Le réseau d’aide aux sans-domicile : un univers segmenté (Cécile Brousse)

jeudi 27 décembre 2007.
 

Nous mettons en ligne aujourd’hui émanant du collectif Les morts de la rue.

Le texte ci-dessous n’est pas un article de dénonciation. Il s’agit d’un rapport long mais utile de Cécile Brousse réalisé dans le cadre de l’INSEE sur les Sans Domicile Fixe.

La demande d’information sur la population des sans-domicile s’est multipliée au début des années 1990, aboutissant à la création en 1993 d’un groupe de travail spécifique au sein du conseil national de l’information statistique (Cnis, 1996). Les premières investigations pilotes menées à son instigation incluaient une enquête sur les conditions d’accès au logement des populations à bas revenus (dans l’agglomération lyonnaise et en Seine-Saint-Denis) et une enquête sur les familles menacées d’expulsion (à Arras, Chartres et Marseille), ainsi que, bien sûr, des enquêtes auprès de personnes sans domicile (à Paris et Strasbourg). En particulier, l’Institut national d’études démographiques (Ined), a conduit à Paris durant l’hiver 1994-95 une enquête pilote auprès des usagers des services aux sans-domicile s’inspirant de méthodes d’investigation expérimentées aux États-Unis au milieu des années 1980 (Marpsat et Firdion, 2000).

L’enquête nationale de l’Insee auprès d’un échantillon de 4 000 personnes de 18 ans ou plus fréquentant les services d’hébergement ou de distribution de repas chauds s’inscrivait dans la prolongation des travaux précurseurs de l’Ined. Elle a consisté à prendre contact avec les personnes par l’intermédiaire des services d’aide qu’elles fréquentent. Les services retenus sont d’une part l’hébergement, puisqu’une partie des sans-domicile est défi nie par le fait qu’ils fréquentent ce type de structures, et d’autre part les distributions de repas chauds sans lesquelles il serait impossible de contacter les sans-domicile qui dorment dans la rue sans jamais avoir recours aux centres qui leur sont destinés.

Un dispositif géré par de nombreuses structures

En janvier 2001, dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, on comptait 2 000 structures gérées soit par des associations caritatives soit par des collectivités locales. Neuf sur dix proposaient un service d’hébergement et une sur deux distribuait des repas gratuitement ou en échange d’une faible participation (cf. encadré 1). Dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, l’hébergement est pris en charge par 1 800 structures aux statuts juridiques très divers : 800 proposent des places en aide au logement temporaire (Alt), 760 des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), 680 offrent des places non conventionnées, 190 accueillent des femmes enceintes ou accompagnées d’enfants et/ou sont conventionnées au titre de l’aide sociale à l’enfance l’enfance (Brousse et al., 2002c). Enfin, on compte une centaine de communautés de travail. Une structure sur trois bénéficie d’un mode de financement mixte, il s’agit principalement de CHRS ou de centres non conventionnés, disposant par ailleurs de places en Alt.

Dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, 45 000 personnes hébergées en moyenne une nuit de janvier 2001

Au sein d’une structure d’accueil, on peut distinguer différents types de services, selon la nature de la prise en charge. Chaque structure peut proposer une ou deux grandes catégories d’hébergement  : d’un côté l’hébergement regroupé, assuré dans la structure elle-même, de l’autre l’hébergement dispersé ou éclaté. L’hébergement regroupé peut se décomposer selon la durée du séjour et les critères d’admission. On distingue alors l’hébergement de courte durée (moins de deux semaines) sans procédure d’admission (21 % des lits occupés) par opposition à l’hébergement de longue durée avec procédure d’admission (42 %). On retrouve ici la distinction courante entre les dispositifs « d’urgence » et les dispositifs « d’insertion ». L’hébergement dispersé s’effectue principalement en logement (29 %) ; néanmoins des places sont proposées en chambres d’hôtel ou en foyer-logement, au titre de l’urgence (8 %). La plupart des services d’hébergement ainsi défi nis sont de petite taille. Les trois quarts des hébergés fréquentent des services d’une capacité inférieure à 50 personnes. Seulement 6 % des services accueillent plus de 50 personnes par nuit.

Un peu moins de 30 000 repas chauds servis midi et soir

L’aide alimentaire se présente sous deux formes  : la distribution de repas ou de colis alimentaires. L’étude ne retient que les distributions de repas chauds car les colis alimentaires, qui représentent la grande majorité de l’aide alimentaire distribuée en France, sont principalement destinés à des personnes disposant d’un logement. Les distributions de repas chauds se caractérisent par le fait qu’elles proposent de la nourriture directement consommable à heures fixes au moins une fois par semaine pendant la période d’enquête, et donc s’adressent davantage à la population sans domicile. La distribution a lieu soit dans un local spécialement conçu pour la restauration soit à un emplacement fixe (rue, place), la distribution s’effectuant alors au moyen d’une camionnette. La moitié des repas de midi sont servis en centre à des personnes qui y sont hébergées, l’autre moitié l’étant par les restaurants sociaux ou des camionnettes dans la rue. Ces évaluations comprennent également les repas servis par les centres à des personnes non hébergées mais n’incluent pas les repas servis par les « maraudes » (1). Pour le soir, la part des repas servis en centre atteint 70 %. Par comparaison avec les services d’hébergement, les services de restauration dans la rue sont de plus grande taille. 30 % de ces services servent plus de 100 repas par jour, représentant environ 80 % de l’aide alimentaire fournie dans la rue.

Moins de repas servis dans la rue le dimanche

L’offre en matière d’hébergement et de restauration varie dans l’année. Cela vaut surtout pour la restauration. En effet, un service d’hébergement sur dix connaît au moins une période d’interruption annuelle contre six services de restauration sur dix. Les fermetures sont encore plus fréquentes pour les distributions itinérantes, seules deux sur dix étant ouvertes toute l’année. Alors que les services d’hébergement sont ouverts sept jours sur sept, 58 % des distributions de repas dans la rue sont fermées au moins un jour de la semaine. Le samedi, on distribue un quart de repas en moins qu’un jour moyen du lundi au vendredi. Le dimanche, ce phénomène s’accentue : on sert alors, dans la rue, 40 % de repas en moins. (1)

Un dispositif d’aide concentré au coeur des grandes villes

Les grandes agglomérations accueillent une part importante des personnes privées de logement. Ainsi, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, on compte une place d’hébergement occupée pour 550 habitants contre seulement une place pour 825 dans les agglomérations de 20 000 à 100 000 habitants (cf. tableau 2). En outre, les structures d’aide sont principalement situées dans les communes centre des agglomérations. En effet sur l’ensemble de la France, les communes périphériques prennent en charge environ un quart de l’hébergement, alors qu’elles représentent presque la moitié de la population des agglomérations. Ce constat s’applique en particulier au cas parisien où la commune centre ne représente que 23 % de la population de l’agglomération mais propose 55 % des places d’hébergement. On retrouve des écarts encore plus marqués pour les services de restauration. Seulement, 18 % des repas sont servis dans les communes périphériques (26 % pour l’agglomération parisienne). Quant aux camionnettes de distribution itinérantes, elles circulent presque exclusivement dans les communes centre.

55 000 usagers par jour

En moyenne, 98 000 prestations (repas et nuitées) ont été servies chaque jour à des personnes de 18 ans ou plus dans l’ensemble des agglomérations de plus de 20 000 habitants pendant la période de référence de l’enquête, week-ends non compris. Les bénéfi ciaires sont beaucoup moins nombreux (54 500). En effet, environ 30 % de ces usagers bénéfi cient des trois prestations, 20 % de deux prestations (le plus souvent le repas du soir et l’hébergement, beaucoup plus rarement les repas de midi et du soir ou le repas de midi et l’hébergement), 50 % d’une seule prestation (il s’agit alors le plus souvent de l’hébergement) (cf. tableau 3). Sur une période moyenne de sept jours, quel que soit le jour initial (y compris samedi et dimanche), le nombre d’usagers a été estimé sur ce même champ géographique (agglomérations de plus 20 000 habitants) à 70 800. Le chiffre est naturellement supérieur à celui des usagers jour, mais dans des proportions relativement relativement limitées (+ 30 %). La raison en est que les services d’aide sont très majoritairement fréquentés, du moins sur courte période, par une « clientèle d’habitués ». Ainsi, 59 % des personnes enquêtées ont déclaré avoir également recouru à un service d’hébergement ou de distribution de repas chauds chacun des sept jours précédant le jour où elles ont été enquêtées.

Les trois quarts des usagers d’une semaine moyenne sont sans domicile

L’estimation du nombre de sans-domicile usagers des services d’hébergement ou de distribution de repas chauds a, elle aussi, été effectuée à l’échelle d’une semaine moyenne, sur la base d’une approche « opérationnelle » : il a en effet été convenu de classer en sans-domicile celles des personnes qui avaient déclaré à l’enquête avoir passé la nuit précédente dans un service d’hébergement ou dans un lieu non prévu pour l’habitation (dans la rue ou dans un abri de fortune). Sur le champ des agglomérations de plus de 20 000 habitants, ont ainsi été classés en sans-domicile 75 % des personnes fréquentant durant une semaine moyenne les services d’hébergement ou les distribution de repas chauds.

Parmi les 70 800 adultes usagers de services au moins une fois au cours d’une semaine moyenne du mois de janvier, 53 000 sont sans domicile au sens de l’enquête (cf. encadré 2). Enfi n, on peut estimer à environ 16 000 le nombre d’enfants les accompagnant. Il s’agit essentiellement des enfants accueillis avec leur mère dans les centres maternels fi nancés par l’aide sociale à l’enfance.

Un quart des usagers de services d’aide n’est pas sans domicile au sens de l’enquête

Parmi les usagers n’étant pas sans-domicile, la moitié a un domicile à titre personnel, comme locataire ou sous-locataire, l’autre moitié est logée de façon précaire, chez des particuliers, à l’hôtel ou dans un « squat » (2). Parmi ces usagers des services d’aide qui ne sont pas sans domicile au sens de l’enquête (c’est-à-dire la veille), 17 % ont été au moins une fois sans domicile dans la semaine. Ce sont principalement les usagers hébergés par des particuliers ou des membres de la famille, dont 22 % ont dormi dans la rue ou dans un centre au moins une fois dans la semaine. Ce constat explique que la défi nition choisie dans la présente étude (situation la veille) conduise à une estimation du nombre de sans-domicile de l’ordre de 5 % inférieure à celle que l’on aurait obtenue à partir d’une définition plus large (occurrence de la situation de sans-domicile au moins une fois dans la semaine par exemple).

Le fait que tous les usagers de services d’aide ne sont pas sans domicile doit être relié aux caractéristiques des publics accueillis dans les distributions de repas chauds : 19 % n’ont pas de domicile, les autres sont logés de manière précaire (37 %) ou sont locataires (37 %). D’autres résident dans des foyer-logement, sortent d’hôpital ou de prison (7 %) (Marpsat, 2006, ce numéro).

Par la suite, l’étude se limite aux 46 800 adultes sans-domicile francophones usagers de services d’aide dans des agglomérations de plus de 20 000 habitants.

8 % des sans-domicile aidés dorment dans un lieu non prévu pour l’habitation En janvier 2001, la moitié des sans-domicile aidés occupe un lieu privé (cave, usine, voiture, cage d’escalier), le propriétaire ayant connaissance de cette situation dans un cas sur trois. L’autre moitié dort dans l’espace public : dans des lieux fermés (station de métro, gare, centre commercial) ou ouverts (rue, jardin public). Les trois quarts des sans-abri ont la possibilité de recevoir du courrier, la plupart étant domiciliés par une association. Les personnes qui dorment dans la rue ou dans des abris de fortune peuvent connaître des modes d’hébergement alternatifs sur de courtes périodes. Un tiers des sans-domicile dans la rue depuis plus d’une semaine déclarent ne pas y dormir tous les jours : ils se font héberger ponctuellement par de la famille, des amis ou recourent au dispositif d’hébergement. Mais plus du quart des personnes sans-abri la veille de l’enquête expliquent qu’elles sont arrivées trop tard au centre, qu’il était complet ou qu’elles avaient dépassé la durée réglementaire de séjour. Les deux tiers des sans-domicile aidés ne peuvent pas laisser leurs affaires à l’endroit où ils dorment. Ils les transportent avec eux (50 %), les laissent dans une consigne, les confi ent à des amis ou à une association. La moitié d’entre eux s’est rendue dans un accueil de jour au cours du mois précédent et un tiers a reçu des vêtements de la part d’une association, une mairie, etc.

Quant aux sans-domicile qui ne dorment pas dans la rue ou dans un abri de fortune, ils sont pris en charge dans des conditions très diverses selon le type de structure d’hébergement. Or, il est possible de distinguer les structures d’hébergement selon deux critères : le caractère individuel ou collectif de la prise en charge et le fait que le suivi soit assuré de manière continue ou ponctuelle. Ces deux critères déterminent largement les conditions de vie des usagers (cf. graphique I). La classifi cation met en évidence cinq types de services ayant des propriétés relativement différentes.

Une prise en charge temporaire et peu individualisée dans des centres d’hébergement qui n’ouvrent que la nuit

Ces centres très peu spécialisés sont situés pour la plupart dans les communes de grande taille. Ils ont des capacités d’accueil importantes et des taux de fréquentation supérieurs à la moyenne des centres, ce qui indique probablement que le taux d’encadrement y est plus faible que dans les autres établissements. Ils accueillent 13 % des sans-domicile bénéfi ciant d’un hébergement.

Les trois quarts d’entre eux sont reçus dans des chambres de trois personnes ou plus. De plus, les personnes bénéficiant de ce type d’hébergement n’ont pas accès au centre dans la journée, la durée de séjour est souvent limitée à quelques jours (neuf fois sur dix elle ne doit pas dépasser deux semaines) et les fermetures à la fi n de la période hivernale sont fréquentes. Ces discontinuités expliquent la brièveté des séjours dans ces centres. Ainsi, quatre résidents sur dix y sont hébergés depuis moins de deux semaines (contre moins de un sur dix dans les autres types d’hébergement). Le manque de continuité dans la prise en charge oblige les personnes concernées à recourir à des solutions alternatives pour pallier les lacunes du dispositif : repas pris dans les distributions gratuites, journées passées dans les accueils de jour, domiciliation auprès d’associations ou de mairies, utilisation de consignes pour stocker ses affaires, mobilité contrainte d’un centre à un autre, séjours chez des tiers, à l’hôtel ou dans la rue pendant les périodes où l’accès à ces centres est impossible.

Dans ce contexte, le travail social est très limité. Par ailleurs, ces centres remplissent une mission d’ordre public. En effet, près d’une personne sur cinq ne s’est pas rendue dans l’établissement de sa propre initiative : un dispositif de « maraude », les pompiers ou un service de police l’y ont accompagnée. Cette catégorie de centres recouvre en réalité des modalités de séjour et de prises en charge très diverses : alors que dans la plupart de ces centres, la durée de séjour est limitée à quelques jours seulement, quelques grands centres, situés pour beaucoup dans l’agglomération parisienne, accueillent les résidents pendant de longues périodes de temps tout en leur offrant une prise en charge minimale réduite au gîte.

Des centres ouverts en journée, où la prise en charge est de plus longue durée

Dans les centres accessibles en journée et les quelques logements regroupés qui sont rattachés à cette deuxième catégorie, la prise en charge est plus durable car huit fois sur dix, elle peut excéder deux semaines et plus de 60 % des personnes hébergées ont une ancienneté comprise entre deux semaines et six mois. Ces centres accueillent 35 % des sans-domicile bénéfi ciant d’un hébergement. Ces établissements reposent sur un mode de vie communautaire : 30 % des personnes contribuent par leur travail au fonctionnement du centre. Plus de la moitié des personnes hébergées partagent leur chambre avec une autre personne. La mixité y est moins fréquente que dans les autres services : un quart des établissements sont réservés aux femmes et près d’un tiers aux hommes. Le travail social accompli dans les centres féminins est centré sur le soin aux jeunes enfants et diffère donc radicalement de l’encadrement dans les centres exclusivement masculins. Par ailleurs, huit fois sur dix, plus de la moitié des repas sont pris dans l’établissement. Les deux tiers des établissements classés dans cette catégorie ont le statut de CHRS (cf. encadré 1).

Les communautés de travail : une prise en charge particulière

Elles sont constituées de chambres ou de studios regroupés en un même lieu. 6 % des sansdomicile hébergés le sont dans ce type d’établissement mais il s’agit du cas le moins fréquent. Les communautés de travail ont des caractéristiques particulières qui les distinguent des autres établissements : deux tiers des places sont offertes dans des établissements uniquement réservés aux hommes et près de la moitié des hébergés doivent travailler en échange de leur hébergement. Beaucoup y sont entrés de leur propre initiative et les durées de séjour sont nettement plus longues que dans les autres établissements  : les trois quarts des hébergés résident dans la communauté depuis plus d’un an. Le taux de fréquentation est légèrement plus élevé que dans la moyenne des autres structures. De taille moyenne par rapport aux autres établissements, la communauté pourvoit à l’ensemble des besoins de ses membres et fonctionne en relative autarcie. Le contrôle de l’administration est plus réduit que dans les CHRS ou les centres maternels. Les procédures d’admission ne sont pas réglementées par une instance extérieure à la communauté. Les résidents recourent assez peu au réseau d’assistance conventionnel : ils utilisent rarement des bons ou des colis alimentaires. La moitié des résidents n’a pas rencontré d’assistante sociale au cours des douze derniers mois, soit trois fois plus que parmi les autres hébergés. Les hébergés mangent rarement à l’extérieur de la communauté. Enfin, les communautés de travail sont situées dans des zones peu urbanisées : 80 % sont installées dans des communes de petite taille (moins de 50 000 habitants) et sont souvent situées en zone périphérique.

Une prise en charge personnalisée et durable principalement dans des logements éclatés

À l’opposé des communautés de travail, ce quatrième type de service est bien plus répandu : le mode d’habitation se compose principalement de logements éclatés ou dispersés (76 %) et de quelques logements regroupés en un même lieu. Rares sont les cas où les personnes hébergées doivent cohabiter avec d’autres (un sur dix). Ce mode de prise en charge individualisé assure une grande autonomie aux intéressés (quatre sansdomicile sur dix en bénéfi cient) : ils prennent leur repas chez eux ou à l’extérieur (chez des parents, en ville), ils ne sont pas tenus de travailler pour la structure d’accueil. Le mode de fi nancement est lui-même individualisé dans la mesure où 60 % des places ainsi occupées relèvent d’un fi nancement au titre de l’aide au logement temporaire (Alt). La sélection à l’entrée, le recours aux assistantes sociales (dans plus de 90 % des cas), les effectifs réduits, les taux de fréquentation peu élevés montrent l’importance de l’accompagnement social dont bénéfi cient les personnes ainsi hébergées. Ce mode d’hébergement est plus développé dans les petites communes et dans les agglomérations de taille moyenne où le coût des loyers est faible et l’implantation du réseau d’hébergement récente.

Les chambres d’hôtel : un mode d’hébergement voisin des centres avec départ le matin

Enfin, il existe une variante plus urbaine, moins confortable et plus précaire de ce mode d’hébergement individualisé : le séjour en chambre d’hôtel. Les sans-domicile bénéfi ciant d’un hébergement sont 5 % à souscrire à ce type d’hébergement. Les deux tiers de ces places d’hôtel sont situées dans l’agglomération parisienne. Les personnes concernées ont rarement la possibilité de manger chez elles : elles utilisent deux fois plus de bons alimentaires que les autres personnes hébergées et mangent fréquemment à l’extérieur (achat de nourriture, restaurant bon marché, repas chez des amis ou des membres de la famille). Les durées de séjour sont moins élevées que dans les logements dispersés et l’accès est plus souvent gratuit (sept fois sur dix). Ce mode d’hébergement a des points communs avec l’hébergement dans des centres avec départ le matin : durée de séjour plutôt faible, confort limité, taux de fréquentation élevé. Mais il s’adresse probablement à un public qui fait l’objet d’une sélection particulière. Ainsi, les gestionnaires de ces chambres d’hôtel sont-ils deux fois plus nombreux que les responsables des autres structures à déclarer accueillir un public particulier.

Ainsi, la segmentation des services d’hébergement ainsi que la prise en charge (continue ou discontinue, individuelle ou collective) renvoient au statut d’occupation des usagers lequel peut se décliner selon deux dimensions : la plus ou moins grande stabilité des conditions de séjour et le degré d’appropriation du lieu (utilisation plus ou moins privative). La description des conditions de vie des sans-abri suédois mobilise des catégories similaires (« tenure security » et « privacy ») (Sahlin, 2001). Néanmoins, par rapport aux approches antérieures, la classifi cation ascendante hiérarchique permet de mettre en évidence les propriétés tout à fait particulières des communautés de travail par rapport aux autres structures d’accueil.

Le premier critère permet d’ordonner les structures selon la stabilité des conditions de séjour qu’elles offrent aux personnes hébergées. À ce titre, les deux types de structures qui s’opposent le plus sont les centres avec départ le matin et les logements éclatés. Mais les structures se distinguent aussi par leur caractère plus ou moins englobant ou « enveloppant » pour reprendre un des concept développé par Goffman (1961) dans son analyse des établissements asilaires. On peut ainsi classer les structures selon leur degré d’emprise sur la vie quotidienne des hébergés. Les établissements où l’autonomie des résidents est la plus faible sont d’abord les communautés de travail, puis les structures collectives réservées aux femmes, puis les autres structures collectives. En revanche, les chambres d’hôtel, les logements éclatés et les centres de courte durée laissent davantage de liberté aux personnes hébergées.

Les sans-domicile aidés se distinguent par leurs revenus et leur situation familiale

Une classification ascendante hiérarchique, réalisée sur l’ensemble des personnes sansdomicile, fait apparaître cinq sous-ensembles de taille très inégale (cf. graphique II). Un premier groupe (45 %) est composé de personnes seules, sans activité professionnelle, essentiellement masculines (80 %). Près d’un tiers de ces personnes sont au chômage depuis plus d’un an, un quart depuis moins d’un an. Plus du tiers ne cherchent pas d’emploi. Les réfugiés, qui n’ont pas le droit d’occuper un emploi, sont trois fois plus nombreux dans ce groupe que dans les autres catégories de sans-domicile.

Sans revenu du travail, ni allocations familiales, ni allocations logement, ce groupe compte deux tiers d’individus dont le revenu est compris dans les deux premiers déciles : trois sur dix perçoivent des allocations chômage, quatre sur dix sont couverts par le RMI ou l’allocation adulte handicapé contre deux sur dix dans le reste du groupe des sans-domicile. Quasiment absente dans les autres catégories, la mendicité déclarée concerne 15 % des personnes de ce groupe. Dans cette catégorie en marge du marché du travail, la recherche d’un emploi prime sur celle d’un logement : au cours des 12 derniers mois, seul un tiers a effectué des démarches pour obtenir un logement. Non prioritaires dans les procédures d’accès au logement social, ces personnes seules restent privées de logement plus longtemps que les autres. Plus d’un quart a quitté son logement depuis plus de cinq ans. Les problèmes de santé et l’alcoolisme sont plus fréquents que dans le reste de la population (Beck et al., 2006, ce numéro).

À l’opposé de ce groupe, la procédure de classification met en évidence une catégorie de sans-domicile (22 %) plus jeunes et plus diplômés que ceux du groupe précédent, vivant également sans conjoint ni enfant mais disposant d’un emploi dans le secteur marchand pour les deux tiers, dans le secteur associatif pour l’autre tiers. Les revenus du travail constituent la principale source de revenu des individus de ce groupe qui bénéfi cie d’un niveau de vie supérieure à la moyenne, quatre sur dix appartenant au quatrième décile de la répartition du revenu par unité de consommation. À la différence des précédents, les sans-domicile de ce groupe sont plus nombreux à effectuer des démarches pour trouver un logement. Moins isolés, il leur arrive plus fréquemment de se faire héberger par des membres de leur famille (17 % contre 10 %). Les uns comme les autres recourent à des amis pour se faire héberger (une fois sur quatre).

Quant au troisième groupe (18 %), il est composé principalement de femmes dont les trois quarts sont accompagnées de jeunes enfants.

Leur rupture avec leur conjoint est récente (relativement aux ruptures masculines observées dans les autres classes). Peu diplômées, elles bénéfi - cient toutefois d’un niveau de vie supérieur à la moyenne, leurs revenus sont composés d’allocations familiales pour les trois quarts d’entre elles et d’allocations logement, pour plus d’un quart. Près de la moitié ont un revenu compris dans le troisième décile. Plus de 70 % de ces femmes recherchent un logement, contre 50 % des autres sans-domicile. En revanche celles qui recherchent un travail sont plutôt sous-représentées. Leur mobilité est relativement limitée  : 74 % habitent dans le département où elles avaient leur résidence antérieure contre 60 % des autres sans-domicile. Comparées aux autres sans-domicile, elles sont deux fois moins nombreuses à avoir gagné un département très urbanisé depuis qu’elles ont quitté leur logement. Elles sont légèrement plus nombreuses dans les petites agglomérations et l’agglomération parisienne n’exerce sur elles qu’une faible attraction. Elles sont deux fois plus nombreuses à pouvoir être hébergées chez leurs parents et deux fois moins nombreuses à avoir dû séjourner dans la rue depuis qu’elles ont l’âge de 18 ans.

Un quatrième groupe (13 %) est composé de personnes relativement jeunes vivant en couple et pour la moitié d’entre elles avec des enfants.

La part de ressortissants de pays étrangers est plus élevée que dans le reste de la population sans-domicile. Les trois quarts sont à la recherche d’un logement. Ces personnes en couple sont deux fois plus nombreuses que les autres sans domicile à bénéfi cier d’allocations familiales. Un cinquième sous-ensemble très minoritaire (2 %) regroupe les personnes âgées de plus de 50 ans, essentiellement des hommes, qui n’ont jamais vécu en couple et qui n’ont pas d’occupation professionnelle. Ils perçoivent une retraite ou un minimum vieillesse (83 %) ou l’allocation adulte handicapé (14 %), ce qui leur assure un revenu plus élevé que la moyenne des autres sans-domicile. Les trois quarts sont dépourvus de diplôme. Ce sous-ensemble comporte une proportion élevée d’anciens travailleurs immigrés ainsi que des personnes ayant dû quitter leur logement devenu indisponible (fi n de bail, destruction). De plus, neuf sur dix d’entre eux ont déjà occupé un logement indépendant mais près de la moitié l’ont perdu il y a plus de cinq ans. La recherche d’un logement ne concerne qu’un tiers d’entre eux. Les plus âgés attendent probablement de pouvoir être accueillis en maison de retraite.

Ces formes multiples d’éloignement du marché du travail et la variété des circonstances qui entourent la perte du logement, expliquent l’extrême diversité de la situation des sans-domicile. Cette diversité a été remarquée de longue date par les historiens et les sociologues. Castel (1995) souligne, par exemple, l’hétérogénéité des conditions qui mènent à des situations de dépendances reconnues, mais leur grande cohérence quant au rapport au travail.

L’importance des effets de sélection à l’entrée dans le réseau d’hébergement

Or, les personnes aux caractéristiques sociodémographiques différentes ne sont pas accueillies de la même manière dans le système d’hébergement, ni même probablement dans les distributions de repas chauds (Marpsat, 2006, ce numéro). Pour apprécier ce caractère sélectif du réseau d’hébergement, nous procédons à une analyse « toutes choses égales par ailleurs » au moyen d’un modèle polytomique non ordonné (cf. encadré 3) de manière à neutraliser les nombreux effets de structure (cf. tableau 6). Mais les illustrations que nous en donnons sont issues d’une approche simplement descriptive. Certaines variables sont le produit de la pratique des institutions plus que des caractéristiques intrinsèques des individus. La différenciation dans la prise en charge des usagers peut être inscrite dans le droit, notamment s’agissant de l’hébergement par la distinction entre les fi nancements destinés à l’urgence sociale et ceux consacrés à l’insertion. On atteint donc ici les limites de validité du modèle logistique du fait de l’endogénéité de ces variables. Ainsi des caractéristiques apparemment individuelles sont en réalité le produit de l’action des institutions comme par exemple le fait de ne pas cohabiter avec ses enfants pour une femme hébergée en centre maternel, le fait de ne pas déclarer de problèmes d’alcool et de ne pas percevoir le RMI pour une personne hébergée dans une communauté de travail ou la perception d’une allocation de logement temporaire pour celles qui résident en logement. Dans cet univers où les comportements sont fortement contraints, il faut veiller à ne pas attribuer aux individus ce qui relève des institutions et de leurs critères de sélection.

Les sans-domicile qui ont des revenus élevés bénéficient d’un hébergement durable et peu contraignant

Ainsi, le revenu médian des personnes seules qui dorment dans la rue n’est que de 305 euros par mois alors qu’il s’élève à 488 euros pour les sans-domicile hébergés en logement. On peut supposer que la solvabilité est un des critères pris en compte pour l’admission dans une structure, dans la mesure où les hébergés participent souvent aux frais d’hébergement : 30 % de ceux qui dorment en chambre d’hôtel, 50 % de ceux qui sont accueillis en structure collective, et 80 % de ceux qui habitent en logement. Pour les personnes hébergées en hôtel ou en logement, la participation médiane au loyer mensuel s’élève à 91 euros.

Comme le niveau de revenu, la configuration familiale est un élément important. Les personnes isolées sans enfant séjournent plus fréquemment dans des structures collectives. Les personnes en couple bénéficient d’un mode d’hébergement plus autonome : 85 % des personnes en couple avec enfant(s) résident dans un logement contre 65 % des personnes accompagnées d’enfants mais ne vivant pas en couple. Par ailleurs, les familles ne peuvent pas être hébergées en tant que telles dans les centres maternels puisque la présence d’enfants de plus de trois ans y est interdite. Dans la régression logistique, avoir un enfant qui ne vit pas avec soi est associé au fait d’être dans une structure collective.

Le rapport au marché du travail intervient lui aussi : les sans-domicile qui ont un emploi dans le secteur marchand sont rarement hébergés dans des structures collectives de longue durée. Ils résident plus souvent dans des logements dispersés, à l’hôtel ou dans des centres de courte durée. À l’inverse, les personnes hébergées dans les communautés de travail ont rarement un emploi à l’extérieur de l’institution. Comme l’avait souligné Goffman (1961), les institutions les plus « enveloppantes » sont incompatibles avec les deux structures de base que sont la famille et le marché du travail.

Les sans-domicile originaires d’un autre département ou pays sont hébergés dans des établissements de court séjour

Autre élément discriminant, les sans-domicile qui n’ont pas d’attaches dans le lieu où ils se trouvent, sont pris en charge de manière ponctuelle. C’est le cas des personnes qui viennent d’une autre région ou d’un autre pays (déménagement dans les 12 mois précédent). Le fait de pouvoir justifi er d’une appartenance au territoire facilite le recours à l’assistance car le réseau d’aide se tourne en priorité vers les membres de la communauté (c’est particulièrement net dans le cas de l’aide sociale à l’enfance attribuée au niveau du département) (Castel, 1995). Quoi qu’il en soit, le séjour dans un hébergement de courte durée est souvent un passage obligé pour les sans-domicile qui n’ont pas d’attaches locales. Ainsi, les étrangers sont plus souvent pris en charge dans les structures à faible emprise institutionnelle.

Ils fréquentent rarement les communautés de travail. Ceux qui se déclarent dans l’impossibilité de travailler faute d’avoir un titre de séjour se tournent vers les centres de courte durée, ouverts à tous.

Un passé dans la rue peut être un handicap

Toutes choses égales par ailleurs, un séjour dans la rue ou dans un abri de fortune accroît la probabilité d’être hébergé ultérieurement dans les centres où l’accueil est le plus rudimentaire et ce faisant réduit probablement d’autant les chances d’accéder rapidement à un emploi et à un logement. En revanche, les personnes en mauvaise santé dorment plus rarement dans la rue soit que le réseau d’hébergement les accueille en priorité ou que ces personnes évitent d’elles-mêmes de dormir dans la rue.

Alors que les sans-domicile aidés sont plutôt jeunes dans leur ensemble, la proportion de ceux qui dorment dans la rue ou dans un abri de fortune croît avec l’âge. Les jeunes sansdomicile sont plus fréquemment accueillis en chambre d’hôtel, deux fois plus souvent que la moyenne des sans-domicile. Les responsables de structures d’accueil mettent souvent en avant leur volonté de ne pas « mélanger » ce jeune public avec des sans-abri plus endurcis ou de ne pas replacer ces jeunes dans des conditions voisines de celles qu’ils ont pu connaître dans leur enfance (foyer de la Ddass). Plus généralement, le placement dans l’enfance semble augmenter la probabilité de recourir aux formes d’hébergement plus individualisées (cf. tableau 6). En revanche, les sans-domicile les plus âgés sont majoritairement hébergés dans des centres, en chambre individuelle ou collective (70 % des plus de 60 ans). Ils se tournent aussi plus fréquemment vers les communautés de travail. Les femmes sans domicile sont mieux prises en charge

La proportion d’hommes dormant dans des lieux non prévus pour l’habitation est treize fois plus élevée que celle des femmes.

Les réponses des anciens sans-domicile contactés dans le cadre de l’enquête Santé confirment largement ce point de vue : hommes et femmes ont eu recours au centre d’hébergement dans des proportions voisines et pour des périodes de temps semblables. En revanche, les femmes déclarent plus rarement avoir dormi dans la rue et mentionnent des durées de présence dans la rue plus courtes. Compte-tenu de la brièveté de leur séjour dans la rue, elles n’ont probablement pas le temps de fréquenter les distributions de repas chauds. Ainsi, elles sont peut-être légèrement sous-représentées par rapport aux hommes dans la catégorie des sans-domicile aidés défi nie à partir de l’enquête conduite en 2001, ce qui confi rmerait une hypothèse déjà établie par Marpsat (1999). En outre, les hommes bénéfi cient d’un hébergement plus rudimentaire que les femmes (Brousse, 2006, ce numéro). Ils constituent environ 80 % de la clientèle hébergée en chambre ou en dortoir. Les hommes sont plus nombreux à fréquenter les centres où l’accueil est réduit au gîte et au couvert (départ obligatoire le matin, chambres collectives, etc.). Cette différence en faveur des femmes s’explique en partie par la présence d’enfants les accompagnant.

Les femmes sans-domicile accompagnées d’enfant(s), soit une sur deux, sont orientées vers des modes d’hébergement davantage compatibles avec la vie familiale : les trois quarts sont hébergées en studio ou en appartement et un quart dans des centres d’hébergement où elles peuvent rester pendant la journée si elles le souhaitent. Cependant, même les femmes sans enfant ont des conditions d’hébergement plus satisfaisantes que les hommes : elles sont deux fois plus souvent hébergées en logement et trois fois moins souvent dans des centres avec départ obligatoire le matin (Marpsat, 1999, pour une analyse plus détaillée).

Compte tenu de la rareté des places, les structures qui offrent les meilleures conditions d’accueil sélectionnent leurs résidents

La sélection s’opère soit au moment de l’entrée dans le dispositif d’hébergement soit par des processus de mobilité ascendante ou descendante au sein du dispositif lui-même. On distingue en effet deux modes d’admission. Plus de la moitié des hébergés est admise par l’intermédiaire d’un service social dont on peut supposer qu’il effectue un choix parmi les candidats. Les autres sont arrivés sans procédure d’admission, soit sous la conduite de gendarmes, de pompiers ou d’une équipe de rue (12 %) soit de leur propre initiative (34 %) (dont les deux tiers seuls, un tiers accompagnés d’autres personnes). Les hébergés dont la candidature a été examinée par un service social bénéfi cient de conditions d’accueil plus favorables : par exemple, un cinquième doit quitter le centre le matin contre deux sur cinq pour les hébergés entrés sans procédure d’admission.

La segmentation provient de la sélection opérée par les structures offrant la meilleure prise en charge. Les usagers de ces structures « haut de gamme » ont des propriétés particulières : une proportion importante des sans-domicile hébergés en logement n’ont pas connu précédemment d’autres formes d’hébergement (ce sont en général ceux qui viennent de perdre leur logement ou qui ont des enfants). Ils ont été pris en charge directement après la perte de leur logement. D’autres ont d’abord été hébergés dans un ou plusieurs centres avant d’accéder à cette forme d’hébergement. Ainsi, en s’appuyant sur le parcours résidentiel des douze derniers mois, on constate qu’un tiers des personnes hébergées en logement a d’abord séjourné dans un centre d’hébergement. Comme le montre le profi l de ces sans-domicile qui ont connu dans l’année un parcours ascendant (rue-centre ou centre logement aidé) des processus de sélection sont probablement à l’oeuvre : ce sont les mieux dotés fi nancièrement, ceux qui peuvent témoigner d’un attachement local ou d’un mode vie traditionnel (en couple, avec des enfants) qui connaissent des mobilités ascendantes quand d’autres, en nombre plus réduit, présentent des trajectoires en sens opposé.

En définitive, il y a une homologie assez forte entre les classes de sans-domicile mises en évidence par la classification ascendante hiérarchique, et les conditions de vie. En effet, la projection des cinq classes de sans-domicile dans l’espace des structures d’hébergement montre que chacune de ces classes relève d’une prise en charge relativement spécifi que (cf. graphique II).

On peut invoquer trois types d’explications à cette segmentation du réseau d’aide. Une raison historique : avant d’être regroupés dans les catégories des CHRS et des centres maternels, les centres d’hébergement étaient en fait déjà très spécialisés (cf. encadré 1). On peut aussi rappeler, à la suite de Charles Soulié, qu’à l’instar de tous les univers sociaux, celui de l’aide sociale à l’hébergement est très hiérarchisé. Les entretiens qu’il a réalisés l’ont conduit à analyser en termes de dualisme le réseau d’hébergement pour personnes sans abri à Paris. Il oppose le secteur ouvert, c’est-à-dire sans condition d’entrée, au secteur fermé caractérisé par des procédures d’admission spécifi ques et une prise en charge de meilleure qualité, chacun accueillant un public spécifi que. Pour expliquer l’ajustement entre les centres d’hébergement et leur public, il recourt à une approche en termes de champs : les capitaux les plus valorisés dans cet univers du travail social sont la jeunesse, la féminité, le fait d’avoir des enfants en bas âge, la présence d’un handicap, le fait d’avoir des diplômes, de bénéfi cier d’allocations sociales, d’avoir un casier judiciaire vierge, d’être depuis peu à la rue, de ne pas manifester de problèmes d’alcoolisme. Sans doute faudrait-il prolonger cette analyse par une attention à la segmentation pouvant s’opérer au sein même des structures.

En effet, à l’exception des communautés de travail, les structures où l’emprise institutionnelle est la plus forte semblent être les plus segmentées. Enfi n, troisième élément, il existe sans doute un rapport entre la segmentation du réseau d’hébergement et l’accès au logement. Dans la partie haute du secteur de l’hébergement (centre accessible en journée, hébergement en logement), les résident(e)s recherchent en priorité un logement, ce qui ne les dispense pas de chercher également un emploi s’ils n’en ont pas. Comme les temps d’attente pour l’obtention d’un logement sont longs, la prise en charge de ces résidents est durable. À l’opposé, les sans-domicile hébergés dans les centres de courte durée recherchent un emploi plutôt qu’un logement, la durée des épisodes sans-domicile obéit chez eux à la logique du marché du travail plus qu’à celle du marché du logement. Le cas extrême étant celui des personnes alternant séjours dans la rue et logement précaire au gré des emplois occasionnels (cf. tableau 6). Il existe néanmoins des cas particuliers : les étrangers qui espèrent voir leurs conditions de séjour régularisées, les travailleurs âgés qui attendent le passage à l’âge de la retraite, les handicapés une décision de la Cotorep, les malades une amélioration de leur état de santé, les plus jeunes la perspective d’une union et enfi n le cas de ceux qui n’attendent plus rien et qui ne recherchent plus ni emploi ni logement, soit qu’ils se satisfassent de la situation (les résidents des communautés de travail), soit qu’ils s’y résignent faute de mieux (cf. graphique III). (De Peretti, 2006, ce numéro, pour des éléments sur les attentes des sansdomicile).


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