A gauche " il est impossible de faire quoi que ce soit sans nous, sans nos idées. À bon entendeur !" (interview de JL Mélenchon)

mercredi 29 juin 2011.
 

Est-Eclair : « Jean-Luc Mélenchon, vous êtes désormais officiellement le candidat du Front de Gauche, et donc aussi du parti communiste. C’est une nouvelle aventure pour vous… »

JLM : « Au plan personnel, c’est très émouvant. J’ai gagné la confiance des communistes. Ce n’était pas évident. Et c’était une décision compliquée pour eux. J’aurais compris qu’ils puissent faire un autre choix. »

Est-Eclair : « Cette désignation va sans doute changer votre organisation et nécessiter le renforcement de votre équipe ? »

JLM : « S’agissant de l’équipe, il n’y aura pas de problème. Pour le reste, je suis quelqu’un de très organisé. J’ai eu des responsabilités, très jeune, et j’ai cultivé ce sens de l’organisation. Je l’ai aussi hérité de mes maîtres à penser. »

Est-Eclair : « Votre principal maître ? »

JLM : « C’est une synthèse de l’organisation que j’ai connue avec François Mitterrand qui donnait le sentiment de facilité alors qu’il fournissait un énorme travail. »

Est-Eclair : « Près de 60 % des communistes ont voté en votre faveur. Ce score vous satisfait ? »

JLM : « C’est très large. Et il faut savoir que ce vote tranchait plusieurs débats. Pas seulement la désignation du candidat commun à la présidentielle. C’est surtout la stratégie politique proposée au parti communiste par Pierre Laurent et Marie Georges Buffet qui a été largement validée. C’est la raison pour laquelle je ne devais pas me mêler de ce vote. C’était une décision souveraine du PCF. L’important, c’est que le Front de Gauche soit à la fois fort de sa diversité et de son unité. Et qu’il déclenche une véritable implication populaire. Comme dans la campagne de 2005 contre la Constitution européenne, il s’agit de faire d’une indignation populaire tourbillonnante une force politique majoritaire. C’est l’analyse que nous avons faite avec Marie-Georges Buffet il y a trois ans : faire un Front sans qu’aucun parti ne soit dissous dans l’affaire. Pour le moment, on tâtonne, mais on avance bien. »

Est-Eclair : « Avec des moyens suffisants »

JLM : « Si l’on parle de force militante, c’est simple, il ne reste que l’UMP et nous. Car aujourd’hui, le PS est une puissante nomenclature entourée d’une grosse clientèle. C’est un parti de notables. Quant à la question financière, l’UMP va dépenser 23 millions d’euros, la PS près de 21 millions, et nous 3 millions. Et encore, il faut trouver le banquier qui les prête… Notre force c’est notre nombre. Dans le peuple nous sommes comme des poissons dans l’eau. »

Est-Eclair : « Le fait d’être le candidat du PCF n’est pas anodin. C’est un parti qui draine une identité, une histoire, une culture… »

JLM : « Pour moi, c’est source de réconfort. Nous appartenons à la même famille. Il faut se souvenir qu’il n’y a pas un seul élu de gauche sans les voix communistes. Nous avons tous en nous une conscience de gauche. Nous avons notre histoire, nos points communs, mais aussi nos face-à-face. Et le PCF garde ses dirigeants. Sur tous les engagements à prendre, ce sont les partis qui décideront, pas le candidat. »

Est-Eclair : « Y compris pour un report des voix pour le second tour ? »

JLM : « Au soir du premier tour, ce seront les cinq partis qui décideront. Et ensuite seulement, je parlerai. »

Est-Eclair : « Pour dire quoi ? »

JLM : « Que tous sachent bien qu’il est impossible de faire quoi que ce soit sans nous, sans nos idées. À bon entendeur ! »

Est-Eclair : « Quelle est votre perspective pour le premier tour ? »

JLM : « Un résultat à deux chiffres, parce qu’il existe une dynamique électorale. On l’a vu lors des cantonales où nous avons réalisé plus de 10 %. Je suis confiant compte tenu de la volatilité actuelle. Aujourd’hui, on sait que DSK et Besancenot ne seront pas candidat. On ne le savait pas voilà quatre semaines Que se passera-t-il dans quelques mois ? Entre l’indignation et la résignation, qui l’emportera ? »

Est-Eclair : « Que vont voter les électeurs de gauche ? »

JLM : « Le PS appelle au vote utile en sa faveur. Pour moi, c’est un vote futile. On a 30 % qui votent à gauche, 30 % qui votent à droite. Au milieu, une masse de gens désorientés pour qui tout cela est pareil. Ceux-là, ne supportent plus les astuces politiciennes. Ils veulent vraiment tourner la page mais ne savent comment. A nous de les convaincre. »

Est-Eclair : « Un 21 avril bis est-il possible ? »

JLM : « Sarkozy aussi peut être éliminé par Le Pen. Tout est possible. Mais si on part de cette peur à quoi bon une élection ? Ce n’est plus une élection, c’est un chantage. »

Est-Eclair : « Vous avez quitté le PS en 2008. Mais conservez-vous l’âme socialiste ? »

JLM : « Ma matrice idéologique, c’est Jaurès et le courant des Lumières. Je suis aussi très marqué par le matérialisme historique. J’ai été gagné à l’écologie politique. J’incarne une synthèse »

Est-Eclair : « Quelle est la différence entre la gauche du PS et vous ? »

JLM : « De quoi parlez-vous ? Le social libéralisme l’a digérée. L’heure est au courage d’assumer ses idées et de parler directement aux citoyens pour leur proposer le programme auquel on croit pour le bien de tous. Le programme du Front de Gauche porte une radicalité concrète. Elle veut devenir une politique gouvernementale sans avoir à demander de permission. C’est là l’essentiel. »

Est-Eclair : « Vous pensez que les électeurs s’y retrouvent et font le distinguo au sein de la Gauche ? »

JLM : « Oui, s’ils regardent les programmes. Il faut expliquer, dans un débat honnête comment on peut sortir des problèmes. J’ai confiance dans l’intelligence populaire. Mais il faut aider à comprendre. Deux éléments sont là pour ça : l’école et le système médiatique. S’il en manque un, on n’est plus en société de citoyens, mais de sujets et de clients. La vie médiatique n’est pas à la hauteur. Car elle se fait avec de moins en moins de personnel pour de plus en plus de travail. Cela pousse à la simplification. Un commentaire sur une personne ne prend pas de temps. Mais une information de qualité en prend. Les gens sont alors poussés à départager les candidats sur les apparences. Le résultat, c’est que les électeurs pensent que tous les candidats se valent, avec une seule politique possible, notamment la mondialisation libérale. Regardez où cela conduit. Voyez la Grèce. »

Est-Eclair : « Puisque vous évoquez cette question, pensez-vous qu’il faille continuer à aider la Grèce ? »

JLM : « Nous avons en France trois banques gorgées de papier grec. Si ce pays fait défaut, alors le choc va arriver chez nous. La Grèce est la démonstration de l’absurdité de notre système et de l’aveuglement de ceux qui l’animent. Aujourd’hui, la Grèce dépend du compte-gouttes européen, et chaque tranche de crédit est conditionnée par un abandon de sa souveraineté. Nous devrions avoir honte de ce que l’Union Européenne inflige aux grecs. »

Est-Eclair : « Que proposez-vous alors ? »

JLM : « Il existe trois solutions. Tout d’abord que la banque centrale européenne rachète la dette grecque. C’est ce que font les États-Unis avec la leur. Ensuite une dévaluation. Un euro pour un dollar, ce serait bon pour la croissance. Il faut une sorte de protectionnisme aux frontières de l’Europe. Et une politique de relocalisation de l’activité industrielle et agricole. »

Est-Eclair : « Mais comment faire. Faut-il rétablir les barrières douanières ? »

JLM : « Bien entendu, il faut rétablir des barrières douanières. Un protectionnisme négocié est une nécessité. Le modèle selon lequel on produit à un endroit et on consomme à un autre est une idée absurde. La relocalisation à l’échelle de l’Europe, c’est une idée de bon sens. Ce que l’on sait faire, il n’y a pas de raison d’arrêter de le faire. Je ne me réjouis pas du tout du désastre qui s’avance. Je ne suis pas un gauchiste. Le saccage de l’emploi provoque plus souvent de la résignation que de la révolte. »

Est-Eclair : « Vous êtes également très impliqué dans l’écologie politique… »

JLM : « L’écologie politique a représenté pour moi un choc intellectuel, même choc que j’ai connu à 20 ans en découvrant la pensée de Marx ».

Est-Eclair : « On sait que les communistes n’ont jamais condamné le nucléaire. Quelle est votre position aujourd’hui ? »

JLM : « Il y a confrontation entre deux certitudes : la sortie du nucléaire, ou un système mixte. On est tous d’accord pour sortir de l’énergie carbonée. Cette question n’est pas traitée sérieusement aujourd’hui. Les économies d’énergie et le recours aux énergies alternatives sont essentiels. Pour ma part je sais que la géothermie profonde et l’énergie des mers doivent être nos futurs domaines d’excellence mondiale. Il faut un débat et un vote pour le conclure. La question du nucléaire doit être tranchée par un référendum. Je crois à l’intelligence de la démocratie et du suffrage universel. »

Est-Eclair : « Et les déchets nucléaires, faut-il les enfouir ? »

JLM : « Je suis perplexe à ce sujet. Il faut continuer la recherche. Se pose aussi la question du démantèlement des centrales. Et celui de dispositifs en cas d’accident. Je m’inquiète du peu prévu s’agissant de la centrale de Nogent-sur-Seine. Ouvrir le barrage de l’Aube pour que tout parte vers la Manche me parait faible. Je ne veux pas jouer sur la peur ou la panique. Mais l’élu est une sentinelle, un éclaireur. Sur un tel sujet, il faut savoir se remettre en cause, ne pas être dogmatique. Je l’ai fait même si je suis entier. Le goût du débat doit l’emporter sur celui des certitudes. »

Est-Eclair : « Vous êtes un militant de la laïcité. Est-elle en danger actuellement ? »

JLM : « Je suis inquiet en raison de la conjonction entre les extrémismes religieux, la position de Le Pen qui a pris le drapeau de la laïcité alors qu’elle est seulement adversaire des musulmans, enfin une certaine démagogie à la tête de l’UMP ».

Est-Eclair : « Pratiquant ? »

JLM : « Sujet clos, c’est ma vie privée ».

Est-Eclair : « Au nom de l’égalité, faut-il aider à la construction de mosquées ? »

JLM : « Si on subventionne les établissements religieux, on n’en sortira pas. Je suis donc contre. Aux croyants de financer leurs lieux de culte. Et si l’argent vient de l’étranger, où est le problème ? On veut bien de cet argent pour des projets culturels, pour construire des usines… même pour la reprise de clubs de foot. »

Propos recueillis par Jean-François LAVILLE


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message