Le lointain amour du prochain (par Michel Onfray)

samedi 16 mai 2009.
 

Je n’ai jamais beaucoup vu les chrétiens aimer leur prochain. Encore moins pardonner leurs offenses. À l’inverse, j’ai plus souvent eu l’occasion de constater pendant les années où ils étaient censés m’éduquer qu’ils prenaient des libertés avec ces invites à l’éthique de la douceur pour lui préférer un nihilisme des valeurs et balancer des taloches, punir avec un raffinement sans nom, détester ici autant qu’ils chouchoutaient ailleurs, sans parler des tripotages dans les douches ou les passages à tabac sans raison. Versions singulières de l’amour du prochain !

Aujourd’hui, un peu plus âgé, et mieux à même de rendre les gifles, mon constat persiste : les chrétiens paraissent plus doués pour le ressentiment et la haine que pour l’amour du prochain. S’ils se contentaient de répondre oeil pour oeil et dent pour dent, on n’y verrait que la banalité de la nature humaine. Mais souvent je constate qu’ils pratiquent plus sûrement pour un oeil les deux yeux, pour une dent toute la gueule...

Mon péché ? Ma faute ? Ce qui me vaut leurs diatribes, lettres et courriers électroniques ? D’être athée, de le dire clairement, nettement, de fustiger les monothéismes, de réduire à des fables leurs croyances d’enfant. Je ne les viole ni ne les pille, je n’ai pas tué leur père ou mère, je n’ai pas manqué à l’un des dix commandements. Non. J’ai simplement enseigné que je ne croyais pas à la divinité de leur Jésus, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle, pas plus qu’aux naissances en provenance de la cuisse de Jupiter.

Mais quelles volées de bois vert ! En d’autres temps, ces épistoliers m’auraient directement envoyé au bûcher, peut-être après m’avoir soumis à la question, entonnoir en bouche, barrique d’huile vidée dans l’estomac ! Amour du prochain, quand tu nous tiens... Il faut bien que le personnel avec lequel se fit l’Inquisition existe quelque part en temps de paix, et donc soit possiblement disponible à nouveau, en cas de besoin... Les auxiliaires des bourreaux ne manquent jamais vraiment parmi les lecteurs de livres prétendus saints. Leurs insultes en permettent le compte aujourd’hui.

Étrangement, ce qu’ils prennent pour des arguments se réduit à des insultes qui dispensent de venir sur le terrain où je mériterais la correction : celui des textes que je lis, analyse, critique et récuse. Pour n’avoir pas à m’affronter dans un duel singulier et d’honneur, ils méprisent : je n’ai pas lu, je ne connais pas, je ne sais pas lire, je ne comprends pas, je passe à côté de l’essentiel, je ne lis que les mauvais livres, je suis malhonnête, je ne fais pas de philosophie, je ne suis pas sérieux, je suis dans la caricature, etc.

Récemment encore, devant les cinq cent auditeurs de l’Université populaire de Caen où je présentais les thèses des négateurs de l’existence historique de Jésus que je fais miennes, un de mes vieux professeurs, jamais vu lors des vingt-cinq séances précédentes, s’est levé, extatique, et, les yeux vers le ciel, a péroré en enfilant comme des perles tous ces arguments. Avant de conclure, quand je l’invitais à me rejoindre sur le terrain des faits, des idées et de l’histoire, que, avérée ou non, même si Jésus n’a pas existé, ça ne changerait de toute façon rien à la vérité du christianisme. Ni à la validité de ses thèses sur l’amour du prochain probablement...

Texte reçu par mail (bric brac) et extrait, avec l’autorisation de l’auteur, du livre de Michel Onfray, "La philosophie féroce" http://perso.wanadoo.fr/michel.onfr..., Galilée 2004


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