférieure soumise, de par la vie, à une sélection rigoureuse, peut se montrer impitoyable contre des dirigeants lâches », expliquant à son auditoire attentif que c’est justement de cela que naquit en 1918 « le mouvement d’en bas qui balaya le château de cartes vermoulu de la monarchie » [21].

Sur de telles bases, comment s’étonner de la diatribe qui suit et marque le profond mépris que, vingt-quatre ans après les abdications, il continuait de nourrir envers « la couvée Hohenzollern » qui avait justifié la loi d’exclusion desdits princes de l’armée au lendemain de la mort de l’aîné des petits-fils du Kaiser, et put avoir comme conséquences tragiques la déportation de bon nombre d’entre eux ? Que déclare-t-il qu’il n’avait déjà dit ?

« Si un seul des monarques allemands était resté avec ses divisions comme le roi de Bulgarie, en déclarant qu’il ne songeait nullement à disparaître, la catastrophe nous eût été épargnée. Car, le destin est clément et tolérant, il ne laisse s’écrouler que ce qui est irrémédiablement pourri. Tant qu’il subsiste un rameau fort, le destin le laisse survivre. Mais ces chiffes molles de princes allemands tremblaient tellement dans leurs culottes qu’ils ne comprirent même pas l’absurdité de la nouvelle annonçant que la 2e division de la Garde avait capitulé... « Gavroches » et « imbéciles complets » [22] dont il n’y avait plus à se soucier, les anciennes têtes couronnées, leurs héritiers ou leurs parents n’allaient guère tarder à s’exposer face à l’histoire pour, en certains cas, se retrouver plus sûrement nus que ne le fut le roi de la fable ; aucune rubrique, aucune apostille de Mein Kampf ne contient d’éloge, même indirect à quelque souverain que ce soit. Ainsi que l’écrivait Pierre Lafue [23] , « c’est l’Allemagne sans princes et sans frontières intérieures qui a été, dès son enfance, sa patrie idéale » ; aussi avant de critiquer tel ou tel engagement de principicule en faveur du Führer, ne peut-on qu’être surpris de lire que « dans l’ancienne Allemagne l’éducation patriotique courante consistait surtout à diviniser d’une façon inintelligente et très plate les moindres petits souverains, dont la foule nous empêchait d’apprécier à sa juste valeur l’importance de notre peuple. Le résultat de cette adoration était que la masse du peuple ne possédait qu’une idée très insuffisante de l’histoire allemande » [24] , puis semblant le déplorer, « avec l’écroulement de l’ancien Empire, la mise au rancart de l’ancienne forme de gouvernement, l’anéantissement des anciens signes de la souveraineté et des symboles impériaux, la tradition a été soudainement déchirée » [25].

« Alors, pourquoi avoir joué le double jeu en paraissant un temps soucieux de rétablir la monarchie pour mieux humilier ensuite ceux qui, aux yeux de beaucoup d’Allemands, incarnaient encore, sinon l’histoire, du moins l’espoir ? » Les Dix Leçons sur le nazisme, parues sous la direction d’Alfred Grosser [26] , en disent long sur le divorce réel entre l’Allemagne profonde de Weimar et les aspirations nationales-socialistes, de même qu’elles cernent au mieux la persistance de l’aura des Hohenzollern à travers la personnalité pourtant contrastée du Kronprinz Guillaume [27].

Il semble que les dernières années de la République de Weimar et les premiers mois du IIIe Reich n’aient pas été autant opposés que cela à la restauration des princes, voire à celle, au bénéfice d’un (jeune) prince issu du sang de Guillaume II de la structure impériale ; ce que les puissances alliées ne pouvaient tolérer ; admettant peut-être, sous la paternelle pression et l’instante sollicitude du Saint-Siège [28] , l’exception bavaroise... Or, qu’observe-t-on ? La descendance du Kaiser présente l’un de ces contrastes historiques fréquents au sein de toute famille ; certains de ses membres optent pour une collaboration de bon aloi, en accord parfait de leur sensibilité d’Allemands et non plus nécessairement de princes [29], avec les deux types de régimes qui se succédèrent de 1918 à 1945 ; cependant que d’autres vivront si ce n’est l’exil intérieur, du moins une indifférence tranquille. Tranquille, certainement le fut-elle jusqu’aux dérapages du Führer [30].

Hitler, à la différence du vieux maréchal Hindenburg, parle beaucoup et s’agissant de l’Allemagne, l’ancien « caporal bohémien » s’avère prolixe. Concernant l’ancienne noblesse et les maisons souveraines avant 1918, ses propos sont si révélateurs qu’ils sont souvent prophétiques de la maldonne s’instaurant dès le putsch de Munich jusqu’à la mort – héroïque ou heureuse – du prince Guillaume [31] qui ouvrit cette boîte de Pandore de la haine et de la jalousie mal contenue, virulente, du Führer qui osa parler de « ces morts réclame » qui risquaient tant de porter atteinte à ses propres ambitions de régénération de l’élite [32].

Cela étant, qu’advint-il, dans les années 1920, de ces hommes, souvent jeunes et avides de servir la cause de Germania ? Que pouvaient attendre ces vétérans couronnés ou non de l’ère nouvelle qui s’était si brutalement ouverte dans la clairière de Rethondes ?

Le Katolikentag de Munich de septembre 1922 est en ce sens révélateur ; il condamne ouvertement les errances consécutives à la défaite : « Malheur à l’État qui ne pose pas ses institutions et sa législation sur le terrain des commandements divins [...] La révolution a été parjure et haute trahison ; elle reste dans l’histoire héréditairement chargée » [33], discours prononcé en présence des princes royaux de Bavière, Rupprecht, le Kronprinz, et Albrecht, l’Erbprinz qui y furent « salués avec enthousiasme dès qu’ils eurent paru » et ovationnés après que « le nonce, Mgr Pacelli, eut célébré la messe » [34].

L’année 1928 n’est guère moins ambiguë quand éclate la crise du DNVP, le Deutsch Nazional Volks Partei. Le 20 mai 1928, Walter Lambach, député national allemand, constatant la défection d’un demi-million d’électeurs, déclare à la tribune du parti : « Jusqu’ici, nous n’avons voulu que des monarchistes. Ceux-ci deviennent de plus en plus rares. » Qu’en penser alors que « naturellement, il y a encore des gens qui sont monarchistes de cœur. Nombre d’anciens officiers, nombre de hobereaux terriens, nombre de pasteurs protestants [qui] portent sincèrement le deuil de la monarchie » ; encore n’y faudrait-il compter que pour quotité négligeable ces « vieilles filles qui trouvent dans le culte des Hohenzollern, un dérivatif à leur sexualité refoulée... » [35] .

La noblesse occupe de fait encore le devant de la scène politique, ne serait-ce que par le biais d’associations d’anciens combattants, en Allemagne même, comme pour un court moment, de l’autre côté de la frontière, dans l’Autriche voisine [36]. Certains fleurons de cette aristocratie de Junkers servent dans les armées de la République tel Guillaume, prince de Hohenzollern, que l’on apprend, grâce à un communiqué en date du 3 octobre 1926, « avoir été admis en qualité d’engagé temporaire au 9e régiment d’infanterie de la Reichswehr, en garnison à Potsdam » [37] ; la qualité d’engagé temporaire de l’aîné des petits-fils de Guillaume II n’avait pour seule fonction que de lui éviter de se compromettre en prêtant serment à la République. Il n’y avait là rien que de naturel pour un jeune homme d’aussi illustre lignée que de vouloir servir sa patrie ; néanmoins, les partis de gauche estimèrent de leur devoir de grossir l’événement en demandant en séance du Reichstag l’expulsion immédiate de tous les membres de la famille impériale sur le sol national depuis la fin de la révolution. Les Alliés s’émurent de l’engagement du prince Guillaume à tel point que le bruit se fit jour que « le cas serait soumis à la Conférence des ambassadeurs ». Que ne l’ont-ils fait ? Ils auraient ainsi évité au jeune homme de prendre part à la campagne de France et de mourir, non loin de Valenciennes. Ils auraient surtout enlevé au ministre de la Propagande, le Dr Goebbels, l’opportunité de vitupérer contre ces Reklamensterben qui frappèrent tant de maisons royales et princières.

Avant d’en arriver à cette campagne de France si rapide et peu difficile, qui permit au Kaiser de correspondre directement avec le chancelier du Reich [38], les travaux d’approche se poursuivirent. Adolf Hitler allait, évasivement, laisser penser que tout pouvait s’envisager ; les princes allaient les uns après les autres se laisser prendre dans les rets de l’idéologie nouvelle. Des amitiés allaient en naître et se développer à mesure du redressement national et des victoires diplomatiques et militaires. Dans ses souvenirs berlinois et allemands de 1934 à 1941, William Shirer, en démocrate du Nouveau Monde qu’il est, relate sans beaucoup de sympathie l’impression désagréable que lui avait faite le quatrième fils du Kaiser, prince Auguste-Guillaume, lors d’une conférence de presse au ministère de la Propagande : « Les nazis [l’]ont obligé [...] pour démentir les rumeurs qui circulent sur les traitements qu’Hitler aurait fait subir aux membres de la famille Hohenzollern » [39]. Obligé ou contraint ?

La question n’est pas sans incidences ; la plupart des auteurs français et étrangers préférant ne voir Auguste-Guillaume, “Auwi”, de Prusse que comme un sympathisant de la première heure », ainsi Nerin Egun : « L’aide de camp le plus prestigieux d’Adolf Hitler était Auwi, Auguste-Guillaume, fils de l’empereur Guillaume II » [40], ou Alfred Grosser pour qui, lors des premières assises nationales du parti, en 1926, dans la ville de Weimar « qui avait sept ans auparavant vu naître la Constitution de la première démocratie allemande ». Il y avait certes entre autres personnalités le chef du Casque d’acier, association d’anciens combattants, mais « surtout le prince Auguste-Guillaume de Prusse, fils de l’empereur », ce dernier devant « peu après quitter le Casque d’acier (ou Stahlhelm) pour le parti et la SA » [41]. Quel rôle l’impériale et royale altesse acceptait-elle de jouer ou de tenir dans cette pièce dont elle n’avait écrit ni le scénario ni la progression des actes ?

Auguste-Guillaume « ne pouvait être considéré comme un homme remarquable, ni même une personnalité bien accusée » ; aussi ne peut-on lui imputer l’entière responsabilité de la mésalliance. Christian, prince de Schaumbourg-Lippe, ne fut-il pas, lui aussi, l’un des premiers à se rapprocher d’Hitler à l’occasion de ce congrès des 3 et 4 juillet 1926, lui qui, en 1952, écrira pourtant : « Hitler s’est déclaré républicain, moi-même et la majorité de mes amis donnions sans hésitation la préférence à la république sur la monarchie et surtout la monarchie héréditaire. » [42]

La méprise dura officiellement jusqu’au congrès de Potsdam du 21 mars 1933 qui vit le « parti ouvrier du chancelier récolter les fruits de ce compromis » [43].

4) LES PAGES SOMBRES OU L’HEURE DES CHOIX

À mesure que passait le temps des nostalgies et que se construisait celui des certitudes, la ligne de partage entre l’ignorance mutuelle, l’apprivoisement réciproque, et la manipulation par les maîtres de Berlin, les caractères de chacun des membres de l’ancienne aristocratie impériale ou royale s’affirmèrent pour mieux confirmer l’onde de choc du nazisme sur la mentalité allemande. Devenus simples citoyens du IIIe Reich, composèrent-ils tous avec lui à l’image des Hanovre, des Schaumbourg-Lippe, des Lippe-Bisterfield, voire des Hesse ? Du Kronprinz, coupable de vanité, de vacuité sans doute, et de sensibilité à la flatterie, à ses frères Auwi et Oskar ; des petits-fils du Kaiser, Guillaume, l’infortuné de la campagne de France, Louis-Ferdinand son frère et successeur à Ernest-Auguste, fils de Victoria-Louise, les parcours ne furent guère semblables. Aucun cependant n’aura été résolument contraire à l’honneur chevaleresque hérité de l’histoire, ainsi que le démontrent les faits.

Guillaume II, au moment de la montée en puissance du nazisme, autorise, en tant que père et chef de famille, ses fils Auguste-Guillaume et Oskar, à adhérer au mouvement. En 1935, le Kronprinz est envoyé en émissaire officieux du vieux souverain auprès du Führer pour « discuter de l’éventualité de son retour » [44], cependant, la mission échoua. Le mythe du général Monck continuait de leurrer les altesses en exil ; ce genre de contacts n’avait rien que de très banal. La tragédie du 26 mai 1940 eut, quant à elle, des conséquences et une signification déterminantes pour l’avenir des princes, ce qu’une note dans le journal intime du diplomate italien Léonard Simoni [45] ne laisse que peu envisager : « Dimanche 26 mai, le fils aîné du Kronprinz est mort en combattant à Valenciennes. C’est le deuxième des quinze princes de la famille Hohenzollern actuellement sous les armes, qui tombe au champ d’honneur » alors que, sans doute plus familière de ceux-ci, Missie, princesse Wassiltchikoff, relève le sentiment de frustration et d’amertume qu’elle suscita : « Burchard de Prusse enrage parce que, après la mort de son cousin Guillaume, tous les princes de sang ont été rappelés du front et sont maintenant “tout juste tolérés” dans les états-majors. Adolf ne tient pas à ce qu’ils se distinguent et en tirent une popularité malsaine car ils se sont montrés bons soldats. » [46]

Les « morts-réclames » de Goebbels venaient d’imposer leur valeur. La cérémonie de Potsdam sonnerait, elle, le divorce entre la caste militaro-princière et le Reich [47]. Bientôt, il n’y aurait, via l’appareil du parti, que le service personnel au Führer qui serait toléré, l’allégeance à sa personne qui aurait de valeur. Cette valeur-là, Hermine, princesse Reuss et dernière impératrice d’Allemagne [48], Josias, prince de Waldeck et Pyrmont, Philippe, prince de Hesse, les Wied [49] [49] La famille des Wied, qui s’inscrit en deuxième partie... , les Hanovre et les Lippe, la firent leur avec plus ou moins de constance et de pertinence pour l’avenir.

Innocents des projets réels du chef de l’État, de la profondeur du ressentiment que ce dernier éprouvait à l’égard de l’ordre ancien, plusieurs parmi les princes, grands feudataires ou petits nobles, se compromirent avec le régime. Du moins, sans précisément se compromettre, le servirent-ils, ce qui, aux yeux de la plupart de nos contemporains, reste en même temps qu’inexcusable, résolument inexpiable.

Plusieurs cas sont exemplaires de la volonté de servir à la fois le maître de la nouvelle Allemagne et le côtoyer au plus près, tant il est vrai que ce réflexe d’antichambre depuis le XVIIIe siècle pouvait paraître naturel à une haute noblesse moins avide de mourir au front que de faveurs. Toujours est-il qu’à la différence des princes de Wurtemberg et de Bavière – pour ne citer que les plus connus dans leur opposition au régime, plusieurs princes de sang se compromirent.

En 1998, Charles, duc de Wurtemberg, signalait [50] que : « Mon père, le duc Philippe, a été en opposition ouverte envers le régime nazi et à cause de cela [il] a dû quitter sa maison de Stuttgart après les élections de 1933 et a été mis en résidence surveillée à Altshausen. En 1933, il a été mis plusieurs fois en prison à Stuttgart, jusqu’au jour où il a été forcé de quitter Stuttgart en 1934 » tout comme François, duc de Bavière, aurait pu – et maintes fois le fit-il – rappeler l’opposition ouverte de ses grand-père et père à la doctrine, à l’idéologie et à la substance même du national-socialisme. En dépit de la conclusion tragique de leur aventure commune, Philippe, prince de Hesse ou sa descendance [51] pourraient-ils arguer des mêmes rejets ? De même, la récente campagne menée par l’organe de presse Bild [52] à l’encontre du chef de la maison royale de Hanovre relance-t-elle ce qui, des deux côtés du Rhin, demeure un (faux ?) problème de conscience et de politique.

La vie politique d’outre-Rhin pose, dans les années de la République et à l’instauration du IIIe Reich le fait de la citoyenneté allemande qui, insidieusement, remplace, ou s’y substitue totalement, la conscience de classe. L’immense vide de la défaite et du départ des princes laissait, angoissante et fascinante, la vacance du pouvoir personnel. Or, à quoi assiste-t-on ? Les républicains purs et durs sont minoritaires et complaisants vis-à-vis des anciennes structures politiques – l’hymne national et les couleurs ne sont pas modifiés, les fils du Kaiser reviennent, etc. – la présidence de la République est rapidement dévolue à l’une des plus honorables figures de l’ancienne cour qui occupe la place que l’on imagine devoir revenir à l’un des petits-fils du monarque déchu. Trompant tous les calculs ayant ainsi, l’espace de l’expérience de Weimar, donné les Hohenzollern à nouveau vainqueurs, un régime fort, civil, mais rapidement militariste s’instaure, lequel régime va trouver dans le vivier des grandes familles de l’aristocratie et de la bourgeoisie d’affaire, ses plus fidèles soutiens. L’emblématique figure de Philippe, prince de Hesse et du Rhin, donne le ton.

L’Illustration du 10 octobre 1925 annonce le mariage de Mafalda, princesse royale d’Italie, fille de Victor-Emmanuel III et de sa femme, née princesse de Monténégro [53], avec un prince allemand. Dans la mesure et la respectueuse distance que l’on doit à l’actualité princière, l’auteur s’étonne pourtant : « Ce n’est pas sans quelque surprise que l’on a appris [...] ; on doit tenir compte du fait que le prince Philippe de Hesse [...] n’est plus désormais qu’un simple particulier, que l’art et l’archéologie occupent plus que la politique. » [54]

Toute noce, toute alliance de haut rang, tendent à parer, pour le bien présumé ou avéré des peuples concernés, le prince et la princesse des qualités que l’on se plaira à voir en eux. Or, tous les témoignages concordent pour, hélas, noircir la réputation du neveu du Kaiser : « Philippe de Hesse avait des relations fascistes, des tendances nazies et une réputation douteuse ; il menait une vie typique du Berlin de l’époque, sans moyens connus d’existence, partageant son appartement avec un prince russe connu pour sa perversité. Malgré tout cela, malgré l’anormale laideur du prince de Hesse, la sœur du prince de Piémont, la pauvre princesse Mafalda conçut un amour profond pour le premier » ; si elle n’engageait pas l’avenir de l’illustre famille des palatins du Rhin, ne frappait point la maison royale italienne, cette passion ne serait rien. Rien de plus pour l’histoire qu’une futilité bien peu digne d’intérêt. Filipo Anfuso, plusieurs années après les faits qui entraînèrent le couple princier à se compromettre toujours plus avec le national-socialisme, dans l’Allemagne nazie, et la princesse à la déportation et à la mort, livre en souvenir [55]la désagréable impression que lui fit le gendre du roi d’Italie : « Le prince Philippe de Hesse qui, avec le troisième fils de Guillaume II, Auguste-Guillaume de Prusse, avait sucé dans ses origines le lait du national-socialisme, dans l’Allemagne nazie était devenu un hiérarque de médiocre grandeur [...] Blond, vêtu d’un uniforme kaki, et portant au bras le brassard à croix gammée, le prince me promena par la ville avec l’allure du maître de maison qui a refait fortune et montre du doigt la demeure paternelle qu’il a rachetée... [Pour un prince qui] est loin de posséder le tempérament et l’esprit militaire, et aime par-dessus tout l’histoire et les beaux-arts » [56], l’éloge n’est guère flatteur. Néanmoins, le Führer apprécie l’efficacité, la servilité du prince, et Albert Speer en est à maintes reprises le témoin direct et impartial – lui qui fut l’un des rares à jouir sans réserve de l’estime d’Adolf Hitler – qui, avant d’en venir aux heures tragiques du 9 septembre 1943, rappelle utilement que « le prince Philippe de Hesse [...] était, parmi ses partisans, un de ceux qu’Hitler avait toujours traité avec déférence et respect. Philippe lui avait souvent été utile et avait servi, dans les premières années du Reich, de médiateur avec les chefs du fascisme italien. En outre, Hitler devait à ses bons offices d’avoir pu acheter en Italie de précieux objets d’art : grâce à ses liens familiaux avec la famille royale italienne, le prince avait pu faire venir ces objets d’Italie. » [57]

L’amitié présumée du Führer et du prince ne s’étendra jamais à Mafalda : « Je me moque pas mal de Mafalda [...], ses qualités intellectuelles ne sont pas telles qu’elles suffisent à vous charmer, sans parler de son physique... » [58]. Serait-il possible d’employer le terme d’animosité envers Mafalda ? Toujours est-il qu’à la suite de plusieurs auteurs, italiens, français, belges ou allemands, nous nous rangeons à l’appréciation de Roger Keyes qui déplore qu’ « à titre de représailles contre le passage de ses parents dans le camp allié, elle fut exécutée dans le camp de concentration de Buchenwald » [59]. La rouerie hitlérienne, dans ce qu’il convient de nommer « l’affaire Mafalda », se manifeste avec autant de sévérité que de dureté. Le maître du Reich est implacable et beaucoup de femmes vont payer de leur vie de l’avoir approché.

5) DÉFAVEUR, AVILISSEMENT ET EXPIATION : LA DÉPORTATION DES PRINCES

L’exemple de Mafalda, princesse de Savoie, de Hesse et du Rhin, s’il n’est pas unique, demeure particulier, puisque dépendant du retournement d’alliance opéré par le gouvernement royal italien dès la destitution du Duce. Aussi, convient-il de l’évoquer plus longuement que les autres sans pour autant négliger le tragique et l’inhumain des traitements réservés à d’autres princes du sang. Revenons brièvement en arrière, très précisément le 25 juillet 1943. Mussolini déchu, Victor-Emmanuel III – qui, s’accommodant du régime fasciste, ne s’est jamais spécialement entendu avec le Duce qui le tient pour un minable, mais un minable nécessaire, voire utile – confie la présidence du conseil à Badoglio. Le renversement d’alliance qui s’ensuit fait naître, chez Hitler, l’impérieuse nécessité d’une réponse rapide, impitoyable en même temps qu’irréversible ; fin juillet, « le Führer a fait préparer un plan monstrueux. Une vaste opération, confiée au général parachutiste Karl Student, se saisira du roi et de la reine d’Italie, du prince du Piémont, de sa femme, la princesse Marie-Josée de Belgique, de leurs enfants, de Badoglio, de ses collaborateurs, et d’au moins douze généraux » [60]. Or, le 16 août, la Sicile est entièrement aux mains des Alliés et, le 3 septembre, les troupes de Montgomery prennent pied en Calabre.

Cinq jours plus tard, stupéfaite et anéantie, l’Italie demande l’armistice qui lui est accordé. L’alliance germano-italienne a vécu. N’ayant pu mettre à exécution le plan précité, Hitler fait arrêter le prince de Hesse et sa femme dès le 9 septembre. Il est une étrange similitude entre cette opprobre que le chancelier du Reich va lancer sur la maison de Hesse et la haine mal contenue que Mussolini manifestera en des circonstances presque analogues à son gendre, le comte Ciano. Ainsi que l’écrit Albert Speer « l’arrestation du prince et de sa femme venait rappeler à tous ceux qui, comme eux, étaient les proches de Hitler, qu’ils s’étaient irrémédiablement jetés dans ses griffes. Chacun sentit confusément que Hitler pouvait recourir à la même méthode vile et sournoise pour épier tous ceux de son entourage et leur réserver un sort identique, sans qu’ils aient la moindre possibilité de se justifier » [61]

Le Mercure de l’Axe ayant quitté le devant de la scène nationale-socialiste, avant que le cercle des intimes – ou présumés tels – du Führer ne s’anéantisse dans les ruines de Berlin, il restait plusieurs mois de souffrance et d’avilissement qu’allaient vivre, et ceux du fameux complot de 1944, et ceux du commun de l’opposition ou de la résistance passive, sous la férule parfois fort cruelle et lourde de leurs semblables. Ne tarderait à se poser l’implacable problématique de la culpabilité des uns et des autres. Hitler n’avait-il pas dit [62] , dans les premières années de la guerre, à propos de Pierre, prince de Schleswig-Holstein-Glüksbourg, officier de marine relevé de son emploi et que ses supérieurs déclaraient être un officier remarquable et très aimé : « Voyez-vous, ils sont tous ainsi, ces princes, c’est pourquoi je veux les extirper de ma Wehrmacht. Il se préoccupait beaucoup d’une mafia de l’élite, d’une internationale bleue des princes ? »

Et de fait, le contentieux est ancien, chacun s’accorde à l’affirmer « parmi les mesures prises par Hitler pour étouffer dans l’œuf toute tentative de trahison, il y eut le limogeage de tous les princes allemands. Le roi d’Italie de même que les rois de Norvège et de Grèce ayant échappé aux griffes d’Hitler, celui-ci se vengeait comme il pouvait » [63], servi dans cette vengeance par des renégats de l’ordre chevaleresque de l’antique noblesse.

Au registre du reniement des anciennes solidarités de l’internationale des princes, Josias, prince de Waldeck et Pyrmont, inscrit son nom propre et celui de sa dynastie en bonne place. C’est à lui que reviendra, en sa qualité d’officier supérieur des SS, de diriger le transfert d’Antonia, princesse de Bavière [64], en camp de concentration. Et l’erreur serait de croire qu’il s’est agi là d’une obligation fortuite, sachant que « le représentant à Weimar de Kaltenbrunner, chef de l’administration de la Sûreté du Reich, est le général SS prince Waldeck Pyrmont. Il a reçu [mes] pleins pouvoirs pour la 9e région militaire et sa mission principale est de conserver au Reich le plus grand nombre possible de travailleurs et de spécialistes des usines d’armement, tout en protégeant la population civile de la vengeance des déportés criminels et politiques si jamais ils se trouvaient libres. Waldeck Pyrmont a été vu dans l’enceinte de Buchenwald les 6 et 7 avril. C’est parce que le commandant du camp, Pister, entre l’ordre reçu et son exécution, donnait comme d’habitude du temps au temps que Waldeck Pyrmont exigea que deux cents SS pénètrent dans Buchenwald » [65].

L’histoire souvent cruelle voudra que plusieurs princes ou princesses du sang disparaissent ainsi tragiquement et que Josias, prince Waldeck Pyrmont « amnistié aujourd’hui, sera condamné, après la guerre, à la détention à vie » [66]. Le temps où, dans la fougue de son jeune âge, le prince de Schaumbourg-Lippe rapportait que « Hitler lui avait assuré qu’il y avait place aussi bien pour les monarchistes que pour les républicains au sein de son mouvement » [67] sembla alors bien loin, et l’on put voir au camp de Dachau, près de Munich, le prince Léopold de Prusse fouiller les poubelles « pour quelques restes comestibles, ce qui prouve qu’il y avait aussi des princes royaux prussiens dans l’opposition » [68]. Encore, Léopold, prince de Prusse et neveu du Kaiser, faisait-il, à l’identique de Xavier, prince de Bourbon de Parme, du général Delestraint, chef de l’armée secrète française, de l’ancien maire de Vienne, Schmitz, ou du ministre de la Guerre des Pays-Bas, Van Dick, partie des « invités de choix » [69].

Catholique dénaturé, Adolf Hitler, aux derniers mois de sa folle entreprise, n’épargne personne, chez lui comme ailleurs. Des ghettos aux palais, les Parques frappent sur son ordre ; Margherita, archiduchesse d’Autriche-Este, en témoigne à l’occasion, une nouvelle fois, de l’attentat de 1944 : « Après l’attentat [...], nous fûmes toutes trois arrêtées et prises en otages par les SS, ainsi que notre tante Irène et son fils Amedeo, l’actuel duc d’Aoste. » [70]

L’arrestation des trois princesses, veuve et filles de l’ancien vice-roi d’Éthiopie [71] , les conduisit à Klein Walserthal où la princesse Anne, née de France [72], dans la plus totale incertitude quant à leur avenir, « était en contact par l’intermédiaire du curé local, avec la résistance autrichienne et donc au courant des événements extérieurs ». Toutefois, à mesure que la fin approchait, la précarité de leur existence au sein du camp se fit plus criante. Leur survie, plus précaire, à tel point que le Kriminal Direktor du camp [73] sommé par les troupes alliées de déposer les armes et d’ouvrir les portes du camp, insista pour que la princesse prenne au téléphone l’officier français qui s’adressait à lui. Anne d’Orléans, duchesse d’Aoste, s’adressant à lui – général Durosoy – en arabe lui dit : « Hâtez-vous car ils ont ordre de tous nous fusiller. » [74]

Pareille mésaventure, à quelques semaines de la chute de Berlin, aurait pu frapper la maison royale de Saxe, Emmanuel, Kronprinz de Saxe, margrave de Misnie, qui, pour avoir « écouté la radio anglaise et discuté d’écrits politiques interdits » et ayant été dénoncé par l’un de ses voisins, devait, selon la loi, être « passible de la peine de mort » [75]. Emmanuel, margrave de Misnie, eut autant de chance que les princesses d’Aoste, lorsque après avoir côtoyé la mort de si près, il ne fut condamné qu’à deux ans d’internement, l’effondrement du régime commuant la peine [76].

La guerre terminée, en Allemagne, l’heure des comptes, des mécomptes et des décomptes marqua les pendules de l’histoire. Quelles maisons anciennement royale, princière, grand-ducale ou ducale, médiatisée ou pas, eurent à se justifier ? Plusieurs, l’histoire de chacune s’inscrivant dès lors dans les méandres de la dénazification imposée par les vainqueurs. D’autres n’eurent pas cette chance.

Hermine, princesse Reuss, impératrice d’Allemagne, qui « après la mort du souverain Guillaume II, s’était fixée en Silésie, à l’approche des Russes, avait cherché refuge dans le Hartz. Les Américains, très vite, occupèrent la région ; elle se croyait en sécurité. Brusquement ceux-ci, en exécution d’accords intervenus avec les Soviétiques, se retirèrent sur un certain nombre de kilomètres. Les Russes l’arrêtèrent et, quelque temps, la tinrent prisonnière sur place. Elle fut ensuite transférée à Francfort-sur-l’Oder où, jusqu’à sa mort en 1947, elle traîna une existence misérable, dans un état de demi-détention » [77] et sombra dans le brouillard de l’histoire, tout comme Rainier de Saxe-Cobourg et Gotha que les Russes arrêtèrent lors de leur entrée à Budapest et qui ne reparut jamais ; ou encore le dernier duc régnant d’Anhalt qui trépassa en février 1947 à Buchenwald [78] après que les Russes aient rouvert le camp. Quant à Georges, duc de Saxe-Meiningen, chef de maison et père de Régina, actuelle archiduchesse héritière d’Autriche, il n’a guère eu un meilleur sort [79].

Auguste-Guillaume, prince de Prusse, le fils du Kaiser, entré dans l’administration et devenu référendaire, assesseur de gouvernement, puis sous-préfet de Ruppin, moins malchanceux que ses cousins, fera deux ans de camp de travail ne payant que modérément les erreurs de jugement l’ayant rapproché d’Adolf Hitler.

Les princes de Hanovre, princes royaux d’Angleterre et d’Irlande, un temps inquiétés au lendemain de l’attentat manqué de 1944, présentent un cas à part qui n’a certes pas fini de faire couler l’encre du chercheur et du journaliste d’investigation. En la personne d’Ernest-Auguste, duc de Brunswick, quelques jours après l’attentat [80] , ils sont inquiétés, soupçonnés d’avoir pris part, indirectement ou directement au complot. Or, en dépit de la suspicion du Führer, ils n’en avaient aucunement eu vent. C’est à Ernest-Auguste père qu’il reviendra de comparaître devant la commission de dénazification [81]

La partition allemande réalisée, la nouvelle république sous influence communiste, la République démocratique allemande, se défaussera de toute collusion avec le national-socialisme en expropriant toute famille ayant « prêté secours au régime », ce qui, selon l’antique principe du bouc émissaire, innocentait bon nombre de collaborateurs zélés d’un système qui n’avait point broyé que les allogènes.

La rectitude morale des princes Wittelsbach leur fera appréhender la capitulation du IIIe Reich et la libération du territoire national allemand sans honte. Les années de restructuration donneront raison à leurs efforts sans faille pour la sauvegarde de la cohésion culturelle et politique du Land de Bavière. Les autorités ne s’y sont d’ailleurs pas trompées offrant au duc Albrecht les funérailles nationales et officielles qui eussent été les siennes si le trône l’avait vu roi à Munich [82]. Adolf Hitler quitta misérablement la scène politique pour entrer tragiquement dans l’histoire. Les « rois fictifs » de Bavière s’y maintiennent en la personne du duc Franz, actuel chef de famille [83]

Les rendez-vous manqués des princes de Hesse laisseraient sourire le plus indulgent des chroniqueurs s’ils ne s’étaient si pitoyablement achevés dans les douleurs de la trahison, l’effroi de l’avilissement et la mort d’une femme mal aimée du Führer, princesse de surcroît et fille de chef d’État allié, véritable icône des inimitiés que savait nourrir et cultiver le maître de l’Allemagne. Mafalda de Savoie, princesse Philippe de Hesse, serait-elle morte si son époux n’avait très tôt embrassé, et semble-t-il avec conviction, le national-socialisme ? Probablement pas, encore est-il nécessaire de tempérer le propos en lui reconnaissant, à son insu, l’ambigu statut d’otage potentiel, de monnaie d’échange ou de victime propitiatoire. Plusieurs sources concordent, dont certaines proches du souverain italien, père de la princesse, pour que l’on estime à sa juste valeur le peu de sympathie que le Führer, du temps de l’alliance italo-germanique (ou germano-italienne) éprouvait pour l’ensemble de la Maison de Savoie [84]. De là à penser que du mépris la haine est l’inévitable corollaire, en l’espèce, le pas est vite accompli...

Le cas spécifique de Mafalda, princesse de Hesse, au-delà de la question de la citoyenneté des princes allemands pouvant justifier les choix politiques qu’ils fixent entre 1918 et 1945, est intéressant car il pose la problématique de la nationalité qu’acquièrent ou non les femmes de condition impériale, royale ou princière à l’instant des épousailles. L’arrestation de la princesse s’est faite en territoire italien, mais en site allemand – la représentation allemande à Rome – sur le simple fait qu’ayant épousé un Allemand, elle était Allemande et ainsi justiciable des lois du Reich. Le gouvernement italien, certes au moment de la dénonciation des alliances conclues entre Mussolini et Hitler, considérablement affaibli, le secrétariat de la maison royale de même, n’auraient-ils pu arguer du double statut de Mafalda, épouse d’un citoyen allemand mais Italienne en Italie puisque fille du roi, autorité suprême d’une monarchie encore souveraine ? En pareil cas de figure, une réponse d’humaniste s’impose cependant qu’à l’évidence, la marge de manœuvre des uns et des autres se présentait comme des plus minces, si ce n’est inexistante. Le tout-puissant Führer n’avait-il pas officieusement évoqué un coup de force contre Victor-Emmanuel III, et ses héritiers, les princes de Piémont ? [85].

En franchissant les limites du domicile familial, la princesse offrait à la vengeance hitlérienne une proie de choix. Elle était déjà condamnée et le prince son époux avec elle [86]. Récemment encore, des mémoires, ceux de Fey von Hassel [87] ont attesté de la logique implacable de la justice immanente et des plus arbitraires qu’entendait voir appliquer Adolf Hitler lorsqu’une atteinte à sa personne menaçait l’équilibre du Reich qu’il souhaitait millénaire. Du plus humble au plus puissant – en apparence –, nul ne pouvait échapper à la violence d’une disgrâce. Beaucoup en firent cette « expérience ».

Dans la lente déchéance morale, physique et politique des princes et nobles d’Allemagne, la pitoyable et pathétique figure d’Hermine, impératrice d’Allemagne, reine de Prusse, fuyant pitoyablement les Russes en poussant, à l’identique de milliers d’autres femmes tout autant apeurées, une poussette d’enfant, offre la plus éloquente des conclusions.

Notes

[1]

Dépossédée de son trône hanovrien par les troupes prussiennes en 1886, la dynastie de Brunswig-Lünebourg le retrouva grâce à l’union inattendue de l’héritier, prince Ernest-Auguste, et de Victoria-Louise, fille unique du Kaiser, en 1913.

[2]

Louise de Belgique, Autour des trônes que j’ai vu tomber, Paris, Albin Michel, 1921, p. 124.

[3]

Maurice Muret, Guillaume II, Paris, Fayard, 1940, p. 331.

[4]

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, février 1983, colonne 148, à propos d’Auguste-Guillaume (Auwi), prince de Prusse : « Mon cousin germain par alliance, Henri de Bavière, me faisait remarquer dans le Gotha que... »

[5]

Salomon Czosnowsky, dit Kurt Eisner, écrivain socialiste et homme politique allemand, né à Berlin en 1867, mort assassiné à Munich en 1919. Il est, en 1918, le premier ministre président de la République bavaroise.

Pour Louis III, la perspective d’une révolution sonnait le glas d’un vieux rêve pangermaniste. Oubliant les rancunes anciennes et les querelles autant dynastiques que confessionnelles qui l’avaient opposé à la Prusse, il avait espéré que la guerre favoriserait l’agrandissement de son royaume, il allait tout perdre. Le 7 novembre 1918, c’est à 14 heures que débute, au pied de la statue de la Theresienwiese, statue représentant Bavaria, la manifestation menée par une vingtaine de meneurs socialistes, dont Kurt Eisner ; manifestation qui draine 150 000 individus, hommes, femmes et enfants, troupes hétéroclites que viendront grossir 3 000 hommes soldats, pour la plupart des permissionnaires. Rapidement, tout dégénère et les grilles de la Résidence sont défoncées. Le 8 novembre, Louis III parti, le leader révolutionnaire Eisner entérinait la déchéance des Wittelsbach en faisant placarder dans Munich une proclamation des plus éloquentes : « Citoyens, Après cette longue guerre d’extermination et pour reconstruire un nouvel État, le peuple a renversé le pouvoir civil et militaire et s’est emparé du gouvernement [...]. La dynastie des Wittelsbach est déposée. Vive la République ! » (Benoist Méchin, Histoire de l’armée allemande, t. 1, L’effondrement 1918-1919, Paris, Albin Michel, p. 264).

[6]

En fait, la dynastie hanovrienne ne remonta que sur le seul trône ducal de Brunswig. Initialement, la princesse Victoria-Louise aurait dû épouser le Kronprinz Georges, mais ce dernier se tua dans un accident de voiture. Son frère cadet, prince Ernest-Auguste, devenu héritier présomptif, devient donc gendre du Kaiser. Le couple régna jusqu’à l’effondrement final de 1918.

[7]

Henri XXVII, prince souverain de Reuss-Schleiz-Géra (branche cadette), détenait pour la principauté de Reuss-Greiz (branche aînée), la régence aux lieu et place d’Henri XXIV, empêché à vie de régner. Aussi abdique-t-il les deux couronnes.

[8]

Le grand-duc Frédéric-François IV assumait la régence du grand-duché de Meklembourg-Strelitz depuis le suicide du grand-duc Adolphe-Frédéric VI en février 1918. Le cousin germain du feu prince, et héritier, étant lieutenant-général russe, avait expressément renoncé au trône peu de temps avant le début de la guerre.

[9]

L’abdication faite, Frédéric II se retira dans son château de Badenweiler, « sans subir aucune loi d’exil », G. Castellan, L’Allemagne de Weimar 1918-1933, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1969, p. 59.

[10]

Guillaume II de Wurtemberg choisit de se retirer pour sa part au château de Babenhausen près de Tübingen, G. Castellan, op. cit., ibid. Actuellement, la résidence du chef de maison, Charles, duc de Wurtemberg, de droit Sa Majesté Charles II, roi de Wurtemberg, duc souverain de Souabe et de Teck, est au Schloss Altshausen (D-7963) ou encore au Schloss Freidrichshafen (D-7990).

[11]

Il est avéré que la renonciation à l’empire du Kaiser Guillaume II, le 9 novembre, fut suivie de celle du Kronprinz. Un communiqué émanant de la chancellerie, rendu public à 14 heures, établit bien le fait qu’il ne s’agissait pour les deux princes que d’une simple renonciation à la charge impériale. Elle ne concernait pas la Prusse ; Max de Bade ayant incité Guillaume II et le prince héritier à s’effacer au bénéfice de l’aîné des fils du Kronprinz, prince Guillaume, qui d’ailleurs ne sera pas chef de maison.

Dès que le Kaiser dépose la couronne, une réelle panique semble s’emparer de plusieurs de ses proches, en particulier son frère, prince Henri, qui « s’attache un brassard rouge au bras et disparaît » ainsi que le Kronprinz de Bavière, Rupprecht qui, « abandonnant ses troupes, saute dans l’auto à fanion rouge du Conseil des soldats de Bruxelles, et Ludendorff, le visage dissimulé derrière une paire de lunettes noires, s’envole sur un avion privé à destination de la Suède », Benoist Mechin, op. cit., p. 265.

[12]

Maurice Muret, op. cit., p. 346.

[13]

Jean-Marie Argelès, Histoire de l’Allemagne contemporaine, Gilbert Badia (éd.), Paris, Messidor, Éditions Sociales, 1987, p. 164.

[14]

Ibid., p. 162.

[15]

Ibid., p. 163.

[16]

Die Rote Fahne, 10 octobre 1926. Aux termes de cet accord, Guillaume II, outre les hectares de terre qu’il parvenait à récupérer, recevait la pleine et entière jouissance, pour lui-même et sa famille, du château de Hombourg.

[17]

La fortune personnelle du Kaiser était, à l’époque de l’effondrement du Reich, évaluée à 400 millions de marks-or. Petit-fils de Victoria d’Angleterre, il avait, en outre, reçu d’elle l’équivalent de 300 000 livres sterling.

[18]

Sachant que la constitution de Weimar ne contient aucune exclusive à l’encontre des princes de la maison impériale, tous demeurèrent sur le sol natal. Guillaume II et le Kronprinz surent seulement que leur présence n’était point souhaitable. Après cinq années d’ « exil » à Wieringen (Pays-Bas), le Kronprinz Guillaume, avec le soutien appuyé du chancelier Stresemann, obtint de rentrer en jouissance de ses propriétés du Schloss Cecilienhof à Potsdam et d’Œls en Silésie. Le domaine d’Œls couvrait une superficie de 40 000 arpents.

[19]

Guillaume, prince héritier de Prusse et d’Allemagne, en échange d’une totale abstention politique, fut autorisé, en 1923, à rentrer en Allemagne ; ce qui constituait un assouplissement considérable à la loi du 22 juillet 1922 « pour la protection de la République ». La France républicaine, pour sa part, mettra plus de soixante ans avant d’abolir sa loi d’exil.

[20]

Moeller Van den Bruck, Le IIIe Reich, Librairie de la Revue française, Alexis Redier (éd.), 1933, p. 282.

[21]

Henry Picker, Hitler, cet inconnu, un nouveau Mein Kampf, Presses de la Cité, 1969, p. 276.

[22]

Ibid., p. 51.

[23]

Pierre Lafue, Histoire de l’Allemagne, Flammarion, coll. « L’Histoire », 1950, p. 534.

[24]

Adolf Hitler, Mon combat, traduction intégrale par J. Gaudefroy-Demonlynes et A. Calmette, Nouvelles éditions latines, non daté, p. 422.

[25]

Ibid., p. 514.

[26]

Dix leçons sur le nazisme, sous la direction d’Alfred Grosser, Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », 1976.

[27]

« La bonne société était restée attachée aux anciennes monarchies et, en général, à la dynastie impériale. Le Kronprinz, fils de Guillaume II, exerçait une influence considérable dans les milieux dirigeants de la République de Weimar qui attendaient souvent le moment favorable pour la restauration des princes dont la plupart vivaient encore dans leurs anciens États » (Max Gallo, « Les élections du 14 septembre 1930 : bourgeoisie et classe moyenne », Dix leçons sur le nazisme, op. cit., p. 69).

[28]

L’amitié qui unit le Kronprinz Rupprecht de Bavière et le nonce apostolique Pacelli n’était secrète pour personne. Une Bavière catholique, détachée de l’Allemagne et rendue à la maison des Wittelsbach pouvait être l’État tampon idéal entre le IIIe Reich et la France.

[29]

Le Kronprinz Guillaume fréquente avec assiduité le couple Goering qui le considère – ou feint de le faire – comme un ami ; ainsi le jour de Noël 1930 reçoivent-ils le prince et son jeune fils, en compagnie du prince et de la princesse zu Wied et de leurs deux filles. Auguste-Guillaume arriva « porteur de fleurs et de splendides cadeaux [pour moi] : une Madone de Dürer, une immense couverture en poils de chameaux, etc. ». Léonard Mosley, Le Reichsmarschall Hermann Goering, Presses de la Cité, 1974, p. 136.

La Kronprinzessin Cécile, pour sa part, est l’auteur d’un camouflet au Führer à l’occasion d’une entrevue qu’elle eut avec lui à Potsdam : « Au moment où il partait, quelqu’un de son entourage entendit la princesse s’écrier : “Ouvrez vite les fenêtres ! Cela sent mauvais ici.” » Ce n’était pas la première fois que le Führer se serait mis dans des situations embarrassantes par ses flatulences incontrôlables, John Toland, Adolf Hitler, Pygmalion-Gérard Watelet éditions, p. 292.

[30]

Les déportations nombreuses de princes du sang, du cercle le plus proche de l’ancien Kaiser ou la spoliation de biens de princes des branches cadettes de la maison impériale ; ainsi, Frédéric, prince de Hohenzollern-Sigmaringen, « dépossédé de ses biens pour cause de sympathie envers le roi Michel de Roumanie », Point de vue. Images du Monde, no 905, 15 octobre 1965, « Souverains sans couronne ».

[31]

La mort du prince ne fut pour autant pas la première à avoir endeuillé l’Allemagne monarchiste ; l’un de ses cousins fut, en effet, tué en Pologne en 1939.

[32]

« Une fois la guerre terminée, Hitler comptait exproprier l’aristocratie et la priver de toute influence dans le pays. Si ses membres venaient à être considérés comme des héros, le projet n’en serait que plus difficile à réaliser » (Tatiana de Metternich, Tatiana, la Dame aux cinq passeports, Olivier Orban, 1987, p. 201).

[33]

Le Katolikentag annuel, celui de Munich, le premier de l’après-guerre, en septembre 1922, « rassembla 100 000 personnes sous la présence du Dr Adenauer. Le cardinal Faulhaber, archevêque de Munich, y condamna la constitution “sans Dieu” », G. Castellan, op. cit., p. 222.

[34]

Germania, 28 septembre 1922.

[35]

G. Castellan, op. cit., p. 402.

[36]

La noblesse autrichienne légitimiste, sous la direction de Max, duc de Hohenberg qu’Hitler fera déporter avec son frère dès 1938, fils de l’infortunée victime de Sarajevo dénommée « die Schwarz-Gelben » (les noir et jaune), en référence aux couleurs de la maison impériale, constituait l’un des obstacles majeurs aux visées annexionnistes d’Adolf Hitler.

En Allemagne, la situation économique de cette noblesse – exception faite des maisons princières – s’avérait davantage contrastée : « La majorité – quelques dizaines de milliers de familles – vivait chichement comme petits propriétaires, comme officiers subalternes ou grâce aux secours de la Mutuelle de la noblesse allemande. Comme toute classe prolétarisée, ils compensaient leur humiliation par une critique rageuse du monde moderne [...]. Certains s’étaient inscrits au parti nazi, et faisaient carrière dans les S surtout dans les SS, où leur particule faisait bon effet » (Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIIe Reich 1933-1945, Éd. du Seuil, « L’Univers historique », 1998, p. 116).

[37]

L’accès du jeune prince au service armé ne s’est pas effectué aussi aisément. L’engagement de Guillaume, prince de Hohenzollern, héritier présomptif des trônes de Prusse et d’Allemagne après son père, le Kronprinz, n’ayant pu se réaliser qu’avec l’approbation du « Mac Mahon allemand », le vieil Hindenburg dont les convictions monarchistes n’étaient un secret pour personne. Comme il était constitutionnellement irresponsable, il revint au ministre de la Reichswehr, le Dr Gessler, de justifier, face aux Chambres, la dérogation faite pour le petit-fils du Kaiser.

[38]

Le Kaiser et Hitler eurent quelques contacts épistolaires, ne serait-ce que du fait de l’empereur déchu. Guillaume II, un temps, se laissa bercer de l’illusion qu’Hitler restaurerait l’Empire au sein de sa descendance. L’un des derniers courriers du petit-fils de Victoria au dictateur fut pour le féliciter de l’entrée des troupes allemandes dans Paris.

[39]

Walter Gorlitz et Herbert A. Quint, Adolf Hitler, t. II : La course vers le désastre, Amiot Dumont, 1953, p. 22.

[40]

Nerin Egun, Les secrets des archives américaines : Pétain, Laval, de Gaulle, Albin Michel, p. 227.

[41]

Il est d’ailleurs à remarquer que le prince Auguste-Guillaume était avant tout présenté comme étant l’Obergruppen Führer, prinz August Wilhelm von Preussen. William Shirer relate en outre que, selon le nouvel ordre en usage, le prince, à Berlin le 20 novembre 1939, avait conclu son intervention par un vibrant « Heil Hitler », « curieuse péroraison pour un Hohenzollern, membre de cette famille prussienne si pleine de ressources, qui donna naissance à Frédéric le Grand, à son père Guillaume II et éleva la Prusse puis l’Allemagne au rang de grande puissance mondiale », William Shirer, À Berlin, Journal d’un correspondant américain 1934-1941, Hachette, 1946.

[42]

Walter Gorlitz, Herbert A. Quint, Adolf Hitler..., op. cit., p. 174.

[43]

Alors que le congrès des 3 et 4 juillet 1926 avait vu le prince Auguste-Guillaume assister « à la parade, en qualité d’hôte d’honneur », Gorlitz, Herbert, op. cit., p. 168.

[44]

Alors même qu’Hitler n’éprouvait pour le vieil empereur que mépris. Qu’exprime-t-il d’autre lorsqu’il confie : « La grande masse a besoin d’une idole. En feuilletant de vieilles archives de la Wochenschau, on voit nettement que Guillaume II fut passagèrement présenté de façon hypocrite à la masse » (Henry Picker, Hitler, cet inconnu..., op. cit., p. 539, en date du 26 juillet 1942).

[45]

Léonard Simoni, Berlin, Ambassade d’Italie, Journal d’un diplomate italien, Robert Laffont, coll. « Pavillons », 1947, p. 138. Lequel poursuit aux dates des 29 mai, « Aujourd’hui, se sont déroulées à Potsdam les obsèques du fils du Kronprinz tombé à Valenciennes. Cérémonie solennelle et de grand apparat. Sur le cercueil, une couronne envoyée par Goering. Aucun membre du parti n’est venu. À la sortie, acclamations délirantes à l’adresse du Kronprinz [...]. Ces acclamations viennent d’une population qui vit de souvenirs et ne nourrit plus d’espérances » et 9 août : « Les familles princières allemandes qui comptent parmi leurs membres 130 combattants héroïques – dont plusieurs sont morts au champ d’honneur – sont en ce moment l’objet de brimades d’Himmler. Les officiers appartenant à ces familles sont éloignés du front et envoyés dans des groupes non combattants en Pologne. On leur offre d’aller à l’étranger, mais on les avertit que, s’ils acceptent cette offre, ils ne pourront plus revenir en Allemagne. »

[46]

Missie Wassiltchikoff, Journal d’une jeune fille russe à Berlin 1940-1945, Belfond, 1991, p. 33. Il est intéressant de noter ce qu’ajoute la princesse courant 1943 : « Déjeuner avec Burchard de Prusse qui est désœuvré depuis que, comme tous les princes royaux, il a été mis à la porte de l’armée », p. 109. Ou, « Après que le prince Guillaume de Prusse [...] eut été mortellement blessé [...], tous les membres des anciennes familles régnantes allemandes furent rappelées du front. Plus tard, ils furent définitivement réformés. Ces mesures qui avaient été prises par les nazis pour éviter que des morts trop glorieuses ne vinssent attiser une éventuelle flamme monarchique, allèrent en fait à l’encontre du but recherché. Elles sauvèrent la vie à la plupart de ceux que les nazis haïssaient le plus », p. 110. Cela permit à certains d’entre eux d’achever leurs études, tel Constantin, prince de Bavière qui, à la fin de la guerre, se fit un nom dans le journalisme et devint maître de conférences aux États-Unis. Là encore, le Führer se trompa lourdement.

[47]

La lamentable déclaration du Dr Goebbels s’inscrivait en parfaite inadéquation du sentiment général à propos, autant de la mort de Guillaume de Hohenzollern, que de toutes celles qui frappèrent les maisons princières. Ainsi que l’exprime Tatiana, princesse de Metternich : « De plus en plus d’héritiers de grandes familles tués à l’ennemi étaient ramenés sur leurs propriétés pour y être enterrés. Cela donnait lieu à des manifestations de sympathie locale qui furent, avec raison, interprétées comme antinazies [...] Une loi fut donc promulguée, libérant du service militaire les éléments incontrôlables, dont les fils des ex-familles régnantes ou de princes médiatisés, en particulier ceux dont la mère ou l’épouse étaient étrangères, ce qui était souvent le cas. Cette loi fut surnommée “le décret des princes” » (Tatiana de Metternich, Tatiana..., op. cit., p. 201-202).

[48]

Hermine, née princesse Reuss, veuve en premières noces du prince de Schönaich-Carolath, épousa Guillaume II lors de l’exil à Doorn. Elle fut sa veuve. Ses bonnes relations avec le national-socialisme sont connues, peut-être moins ses rapports personnels avec le chancelier du Reich, lequel, en 1940-1941, lui fit parvenir en présent de fin d’année et de nouvel an « un joyau constitué par une plaque d’argent massif ciselé de 105 mm × 115 mm, portant sur une face un émail polychrome reproduisant un portrait classique d’Adolf Hitler, et sur l’autre, la gravure du texte suivant : Kaiserin Hermine, Herzlicher Glückwunsch zum Weihnachtsfest und zum Jahreswechsel. Berlin, Dezember 1940, Der Führer, A. Hitler ».

Hermine, dernière impératrice d’Allemagne, mal aimée et mal connue, en raison de ses sympathies contre nature, fut livrée aux Russes en 1945, lesquels l’internèrent au camp de Francfort-sur-Oder. Le 7 août 1947, elle y mourait de malnutrition.

[49]

La famille des Wied, qui s’inscrit en deuxième partie de l’Almanach de Gotha, fut l’une des premières à rallier le national-socialisme et graviter autour du couple Goering à Karinhall. À propos des élections de 1932, Frédérick, à Wied-Neuwied, cosigna un manifeste appelant à soutenir Hitler, précisant, néanmoins, comme le firent aussi Charles-Édouard de Saxe-Cobourg et Gotha, Frederick, comte à Solms-Wildenfeld, qu’il n’était nullement membre du parti, Gorlitz, Herbert, Adolf Hitler, t. II, op. cit., p. 25.

[50]

Lettre de Charles, duc de Wurtemberg, de droit roi, à l’auteur, Altshausen, 23 mars 1998.

[51]

Tatiana de Metternich, témoin privilégié de l’apogée puis de la défaite du IIIe Reich rapporte la mésaventure survenue à Moritz, prince de Hesse et de Savoie, lors de l’effondrement final et de la libération des camps : « Sa mère, la princesse Mafalda d’Italie, était morte à Buchenwald dans des conditions tragiques. Depuis des mois l’on ignorait ce qu’elle était devenue [...] Tiny, princesse Sophie de Grèce, emmena l’aîné de ses neveux, Moritz, âgé de 18 ans, voir un officier supérieur américain pour essayer d’en savoir plus sur la mort de sa belle-sœur. Mal informé, l’homme hurla à la figure de Moritz “Maudit nazi”. Tiny intervient : “Comment osez-vous ? Ne comprenez-vous pas qu’il s’agit de sa propre mère qui est morte dans un camp nazi ?” » (Tatiana de Metternich, Tatiana..., op. cit., p. 333).

[52]

À l’époque où les Länder de l’ancienne République démocratique allemande doivent indemniser les princes anciennement souverains de Saxe, de Hanovre, etc., le procès d’intention de Bild Zeitung est malheureusement entaché de partialité. Que dire de l’enquête du Spiegel, « Der Prinz, der Schatz und die nazis » (Le Prince, le Trésor, les Nazis), qui paraît venir ou trop tard ou trop tôt ; en tous les cas, bien mal à propos, chacun connaissant les liens qui unirent la maison de Hanovre au national-socialisme. Toujours est-il que l’honneur d’avoir relancé la (vraie ?) polémique, revient, dans son numéro du 1er février 1998, à Der Spiegel.

[53]

Ce qui ne sera pas sans poser de problèmes lors de la dislocation du royaume yougoslave. Le Monténégro étant, après l’Albanie, rattaché à l’Italie mussolinienne, le régime fasciste allait-il y restaurer la dynastie légitime ? Sacrifié par la France et les Alliés en 1918, alors même que le roi Nicolas avait été de leur côté, le royaume monténégrin revivrait-il ?

[54]

L’Illustration, 10 octobre 1925, « Le mariage de la princesse Mafalda : ce n’est pas sans quelque surprise que l’on a appris que la seconde fille du roi d’Italie épousait un prince allemand, neveu de Guillaume II. De tout temps, il est vrai, les familles royales ont donné l’exemple de ces alliances qui ont souvent contribué à faire oublier les anciennes querelles, et, au lendemain même de guerres sanglantes, à rapprocher les peuples ».

[55]

Filipo Anfuso, Du palais de Venise au Lac de Garde, Calmann-Lévy, 1949, p. 17-18. Anfuso poursuit : « Il allait vraiment téléphoner, me laissant seul avec sa mère, que je supposais être la sœur du Kaiser. »

[56]

L’Illustration, art. cité.

[57]

Albert Speer, Au cœur du IIIe Reich, p. 436.

[58]

William L. Shirer, Le IIIe Reich, des origines à la chute, Éd. Stock, 1960, p. 1030 : « Hitler n’avait jamais beaucoup apprécié la princesse Mafalda. “Il m’a fallu m’asseoir à côté de Mafalda”, avait-il dit à ses généraux lors d’une conférence militaire qui s’était tenue à son quartier général au mois de mai de cette même année. »

[59]

Roger Keyes, Échec au roi, Léopold III, 1940-1951, Éd. Duculot, 1986, p. 111-112. « Léopold n’ignorait pas combien Hitler, Himmler et leurs sbires pouvaient être impitoyables envers leurs ennemis ; face à l’imminence de la défaite, leur attitude [...] se raidissait de manière inquiétante. »

[60]

Henri Bernard, L’autre Allemagne, la résistance allemande à Hitler, 1933-1945, La Renaissance du Livre, 1976, p. 250.

[61]

Albert Speer, op. cit., p. 437.

[62]

Léonard Mosley, Le Reichsmarschall Goering, op. cit., p. 184.

[63]

Albert Speer, op. cit., p. 502.

[64]

Joseph Valynseele, Les prétendants aux trônes d’Europe, préface du duc de Castries, Paris, 1957, p. 58-59. Christian Bernadac, La libération des camps. Le dernier jour de notre mort, éd. Michel Lafond, 1995, p. 213-214.

Antonia, princesse royale de Bavière, seconde épouse du Kronprinz Ruprecht, née princesse de Luxembourg, sœur de la grande-duchesse Charlotte, fut l’une des principales victimes du retournement d’alliance né de la destitution de Benito Mussolini. Réfugiée en Italie avec son époux et leurs deux filles, alors qu’elle tentait de gagner la Suisse, elle est arrêtée par la Gestapo et déportée ainsi que les princesses royales. Antonia, Kronprinzessin de Bavière est envoyée au camp de Sachsenhausen puis à Iéna ; ses filles sont déportées à Oranienbourg. L’arrivée des Américains libéra la princesse royale en 1945 : pesant 35 kg, cette dernière ne se remit jamais des très rudes conditions de vie durant ces années sombres. Antonia de Bavière meurt en 1954.

[65]

Christan Bernadac, op. cit., p. 214.

[66]

Joseph Valynseele, op. cit., p. 59.

[67]

David Shoenbaum, La révolution brune : la société allemande sous le IIIe Reich, éd. Robert Laffont, coll. « Les Hommes et l’Histoire », 1979, p. 56.

[68]

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, janvier 1995, colonne 79.

[69]

Christian Bernadac, op. cit., p. 377, Flossenbourg/Dachau, 4 avril - 4 mai 1945, rubrique : « Invités de choix ».

[70]

Point de vue, Images du monde, « Les princesses de l’oubli, Anne de France, la reine de cœur ». Amédé, actuel duc d’Aoste, est né à Florence, au palais de la Cisterna, le 27 septembre 1943.

[71]

La princesse Anne, Hélène, Marie d’Orléans, duchesse d’Aoste et vice-reine d’Éthiopie, naquit au château du Nouvion en Thiérache. Troisième fille de Jean, duc de Guise (de droit S. M. Jean III), elle épousa Amedeo de Savoie, duc des Pouilles, le 5 novembre 1927 à Palerme. La famille royale française y possédait alors le Palazzo Orléans. Dix ans plus tard, elle devenait vice-reine de l’Éthiopie sous domination italienne. Après la libération et sa restauration, l’empereur Haïlé Sélassié dira d’elle : « C’était un véritable gentilhomme. »

[72]

Amedeo, à la mort de son père, devint duc d’Aoste. Il est fait prisonnier avec ses troupes en 1942 et, refusant de quitter ses hommes, il est déporté en Afrique et meurt, victime du typhus. Les princesses Margherita et Maria-Christina naîtront respectivement en 1930 et 1933.

[73]

Point de vue, Images du monde, cité, relation de S. A. I. R. Margherita, archiduchesse d’Autriche-Este.

[74]

La princesse Anne parlait arabe ayant, tout comme son frère Henri, le feu comte de Paris (de droit S. M. Henri VI), vécu sa jeunesse d’exilée dans le Maroc espagnol, à Larache ; leur père, Jean, duc de Guise, chef de la Maison de France, y était alors colon.

[75]

Joseph Valynseele, Les prétendants au trône d’Europe, op. cit., p. 58-59, « À quelques semaines de la chute de Berlin, le prince (Marie-Emmanuel), fils aîné du chef de maison, est arrêté et traduit devant le tribunal du peuple, sous l’inculpation... Il s’en tire avec une condamnation à deux ans de détention. L’effondrement du régime lui vaut de recouvrer la liberté quelques jours plus tard... » Emmanuel-Marie sera hébergé par les Wurtemberg, ainsi que le précise l’actuel chef de maison, S. A. R. Charles : « Après la guerre, quand plusieurs membres des familles apparentées à la mienne ont dû s’enfuir de leur pays devant les communistes en Allemagne de l’Est, mon père a logé au château d’Altshausen, Friedrich Christian Margrave de Misnie, duc de Saxe, et son fils aîné, Marie-Emmanuel, actuel Margrave de Misnie » : lettre à l’auteur, 23 mars 1998.

[76]

Emmanuel, prince de Saxe, Kronprinz en 1932, est né le 31 janvier 1926, au château de Prüfening, près de Regensbourg. En 1945, « il fut emprisonné et condamné à mort par les nazis, il eut la chance de s’enfuir de la prison lors de la prise de celle-ci par les Soviétiques et de les éviter car ils l’auraient certainement tué sur place ou envoyé dans un camp en Sibérie comme tant de membres de familles princières et nobles d’Allemagne et d’Autriche », Guy Coutant de Saisseval / Chantal Badts de Cugnac, Le Petit Gotha, 1993.

[77]

Joseph Valynseele, op. cit., p. 62.

[78]

Joachim-Ernest, duc d’Anhalt, avait, à la mort de son père, régné sur la principauté familiale du 13 septembre 1918 au 2 novembre, date de son abdication. Devenu chef de maison, il meurt à Buchenwald en 1947, victime des Russes.

[79]

« Au mois de juillet (1945), les Russes ont mis mon père d’abord dans la prison de Hildebourghausen, notre chef-lieu du cercle (Kreisstadt), et quelques jours après dans un camp de prisonnier d’officiers (sic) à Weimar. Puis, on l’a porté à Frankfurt an der Oder, et plus tard, après un long voyage à Tcheropovetz à quelques centaines de kilomètres à l’est de Petersburg. Arrivé très malade, on l’a mis dans un lazaret le plus pauvre qu’on peut imaginer. Une doctoresse est venue tous les deux jours pour enlever les morts. Il faisait terriblement froid [...]. Le 5 janvier, il est décédé surtout à cause de la faim et de sa maladie de cœur. Comme tous les autres, on l’a jeté dans une tombe commune (Massengrab) à l’environ et nous ne savons pas exactement où il se trouve » (S. A. I. R. Régina, archiduchesse de Habsbourg, lettre à l’auteur, 2 juin 1998).

[80]

Paris Match, no 2533, 25 février 1999.

[81]

Le prince de Hanovre sera libéré six semaines plus tard sur intervention du Kronprinz, prince Guillaume de Prusse, son cousin.

[82]

Le gouvernement bavarois, le tenant en haute estime, lui avait laissé la jouissance d’un appartement au palais royal de Nymphenbourg. Lors des funérailles du prince, les drapeaux ornant les édifices publics de la ville de Munich furent drapés de noir. Toutes les cloches des églises de la capital du Land de Bavière sonnèrent à 10 h 45. Le cardinal Wetter, archevêque, prononça, en présence des rois d’Espagne, de Bulgarie, des princes de Portugal, de Wurtemberg, de Grèce, d’Autriche, de Tour et Taxis, ces paroles lourdes de signification : « Il n’est pas difficile, ni triste de mourir, lorsqu’on a connu une vie aussi longue et aussi remplie que celle du duc Albrecht. »

[83]

Franz, duc de Bavière, actuel chef de la maison royale, né en 1933, est par ailleurs, pour les légitimistes anglais et écossais, roi catholique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne, ayant hérité des droits des Stuart. Le prince a deux sœurs princesses Gabrielle et Charlotte, et un frère, prince Max.

[84]

« Finalement, il n’éprouve absolument aucun plaisir à se trouver parmi les affreuses femmes de la cour italienne, d’autant moins que cette cour n’a cessé de mettre des bâtons dans les roues au Duce et au fascisme, et aujourd’hui encore n’a d’œillades amoureuses que pour l’Angleterre », rapporte Henry Picker, Hitler, cet inconnu..., op. cit., p. 328, à propos d’une conversation tenue le 23 avril 1942 au soir, ajoutant que : « Rien ne montre mieux la valeur humaine de cette aristocratie que le fait suivant : la princesse héritière n’a jamais été capable de lui faire servir un déjeuner chaud [...] ; cette descendante dégénérée d’une antique lignée princière s’y montre aussi incapable que dans tous domaines pratiques de la vie. »

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Fin juillet 1943, le Führer a fait préparer une vaste opération, confiée au général parachutiste Karl Student, visant à se saisir du roi et de la reine d’Italie, du prince de Piémont, de sa femme la princesse Marie-Josée de Belgique, de leurs enfants, de Badoglio, de ses collaborateurs et d’au moins douze généraux, Henri Bernard, L’autre Allemagne, la résistance..., op. cit., p. 248. Hitler nommait Zwergkönig, le roi nain, « ce roi qui les avait laissé tomber », Filippo Anfuso, Du palais de Venise..., op. cit., p. 270.

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Lui, Philippe de Hesse, président du district de Hesse-Nassau, est arrêté en Allemagne le 9 septembre ; elle à l’ambassade du Reich à Rome « où on l’a attirée en lui disant que son mari l’y appelait de Berlin au téléphone », Joseph Valynseele, Les prétendants aux trônes..., op. cit., p. 59. Albert Speer relate, Au cœur du IIIe Reich, op. cit., que « des semaines après, Hitler se glorifiait encore d’avoir soupçonné à temps que le prince Philippe transmettait des renseignements à la famille royale italienne. Il l’avait lui-même observé et avait donné l’ordre de surveiller ses conversations téléphoniques ; on avait alors découvert qu’il communiquait à sa femme des chiffres de code... ».

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« Des prisonniers russes nous apprirent que la princesse Mafalda, fille du roi d’Italie, avait été gravement blessée lors de l’attaque qui détruisit le baraquement [du camp de Dachau]. Opérée trop tard, elle était morte après avoir perdu tout son sang. Après sa mort, des prisonniers italiens avaient réussi à sortir du camp le corps de la malheureuse, qu’ils avaient enterré à proximité [...] J’eus la surprise de croiser le prince Philippe de Hesse au milieu de toute cette foule. Lorsqu’il me demanda si je savais quelque chose à propos de sa femme – la princesse Mafalda d’Italie qui avait péri à Buchenwald au cours d’un raid aérien juste avant notre arrivée là-bas, je n’eus pas le courage de lui dire la vérité » (Fey von Hassel, Les Jours sombres, le destin extraordinaire d’une Allemande antinazie, Denoël, 1999, p. 250-284).


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