Christiane Taubira et la lutte contre la corruption.

vendredi 20 avril 2018.
 

Le texte complet de notre dossier sur la justice compte 78 pages format A4 et environ 350 liens hypertexte. Aussi, nous l’avons divisé en sept articles. En cliquant sur l’adresse URL ci-dessous, notre lecteur accèdera à la table des matières complète avec liens immédiats : La Justice à l’épreuve du néolibéralisme

Petits et gros poissons ne doivent pas passer au travers du filet

4–La lutte contre la corruption

Ce texte est un paragraphe d’un exposé comprenant environ 180 liens, d’où la numérotation ci-dessous. On clique sur ces numéros pour accéder aux textes correspondants.

a) Cet article complète notre étude "Corruption : un fléau largement sous-estimé par les Français" accessible en cliquant ici (146 )

Ce long article fait partie du paragraphe 4 concernant un bilan de l’ensemble des lois qui ont été à l’initiative de Christiane Taubira Garde des Sceaux et de François Hollande concernant la Justice . Il fait donc suite à l’article que l’on trouve ici (146 bis) "Les réformes Taubira de la Justice et bilan législatif 2012–2014."

Parmi l’ensemble de ces lois, un missile législatif à plusieurs étages ayant pour cible la corruption et plus généralement la délinquance économique et financière des décideurs politiques et des élus, est en cours de construction.

– Premier étage : La transparence des revenus et des patrimoines des élus avec un contrôle de la fiabilité de leurs déclarations par la Haute autorité sur la transparence de la vie publique créée en partie à cet effet On a déjà constaté pour ce premier chantier bon nombre de résistances des élus de tous bords invoquant tantôt le voyeurisme, tantôt une contrôlite de type stalinien, et autres balivernes.

– Deuxième étage : Loi sur le non-cumul des mandats de parlementaire est d’élu local. Mais reste à limiter le cumul dans le temps

– Troisième étage : la non intervention de la chancellerie incarnée par le Garde des Sceaux dans les affaires individuelles traitées par les magistrats, rendant ainsi plus difficile une intervention de l’exécutif sur l’autorité judiciaire notamment lorsque celle-ci a pêché un gros poisson.

– Quatrièmement étage : la réforme du conseil supérieur de la magistrature consistant à arracher celui-ci de l’étreinte du pouvoir exécutif mais aussi, ce qui est beaucoup plus rarement mentionné, et ce n’est pas par hasard, l’étreinte du pouvoir législatif.

Suppression de la Cour de justice de la république (Mesures figurant dans le programme électoral)

– Cinquième étage : La création d’un parquet financier et une loi contre la délinquance financière Suppression des prérogatives du ministère des finances dans la décision de poursuite judiciaire à l’encontre de contribuables très fortunés. (En langage commun : faire sauter le verrou de Bercy) Échec de Christiane Taubira pour réaliser cette mesure

D’autre part en cas de constatation d’un patrimoine anormalement élevé d’un élu le dispositif juridique actuel ne permet pas au procureur d’entamer aisément une enquête. Le délit d’enrichissement personnel illicite pour les élus n’existe pas et d’autre part il n’y a pas de renversement de charge de la preuve demandant à l’élu suspecté de prouver l’origine légale de son enrichissement. C’est la raison pour laquelle François Badie chef du Service central de prévention de la corruption (SCPC propose un projet de loi sur cette question

– Étage manquant : Sixième étage : Nécessité d’avoir un casier judiciaire vierge pour être candidat à des élections . Réglementation encadrant le lobbying. Voir les propositions de Transparency international en cliquant ici.

Renforcer la réglementation sur les interactions financières entre les collectivités territoriales et le secteur privé. Améliorer la connexion entre les cours régionales des comptes et le système judiciaire Mesures pour l’instant non envisagées mais qui pourraient être intégrées dans un véritable statut de l’élu local.

Le lecteur aura compris qu’il s’agit ici d’un missile à têtes multiples adapté pour frapper une cible assimilable à une pieuvre ou une hydre à plusieurs têtes. Ce sont les figures métaphoriques de la corruption et de la mafia politique.

Concernant la réforme du CSM, pour empêcher une majorité numérique de magistrats élus par leurs pairs et même tout simplement leur parité numérique avec des personnalités extérieures, des opposants invoquent : le corporatisme des juges, la menace de la toute puissance (supposée) syndicale notamment de l’USM. Voir l’article : Christiane Taubira et la réforme du CSM en cliquant ici.

Se profile à l’horizon le spectre hideux de la république des juges, du gouvernement des juges, de l’autogestion des juges, l’acharnement judiciaire du juge rouge d’une voracité sans limite pour les gros poissons, etc. À l’évidence, nous sommes dans un contexte politique où la peur du juge – le grand méchant loup – alimente les fantasmes mais aussi plus sérieusement alimente le désir de neutraliser leur action.

Ainsi, malheureusement, la construction d’une telle fusée ne fait pas simplement appel à la compétence technique des ingénieurs du droit, des hauts techniciens de la police spécialisée en délinquance financière en tout genre, mais dépend de la bonne ou mauvaise volonté des parlementaires pour permettre l’assemblage des pièces et la livraison du carburant budgétaire pour rendre fonctionnel et efficace un tel missile.

Il est clair qu’un certain nombre de parlementaires craignent que la machine ainsi créée et pilotée au sol par des juges indépendants hors tour de contrôle politique ne se retourne contre eux. J’appelle cette crainte qui pourrait se transformer en épouvante : le syndrome de Frankenstein.

Je dis malheureusement puisque la France est classée au vingt-sixième rang des pays les moins corrompus et est devancé par plus de 10 pays en Europe, je dirais heureusement si elle était classée dans les trois premiers et était à la hauteur de ses prétentions démocratiques universalistes. Ainsi en raison du blocage du Sénat, comme la bien expliqué Transparency France, le quatrième étage dont l’importance est capitale, n’a pu être mis en place en raison de l’opposition du Sénat, a priori paradoxale compte tenu des avis des experts de l’OCDE et la commission européenne concernant la lutte contre la corruption et l’indépendance du judiciaire. Donc jusqu’à ce jour, le CSM reste sous contrôle du pouvoir politique ce qui évidemment est un obstacle pour la lutte contre la corruption qui peut atteindre la sphère politique.

Rappelons un extrait du rapport du groupe de travail de l’OCDE concernant la lutte contre la corruption en France : "…Malgré ces progrès, il a aussi considéré que la France ne se conformait pas encore suffisamment à la Convention en ne mettant pas en œuvre une partie significative des 33 recommandations formulées par le Groupe de travail. Au moment de l’adoption de ces recommandations, les autorités françaises, par la voix du Ministre de la Justice, s’étaient engagées à prendre d’autres mesures, dont des changements décisifs de sa politique pénale. Pourtant, la réforme nécessaire, qui aurait conféré au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions en dehors de toute influence du pouvoir politique, ce qui est une condition au bon fonctionnement de la justice, n’a pas abouti . Aucune réforme allant dans ce sens n’est à ce jour envisagée. D’autres modifications attendues, dont celles qui visaient à s’assurer que la loi encadrant le secret défense et la « loi de blocage » ne fassent pas obstacle aux enquêtes et poursuites en cas de corruption à l’étranger, ne sont pas envisagées par les autorités françaises…"

On peut lire sur le site de France 24 un article d’octobre 2014 à ce sujet Cliquez icipour accéder au texte.

Certes, comme vu ci-dessus, un certain nombre d’avancées ont été réalisées mais le compte n’y est pas. Le vote négatif du Sénat contre le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale pour la réforme du CSM constitue une atteinte grave contre la possibilité de lutte efficace contre la corruption. Peut-être faudrait-il envisager un référendum pour l’adoption de cette loi constitutionnelle..

Mais il y a un problème qui n’avait jamais encore été abordé : celui du casier judiciaire des candidats aux élections.

b) Le problème du casier judiciaire des candidats aux élections

Coïncidence : alors que j j’avais terminé la rédaction de ce texte depuis quelques jours, Mediapart publie un article intitulé : "Lutte contre la corruption : les candidats devraient présenter un casier judiciaire vierge" . J’indique donc le lien de cet article en cliquant ici http://www.mediapart.fr/journal/fra...

Je suis évidemment à en accord avec les propos tenus par François Badie, chef du Service central de prévention de la corruption (SCPC),puisque le texte qui suit constitue un argumentaire allant dans ce sens. Ma seule divergence porte sur l’inéligibilité à vie. Il me semble que lorsque le délit est grave (détournement de fonds, abus important de biens sociaux, escroquerie, fraude électorale par exemple) on ne peut confier la rédaction des lois à des individus qui ont fait la preuve de leur malhonnêteté. Si de telles personnes veulent continuer à avoir une vie civique, rien ne les empêche de militer dans quelconque association, sans pour autant avoir la possibilité d’accéder à un poste de responsabilité. Inéligibilité ne signifie pas mort civique.

En l’absence de mesures préventives et curatives suffisantes sur le plan institutionnel, en l’absence d’un maillage législatif suffisant, rien n’empêche des membres de mafias d’investir le champ politique, sans être pris dans le filet de la loi, tout en continuant leur activité prédatrice. Il peut être utile pour une mafia, ayant investi un secteur de l’économie ou de la finance, d’avoir des relais politiques pouvant leur être utiles. Cela s’est déjà vu dans de nombreux pays

La mondialisation des échanges, la régionalisation des responsabilités nécessitent un renforcement des mesures existantes et la création de nouveaux dispositifs réglementaires pour lutter efficacement contre la corruption et toute forme de délinquance économique et financière. Un film comme “Inside Job”, documentaire primé au Festival de Cannes 2010 (est actuellement disponible en DVD) témoigne de cette réalité.

b1) Rappelons que l’accès à un certain nombre de professions et notamment l’accès à la Fonction publique d’État nécessite d’avoir un casier judiciaire vierge

D’autre part, suite à une infraction, un délit, il peut devenir impossible de continuer d’exercer sa profession, et cette interdiction professionnelle concerne un très grand nombre de professions. "Il est difficile de procéder à un recensement de l’ensemble des activités professionnelles ou sociales - expressément prévues par les textes - pouvant faire l’objet d’une interdiction prononcée par la juridiction de jugement, étant donné leur nombre important et leur caractère épars. L’interdiction peut, entre autres, porter sur toute profession industrielle, commerciale ou libérale, sur une activité de nature médicale ou paramédicale, ou encore sur toute activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs. Il peut s’agir, également, de l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, d’exploiter un établissement ouvert au public ou utilisé par le public (un débit de boissons, par exemple), ou d’y être employé, encore de diriger certains établissements ou services de santé ou sociaux et médico-sociaux. L’interdiction peut porter sur le fait d’exercer l’activité tant directement que par personne interposée, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui" Source : Ban Publik Les interdictions professionnelles (147)

Remarquons que l’article 776 du code de procédure pénale donne des indications dans ce domaine puisqu’il indique à quelles autorités un extrait de casier judiciaire peut être communiqué.(148 )

L’état de la loi :

Indiquons que selon le code pénal, suite à un crime ou un délit, l’inéligibilité ne peut excéder 5 ou 10 ans. (Article 131 – 26).Voir article ici (149)

D’autre part, l’article L7 du code électoral stipule : "Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal."

Mais le même article indique "NOTA : Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 (NOR : CSCX1015594S), a déclaré l’article L. 7 du code électoral contraire à la Constitution."

La totalité du texte de cette décision du conseil constitutionnel est accessible ici (150) Son étude ne manque pas d’intérêt

Évidemment, avoir un casier judiciaire vierge n’empêche pas obligatoirement un individu de devenir corrompu comme en témoigne ce film documentaire impressionnant de 2012. Corruption : la tentation permanente : (150bis)

b2) Or, situation qui heurte à la fois la morale et l’entendement est la suivante : il n’est pas nécessaire d’avoir un casier judiciaire vierge pour devenir parlementaire, c’est-à-dire pour avoir le pouvoir d’élaborer les lois ! Même remarque pour devenir maire ou élu de toute autre collectivité territoriale.

Cette incroyable carence a-t-elle fait l’objet d’une quelconque réflexion et propositions de la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique  ? Non ! Rappelons que cette commission crée et réunie en juillet 2012 a remis son rapport à François Hollande le 9 novembre 2012. Un certain nombre de propositions ont été à l’origine de projets de loi . Pour plus de détails voir Wikipédia (151 )

Cette situation est d’autant plus étonnante que les élus des deux assemblées jouissent de l’immunité parlementaire d’après l’article 26 de la constitution ,même si depuis 1995 un parlementaire n’est plus à l’abri de poursuites pénales pendant son mandat.

"Les poursuites en matière pénale ou correctionnelle sont possibles en toutes hypothèses depuis 1995[. Un juge peut convoquer un parlementaire dans le cadre d’une instruction, l’entendre comme témoin ou le mettre en examen. Une procédure peut ainsi théoriquement aller jusqu’à son terme sans entrave, y compris, jusqu’à une condamnation éventuelle. En revanche, sauf flagrant délit, le juge doit obtenir préalablement l’autorisation du Bureau de l’assemblée parlementaire pour toutes mesures coercitives pendant la durée de l’instruction, comme sa garde à vue, sa mise en détention provisoire ou une liberté conditionnée sous contrôle judiciaire et/ou interdiction de quitter le territoire. Échappent à une quelconque autorisation les mesures prises en application d’une condamnation définitive, c’est-à-dire, lorsque toutes les voies de recours sont éteintes. " Pour plus de détails sur l’immunité parlementaire, cliquez ici. (152)

b3) Quelques remarques concernant l’immunité parlementaire

S’il paraît tout à fait normal dans un régime démocratique qu’un parlementaire soit à l’abri de toute poursuite judiciaire à l’initiative du pouvoir exécutif et de quelconque pouvoir privé ou puissance publique concernant son travail législatif qu’il doit pouvoir accomplir en toute liberté de conscience et sérénité, son immunité relative concernant des crimes et des délits avérés est beaucoup moins évidente et relève en réalité d’une certaine conception du droit.

C’est précisément l’un des objets de la thèse de doctorat en droit de Fabien Bottini, « La protection des décideurs publics face au droit pénal  », Paris, LGDJ, 2008 que d’étudier cette question.

"Pour l’auteur de la thèse, l’étendue des immunités dont bénéficient les décideurs publics serait le résultat d’un équilibre mouvant entre « logique démocratique » et « logique représentative ».

-  Cette dernière « suppose d’aliéner le pouvoir entre les mains des autorités » (p. 23) et conçoit les immunités en dérogation du droit applicable à tous en le banalisant « comme le droit commun de la responsabilité des autorités » (p. 24). Elle débouche sur une conception dualiste de la séparation des pouvoirs qui réduit la relation entre les pouvoirs de l’État à un antagonisme entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et dans lequel le juge répressif ne peut jouer qu’un rôle subsidiaire. La conception des immunités qui en résulte « favoriserait la dérive oligarchique de la représentation  » (p. 25).

- La « logique démocratique », par contre, suppose la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir et repose sur « l’identification des gouvernants aux gouvernés » (p.26). La désacralisation de la représentation qui en résulte entraîne une vision restrictive des immunités, qui sont des atteintes au droit commun. Il en résulte également une conception trialiste de la séparation des pouvoirs, selon laquelle le pouvoir judiciaire doit contrebalancer les excès des deux autres pouvoirs. Ainsi, le juge (répressif) deviendrait l’allié objectif du peuple pour sanctionner les abus des gouvernants (p.27).

L’auteur de la thèse lie ces deux logiques à deux conceptions de l’État de droit (p. 36-38). Dans la première, l’État de droit se présente comme une doctrine libérale, dans laquelle il peut paraître nécessaire d’éviter que les citoyens ne détournent le procès pénal afin d’entraver l’action des gouvernants.

Dans la deuxième, l’État de droit doit favoriser la soumission des dépositaires du pouvoir au droit pénal commun." Source (158)

Or la France traverse depuis au moins 20 ans une crise de la démocratie représentative dont nous avons analysé en détail les causes dans un autre texte. Il ne faut donc pas s’étonner que ce soit la logique dite démocratique qui l’ remporte et que l’on attend de la justice qu’elle soit dorénavant du côté du peuple et non pas du côté des puissants, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas laxiste pour les forts et impitoyable pour les faibles. Mais nous avons vu par ailleurs que cela nécessitait des réformes institutionnelles importantes et des moyens humains conséquents.

b4) Dénonciations et réactions contre cette situation

Sur le blog de l’USCP–UNSA AN - Union syndicale des collaborateurs parlementaires de l’Assemblée nationale et des autres collaborateurs politiques... aussi nommés assistants parlementaires, on pouvait lire le 10/07/2007 un article commentant un livre intitulé : "le casier judiciaire de la république"

"A ce jour, aucune étude statistique officielle concernant les élus n’a été publiée, ni par les gouvernements successifs ni par aucune commission d’enquête parlementaire. Ils ont donc examiné les cas de près de 900 élus, pour plus de 1 500 mises en examen différentes, sur ces dix dernières années. Ils ont retenu pour publication 604 élus dans le respect de la présomption d’innocence.

Leur enquête a établi que la délinquance financière représente 67,6 % des poursuites - contre 4,5 % pour la moyenne des Français ! Elle fait aussi état de fraudes électorales, bien sûr, de diffamation et insultes, mais aussi - plus troublant - des atteintes aux biens ou aux personnes (6,1 %), dont des crimes sexuels. Un sénateur condamné pour avoir joué au corbeau, un adjoint au maire pour fausse alerte à l’anthrax, un conseiller municipal condamné pour complicité d’assassinat contre son propre maire. L’éventail est amusant parfois, surprenant sans aucun doute, édifiant.…" (159 )

Ce livre paru aux éditions Ramsay en 2002 devance donc de 12 ans l’ouvrage de Philippe Pascot Délits d’élus, 400 politiques aux prises avec la justice, paru récemment.

Ce problème n’est pas nouveau et n’a rien de confidentiel puisque Libération – dans son édition du 16/05/2002 titrait : "Ces députés titulaires d’un casier judiciaire titulaire d’un casier judiciaire " (160)

Apparaissent quelques pétitions, au gré d’affaires locales, réclamant un casier judiciaire vierge pour pouvoir être candidat à une élection. Pour un casier judiciaire vierge pour être candidat à une élection ! 16 juin 2013. Voir articles (161 ) et (162) qui relaient ainsi l’action de l’association Anticor des Yvelines (163)

À défaut de proposer l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge pour tous les candidats aux élections, certains parlementaires envisagent un durcissement des sanctions pour les élus ayant fait l’objet de condamnation, sachant que, ces parlementaires réformateurs se heurtent aux limitations indiquées par le conseil constitutionnel.

Ainsi, peut-on lire sur le Lab d’Europe 1, le 24/11/2014 "Deux députés UMP, désirent aggraver les conditions inéligibilité" (164)

Ainsi plusieurs députés UMP ont déposé une proposition de loi visant à instaurer une peine complémentaire d’inéligibilité pouvant être perpétuelle pour tout élu condamné pour des faits de fraude fiscale ou de corruption. Voir le contenu du texte ici. (165) Ce texte n’a pas abouti au vote d’une loi en 2014.

Mais il est tout de même édifiant de constater qu’il a fallu attendre 2013 pour qu’une proposition de loi puisse permettre aux préfets d’avoir la possibilité de contrôler le casier judiciaire des candidats aux élections. Proposition de loi visant à permettre le contrôle par le préfet du bulletin n° 2 du casier judiciaire des candidats aux élections législatives, cantonales, municipales et régionales dans le cadre du contrôle des inéligibilités, 17 avril 2013. Texte complet ici (166)

Petit texte qui montre, par son introduction, qu’un certain nombre de parlementaires ont pris conscience de la perte de confiance des français envers leurs élus. : "Alors que nous assistons à une perte de confiance des Français envers leurs élus, il semble nécessaire de prendre des mesures pour moraliser encore davantage les fonctions électives.…" Il ne semble pas qu’à ce jour cette modeste proposition ait abouti au vote d’une loi

En revanche, le 22 janvier 2014, Le Sénat avait adopté en seconde lecture un texte sur le statut des élus locaux introduisant entre autres une Charte de l’élu dans le code des collectivités territoriales. dont voici un extrait

« 1. L’élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité. « 2. Dans l’exercice de son mandat, l’élu local poursuit le seul intérêt général à l’exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier. « 3. L’élu local veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts. Lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires soumises à l’organe délibérant dont il est membre, l’élu local s’engage à les faire connaître avant le débat et le vote. « 4. L’élu local s’engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l’exercice de son mandat ou de ses fonctions à d’autres fins. « 5. L’élu local participe avec assiduité aux réunions de l’organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné. « 6. Issu du suffrage universel, l’élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l’ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions. » ; Texte complet ici ( 167)

Ouf ! On est rassuré : l’élu local s’engage, le cas échéant, à ne plus être et ne pas être un gangster ! Mais peut-être que ce texte va-t-il permettre un jour à nos juristes d’avoir une assise textuelle pour pouvoir exiger un casier judiciaire vierge pour les candidats aux élections !

Rappelons tout de même qu’un maire, en vertu de l’article L.2212-1 du Code général des collectivités territoriales, détient des pouvoirs de police. Pour plus de détails, on peut cliquer ici (168)

On trouve sur le site Vie publique les différentes fonctions d’un maire (169)

Le maire est aussi un agent de l’État sous l’autorité du préfet et est chargé notamment de l’application d’un certain nombre de réglementations administratives.

On peut donc s’étonner qu’on demande à tout policier et plus généralement à tout fonctionnaire d’avoir un casier judiciaire vierge et que l’on ne l’exige pas à tout candidat au poste de maire et d’adjoint au maire qui peut hériter de son pouvoir par délégation..

Rappelons que l’Association des maires de France (AMF) publie un guide du statut de l’élu local mis à jour régulièrement. On y accède en cliquant ici (170)

c) La remise en cause de la Cour de justice de la république (CJR)

"La Cour de justice de la République est régulièrement critiquée pour son manque de célérité, et sa complaisance supposée envers les anciens ministres. Par ailleurs elle oblige parfois à un découpage d’une même affaire quand des proches de ministres doivent être jugés (« volet ministériel » et « volet non-ministériel »). En 2012, la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin prévoit la suppression de la Cour. Pour ce faire, un projet de loi constitutionnelle est présenté en Conseil des Ministres en mars 2013. En juillet 2014, ce texte n’a pas été discuté au Parlement.

La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement généraLe judiciairel ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République. Les juges parlementaires à la Cour de justice de la République sont élus au scrutin majoritaire ; le scrutin est secret ; les juges magistrats sont élus pour trois ans parmi les magistrats du siège hors hiérarchie à la Cour de cassation par l’ensemble de ces magistrats ; pour chaque titulaire, un suppléant est élu dans les mêmes conditions Source Wikipédia (171)

Voir article de Mediapart : Pourquoi il faut supprimer La cour de justice de la république (171bis) Le 6 février 2012, François Hollande avait promis qu’il la supprimerait Observons ici que le principe de séparation des pouvoirs entre le judiciaire et les autres pouvoirs n’est pas respectée ce qui conduit à une perte d’efficacité et de crédibilité de ce type d’institution.

d) Les déficiences de la justice sont sur le point de déstabiliser le système économique et financier. La théorie de « Gresham »

Les carences de nos institutions et les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire, notamment en raison d’une une pénurie de moyens humains, ont non seulement des conséquences politiques considérables pouvant mettre en cause l’existence même de la démocratie mais ont aussi des conséquences très importantes sur le fonctionnement du système économique pouvant remettre en cause l’existence même du capitalisme.

C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’experts de l’OCDE et de la Commission européenne attachés au libéralisme et à l’économie de marché ont fait pression sur les autorités politiques françaises pour prendre des mesures efficaces en termes institutionnels pour lutter contre la corruption. Le système capitaliste ne peut fonctionner si toutes les règles commerciales et financières sont complètement faussées et corrodées par la corruption et les petits ou grands" arrangement entre amis " de la sphère politique et économique. Mais ce genre de considérations propres à un libéralisme éclairé semblent échapper à une bonne partie de la droite française et aussi à une partie de la gauche. dont l’horizon politique ne dépasse pas le bout de leur nez ou plutôt le bout de leur mandat.

Voici un excellent article de Michel Santi, économiste, auteur de « L’Europe, chronique d’un fiasco politique et économique », « Capitalism without conscience » . et « Splendeurs et misères du libéralisme » (l’Harmattan) paru dans Marianne le 04/03/2014 Source : (173)

Titre : le crime paie !

"La justice – ou plutôt les déficiences de la justice – serait-elle sur le point de déstabiliser le système économique et financier ? N’avez-vous pas remarqué comment les responsables des petites entreprises sont impitoyablement poursuivis – parfois jusqu’au harcèlement – pendant que la justice pénale peine à trouver des justifications et des motifs légaux dès lors qu’elle doit traiter le cas des intouchables, ces « too big to fails » ? Ce n’est pourtant pas les qualifications requises par nos juristes, analystes et autres experts qui font défaut ! L’Autorité des marchés financiers et les spécialistes du Code monétaire et financier en France, comme le « United States Attorney’s Office » aux USA ont en effet souvent décortiqué, démêlé et enquêté avec succès nombre d’affaires complexes dès lors qu’il s’agissait de crucifier le « menu fretin ». Une certitude, un constat : nous ne sommes pas tous égaux face à la justice, et les pouvoirs publics ne nous traitent pas tous pareils.

De quoi décourager les futurs créateurs d’entreprises et autres petits investisseurs car un système juridique partial – voire arbitraire – nuit fondamentalement à l’économie. Ciment de notre société, l’égalité face à la loi représente pourtant le préalable indispensable à un contexte économique et financier sain et équilibré. Dès lors que la prison n’est réservée qu’aux petits poissons et qu’à ceux qui, ma foi, n’ont « pas eu de chance », dès lors que le lien de cause à effet entre crime et punition est rompu ou même affaibli, la malfaisance et le vice sont érigés au rang de normes. Pourquoi être honnête et pourquoi se prescrire aux règles du jeu si les chances d’être mis à l’écart s’amenuisent ? N’est-il pas compréhensible – ou tout bonnement humain – que celles et ceux qui sont tentés par le délit empruntent cette voie si la sanction n’est pas systématiquement au rendez-vous ? … " Lire la suite de l’article sur le site de Marianne en cliquant sur la source indiquée précédemment

En raison des résistances des parlementaires et, dans une moindre mesure, de la résistance du pouvoir exécutif actuel, pour achever la construction du missile anticorruption et en raison aussi de quelques blocages constitutionnels, un certain nombre de lecteurs considérons que le chantier de la réforme de la justice ne pourra pas aboutir. Certains penseront : "ils ne vont pas se tirer une balle dans le pied !" (expression particulière du syndrome de Frankenstein)

D’autre part, les réseaux de connivence (ce qui ne signifie pas forcément corruption) entre les élus politiques et les décideurs de la sphère économique et financière peuvent laisser penser que les projets de loi sont bridés pour que ces décideurs restent pour l’essentiel inatteignables.

Et en arrière plan du tableau, une partie du financement électoral des organisations politiques et l’accès aux grands médias pour diffuser la bonne parole de ces organisations, dépendent aussi de ces mêmes décideurs économiques et financiers.

Selon cette manière de voir, il serait alors évidemment plus simple de changer de république et de personnel politique tout en ayant à l’esprit que cette 6ème République devrait déployer un maillage législatif ne permettant pas connivences et corruption.

Hervé Debonrivage


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