Allemagne : un modèle “à bout de souffle”

mardi 26 septembre 2017.
 

Le 24 septembre, les élections fédérales allemandes vont fixer pour les quatre ans à venir les rapports de force législatifs, importants dans une République parlementaire où les députés disposent de pouvoirs étendus. Après quatre ans de « grande coalition » entre sociaux-démocrates (SPD) et conservateurs (CDU), et douze ans de règne d’Angela Merkel, dans quel état est le pays ?

La maison social-démocrate effondrée

Les élections vont sans doute confirmer le déclassement durable de la social-démocratie allemande. Premier parti ouvrier d’Europe pendant des décennies, il peine désormais à réunir un quart de l’électorat. En face, Angela Merkel demeure à des scores élevés. Cela découle du choix effectué en 2013 par le SPD de trahir son électorat en choisissant de reconduire Merkel malgré la possibilité parlementaire d’une coalition avec Die Linke (gauche radicale) et les Verts ! A quoi bon voter pour eux, puisqu’ils préfèrent l’alliance avec Merkel aux alternatives progressistes ? Les sociaux-démocrates ont aussi accepté de renoncer à des éléments centraux qu’ils avaient imposés dans le contrat de coalition de 2013, comme le droit de revenir à un emploi à temps plein, la régulation des salaires des PDG, ou un minimum vieillesse pour les cotisants sur longue période. Malgré leur participation gouvernementale, l’impôt sur les successions professionnelles a été abaissé…uniquement pour les plus riches.

Un bilan morose

Le bilan social de la « grande coalition » entre SPD et CDU/CSU est catastrophique. Le gouvernement a certes introduit un salaire minimum, mais il s’agit du plus bas d’Europe occidentale (8,84€ par heure). Il n’a sorti que quelques milliers de précaires de la pauvreté, à cause notamment du temps partiel qui reste à des niveaux extrêmement élevés et concerne 50% des femmes allemandes. Celles-ci paient notamment le manque de crèches publiques.

Le cap fixé en 2005 par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder au forum de Davos est maintenu : « créer un des meilleurs secteurs à bas revenus d’Europe ». L’objectif consistait à assurer la prééminence allemande à l’exportation vis-à-vis des « partenaires européens », en instaurant une compétition par les salaires. Pour cela, il a transformé les millions de chômeurs du pays et les nouveaux actifs (notamment des femmes) en travailleurs pauvres. Plus de 13 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté aujourd’hui en Allemagne. Un actif sur quatre travaille sans pouvoir vivre de son emploi, et beaucoup alternent les petits boulots : livrer le journal le matin, servir en restaurant l’après-midi, passer l’aspirateur le soir. Depuis le report de la retraite à 67 ans, de nombreux seniors travaillent dans des conditions éprouvantes, et souvent à temps partiel. Ils sont contraints à l’emploi, mais incapables d’œuvrer assez longtemps pour en tirer des revenus décents.

Cette réalité est reconnue par toutes les structures sociales et les organismes statistiques, malgré les tentatives de la chancellerie de dissimuler le bilan social. Le rapport sur la pauvreté paru en 2017 a été censuré par Angela Merkel. Elle compte ainsi dissimuler qu’un enfant sur cinq vit dans la pauvreté en Allemagne, tandis que 15 Allemands possèdent autant que la moitié du pays. La République fédérale est un des États les plus inégalitaires du continent européen, et la société continue de s’y polariser.

L’Allemagne est d’ailleurs le seul pays ouest-européen qui se refuse toujours à signer le protocole additionnel au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. Ce traité permet à des individus d’élever une plainte pour violation de leurs droits sociaux (logement, alimentation, santé, éducation, sécurité sociale) au niveau international, après épuisement des recours nationaux. Le front des retraites est le prochain horizon de crise sociale. Les évaluations prévoient qu’un retraité sur cinq plongera sous le seuil de pauvreté d’ici 2031. Pour les femmes, le taux atteindra 30%. Voici le bilan d’une réponse au chômage basée sur les emplois précaires et le tournant vers la capitalisation au lieu de la répartition : des caisses de cotisations vides et des comptes d’épargne insuffisants. La crise est repoussée toujours plus loin…

Pollution et charbon

Le gouvernement persiste également à subventionner l’automobile, malgré les scandales de fraude aux émissions CO2, le trucage des moteurs et les ententes de cartel. L’empoisonnement de sa population, des voisins européens et l’aggravation de la crise écologique pèsent peu face aux intérêts du capital industriel et financier. La sortie du nucléaire, décidée après l’accident de Fukushima, a été pour l’instant entièrement couverte par les énergies renouvelables – mais l’éolien, le biogaz et le photovoltaïque dépassaient déjà les capacités de production nucléaires en 2011. Ceci dit, les renouvelables ne remplacent pas le charbon, qui a continué de s’accroître, sous la pression des lobbyistes bien introduits auprès de la chancelière.

Une démocratie verrouillée

À l’époque prussienne, le « vote à trois classes » liait le poids du vote aux revenus, pour bloquer tout changement social. Les députés étaient élus selon le niveau d’impôt : un tiers par les 5% les plus riches, un tiers par les 13% suivants, et un tiers par 82% des électeurs. Ce système renversé en 1918 semble aujourd’hui faire son retour avec la désaffection progressive des classes populaires.

Depuis 1983, l’Allemagne est un des pays de l’Union européenne où la participation électorale aux élections législatives a le plus reculé (-18 points). Elle s’est notamment effondrée de 83% en 1998 lors de l’arrivée de Gerhard Schröder, à 71% en 2009 dix années plus tard. Six millions d’Allemands ont disparu de l’expression électorale. De qui s’agit-il ? Essentiellement des ouvriers, des chômeurs et des personnes inactives. Les voix des plus précaires et des plus pauvres ne s’expriment plus.

Au scrutin censitaire de fait s’ajoute le vieillissement de la population. Presque un votant sur deux aura plus de 60 ans, d’après les estimations d’abstention. Cela sur-représente drastiquement les intérêts des individus avec le plus haut patrimoine qui ont l’espérance de vie la plus élevée, c’est-à-dire les cadres. Car l’espérance de vie des plus pauvres diminue, notamment à l’Est de l’Allemagne.

Enfin, la crise politique se double d’une percée des idées d’extrême-droite. Pour la première fois de la République fédérale, les scores cumulés des mouvements d’extrême-droite avaient dépassé 5% en 2013. La semaine prochaine, il est possible qu’ils atteignent le seuil des 10%. La crise sociale, la crise écologique et la crise démocratique fusionnent également de l’autre côté du Rhin. Pour l’instant, le paysage politique est solidement verrouillé. Mais de nombreuses forces sont à la recherche du point faible de l’armure.

Hadrien Toucel


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