France : de plus en plus nombreux à dormir dans la rue

jeudi 16 février 2017.
 

B) Ces enfants qui vont à l’école et dorment dehors (La Croix, fin octobre 2017)

Un enfant qui porte le même jogging tous les jours. Des cernes qui se creusent au fil des semaines. Ces signes ne trompent plus Sandra Hyppolite. « Voilà cinq ans que des enfants n’ont pas de toit », s’indigne cette mère de famille de l’école élémentaire Lucie-Aubrac, à Lyon. Dans cet établissement, « douze élèves dorment dans des squats ou des squares, sur les berges du Rhône ou sous les ponts », rapporte-t-elle.

Cette année n’est pas pire que les précédentes. Encore qu’avec le démantèlement de nombreux bidonvilles à Lyon par les forces de l’ordre, « le nombre de familles isolées, dépourvues de tout, même d’une tente, a augmenté », pointe Élisabeth Gagneur, de l’association Classes, qui œuvre à la scolarisation des enfants des squats.

Près de la gare de Perrache en tout cas, là où se situe l’école Lucie-Aubrac, les parents d’élèves se sont toujours mobilisés pour donner un coup de main. Un appartement prêté pour fêter un anniversaire. Un coin de table pour les devoirs. Une collecte payant quelques nuits d’hôtels. Un sac de provision pour tenir quelques jours. « On dort parfois à Perrache, parfois à Part-Dieu, mais toujours dehors »

Cette année toutefois, l’indignation s’est cristallisée sur le sort d’une maman vivant seule dans la rue avec sa fille de dix ans. Au soir des vacances de la Toussaint, Sandra Hyppolite fut au nombre des parents d’élèves qui occupèrent l’école, avant que la police n’évacue les lieux dimanche dernier.

Réunis au sein du collectif « Pas d’enfants sans toit », ils réclament, en lien avec d’autres écoles, un hébergement pérenne pour les 134 écoliers concernés dans la seule ville de Lyon. Il s’agit pour l’essentiel de demandeurs d’asile, déboutés ou non, originaires de pays de l’ex-URSS, des pays de l’est et de l’Afrique subsaharienne.

« Nous prendrons le relais de la métropole et de la ville de Lyon pour prendre en charge ces enfants et leurs familles, a indiqué mardi le nouveau préfet du Rhône, Stéphane Bouillon. Nous regarderons aussi leur situation au regard de la législation. » Au premier refus, ils sont mis dehors

Parmi les enfants concernés, Ibrahim, arrivé en France en juillet avec ses parents et ses trois frères et sœurs. « On dort parfois à Perrache, parfois à Part-Dieu, mais toujours dehors », dit le garçon tchétchène. Sa syntaxe est approximative, mais il parle déjà sans accent de la situation difficile de sa famille, alors même que leur demande d’asile est en cours d’instruction, explique son père Islam.

« Auparavant, on trouvait des solutions, y compris pour les déboutés du droit d’asile, qui pouvaient conserver leur hébergement le temps que soit étudié leur appel, témoigne l’assistante sociale de l’école Lucie-Aubrac. Désormais, au premier refus, ils sont mis dehors. Et certaines familles en première demande d’asile doivent parfois attendre plusieurs mois avant d’être hébergées », à l’image d’Ibrahim et de sa famille.

Certes, dans tous les cas de figure, « la ville scolarise l’ensemble des enfants », insiste la municipalité, et ils suivent des cours spécialisés. Ibrahim, à l’école élémentaire Alix, est ainsi inscrit dans une classe d’accueil pour enfants allophones où il bénéficie de douze heures de cours par semaine pour mieux apprendre le français. Ils sont conscients que l’école est leur seule chance

Aidé par ses camarades, il fait consciencieusement ses devoirs. Comme la plupart des enfants concernés. « La majorité d’entre eux comprennent que l’école est leur seule chance de s’en sortir. Ils s’investissent beaucoup », indique une professeure des écoles qui a compté plusieurs premiers de la classe parmi des élèves migrants ou réfugiés sans domicile.

La municipalité verse également une aide financière aux familles sans abri, comme elle le fait pour toutes les familles sans ressources. L’enveloppe couvre la cantine, l’assurance scolaire, l’inscription au préscolaire, les transports en commun et l’achat de matériel scolaire. À condition que les enfants aient une adresse, même administrative, à Lyon. Mais de plus en plus de familles finissent par être relogées dans des Formule 1 en périphérie de Lyon.

Dans l’attente d’un vrai logement, elles continuent d’amener leurs enfants à l’école au centre de la ville, où ils ont commencé leur scolarité, au prix de plus d’une heure de transport. Une ténacité qui n’étonne pas l’assistante sociale de Lucie-Aubrac  : « la scolarité est le seul point d’ancrage pour ces enfants ».

Un phénomène d’ampleur

En France, selon un rapport de l’Unicef présenté en 2015, trois millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté, soit un sur cinq.

D’après l’Insee, en 2012, les services d’aide aux sans domicile fixe avaient accueilli 81 000 adultes. Le nombre d’enfants accompagnant certains de ces usagers s’élevait à 30 000.

Au soir du 4 septembre dernier, date de la rentrée scolaire, de nombreux élèves ont dû dormir dans la rue ou dans des abris de fortune, faute de place d’hébergement d’urgence et d’accès aux logements sociaux.

Selon une enquête réalisée dans 40 départements, 63 % des moins de 18 ans ayant demandé un hébergement au 115 (Samu social) ne l’ont pas obtenu.

Bénévent TOSSERI

A) Précarité. En France, en 2017, de plus en plus de familles dorment dehors (août 2017)

Les moins de 24 ans et les femmes seules avec enfants affluent dans les centres cet été alors que les places pour les accueillir sont réduites à la portion congrue. Les structures d’accueil sont saturées à des niveaux jamais atteints et en appellent au gouvernement.

En été, les mises à l’abri, à l’hôtel ou dans des centres d’urgence, sont de très courte durée  : 47 % des solutions d’hébergement proposées aux familles ne sont que pour une seule nuit. Winnie se réjouit chaque soir de ne pas dormir dehors  : «  Quand je pose ma tête sur l’oreiller, je n’ai plus de souci. Simon, lui, ne réalise pas encore notre situation.  » Chaque soir, à Paris, 400 personnes en familles ne sont pas hébergées

En un an, selon le baromètre du 115 réalisé par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) entre le 10 juin et le 10 juillet sur 41 départements et Paris, le nombre de familles demandeuses d’un hébergement d’urgence a explosé de 39 %. Les structures sont dépassées. Au point que le 115 enregistre des «  niveaux jamais atteints  »  : «  Chaque soir, ce sont entre 300 et 400 personnes en famille que nous n’arrivons pas à héberger, regrette Emmanuelle Guyavarch, directrice de la régulation au Samu social de Paris. Dans le même temps, nous n’avons jamais accueilli autant de familles dans nos structures  : 14 000 personnes actuellement.  » Concrètement, cela signifie qu’une famille à la rue aujourd’hui à Paris a seulement une chance sur dix de se voir proposer un hébergement lorsqu’elle appelle le 115. «  On est obligé de mettre en place des critères de vulnérabilité de plus en plus drastiques  », explique Emmanuelle Guyavarch. L’âge des enfants, le temps d’errance et l’état sanitaire des membres de la famille sont ainsi pris en compte.

Au niveau national, le nombre de familles sans aucune solution d’hébergement a augmenté de 8 % en un an. «  L’homme seul, isolé et vieillissant n’est plus le modèle majoritaire, explique Florent Gueguen, directeur de la FAS. Aujourd’hui, la moitié des personnes qui appellent le 115 sont des familles. Cela correspond à une évolution structurelle de la pauvreté, avec une augmentation du nombre de femmes seules avec enfants, auquel s’ajoute l’impact de la crise migratoire. Faute d’être prises en charge comme demandeuses d’asile, les familles migrantes appellent le 115.  » Enfin, les structures d’accueil des sans-abri construites dans les années 1980 restent inadaptées à l’accueil des familles avec enfants. 60 % d’entre elles sont donc logées à l’hôtel, «  dans des conditions très précaires  », regrette Florent Gueguen. Parmi ces familles, le 115 a comptabilisé en juin 5 328 mineurs.

Face à ces situations alarmantes, les associations voudraient un renforcement des politiques publiques de l’État pour garantir l’accès au logement pour tous, notamment par la mise en place de logements très sociaux. «  Avec la rentrée scolaire qui arrive, il est très difficile pour les familles de ne pas se fixer  », poursuit Emmanuelle Guyavarch, qui rappelle les conséquences dramatiques des ruptures administratives, scolaires et sanitaires pour les enfants.

Le baromètre du Samu social montre un accroissement inquiétant du nombre de jeunes demandeurs d’un hébergement d’urgence  : + 17 % en un an. Plus de la moitié d’entre eux n’obtiennent jamais de réponses positives. «  Depuis quelques années, la situation sociale française concernant les jeunes s’est dégradée, explique Samuel Coppens, porte-parole de la Fondation Armée du salut. Avec les baisses de budget imposées par les gouvernements, les conseils départementaux ont fortement réduit l’aide sociale à l’enfance, qui accordait des aides aux jeunes jusqu’à l’âge de 21 ans. Maintenant, ils sont accompagnés seulement jusqu’à 18 ans. Mais qui, à cet âge, serait prêt à affronter seul la précarité  ?  » «  Je veux un logement et pas une solution qui ne dure qu’une nuit  »

À l’Espace solidarité insertion (ESI) Saint-Martin, installé dans une bouche de métro désaffectée du 3e arrondissement parisien, Mickael l’affronte, lui, depuis un an et demi. Il est venu ce matin prendre une douche et un petit déjeuner. À la rue suite à une dispute familiale, Mickael résume  : «  J’ai fait des bêtises, mes parents m’ont mis à la porte.  » Depuis, il dort sous une tente avec un ami et se débrouille pour manger et se laver. «  Je veux un logement et pas une solution qui ne dure qu’une nuit  », poursuit le jeune homme.

Malgré l’importance de l’afflux, les bénévoles et le personnel ne se découragent pas. Sophie travaille depuis deux ans à l’accueil de l’ESI Saint-Martin  : «  Tous les matins, nous sommes débordés face à l’arrivée massive de ces personnes. Nous accueillons entre 100 et 150 personnes tous les jours. Bien sûr, il y a parfois des mauvaises aventures avec quelques-uns, où nous prenons sur nous, car il est important de se rappeler que ce sont des personnes qui dorment et vivent à la rue.  » Être à l’abri, prendre une douche et boire un café, laver son linge et se faire couper les cheveux, rencontrer une infirmière, un médecin ou des travailleurs sociaux, c’est ce qui motive les personnes à venir dans les accueils de jour. «  C’est avant tout un lieu de socialisation et de cohabitation, poursuit Samuel Coppens. Les sans-abri vivent ensemble et peuvent dialoguer entre eux, mais aussi échanger avec le personnel de l’accueil.  » Dans ces centres, la plupart des hommes et des femmes rechargent leur portable. Raphaël, un des habitués des lieux depuis des années, explique  : «  Comme ça, nos téléphones seront opérationnels cet après-midi pour appeler le 115. 

Solenne Bertrand et Livia Pinet, L’Humanité


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