« Si le socialisme est la solution, alors c’est de socialisme qu’il faut parler… »

mercredi 15 avril 2009.
 

La discussion commence à se développer parmi quelques groupes de militants, et même elle affleure dans certains secteurs -ultra minoritaires- du salariat.

Que faire face à la brutalité internationale du capital ? Que faire face aux destructions d’emplois, à la baisse des salaires, à l’explosion de la précarité ? Que faire alors que les délocalisations transforment de nombreuses villes de provinces en déserts industriels ? Oui, que faire, que penser ? « On n’y peut rien » lâchent dépités de nombreux salariés quand leur usine ferme. Ils se mobilisent alors pour arracher de meilleurs plans sociaux comme s’ils intériorisaient que le rapport de force entre eux et le capital mondialisé joue en leur défaveur. Aujourd’hui. Pour combattre, pour résister au capitalisme, il faut comprendre, expliquer, stigmatiser les responsables de la crise économique, lier le combat local à la situation mondiale. C’est difficile ?

Des camarades interrogent : les travailleurs des entreprises délocalisées ne peuvent-ils saisir l’entreprise, la remettre en route ? En 1944 quelques usines ont connu cette situation. Elles ont rapidement été nationalisées et les choses ont repris leur cours. Lip, c’est deux ans après 1968 : à un moment, ou en France, le rapport de force devient de jour en jour plus favorable à la classe ouvrière… Il ne semble pas que ce soit aujourd’hui le cas… C’est toute la question. Pour que le rapport de force s’inverse, il faut mille choses, mais notamment une : désigner l’adversaire, le gouvernement, le MEDEF, permettre aux travailleurs de regarder hors de leur lieu de travail ! Pour mieux combattre à l’intérieur. Combattre pour le socialisme ce n’est pas dresser un obstacle supplémentaire au combat de la classe, c’est au contraire l’aider.

Nous ne prétendons pas que cette disposition règle d’un coup de baguette magique tous les problèmes de résistance à la crise du capitalisme.

Certes, mais c’est l’art de la politique révolutionnaire et c’est ce que quotidiennement font les journalistes à la télé, à la radio, dans les journaux au compte du capital, pour garantir l’ordre social… Répéter, répéter encore que les « entreprises françaises » sont en concurrence avec celles d’Europe de l’Est, de Chine, d’Inde… Ce matraquage vise bien sûr à désarmer, à impuissanter les salariés. C’est un système mondial, vous n’y pouvez rien, adaptez-vous ! La bourgeoisie s’affirme, passé le pic (?) de la crise, comme une classe de pouvoir, de conscience, d’intérêt, de projets. Elle doit absolument faire payer les salariés. Et d’une certaine manière leur interdire de résister. Grèves, manifestations, occupations, séquestrations sont des moments du combat. Mais fondamentalement, si l’objectif n’est pas désigné, le patronat, le gouvernement, le système, alors rien de sérieux ne se fera. La particularité -et quelle particularité !- de la période c’est que chaque conflit (enseignants-chercheurs, hospitaliers, licenciements dans le privé) participe de l’éclatement de la crise mondiale, de l’unité des contre-réformes ; pour aider les salariés, les militants doivent faire le lien entre telle revendication, telle fermeture d’entreprise et la crise, le système dans son ensemble.

A la brutalité sociale proprement dite s’ajoute l’angoissante perception du proche avenir : cette crise va non seulement durer -avec des paliers, des améliorations, des effondrements- mais après la « sortie » annoncée, s’affirme le sentiment que rien ne sera exactement pareil. Un peu comme si se dessinait un nouveau paysage économique, de nouveaux acteurs sociaux, peut-être une nouvelle période.

Sur ce plan, nous ne savons rien de ce qui se passe actuellement en Chine, alors qu’aux Etats-Unis la restructuration du secteur de l’automobile entrepris par Obama, et la direction syndicale UWA prépare une liquidation, à la hache, de tous les acquis sociaux. Cette politique va progressivement gagner tous les continents, tous les pays. Concurrents sur le marché, les capitalistes du monde entier s’unissent dans l’attaque contre le salariat… La prétendue « sortie de crise » s’annonce comme une descente sociale aux enfers. Mais la résistance salariale peut bouleverser la donne. Mais le passage d’une situation à une autre s’opère rarement d’un coup.

A ce titre, la période qui va de 1917 à 1940 mérite d’être étudiée. A partir de la victoire de la révolution d’Octobre, la bourgeoisie veut par tous les moyens éviter la contagion révolutionnaire. Dans la plupart des pays, tout est mis en œuvre. L’armée, les corps francs, l’assassinat, les compromis, la social-démocratie, les guerres civiles. La crise de 1929 s’inscrit dans cette époque de combats formidables. Dès 1920, dans un pays de moindre importance, l’Italie, le fascisme s’impose contre la démocratie et contre la classe ouvrière. La bourgeoisie a alors un « modèle contre-révolutionnaire » le fascisme romain. Mais rien n’est écrit. Rien. Tant que Staline ne saigne pas, au sens propre, le parti bolchevique comme parti de la révolution mondiale, tant que la bourgeoisie allemande ne s’engage pas, à fond, dans le nazisme, tout est encore possible. 1933 à Berlin, 1936 à Madrid marquent la fin de cette période. Ensuite, c’est une autre histoire, la marche à la guerre mondiale. Il y a donc des périodes où le temps politique et le temps historique se croisent. Dans ces circonstances, les politiques syndicales, trade-unionistes sont plus que catastrophiques. Elles peuvent être criminelles…

La crise énergétique liée à la menace désormais irréversible d’atteinte à la nature pour la terre entière renforce ce sentiment. Que faire alors que ces défis sont mondiaux, que faire alors que les revendications élémentaires, vivre, travailler, se loger, ne peuvent trouver réponse durable que dans une nouvelle organisation de la société ? La réponse à la revendication n’est évidemment pas dans la revendication !

Que faire ? Plus que jamais les militants ont le devoir de se coltiner avec cette question ; si le socialisme est la solution, alors c’est de socialisme qu’il faut parler. Avec l’affirmation que le passage à une société civilisée, libre, n’est pas l’affaire d’une avant-garde éclairée, mais celle de centaines de millions d’hommes. Si l’émancipation des salariés doit être l’œuvre des salariés eux-mêmes, alors la lutte pour résister au patronat et au gouvernement et celle d’une nouvelle organisation de la société procèdent d’une même méthode : la démocratie. Sur ce plan, l’héritage pratique et théorique est catastrophique. Le capitalisme, aidé par les partis staliniens et sociaux-démocrates, a vidé la démocratie représentative de toute sa substance, de toute signification, de tout crédit. A l’intérieur comme à l’extérieur, il y a cohérence politique. Le PS, le PC défendent, théoriquement, pratiquement la Vème République, les institutions sous contrôle des institutions européennes, le secret d’Etat, c’est-à-dire le mensonge et bien sûr la démocratie interne se réduit à des affrontements pour maintenir ou gagner des élus, des prébendes.

S’agissant des organisations trotskystes, les seules qui aient une influence, un constat s’impose. La question démocratique n’a jamais été à l’ordre du jour. Ni de la formation des militants, ni de l’intervention des militants dans la lutte des classes. On pouvait s’opposer à la bureaucratie syndicale ou au stalinisme sans que jamais -sauf par le mot d’ordre « démocratie ouvrière »- cette question soit au centre du dispositif programmatique. Comme si les trotskystes refusaient de tirer le bilan d’une époque d’ensauvagement provoqué par la première… et la seconde guerre mondiale. Comme s’il ne convenait pas de prendre position dans le débat qui oppose Lénine à Rosa Luxembourg. Une Rosa qui toujours défendra les bolchéviques en manifestant son refus de théoriser, les contraintes, la violence auxquels les révolutionnaires russes étaient confrontés. Cette attitude a conduit également à reproduire le centralisme démocratique, en affirmant le premier terme et en expulsant le second. Qu’il s’agisse du POI (ex OCI) ou de Lutte Ouvrière le régime intérieur, discuter pour illustrer une orientation, non pour la mettre en cause, a militarisé théorie et pratique (expulsions). La ligue a -heureusement- une autre histoire. Evidemment cette brève parenthèse ne prétend pas régler le problème majeur de la démocratie au sein des organisations révolutionnaires. Il faudra y revenir en nous arrêtant sur le rôle, la place des permanents (politiques, syndicaux), le poids des « révolutionnaires professionnels » dans les organes de direction, à commencer par les congrès !

Revenons à la concomitance en France entre l’union de la gauche et la question démocratique.

Le rejet populaire du PS et du PC a commencé lorsqu’en 1983 (la célèbre parenthèse de Jospin) Mitterrand, son gouvernement, ont abandonné toute velléité de réformes « non-capitalistes » (pas anti-capitalistes) au profit de la politique européenne, c’est-à-dire libérale. A partir de ce moment, les différents gouvernements de « gauche » puis de « droite » ont aligné leurs décisions, leurs lois sur celles de la commission européenne. La démocratie et la République avaient trouvé leur maître. A partir de là le processus de renforcement de la Ve République (Congrès convoqué à Versailles pour modifier tel ou tel aspect de la Constitution) a été de pair avec l’affirmation politique de Bruxelles dictant les lois au « parlement national ». Le rejet populaire des directions du PS et du PCF date de ce processus. En même temps que les militants syndicaux, associatifs, quittaient ces partis, d’autres au contraire y adhéraient pour faire carrière. Si bien que non seulement le PS ne compte quasiment plus que des élus, mais des élus qui agissent dans le secret des assemblées, des commissions, du département à l’Europe. Au faire savoir politique pour le socialisme, a succédé un savoir-faire technocratique au profit de l’économie de marché. Sur ce plan, l’objectif politique de l’alternance a été atteint : éloigner les salariés, les citoyens, des lieux où se discute, se décide, l’avenir de la société. A quoi bon, puisque pour l’essentiel tous les partis sont d’accord.

Une politique réactionnaire a besoin d’étouffer la démocratie ; en effet seule la démocratie permet l’action de masse, par exemple, de manifester, de faire grève, d’agir, de définir des revendications, des objectifs politiques. Seul l’exercice démocratique permet action, insurrection, révolution.

Le problème c’est que l’offre politique ne présente aucune alternative et donc l’abstention est partiellement conscience de classe. De la même façon l’impossibilité de l’utilisation du suffrage universel pour exprimer une alternative voit son utilisation par les salariés de manière purement tactique pour battre un bourgeois libéral ou punir un social libéral ou un révolutionnaire pas assez révolutionnaire. La libération des salariés de la discipline de vote vis-à-vis des appareils doit s’exprimer positivement. Donc le problème qui est posé c’est l’offre politique, donc un programme porté par les salariés et ceux qui sont volontaires pour le mener jusqu’au bout (voir ici l’article de Bihr dans le numéro 4 de « La Brèche ». Mais ce programme doit être issu du combat de classe et non « donné clef en main »).

En revanche, et c’est le cas actuellement, lorsque l’abstention atteint des sommets dans les milieux populaires, la réaction marque des points décisifs. Elle anesthésie la classe, la divise, la désunit. La classe n’existe alors que comme classe exploitée, incapable de penser la société pour la changer, engoncée dans la tambouille syndicale, elle aussi bornée sur le plan démocratique. Le mouvement analysé par Michel Lanson des mouvements de « désobéissants » et « résistances civiles » (voir le site du « Club socialisme maintenant ») montre cependant comment cette classe essaye de se frayer un chemin collectif.

Si j’aborde la démocratie, essentiellement en rapport avec le suffrage universel ce n’est évidemment pas pour exclure la démocratie directe, les organes de lutte de masse. Ces moments et ces situations existent. Pas tous les jours… Par exemple, en France, il faut remonter à la Commune de Paris. Encore faut-il rappeler que l’élection de la Commune proprement dite s’inscrit dans les circonscriptions des arrondissements parisiens. La Commune, c’est aussi le suffrage universel avec droit de révocation. Depuis cette date, jamais en France la lutte politique contre le système n’a créé d’organismes indépendants du suffrage universel. De nombreux camarades souhaitent que nous recensions les organismes que les salariés ont, dans leurs luttes, mis en place depuis la Libération. C’est en effet nécessaire. Il faut s’attaquer à cette question. Reste qu’à ma connaissance jamais, il n’y a eu plus que des comités de grève indépendants des appareils. En 1968, les comités d’action ont surgi dans les premiers jours de la grève générale puis ils ont disparu…

Ca ne veut pas dire qu’il faille l’exclure. Mais le plus probable c’est que la Révolution, d’une manière ou d’une autre, refondera une démocratie digne de ce nom. Certes, mais quelle place aura donc le suffrage universel et la démocratie pour que la Révolution éclate ?

Ces quelques remarques n’ont qu’un objectif. Poursuivre la discussion passionnante que nous avons engagée lors de notre dernière réunion. L’élargir à d’autres. Préparer la rédaction de l’appel que nous avons décidé. A nos plumes !

Le Samedi 17 mai

P.S. : Le texte était terminé lorsque dimanche sur mon marché, des militants du NPA diffusaient…

Exercice de style, exercice de tract.

C’est un quatre pages, bien mis en page, bicolore. C’est le premier matériel national édité par la direction du NPA dans la campagne des européennes. Avertissement : si je vais voter, je voterai : pour les listes du NPA. Ce n’est pas la formation dont je suis le plus proche, il n’y en a pas, c’est la formation politique dont je suis le moins loin.

Le titre s’impose : « Partout en Europe, pas question de payer leur crise ! ».

Certes. Si le capitalisme est responsable de la crise, et il l’est, il faut opposer une autre politique, une alternative, un objectif qui éclaire les luttes en cours et à venir.

Rien. Vraiment rien de tel. Des mots d’ordre, justes pour la plupart, Non à la casse du service public ! Un emploi pour tous ! Non aux licenciements ! Solidarité avec le peuple palestinien ! Sauver le climat, pas les pollueurs ! Et nos quartiers ! Non à l’Union européenne forteresse !

Pas un mot de l’abrogation des traités de Maastricht et de Lisbonne, ni des Etats-Unis socialistes d’Europe, mais ne chicanons pas. L’essentiel est ailleurs. Le quatre-pages du NPA est un catalogue de revendications plus ou moins syndicales qui n’opposent pas aux Institutions du capitalisme européen, aux gouvernements nationaux, l’objectif du socialisme et d’un gouvernement des salariés !

Il y a peu, Alain Krivine (jeune porte-parole du NPA) croisait sur France 5 le fer contre M. Copé.

Alain Krivine, excellent dans la forme, menaçait Copé d’augmenter les impôts des capitalistes, de prendre « une partie » des bénéfices, réclamait un SMIG à 1.500 €, 300E pour tous etc.

Copé répétait le même argument.

- Bien M. Krivine, ce sont des revendications dont on peut discuter, mais qu’opposez-vous globalement à notre politique, à celle de Sarkozy ,

Alain Krivine n’a jamais répondu. De même dans le document du NPA pas un mot de politique, sinon luttons, luttons !

De la sorte les salariés vont payer la crise. Sans réponse politique, sans projet pour gouverner, pour marcher au socialisme, les salariés seront défaits. Et le NPA avec. Ne faut-il pas les discuter ? L’attitude du NPA : à nous les luttes, au PS, PCF, les questions politiques institutionnelles, laisse aux appareils le soin… de préparer un nouveau Front Populaire, avec son offre gouvernementale, pour étouffer les salariés, si nécessaire. Il faut y réfléchir…

Notes prises sur le rapport introductif de la réunion du 2 mai 2009

Dans les premières notes éditoriales écrites en octobre 2008 pour la naissance de notre club, et au moment où venait d’éclater la crise financière mondiale, nous écrivions ceci :

« Au vrai, la véritable réponse à la crise financière internationale n’est pas économique. Certes, les économistes -qui veulent aider le salariat- peuvent évaluer, proposer des techniques. Mais la réponse à une crise plus grave que celle de 1929 (Mr Greenspan ancien président de la FED) est, ne peut être que politique. La politique peut certes se traduire en revendications, en mots d’ordre de transition. Mais d’abord, il faut éclairer le cadre général. L’expliquer et stigmatiser le système. L’effondrement du système financier international, à commencer par Wall Street, devra être payé par une classe sociale. La bourgeoisie ou le salariat. Si c’est le capitalisme « refondé » grâce à l’unité nationale dans les principaux pays qui l’emporte, c’est le salariat qui payera la note. Pas seulement sur le plan « économique ». 1929 a enfanté 1933 en Allemagne, le militarisme nippon, le fascisme en Espagne, au final la seconde guerre mondiale. »

Nous projetions alors une caractérisation sur nouvelle situation mondiale qui procédait plus de nos habitudes de penser que d’une analyse réelle. Précisons.

En 1929 on sort d’une première guerre mondiale, qui, volontairement ou par impuissance, n’est pas une sortie par le haut. Vous savez comme moi, le Traité de Versailles, prépare, Clémenceau le dira, un nouveau conflit international. Ce Traité d’ailleurs, sera rejeté par le Sénat américain. Deuxièmement à partir de la fin de la première guerre mondiale, la révolution victorieuse développe la guerre civile en Europe. Aujourd’hui, il n’y a ni révolution d’Octobre victorieuse, il n’y a surtout ni guerre civile en Europe. En 1936, c’est la victoire de Franco en Espagne. Vous avez la grève générale en Grande Bretagne, qui est un événement politique majeur avec la création du comité anglo-britannique syndical, qui prend une importance formidable dans l’affirmation de Staline et de la politique de la bureaucratie en URSS. Vous avez des guerres civiles en Pologne et en Roumanie, avec des milliers, des milliers de morts au combat. Vous avez enfin l’installation de Salazar au Portugal. 1933 en Allemagne c’est la suite de 1919 et de l’échec de la révolution socialiste de 1918, l’assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, pas seulement des deux dirigeants mais de l’ensemble des responsables du groupe spartakiste. En Europe, c’est vraiment une classe ouvrière qui est saignée à blanc. La situation du prolétariat européen, c’était une situation relativement apathique. La classe ouvrière recule, elle ne résiste pas. C’est ainsi. Je choque peut être les uns et les autres, mais je sais que la lucidité conduit à la raison révolutionnaire et à l’ouverture d’authentiques perspectives. Ce qui différencie fondamentalement la situation de 1929 avec la situation présente réside dans le fait que, sur la base d’une révolution victorieuse, les classes ouvrières européennes montent à l’assaut des citadelles des Etats capitalistes. Il n’était pas écrit que le prolétariat devait être vaincu ; en Espagne, il s’en est fallu de peu qu’il ne le soit pas. Il a fallu une coalition incroyable impulsée par Staline, pour que avec la non-intervention, Franco l’emporte. Il n’était même pas écrit que Hitler prenne le pouvoir. Il a fallu que Staline et la IIIème Internationale appelle à voter pour Hitler, pour que les hordes nazies l’emportent en Allemagne. Il faut ces événements considérables, pour qu’un état d’esprit fataliste s’instaure dans cette période. Enfin je soulèverai un dernier point, que Léon Trotsky développe beaucoup plus talentueusement que moi lorsque qu’il écrit « Europe-Amérique », il rappelle que la révolution socialiste peut trouver une solution en Europe et en Amérique.

Aujourd’hui, dans un premier temps, les problèmes se passent en Chine semble t il. C’est la situation chinoise qui va avoir une influence majeure à l’échelle du globe. Tout ceci nous amène à dire que la crise qui a éclaté il y a un an, est une crise considérable, qui va être longue, grave, violente, et qui jusqu’alors n’a pas provoqué de grandes luttes des classes, c’est-à-dire la volonté exprimée d’une classe de se débarrasser de la classe dominante de manière plus ou moins insurrectionnelle. On a tous vu passer la manifestation du 1er mai, c’était comme disait un camarade une manifestation familiale, et même si ses participants ont tenu à témoigner contre le gouvernement, on est loin de la guerre civile, même si on ne peut exclure que des événements sociaux de grande ampleur interviennent. En écrivant la note éditoriale du club l’autre jour, je me suis rendu compte que si la France bouge, elle fait dans une Europe qui reste globalement apathique. Elle pourrait être en avance, ce n’est pas le cas. Dans la presse étrangère, en Allemagne il y a une tradition pour le 1er mai, il y a une partie de Berlin où il y a toujours des bagarres avec l’extrême gauche, pour le reste rien de particulier. S’ il faut insister là-dessus, il ne s’agit pas de démoraliser, c’est pour être lucide. Les combats sont devant nous. Et s’ils mettent tellement de temps à éclater, c’est qu’il y a une raison dans l’inconscient collectif. Tout ce qui a été tenté sur le terrain de l’action sociale extra-parlementaire jusqu’à maintenant n’a pas abouti. Et ce souvenir dans l’inconscient de millions de femmes et d’hommes joue comme un frein. Si on essaie pas de répondre dans la quotidienneté à cette interrogation, le sentiment du « à quoi bon ! » fuse et s’impose. Jamais depuis que nous sommes nés à la politique, jamais depuis la seconde guerre mondiale, nous n’avons connu ce qui se passe aujourd’hui. Chaque revendication, sur les salaires par exemple, pose le problème : qui dirige et pour quelle société ? Nous remarquions dans les notes pour cette réunion et cela a choqué beaucoup de camarades, que les séquestrations étaient limitées et s’opéraient dans un esprit purement défensif. Les salariés ne réclament plus, comme ils l’ont fait durant 50, 60, 70 ans, l’arrêt des licenciements, ils réclament de bons plans sociaux, de bonnes indemnités. Ils ne parlent pas de faire reculer le patronat sur sa politique. ET ça pour nous, c’est très important, car c’est dans la réalité de la lutte des classes que nous apprécions notre capacité à nous exprimer, à accompagner, à formuler. La lutte contre les licenciements pose le problème de la société dans laquelle on vit, la lutte contre tel ou tel plan du gouvernement pose cette question. Un éminent professeur de médecine, disait à la radio en gros « moi j’ai abandonné la conception d’un certain engagement politique, je me rends compte aujourd’hui qu’on ne peut combattre la réforme de madame Bachelot que si on a une autre conception de l’organisation de la société, ce qu’il veulent instaurer c’est la destruction du service public où on ne pourra plus soigner les pauvres et les riches sur un pied d’égalité ». C’est d’autant plus intéressant qu’il faisait le distinguo avec le député UMP Debré, il disait : « avec lui on est dans la même grève, on est dans le même collectif. Il est pas d’accord avec moi, même s’il a voté contre la loi à l’Assemble, mais moi je me rends compte qu’on ne peut plus combattre revendication par revendication, il faut poser un cadre plus général. » Dans quelle société ? Pour qui et pour quoi ? Ces choses là les salariés peuvent les entendre. Mais quand nous avons vu dans telle usine occupée, un salarié de la CGT, militant de LO, au lieu d’appeler les salariés à élargir la grève à toute la région, à la population, à aller à la préfecture, de dire la vérité…on l’ a vu se contenter de s’en prendre à des bureaux et à des ordinateurs de la préfecture…quelle tragédie ! Il faut faire attention aux effets de la lutte, comme il y a des effets de communication. La vérité c’est de donner la dimension politique, il faut chasser ce gouvernement… ils organisent la catastrophe. C’est une classe dirigeante, qui non seulement est incapable de faire face à ses responsabilités, mais en plus elle menace la civilisation.

Le refus de poser ces problèmes est commun au POI, au NPA, sans repli sectaire de ma part, si demain le POI, ou le NPA prennent une initiative intéressante, je l’appuierai. Ils se battent sur une bonne technique de lutte face aux propositions des appareils syndicaux. Qu’est ce que c’est que ça ? Chasser ce gouvernement et s’attaquer directement au patronat, ce n’est pas du gauchisme, c’est exactement le programme minimum. C’est là-dessus qu’il faut travailler.

Travaillant sur le problème de la démocratie je suis en train de relire Rosa Luxembourg dans le détail, il y a une intelligence politique de cette femme que nous avons intérêt à prendre en compte aujourd’hui, car elle a une actualité formidable. Rappellons dans quel cadre elle écrit sa célèbre brochure sur la Révolution russe. Elle écrit en combattant la bourgeoisie allemande (et de quelle manière !), elle sort de prison, elle va y retourner. En combattant la direction du SPD allemand, Scheidemann qui va l’assassiner, en polémiquant en permanence et quotidiennement avec Lénine et Trotsky sur la révolution russe. On a là un incroyable personnage de l’histoire du mouvement ouvrier, d’une intelligence et d’une culture remarquables. Il y a un problème qui me travaille de plus en plus : comment se fait-il que tous les regroupements nouveaux qui se font aujourd’hui soient tous viciés fondamentalement sur une question, le problème du fonctionnement et de la démocratie ? Comment se fait-il que des organisations qui se fondent sur la perspective du socialisme, ne mettent pas en œuvre ce qui est le moteur du combat politique ? Croient elles au socialisme ? Dans ce cas elles n’auraient pas alors le fonctionnement qu’elles ont. Il faut relire ce que dit Rosa sur ces problèmes, au moment de la Constituante russe :

« …La liberté pour les seuls partisans du gouvernement, pour les seuls membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la "justice", mais parce que tout ce que la liberté comporte d’instructif, de salutaire et de purifiant aux dépens de ce principe tient à cela et perd de son efficacité quand la"liberté" devient un privilège.

Les bolchéviks ne sauraient nier qu’il leur aura fallu marcher à tâtons pour faire des expériences de tous ordres et qu’une bonne partie des mesures qu’ils ont prises, ne sont pas des perles, c’est ce qui nous arrivera certainement à notre tour.

La condition que suppose tacitement la théorie de la dictature selon Lénine et Trotsky, c’est que la transformation socialiste est une chose pour laquelle le parti de la révolution a en poche une recette toute prête, qu’il ne s’agit plus que d’appliquer avec énergie. Par malheur- ou, si l’on veut, par bonheur -, il n’en est pas ainsi. Bien loin d’être une somme de prescriptions toutes faites qu’on n’aurait plus qu’à appliquer, la réalisation pratique du socialisme en tant que système économique, juridique et social, est une chose qui reste complètement enveloppée dans les brouillards de l’avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs qui montrent la direction générale dans laquelle il faut s’engager, indications d’ailleurs d’un caractère surtout négatif. Nous savons à peu près ce que nous aurons à supprimer tout d’abord pour rendre la voie libre à l’économie socialiste. Par contre, de quelle sorte seront les mille grandes et petites mesures concrètes en vue d’introduire les principes socialistes dans l’économie, dans le droit, dans tous les rapports sociaux, là, aucun programme de parti, aucun manuel de socialisme ne peut fournir de renseignement. C’est la démocratie… »

Ces problèmes sont des problèmes majeurs, sur lesquels notre club devrait vraiment s’investir, réfléchir. La bourgeoisie a vidé la démocratie de son contenu. Bureaucraties stalinienne et social-démocrate ont fait de même. Personnellement je crois à la République si je m’inspire de 1793, de 1848 et de la commune de Paris. Pas la république franc-maçonne, vieillotte et social- démocrate. Je crois à la République purifiée par la démocratie, par la lutte des classes, par la vie. Je crois à la République de la démocratie directe. C’est un débat qu’il faut mener. Militants révolutionnaires, si nous ne nous attachons pas à cette question, ce que nous avons souvent pris pour un problème de méthode, nous conduira aux mêmes erreurs. Je crois vraiment au socialisme, comme une possibilité d’activité humaine. Il est nécessaire que l’action contrôlée des hommes, élisant leurs représentants, les révoquant, en élisant d’autres, dans une activité permanente soit mise en œuvre.

J’ai commencé mon rapport en disant que en Europe, aux Etats-Unis, en Chine je ne voyais aucune grande lutte des classes, je vois des luttes des classes, surtout en France. Cela ne veut pas dire qu’elles ne vont pas venir à l’ordre du jour parce que je crois que l’ampleur de la crise est totalement sous-estimée. Nous voyons des gens comme Alain Minc qui commencent à aborder les problèmes sous l’angle politique. Minc est inquiet par la faiblesse de sa classe, pour faire face à ses responsabilités sur la durée d’un processus. Nous, nous avons à aider notre classe à faire face à ces problèmes-là. Laissons tomber les affrontements factices sur les meilleures formes de lutte, alors que personne ne nous le demande.

Notes sur la réponse à la discussion

(…) En écoutant la plupart des intervenants, chacun expose les problèmes qu’il rencontre tant dans le NPA comme dans PG . C’est l’affaire des camarades de régler avec leur conscience les problèmes qu’ils ont. (…). On ne peut pas nous demander de régler les problèmes de ces partis. On est un club, on respecte les opinions de chacun, pour le reste c’est très difficile de rentrer dans ces problématiques. Ce qui est intéressant c’est de dégager les grands éléments politiques. A mes yeux, il y a deux choses qui sont essentielles ; en 2002 le PS a engagé le début de son calvaire, Le Pen au second tour et Jospin éliminé dès le premier tour, c’est le début de la fin. Rien ne peut arrêter cette tendance. Il peut y avoir encore quelques moments d’embellie, mais la courbe descendante est impossible à inverser. Sur le plan des organisations syndicales, le pouvoir ne manque jamais de se féliciter publiquement combien il peut compter sur le rôle raisonnable des secrétaires confédéraux. Les élections prudhommales ont signifié quelque chose de profond, un recul des organisations syndicales, de certaines en particulier, mais un recul de toutes les organisations syndicales. C’est un élément de température. Les véritables rapports sont donnés par cet élément. C’est pourquoi je dis à Emile, si les éléments que vous avancez sont vrais sur le grand nombre de remises en question de l’ appareil confédéral par des sections, Unions locales et fédérations , c’est un événement politique nouveau. Je n’ai pas ce sentiment.

Un élément politique est proprement stupéfiant : 24 parlementaires (de droite et de gauche) qui depuis deux mois travaillent à l’Assemblée Nationale pour réfléchir sur la manière de faire face à la crise économique, on n’ a jamais vu ça. (…) C’est très important, c’est un signal politique sur l’état de la société, des rapports entre les classes… et à ces problèmes-là il faut être extrêmement sensible. Dans la hiérarchie des problèmes, il y a cet élément là, que les camarades soient au PG ou au NPA. Je ne crois pas que cela ne serve à rien, je crois que cela ne serve pas à grand-chose. C’est mon point de vue. Je n’ai aucune raison d’avoir raison. Je ne pense pas qu’il y aura un parti révolutionnaire démocratique construit à froid. Je crois à des collectifs qui nourrissent la vie politique. Dans des événements sociaux de grande ampleur, l’émergence de formes politiques nouvelles émanant de ces collectifs, oui. Je crois au débat, à l’élaboration politique.

Maintenant deux propositions. On devrait organiser ces réunions, ces discussions avec nos amis de Prométhée, en définissant l’ordre du jour, chacun développant son point de vue. Deuxièmement nous devrions préparer une lettre, qui soit comparable à la lettre d’Alain Minc, mais une lettre que nous élaborerions, aux militants, à ceux d’en bas, pour soulever les problèmes politiques de fond. Ce qui nous semble être de fond, quelle que soit l’appartenance politique. C’est difficile à écrire, mais cela peut être quelque chose qui peut nourrir, qui peut permettre aux camarades de la génération qui monte en politique de s’en saisir. (…)

Notes de printemps

Il fait soleil et la situation est passionnante pour qui tente de réfléchir sans a priori, sans formules toute faites. Répétons-le, pour l’essentiel la situation française est déterminée par la marche mondiale à la crise. Tant que dans un pays important le rapport des forces entre les classes n’aura pas été sérieusement ébranlé, les « traits nationaux » de la lutte des classes ne modifieront pas la situation internationale.

Pour l’heure le plan de relance chinois s’épuise et les différents plans pour stabiliser le système bancaire américain ne semblent guère porter leurs fruits. De l’avis général le G20 a accouché d’une souris. Surtout dans la plupart des grands pays la mobilisation sociale est inexistante (USA) ou très fragmentée (Chine-Japon). Certes, la bourgeoisie est inquiète parfois même effrayée par une crise qu’elle ne maîtrise absolument pas, mais de son côté la classe ouvrière s’avère pour l’instant incapable de résister avec un minimum de force, de cohérence, d’ampleur.

Sauf en France.

Il ne s’agit pas de crier cocorico, mais de constater, une fois encore, la spécificité française. Certes demain d’autres salariats rejoindront, dépasseront la lutte des classes en France, mais pour l’heure, la France est seule ; à certains égards, elle est isolée. Donc, depuis plusieurs mois salariés et jeunes combattent. Contre les réformes sarkozystes, contre le blocage des salaires, la montée du chômage, la liquidation -par centaines- des entreprises. Participation toujours plus massive aux journées d’action organisées par les confédérations pour freiner la mobilisation, la faire échouer et dans tous les cas l’encadrer pour en garder le contrôle. De sorte que, pour l’heure, les directions syndicales ne sont pas parvenues à briser la tendance à la mobilisation. Enfin, il y a l’essentiel, le mouvement spontané, auto-organisé. Les enseignants-chercheurs avec l’aide des étudiants mais sans participation massive ont mené -mènent encore- une bataille remarquable contre Darcos et Pécresse. Ils ont obtenu des avancées significatives, les décrets ont été réécrits, malgré les fanfaronnades de Sarkozy, il a dû reculer et c’est, finalement le soutien des syndicats (FSU-FO-UNEF) qui une fois de plus a permis, pour l’heure d’éviter une débacle gouvernementale. De même, il faut apprécier, dans les écoles les refus de centaines d’enseignants, d’appliquer la loi… Ce ne sont pas des méthodes habituelles de lutte du mouvement ouvrier, mais ce sont des luttes qui font sens, qui affirment, sélectionnent de nouvelles générations de combattants. A des degrés divers, qu’on ne peut généraliser, qui sont donc hétérogènes, les luttes se frottent, se heurtent à la politique des dirigeants syndicaux qui passent leur temps à « négocier » avec le MEDEF et N. Sarkozy.

C’est donc en ayant à l’esprit le dispositif d’ensemble qu’il faut aborder la flambée d’occupation et de séquestrations de cadres et dirigeants dans les usines. Rien n’est égal. Il faut solliciter la dialectique, « Il n’y a pas de mouvement sans matière, comme il n’y a pas de matière sans mouvement » (F. Engels). Il y a une progression de ces actions : elles ont toutes pour origine des plans de licenciements ou des fermetures d’usines. La plupart des grèves avec séquestrations réclament de meilleurs plans sociaux, pas la remise en cause des plans de licenciements ! Cet objectif pour l’instant semble inatteignable... Enfin nulle part -encore ?- une usine n’a séquestré ses dirigeants pour une longue période -la SNIAS à Nantes en 1968- permettant d’en faire un point de résistance régional, voire national.

Je ne cherche pas à minimiser ces actions mais à bien apprécier leur juste place. L’enthousiasme, le gauchisme verbal qui saluent ces formes d’actions sont ridicules ! Il faut raison garder. Si ces occupations ne s’élargissent pas, ne débouchent pas contre le MEDEF, Sarkozy, elle seront défaites. Ces mobilisations font partie d’un processus de maturation social et politique qui est en cours. Pour le réussir, ce ne sont pas les techniques de mobilisation qui comptent mais le contenu politique, l’objectif à atteindre pour vaincre.

De quoi s’agit-il ? Ces vagues mondiales de délocalisation, de désindustrialisation, ces millions de nouveaux chômeurs, ces dizaines, ces centaines de millions de nouveaux précaires sont à l’image de la crise écologique menaçant la planète, les pathologies d’un système à bout de souffle.

C’est d’abord cette question qu’il faut expliquer, illustrer. La crise actuelle du système capitaliste peut être surmontée par une société encore plus violente, inégalitaire, condamnant régions, nations à la pauvreté absolue ou, par l’organisation par les salariés, les chômeurs, d’une société par eux dirigée, mettant au cœur des actions et des préoccupations l’intérêt général et non pas celui d’une couche ultra privilégiée de propriétaires prédateurs. Cela peut se nommer socialisme. Chaque plan de licenciement, chaque « réforme » gouvernementale pose cette question.

Il faut mettre au cœur de la lutte les responsabilités du MODEM et de N. Sarkozy. Hors de tels objectifs aucune chance de l’emporter, de les faire reculer.

Il est faux, vain, d’imaginer que l’aggravation de la crise augmentera inévitablement la résistance du salariat. Sans clarté, les salariés peuvent reculer, être gagné par la démoralisation, demain être sensibles aux discours fascistes sur la responsabilité de la crise.

A cet égard, la mobilisation chez Carterpillar est intéressante. Les grévistes commencent à comprendre qu’ils doivent contrôler leurs dirigeants, ici les délégués de la CGT. Ca c’est intéressant. Je ne généralise pas, je note simplement ici un progrès majeur. C’est dans un affrontement de ce type, contre le patronat, contre les appareils qu’une éventuelle victoire des salariés peut servir de tremplin à d’autres.

Bref, il faut cesser de mettre en avant une technique de lutte. Ni telle manif centrale contre les licenciements, ou même la grève générale ne règlera en soi quoi que ce soit. Organiser l’agitation politique contre le patronat, le système, la présidence de la république, c’est le seul moyen de donner une dimension aux combats particuliers, de fournir un objectif, d’articuler les revendications. Aider à comprendre c’est aider à agir. Mais justement, qu’est-ce que l’auto-organisation ? C’est la prise en main par le « bas » des problèmes de la société, jusqu’en « haut ». C’est dans les luttes revendicatives que l’idée que les masses doivent diriger, gouverner peut se frayer un chemin. Qu’il s’agisse du POI, du NPA, de LO, ces organisations, hélas, évacuent la question centrale. Qui doit diriger la société. Comme si le catalogue revendicatif, la radicalité dans les formes d’actions, apportaient réponse à l’acuité de la crise capitaliste. Ou cette crise menace réellement l’humanité et alors il faut répondre sérieusement non pas par une politique syndicale -anarcho-syndicaliste ?- mais par une démarche révolutionnaire.

Le temps me manque mais je voulais développer ici la différence qui existe dans l’histoire du mouvement ouvrier, entre Marx et Lassale sur la question de la démocratie, du « bas » (La Commune de Paris) par opposition à Lassale et la conception étatique du combat politique pour le socialisme. Nous devons actualiser la démarche de Marx sur l’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Quelques mots sur les événements majeurs de ces quelques semaines du point cde vue de la bourgeoisie.

Alain Minc est un affairiste. Il voit les uns et les autres. Les magnats du CAC 40 sont ses clients, presque des amis. Le 23 mars il publie dans Le Figaro une « Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigeante ».

C’est un document politique de premier ordre. Certes, il ne dit pas tout ce qu’il pense de la situation, mais il dit l’essentiel. C’est une mise en garde à la bourgeoisie dans son ensemble. « Mesurez-vous que le pays a les nerfs à fleur de peau, que les citoyens ont le sentiment, fût-il erroné de subir une crise dont nous sommes tous à leurs yeux les fautifs ? Ignorez-vous que la quête de boucs émissaires est une constante de notre histoire et que 1789 se joue en 1788 ? »

Reprochant à ses amis leur « autisme », leur « inconscience », A. Minc signe là un document politique de premier ordre. Lui aussi fait référence à la spécificité politique française en prévoyant, dans un an une révolution ! Cela dit assez la crainte des milieux dirigeants. Les révolutionnaires devraient, sans sectarisme, réfléchir à la rédaction, à la destination des salariés et des jeunes d’une lettre de même nature posant comme une solution la question de la révolution !

Un mot encore. Il n’y a plus d’opposition institutionnelle à Sarkozy, hors François Bayrou.

Ainsi depuis plusieurs mois 24 parlementaires (députés et sénateurs) de droite, de gauche (emmenés par Emmanuelli, Chevènement et J.P. Braud) discutent, travaillent sur les problèmes de la crise économique ! Du jamais vu dans l’histoire politique française en dehors des gouvernement d’union nationale.

Naturellement la collaboration de classe s’est toujours menée, dans la discrétion, à la buvette de l’Assemblée. Finie cette époque. C’est au grand jour que majorité et opposition mettent en œuvre une élaboration commune. L’époque des fronts populaires est révolue. Reste l’union nationale.

Charles, le 23 avril

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Quelques réflexions sur la manifestation parisienne du 19 mars

Sur la manif parisienne : beaucoup de monde, plus que la dernière fois. Les chiffres syndicaux sont probablement peu surévalués cette fois.

Deux parcours parallèles mais malgré tout un fort temps d’attente. L’itinéraire bis CGT, FO ressemblait à un défilé, de l’autre côté c’était plus un flot.

Mais ce qui de plus en plus important c’est le nombre de points fixes d’organisations politiques ou de rassemblements par secteurs (psy scolaires par exemple). Souvent la manif est l’occasion pour les toujours plus nombreuses et fort faibles organisations de faire le marché. C’est assez irritant et montre que ceux là ont plus en tête un petit bénéfice électoral que se fondre dans un mouvement pour y agir positivement . Concernant les rassemblements par secteurs c’est plus logique à condition que ces points de rendez-vous soient aussi des points de jonction avec le mouvement général.

Il y avait beaucoup de manifestants du privé (il faut remonter loin pour voir ce phénomène de rassemblement à Paris). Mais cela n’avait pas le caractère de la manifestation de Compiègne (10 000) qui s’organisa autour du cortège de Continental en lutte. Nous sommes encore dans des phénomènes hétérogènes avec des expressions politiques extérieures.

Concernant le texte et plus généralement la discussion, je pense que les appels et les textes ancrés dans la réalité du métier, de l’action précise découlant d’une prise de conscience sont des points politiques forts. Ce sont des efforts pour surpasser l’aliénation qui borne la réflexion à partir du coeur même de celle-ci. Ainsi, les instituteurs peuvent dire que cette société est contradictoire avec leur pratique éducative, qu’en Guadeloupe l’histoire, la culture, la lutte contre la profitation débouchent sur un "vivre autrement" et sur le besoin "des produits de haute nécessité". Tout ceux comme Besancenot mais aussi bien d’autres qui parlent de LKP partout, n’ont rien compris ou plutôt grugent ceux qui les écoutent. Ce sont le conditions de naissance du LKP qui sont importantes ensuite chaque mouvement peut et doit trouver sa forme adéquate. (Là est la différence entre la parrhesia et la réflexion effective pour ouvrir une voie véritable à la lutte collective).

En ce moment, nous vivons une période difficile de maturation et la cristallisation en un mouvement plus large dépendra d’une lutte, d’un mouvement difficile à prévoir aujourd’hui. C’est par l’approfondissement des discussions précises, que l’on peut aider à la prise de conscience. Beaucoup de monde est capable de tenir un discours sur les origines et le déroulement de la crise, c’est intéressant mais ce n’est que du discours plus ou moins savant. Là, nous sommes dans la parole libre mais sans portée ni accroche.

Concernant la Commune ou la Guadeloupe, le programme ne s’est pas construit par ramifications successives. Demota l’explique les 120 et quelques organisations ont fait leur plate forme en trois heures. A ce moment des gens aussi divers que musiciens, syndicalistes, autonomistes, indépendantistes... ont compris ensemble que des années de divisions n’étaient plus acceptables par la population et que le premier qui sortait de ce mouvement était exclu. Alors les éléments épars du documents ont pu être unifiés.

Ce n’est pas un mouvement mécanique, mais bien une compression du temps ( caractéristique des temps révolutionnaire) d’une cristallisation débouchant sur la compréhension collective. De même, pas de programme de la Commune sans la prise des canons qui rend irréversible le mouvement collectif.

Pour le programme du CNR je suis plus dubitatif comme sur la notion de résistance aujourd’hui ; mais c’est une autre question.

Pour le moment, demain, 1° mai ; qui peut le dire ?. Ceux qui peuvent appeler ne le font pas. Le feraient-ils que cela ne prendrait pas de forme différente d’une grosse journée d’action.

Poursuivre la lutte en profondeur, se faire connaître, associer à la prise de conscience. Ne pas croire possible de prendre la place de ceux qui refusent la lutte unie (leur union d’ailleurs est un leurre). Participer à la maturation, au dévoilement des pièges tendus sous les pas de ceux qui recherchent la voie de l’union et du changement radical. Alors actes et mots pourront être en accord. C’est le moment de la cristallisation, mais nul n’est aujourd’hui maître du calendrier.

Michel Lanson

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Contribution de Robert Duguet

Il y avait le dogme catholique de l’Immaculée Conception et de l’Infaillibilité pontificale, du reste sur ce registre le pape Benoit XVI continue à sévir, aujourd’hui face au mouvement du peuple guadeloupéen pour reconstruire son avenir sur d’autres bases que celles qui ont conduit à la crise économique et civilisationnelle actuelle, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT et cheville ouvrière du « dialogue social », déclare : le mouvement dans les territoires d’Outre Mer n’est pas transposable. Amen !

Entre les déclarations de ce responsable syndical et la manière dont le mouvement social agit et pense, il y a un gouffre. Nous avons publié sur notre site une lettre de Gladia Roulin qui écrit en substance ceci :

« Nous voyons se développer des révoltes un peu partout, sur fond de crise du capitalisme reconnue par tout un chacun, y compris par les représentants patentés de ce système. Le 29 janvier, nous étions 2 millions et demi à manifester. Sur des aspirations beaucoup plus profondes et larges qu’une simple revalorisation du fameux pouvoir d’achat ou de la perpétuation de notre condition subordonnée de salariés. Il en est pour penser que c’est l’unité syndicale qui a payé.

Je pense plutôt que l’indignation gronde de partout, et que les syndicats ont en effet réalisé ce jour-là l’unité indispensable pour conserver un minimum d’audience, parce que, s’ils avaient continué à faire défaut, à soi-disant nous représenter, mollement, dans des négociations entre pots de fer et pots de terre, par-dessus notre tête et sans mener aucune lutte, ils auraient fini par être complètement et peut-être (rêvons un peu !) irrémédiablement débordés par "la base", laquelle est tout à fait capable de s’auto-organiser en Collectifs divers, dès lors que les citoyens décident de se prendre en mains.

C’est ce que nous voyons avec les Collectifs d’enseignants-chercheurs, ou avec tant d’autres Collectifs qui ont pris l’initiative des luttes, lesquelles sont en général récupérées par des dirigeants syndicaux que le pouvoir en place désigne comme les seuls interlocuteurs représentatifs, alors qu’en aucun cas ils n’ont été librement mandatés par la base. »

Un camarade vient de m’envoyer un appel de Anne Paillet « Je ne veux plus rentrer chez moi », site créé dans la suit de l’Appel des appels, qui déclare ceci :

« Le 29 janvier, nous étions des millions, le 19 mars, 500 000 de plus et, si on écoute certains, il faudrait attendre le 1er mai ? Pourquoi pas la Saint Glinglin ? Et que fait-on d’ici là ? Des grèves, des grèves administratives, des désobéissances civiles qui durent dans l’université, l’industrie, le commerce, l’enseignement, chez les sans papiers depuis des mois et il faudrait rentrer chez soi avec la gueule de bois, nos revendications, nos espoirs, nos projets de société remisés jusqu’au 1er mai ?

Et pourquoi pas la Saint Glinglin ?!

Vous savez bien que la cause de nos malheurs, c’est le système capitaliste ? Le Capitalisme, nous n’en voulons plus mais nous faisons comme si on devrait faire obligatoirement avec. Croyons-nous vraiment comme certains voudraient nous le faire croire qu’il est indépassable, juste "moralisable" ? »

Pour se conclure de la manière suivante : nous refusons de rentrer à la maison ; elle appelle à constituer devant les mairies à dater du 20 mars des collectifs qui s’organisent en relation avec les entreprises en lutte…

En tant que petite association le club Socialisme Maintenant n’est naturellement pas en mesure d’apprécier l’ampleur de ces interrogations et de ces tentatives, ce qu’elles représentent aujourd’hui sur le territoire national. Je pense qu’elles sont loin d’être isolées, en tout cas elles ne procèdent d’aucun mot d’ordre de quelque organisation politique que ce soit. Elles indiquent clairement qu’on ne s’en sortira pas, sans aller nous-mêmes à l’auto-organisation, sans faire ce qu’a fait le peuple guadeloupéen.

La puissante manifestation du 19 mars, légalement appelée par les organisations syndicales sur les salaires, l’emploi et les services publics, a eu de fait une portée éminemment politique. Là où je me trouvais, dans le cortège de la place de la Bastille, 1 personne sur 3 portait sur sa poitrine l’autocollant du Parti de Gauche : « Casse-toi, pov’con ! » Le mouvement des salariés veut se débarrasser de Sarkozy et de son régime. La haine sociale est profonde, elle s’exprime d’ores et déjà, elle ira plus loin.

Le régime de Sarkozy tient encore sur deux béquilles : l’une donnée par la politique syndicale du « dialogue social », dont Thibault est le chef d’orchestre, et qui s’ordonne sur la stratégie des journées d’action sans lendemains, 29 janvier, 19 mars, maintenant 1er mai… comment faire pour durer jusqu’à l’été, tandis que les faillites d’entreprises, les licenciements s’opèrent, les scandales continuent. Par ailleurs les organisations politiques de gauche ou d’extrême gauche, du moins celles qui accompagnent le mouvement, tentent d’enfermer les salariés dans la perspective désuète des élections européennes du 7 juin. Le Parti de Gauche, s’il fait une opération publicitaire réussie sur le « Casse toi, pov’con ! », s’enferme dans un face à face avec le PCF pour les élections européennes. Quant au NPA il distribue un quatre pages sur le parcours de la manifestation du 19 mars qui avance la perspective classique d’une grève reconductible… peut être, mais sur quel objectif politique ? On continue avec Sarkozy, dans le cadre du « dialogue social » ou on développe les conditions politiques pour détruire ce régime et l’empêcher de nuire. Aujourd’hui tous s’observe, aucune force à gauche ou à l’extrême gauche ne veut prendre l’initiative d’ouvrir la crise politique et institutionnelle. Comme en Guadeloupe, seul un mouvement venant des profondeurs du salariat, peut faire sauter les verrous. En tout état de cause ce régime ne peut aller jusqu’en 2012.

Revenons sur l’histoire de la Vème République : les militants qui animent le club « Socialisme Maintenant » appartiennent à une tradition politique qui caractérisait le régime gaulliste comme celui « du coup d’état permanent » contre la démocratie, y compris la démocratie parlementaire bourgeoise, un régime bonapartiste fondé sur l’élection du président au suffrage universel. Face aux conflits constants entre les classes qui composent la société, le président apparait comme un arbitre suprême. Dans des situations qui mettent en cause le régime capitaliste, comme par exemple à l’issue de la seconde guerre mondiale ou dans le conflit colonial avec le peuple algérien, le président, pour ménager l’essentiel, c’est-à-dire la propriété bourgeoise, est capable d’aller très loin sur la gauche. Pour ce faire, il a besoin d’un fusible, on a connu Savary, Devaquet, Juppé, Allègre, lorsque le fusible saute, le président arbitre.

La presse, ou les opposants à son régime du type de François Bayrou, ont souvent brocardé l’irresponsabilité de ce président omniprésent. La question va au-delà de la personne de Sarkozy et de son tempérament. Avant la crise financière de l’automne, la crise même du mode de production capitaliste, oblige les gouvernants à revenir sur l’ensemble des acquis de civilisation obtenus par la classe ouvrière après 1945. La crise actuelle ne fait qu’amplifier le processus. Mais il n’y a plus de fusible. Le bonaparte est nu face au mouvement social. Nous sommes bel et bien, malgré Bernard Thibault et quelques autres, entrés dans une crise de régime.

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Contribution de Jean Puyade

Sur le fil politique des relations entre classes la tension est montée d’un cran.

La journée du 19 mars a été autre chose que la simple journée d’action qui doit permettre à ses organisateurs, les directions des confédérations syndicales, de jouer le jeu d’un « dialogue social » avec le gouvernement Sarkozy comme ils le font depuis son avènement, tout en ouvrant une soupape de sûreté à l’inquiétude et au mécontentement des salariés. Sous prétexte que sans « les corrections » qu’ils apportent aux contre réformes « cela serait pire », ces dirigeants syndicaux ont établi, de concert avec le MEDEF, les bases d’un certain nombre des dernières lois anti sociales du gouvernement Sarkozy : c’est le résultat concret du « dialogue social ».

Mais les quelques 200 manifestations organisées ce jour là ont révélé une profonde recherche politique des salariés pour sortir de ce cycle mortel et pour s’ouvrir une voie qui permette d’infliger une défaite à Sarkozy, afin de stopper les régressions sociales qui s’accumulent et trouver une issue à la crise où les plonge la société capitaliste.

Numériquement d’abord puisque malgré le cadre limité tracé par les confédérations syndicales et leur plateforme volontairement floue : « le gouvernement doit changer de cap », les chiffres rejoignent ceux des grandes manifestations de la lutte des classes en France ; même à Paris où les dirigeants syndicaux ont volontairement coupé la manifestation en deux pour éviter les effets de son caractère de masse.

Mais surtout par le contenu dont les salariés ont chargé ces manifestations.

Le cortège parti de l’usine Continental à Compiègne, rejoint au fur et à mesure de sa progression par les entreprises de la zone industrielle, a été une vraie marche de toute la ville contre la catastrophe sociale qui voit s’abattre ces plans sociaux, réduction d’effectifs, fermeture d’entreprises, c’est à dire la destruction de tout un capital humain, d’un savoir technique et économique, l’instauration de déserts économiques.

Les chercheurs- enseignants des universités qui ont rejoint en cortèges compacts les différentes manifestations y ont apporté la puissance d’un mouvement auto organisé et déterminé car profondément ancré autour du rejet des décrets Pécresse- Darcos, véritables révélateurs pour ce mouvement, de la nature de la Loi universitaire ( LRU) où l’ Université et la Recherche scientifique doivent être dirigées par des managers et fonctionner comme une entreprise, révélateurs de la nature des plans destructeurs de la culture, du savoir, de la science, mis en œuvre par les gouvernements bourgeois européens au service d’un système capitaliste, mettant à nu son caractère borné, étroitement mercantile, éloigné de tout espoir d’une société au service de l’ homme.

Partout les combatifs cortèges des hôpitaux publics ont exprimé le refus et l’ angoisse devant la dislocation organisée du droit à la santé dont la récente Loi Bachelot est un violent aboutissement et où l’ hôpital, lui aussi dirigé par un manager, doit produire une rentabilité conduisant les docteurs et infirmières au choix quotidien de quel sera le malade sacrifié ce jour là, les entraînant à une pratique rompant avec toutes les normes fondant leur éthique professionnelle.

D’une certaine manière ces manifestations ont été le révélateur palpable et diversifié du besoin de stopper la marche à la dissolution du minimum de liens solidaires pour le fonctionnement d’une société humaine, organisée par des responsables politiques perçus comme des incompétents et des irresponsables. Elles ont exprimé dans leur variété et leur diversité, malgré le filtre mis en place par les étroites limites voulues par les directions syndicales, ce que disent certains récents sondages :

« Sept français sur dix ont une mauvaise opinion du système capitaliste. 64% voient dans la situation une incitation à la révolte » (...) » Ce sont les fondements de notre modèle économique qui sont décriés de la part du grand public mais également des dirigeants d’entreprise » constate François Miquet- Marty, directeur de l’ institut Viavoice qui vient d’enquêter pour les Echos et les chambres de commerce et d’industrie parmi ces deux catégories de la population. »

Car quand des avocats rejoignent en cortège ces manifestations de même que des policiers syndiqués, après les protestations organisées de juges et avocats contre les réformes judiciaires c’est toute une société qui doute des fondements sur laquelle elle fonctionne.

La classe des salariés, à partir des agressions subies depuis plus de vingt cinq ans de gouvernements de droite ou de gauche, aggravées par celles du gouvernement Sarkozy et contre lesquelles, au fil de ces vingt cinq dernières années, elle a engagé des résistances qui, même si parfois elles en ont freiné ou rogné l’ ampleur, n’ en n’ ont pas pour autant réussi à empêcher leur mise en place, est en mesure de mettre en connexion la logique des contre réformes. Aujourd’hui les salariés ont le sentiment que l’ aboutissement de ces gestions, c’est la crise ouverte et le chemin vers des désastres sociaux économiques majeurs. Ils commencent à percevoir largement qu’il n’ y a rien de naturel dans ce système qui se voulait l’ expression naturaliste du fonctionnement des choses. L’ ampleur explosive de la crise économique, le désarroi et les doutes des élites, ont ouvert un espace qui crée parmi d’amples secteurs de salariés un état d’esprit forgé par le sentiment que la recherche de l’accumulation du profit privé a modelé l’ ensemble du fonctionnement des institutions de la société et que la logique des lois du marché conduit à ce désastre. Non seulement ils perçoivent l’incapacité des responsables politiques d’ empêcher la réalisation de ce qu’ils ont déchaîné mais ils les voient s’arque bouter pour continuer à défendre les conditions qui permettront à poursuivre cette accumulation privée. Des milliards pour les banquiers et les patrons, des miettes pour les salariés. Ce sont des millions d’hommes qui commencent à tirer ces conclusions évidentes. Ces observations se font sur l’ensemble du système capitaliste mondialisé puisque pas un secteur n’ échappe à cette crise. Dans le sondage réalisé pour « les Echos » cité plus haut, la réponse à une dernière question, illustre cet état d’esprit dont nous parlons :

« 55% des personnes interrogées pensent que lors du prochain G20, le système capitaliste ne sera réformé qu’en surface » et « 31% pensent qu’il ne sera pas réformé du tout »

Asseoir cet état d’esprit dans les certitudes d’un discours articulé et argumenté autour d’une plateforme de mesures anti capitalistes, telle doit être la préoccupation permanente de ceux qui veulent aider au dégagement des voies de l’ auto émancipation des salariés. Dans ce sens l’ argumentation du texte du MPS de suisse « pour la préparation d’ un G20 des salariés » que nous publions sur notre site participe de cet effort nécessaire.

Mais il y une dimension proprement française de plus. L’omniprésent et super actif président qui a concentré sur lui tous les pouvoirs allant jusqu’au bout de la logique des institutions de la Vè république, s’était donné le programme d’ aligner définitivement la France sur le fonctionnement libéral sans contrainte du monde capitaliste, se faisant fort de faire sauter les derniers obstacles pour « refonder l’ ordre social » selon la formule du MEDEF. A peine la réalisation de cette orientation visant à diminuer le coût du travail social commence t elle à porter ses coups, qu’elle se voit confrontée à la dure réalité de l’ouverture de la crise mondiale dont cette orientation apparaît justement comme la cause de la crise. Pris à contre courant, le président doit réadapter son appareil de propagande, se féliciter des acquis sociaux encore préservés, condamner les profits des banquiers et des patrons, apparaître se dresser contre tout ce qu’il avait édifié comme coagulant politique jusqu’ici, pour « refonder un capitalisme moral ». Ces cabrioles politiques sont écoutées aujourd’hui dans le contexte d’une totale impuissance gouvernementale à empêcher la marche à la crise quand dans le même moment sa complicité personnelle avec les acteurs et responsables de la crise, ceux du Cac 40, est reconnue par tous. Sarkozy est l’ ami et le protecteur des riches. Malgré ses gesticulations et son service de communication, le petit Bonaparte est perçu comme l’ homme des banquiers et des patrons voyous. Ses vantardises, alors que les premiers mouvements dans les lycées, dans les Antilles, dans les universités le contraignent à reculer, deviennent insupportables et il porte les institutions de la Vè république jusqu ‘ à leur caricature nocive, sans ministres, sans premier ministre, coiffées par un personnage qui doit en permanence lutter pour garder un minimum de crédibilité, même si la bourgeoisie n’ a pas d’autre choix que lui.

Le tiers des manifestants du 19 mars ont tenu à porter l’ autocollant du PG « tire toi pov’ con ». Même si son aspect folklorique en émousse la radicalité, cela exprime cependant ce que certaines pancartes ont directement porté et que certains slogans ont crié : « Sarkozy démission ». Le mouvement cherche à cibler contre la clef de voûte du système, contre Sarkozy dans un sentiment général qui tend à dire : « ces gens sont incapables, ils sont dangereux, il faut les empêcher de nuire. »

Pourtant, même si les luttes sociales et politiques se déroulent dans ce contexte et avec cet arrière fond, même si elles sont porteuses de cet état d’esprit, elles n’ en n’ ont pas moins un caractère hétérogène et les relations de force qui se nouent dans chacune d’elles, le niveau de conscience et de généralisation atteint, leur degré d’auto organisation et de contrôle sur les responsables syndicaux, la capacité à faire sauter les verrous internes qui bloquent leur développement, sont très différents d’un combat à l’autre. Cette hétérogénéité est aussi le résultat du degré différent selon les secteurs, du caractère dislocateur des agressions libérales portées depuis trente ans de contre réformes.

Dans ce sens dans chaque ville les cortèges ont manifesté une marque propre de cohésion et de radicalisation. Pour certaines le nombre de manifestants était plus important le 29 janvier. Mais le 19 mars ailleurs, de nouveaux secteurs les ont rejointes. Moins de grévistes dans le secteur public mais par contre plus de cortèges venant du privé.

Entre la lutte des travailleurs de Continental dont les marches pour l’instant ne peuvent empêcher la marche aux licenciements et la grève nationale des enseignants- chercheurs auto organisés dans leur coordination nationale, qui a déjà entraîné certains reculs des ministres Pécresse et Darcos, il y a plus que des nuances ; de même qu’ entre cette dernière et la grève de plus de deux mois des postiers du 92 qui n’ a pas réussi, malgré ses tentatives, à lever les obstacles l’empêchant d’être au moins une grève de la région parisienne et au minimum de ne pas être aussi minoritaire dans le 92, alors que l’une des revendications centrales concernait la statut national des postiers. Et pourtant dans cette grève l’obtention d’une prime de 200 euros pour tous les facteurs du département et le paiement de la moitié des journées de grève pour les grévistes, indiquent que ce conflit ne s’est pas terminé par un écrasement.

Même dans une grève aussi profondément ancrée et politiquement ciblée contre le gouvernement capitaliste de Sarkozy que celle des enseignants- chercheurs, qui réussit à se maintenir depuis 7 semaines, il y a quelques inégalités d’une ville à l’ autre, il y a surtout une grande disparité dans la capacité à entraîner des étudiants dans la lutte. La coordination nationale étudiante n’ a pas pour l’instant atteint la représentativité largement conquise par celle des enseignants- chercheurs ou celle des professeurs et élèves d’IUFM et on ne peut pas dire que les étudiants dans leur grande partie aient basculé activement dans la grève des universités. L’ échec et l’ isolement du mouvement de l’ automne 2007 contre la LRU s’ajoutant à la trahison dans cette lutte par les restes de ce qui fut l’ UNEF, continuent sûrement à peser encore. Enfin, cette grève historique dans ce secteur de l’ éducation nationale, qui s’est donné le mot d’ordre « de la maternelle à l’ université », n’ a pas réussi à contourner ou submerger les obstacles pour aller vers la manifestation nationale de « la maternelle à l’ université », ni vers la grève générale de la « Maternelle à l’ université » contre Sarkozy. Si pour l’instant les principaux syndicats du supérieur suivent la coordination universitaire, dans le primaire et le second degré les directions de ces secteurs réussissent à bloquer la jonction avec le supérieur et le mouvement n’ a pas encore réussi à faire sauter ces verrous

Chaque lutte demande une analyse concrète, précise. Il s’agit en fait d’un processus de maturation , diversifié et inégal, dont nous avons évoqué les facteurs qui tendent à lui donner une cohérence, et qu’il convient d’accompagner et nourrir sans prétendre lui apporter des recettes surtout en matière de formes de luttes. Quand et comment se cristallisera ce processus de maturation dans une irruption massive de révolte ? Quel évènement, quelles circonstances en seront les catalyseurs ? Michel a bien raison de dire que personne ne maîtrise les temps.

Par contre nous est posée la question du comment contribuer à cette maturation !

Le degré d’exaspération exprimé lors de la journée du 19 mars, suivi d’une série de tensions dans certains conflits (séquestration de cadres et patrons , recherche d’ affrontements durs contre les forces de l’ordre …) ont créé un certain embarras chez les dirigeants syndicaux. Chérèque l’ avait ouvertement exprimé la veille même du 19 décembre en se plaignant amèrement de « la politisation » du mouvement. Préparer une nouvelle journée d’action un mois plus loin, le 1er mai ? Cela paraît bien dérisoire et dévoile le rôle tampon des responsables syndicaux vis-à-vis de Sarkozy. Plusieurs sections syndicales CGT s’adressent alors à la Confédération et à son secrétaire général pour exiger la préparation d’actions plus résolues, visant à remporter la victoire sur les revendications et non de simples journées de témoignage. Un débat sur ces formes de lutte et les revendications a lieu aussi dans FO, dans SUD. Les résultats des élections du personnel à la SNCF où, dans certaines gares de grandes villes, SUD atteint la majorité absolue, avec un score national de plus de 17%, sont aussi un signe. Une aspiration à mettre le dispositif sur lequel la classe des salariés doit s’appuyer pour se hisser au niveau des problèmes qui sont en jeu, se manifeste dans ces expressions syndicales.

Dans ce contexte, et alors que les conséquences de la crise s’abattent avec plus de force contre les salariés, beaucoup utilisent comme un refrain qui risque malheureusement de se transformer en une rengaine vidée de son véritable contenu : « Comme en Guadeloupe, comme en Guadeloupe ». Ils mettent alors en avant des formes de lutte, des moyens d’action : qui une grande marche nationale à Paris, qui la grève générale, « un mai 68 qui réussirait » ou une grève « comme en Guadeloupe ». Certains opposent les deux formes de lutte, manifestation ou grève générale, d’autres disent qu’elles se complètent. Certains intègrent à leur marche nationale une seule revendication (interdiction des licenciements) d’autres deux revendications (interdiction des licenciements et abrogation de la loi Bachelot dans le Santé). Certains refusent que les syndicats soient appelés à cette initiative (laissant assez déconcertées les victimes touchées concrètement par les licenciements ainsi d’ailleurs que tous ceux qui analysent la puissance de l’ alliance des partis, syndicats et associations réunis dans le LKP de Guadeloupe), d’autres en appellent aux syndicats et associations. Remarquons en passant que aucun parmi tous ceux là, ne répond à la demande pressante de la coordination universitaire, depuis plus d’un mois, d’ une unification nationale de « la maternelle à l’ université », d’une marche nationale à Paris contre la politique de Sarkozy et ses ministres. Tout cela semble discuter en dehors du mouvement réel.

Pourquoi surtout ne pas souligner que, dans ces propositions de modes d’action, de techniques de lutte, il y a une étrange sous estimation des problèmes à régler et une vraie faiblesse politique. Au lieu de chercher à comprendre en profondeur pour s’en inspirer l’esprit politique qui a permis la réussite de la coagulation de la plateforme de 140 points du LKP et par là la disposition au combat prolongé, certains veulent formellement copier la démarche. Mais les mots mêmes inventés pour cette mobilisation du peuple Guadeloupéen sont le produit d’une réflexion et d’une révolte politiques remettant en question le système capitaliste dans sa forme de « provitation » c’est-à-dire d’ un fonctionnement semi colonial des rapports économiques, politique et sociaux dans les Antilles, remise en question dans laquelle est explicitement intégrée toute l’ histoire et l’ expérience du peuple guadeloupéen. Voilà de ce dont nous avons besoin : la capacité d’inscrire concrètement une remise en question du système capitaliste dans les formes où nous la subissons ici et qui saurait nous donner le souffle et l’indignation qui habitent chaque mot et chaque pas donnés en Guadeloupe. C’est tout naturellement que « le manifeste pour les produits de haute nécessité » des neuf intellectuels antillais s’inscrit, prolonge et nourri « la plateforme contre la « provitation » du LKP. Cela ne peut pas se copier formellement surtout si on aplatit tout sur le terrain de l’alignement d’une simple liste de revendications. Voilà ce que nous voulons mettre en chantier et soumettre à la discussion.

Car il est vrai que si nous ne disposons pas d’une alternative politique et sociale au système capitaliste et à l’ensemble de ses institutions, la classe dominante trouvera les moyens de tenir tête longtemps au mouvement social. La tâche d’aujourd’hui nous paraît être de mettre en discussion une alternative au système capitaliste et à ses institutions, à ce système fondé sur la course à l’accumulation du profit privé. Mettre en discussion l’idée que les producteurs associés doivent prendre entre leurs mains les décisions de ce qu’il faut produire, pour qui, et comment, qu’ils disposent des moyens concentrés d’un service de banque nationalisé qui serve enfin à son but social c’est à dire de faciliter les investissements pour le bien de l’intérêt général. C’est sur la base du rétablissement de cet horizon que les salariés sauront trouver les voies des luttes aux formes et aux intensités adaptées aux relations de force. Les salariés savent parfaitement ce qu’est un rapport de force car ils le vivent au quotidien dans l’exploitation qu’ils subissent. Leur vie quotidienne est un combat pour survivre qui les contraint à faire fonctionner leur créativité et sur le terrain de la lutte des classes celle-ci sera permanente dès lors qu’ils seront en mesure de sortir des pièges internes et des corsets qui leur sont opposés. Une des conditions essentielles c’est qu’ils réussissent à s’ouvrir un cadre qui leur permette d’oser être eux-mêmes.

Ainsi alors que les salariés cherchent, comme nous le disons plus haut, à cibler contre la clef de voûte du système, contre Sarkozy, n’est il pas temps de mettre au centre des préoccupations cet objectif ? N’est il pas temps de contribuer à dresser la plateforme de mesures anti capitalistes qui transforme l’ état d’esprit de méfiance et d’inquiétude contre le système capitaliste en une volonté consciente qui s’incarnerait dans l’ idée d’un gouvernement au service de cette plateforme ?

Un gouvernement qui ne pourrait être que l’inverse de ce que furent les gouvernements de « la gauche plurielle » comme celui de Jospin, rassemblant le PS, le PCF et les Verts, au service du système capitaliste, élaborant au plus prés les contre réformes nécessaires à son fonctionnement, d’un gouvernement qui a ouvert la voie à la contre-réforme des retraites, sous lequel ont été lancés le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne qui inspirent la réforme universitaire de Sarko-Pécresse, un gouvernement qui a été celui qui a le plus privatisé dans les 25 dernières années, qui a introduit un détricotage majeur du code du travail avec l’annualisation du temps du travail, inoculant massivement après les gouvernements de Mitterand le poison de la « réconciliation avec l’ entreprise » c’est à dire avec la recherche du profit privé et du marché comme organisateurs des bases de la société.

Voilà ce que nous proposons de mettre en discussion parmi nous, une contribution aux luttes des salariés pour faire sauter les verrous et les libérer des corsets qui les maintiennent dans le cadre de l’ horizon d’un capitalisme dont l’ existence nous menace de destructions irréparables.

le 2 avril 09


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