Covid-19 : mais où est donc passé le « plan massif » pour l’hôpital promis par Macron ?

vendredi 16 octobre 2020.
 

Depuis la première vague, et malgré le Ségur, l’hôpital public n’a pas plus de moyens, pas plus de lits, pas plus de personnel... au contraire !

5 mars 2020. La France est confinée. Elle ne le sait pas encore, mais d’ici quelques semaines, le Covid-19 fera plus de 30.000 victimes dans le pays. Emmanuel Macron se rend alors à Mulhouse, en visite à l’hôpital de campagne déployé en soutien pour faire face à l’afflux de malades. L’hôpital public, lui, est sous l’eau. Le président de la République se veut intransigeant : quelques jours seulement après son fameux discours du « quoi qu’il en coûte », il annonce un « plan massif » pour l’hôpital :

« L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons, c’est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. »

À l’époque, peut-être étions-nous trop occupés à applaudir les soignants à 20h. Trop focalisés sur les manques criants de moyens – masques, tests, etc. – nous nous sommes retrouvés soudainement noyés sous les annonces qui suivirent cette crise : depuis, nous dit-on, on teste à grande échelle. Depuis, tout le monde porte un masque, presque partout, tout le temps. Depuis, on ferme des bars, des restaurants, des salles de sports ou des piscines. Il faut serrer la vis pour éviter la deuxième vague – enfin, pour faire en sorte que les services hospitaliers encaissent le choc.

Et nous avons détourné notre attention de l’hôpital public. Qu’en est-il six mois plus tard ? A-t-on retenu les leçons du printemps et fait en sorte que l’hôpital public soit mieux préparé à une situation si extrême ? La réponse est, sans équivoque possible, non. C’est même tout le contraire.

Une vague et tout part à vau-l’eau

Comparé à la première vague, la situation n’est pas la même, en plusieurs points. Pour ce qui concerne les soignants, d’un côté, ils connaissent mieux le Covid-19, donc leurs soins sont plus efficaces. D’un autre côté, ils sont épuisés, malmenés, méprisés et nombre d’entre eux ont préféré partir que de revivre une telle situation. « La situation est alarmante. Les hôpitaux font face à une pénurie grave de personnels, au point qu’on voit des lits se fermer dans des services où ça n’était jamais arrivé avant, et ceci simplement par manque de personnels. Ce n’est pas une volonté des directions pour le coup, elles sont complètement démunies. C’est clairement pire qu’au moment de la première vague », constate Agnès Hartemann, cheffe du service diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Pour ce qui a trait à la situation sanitaire, si la crise n’est pas (encore ?) au niveau du mois d’avril, les hospitalisations s’intensifient – le 5 octobre nous comptions plus de 1400 patients Covid en réanimation ou en soins intensifs –, avec une nouveauté : un grand nombre de régions du territoire sont touchées par le Covid et non pas seulement l’Île-de-France et le Grand-Est. Conséquence : il y aura moins, voire pas de renfort possible d’une région à une autre. De plus, comme les gens ne sont pas confinés cette fois-ci, il faut également que l’hôpital soigne tout le monde – sans parler du retard à rattraper en terme de chimiothérapie, de greffe ou encore de chirurgie, causé par le confinement.

Nous avons donc aujourd’hui un hôpital avec moins de moyens et moins de personnels qui doit à la fois gérer les « affaires courantes » et une nouvelle vague de Covid. Tout va bien.

La vérité sort de la bouche des fusibles Christophe Lannelongue. Ce nom ne vous dit rien ? Et pourtant, on en a parlé de ce monsieur au printemps dernier ! Il était directeur de l’ARS Grand-Est et il avait notamment déclaré, en pleine crise : « Il n’y a pas de raison de remettre en cause le Copermo pour le CHRU de Nancy [...] La trajectoire reste la même. » Le « Copermo », c’est un plan de restructuration qui consistait à supprimer 174 lits et de 598 emplois sur cinq ans. Pour avoir dit cela, Christophe Lannelongue a sauté. Il fut le fusible de la crise. Olivier Véran commentait alors : « L’heure viendra de tirer les enseignements de cette crise sans précédent et de refonder notre Hôpital. Tous les plans de réorganisation sont évidemment suspendus à la grande consultation qui suivra. » Ceci n’est pas un démenti.

Caroline Fiat, députée LFI et aide-soignante au CHU de Nancy, est bien placée pour nous parler de ce Copermo : « Christophe Lannelongue n’a fait que dire la vérité, seulement, il l’a dite un peu trop fort et au mauvais moment. Copermo, pas Copermo, c’est devenu une blague dans le Grand-Est. Ils n’ont pas arrêté de dire que le Copermo est annulé, donc nous on s’en réjouit ! [rires ironiques] Non, en fait ça nous pend au nez, ils attendent juste le bon moment pour l’annoncer. » Une continuité politique qu’André Grimaldi, professeur de médecine à la Pitié-Salpêtrière, redoute aussi : « Il n’y a pas de moratoire sur les projets hospitaliers qui fermaient des lits. Ce qu’on a reproché au directeur de l’ARS du Grand-Est, c’est d’avoir vendu la mèche trop tôt. Mais ça continue partout. Or, des lits, c’est du personnel. On ne forme pas une infirmière de réanimation en 15 jours, ou alors on fait de la médecine de guerre comme on a fait pour le Covid. Ça va une fois, mais ça n’est pas une solution. Il faut remettre en cause une politique qui est suivie depuis plus de dix ans. »

Cette situation déplorable, les soignants la dénoncent depuis plusieurs années. Rappelons qu’avant la crise du Covid, les urgences du pays étaient en grève depuis une bonne année, dans une indifférence généralisée. Il faut être un ignare malhonnête – comme celui-ci et celui-là – pour feindre de découvrir aujourd’hui que la rigueur budgétaire appliquée à l’hôpital est un grave problème de santé publique. Mais on n’est jamais au bout de nos surprises. Le 27 septembre, Olivier Véran ose ce commentaire : « Nous payons des années de sous-effectifs, de réduction des budgets. Je sais que les soignants sont fatigués ». Les tenants de l’austérité auraient-ils des pudeurs de gazelle à l’heure de constater le résultat de leur idéologie ? Pour rappel, rien qu’en 2019, ce sont 3500 lits qui ont été fermés, 100.000 en 20 ans et le point d’indice salariale des personnels de la fonction publique hospitalière est gelé depuis dix ans. Le 24 septembre, au micro de France Inter, Philippe Juvin, chef des urgences de l’Hôpital européen Georges-Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes, s’insurge : « Toutes ces mesures ne sont prises que dans un seul but, c’est de faire en sorte de pas submerger le système de santé. [...] C’est quand même assez incroyable que huit mois après la crise, on soit dans un système où on n’a pas augmenté le nombre de lits de réanimation ou d’hospitalisations, on l’a même réduit. Paradoxalement, au mois d’octobre, nous risquons d’avoir moins de moyens hospitaliers à la disposition des malades du Covid qu’au mois de mars ».

Puis il y a eu le Ségur de la santé, incarnation concrète de la promesse « massive » d’Emmanuel Macron. Qu’en retenir ?

Une augmentation de 184 euros pour le personnel non-médical. « Pas négligeable », nous dit Agnès Hartemann, car « pour certains petits salaires d’aides soignants ça peut être parfois 10% d’augmentation ». Mais rien de plus. Insuffisant pour stopper l’hémorragie de personnels. Caroline Fiat rappelle d’ailleurs que, « en parallèle, on leur retire des moyens, des collègues, tous les ans. Donc on est en train de leur dire "tu n’auras pas plus de moyens, pas plus de collègues, tu vas continuer à maltraiter les gens, à souffrir au travail, mais tu sais quoi, jusqu’au 20 du mois, tu n’auras pas à t’inquiéter, ton frigo sera plein. On n’est pas sympa ?" Voilà la politique de Macron. Ce n’est pas ce que veulent les soignants. Gagner un peu plus, personne ne dit non en 2020, mais on reste parmi les personnels soignants qui gagnent le moins de l’OCDE. » La création de 15.000 postes et l’ouverture de 4000 lits. « De l’esbroufe, comme d’habitude », balaie la députée LFI. Elle précise : « En fait, il y a actuellement 7500 postes vacants et Olivier Véran ne fait que les doubler. Au CHU de Nancy, j’ai 40 postes vacants, parce que désormais les gens préfèrent faire 3h de voitures pour aller travailler au Luxembourg afin d’avoir un meilleur salaire et une qualité de vie au travail. Ils peuvent me doubler les postes vacants, qui va-t-on mettre dessus ? » Que répond à cela ce brave Olivier Véran ? Qu’on ne peut pas construire « des unités de réanimation du jour au lendemain ». Que faisait-il depuis le 11 mai ? Il est trop tard maintenant, les lits promis n’arriveront jamais à temps pour contrer la seconde vague. Alors on joue sur les chiffres. Exemple : selon l’ARS Île-de-France, les services de réanimation de la région disposeraient de 100 lits supplémentaires par rapport au printemps. Or, ces lits ne sont pas des « créations » mais des emprunts à d’autres services – pendant la première vague – qui ne leur ont toujours pas été rendus. Même son de cloche chez Caroline Fiat : « On a moins de lits de réa qu’avant la première vague. Les fermetures ont continué. Mais les ARS disent que c’est faux, ils s’en sortent avec une pirouette. En fait, pour maintenir le nombre de lits en réa, ils ont fermé des lits d’hospitalisation. » Qui croire : l’ARS qui dit que tout va mieux parce que c’est écrit dans leurs tableurs, ou bien les soignants qui disent que tout va de mal en pis parce qu’ils le constatent tous les jours au travail ? Voilà pour le Ségur.

« On se demande où est le plan massif », déplore Agnès Hartemann. Le seul plan consiste à attendre que l’orage passe, sans jamais rien anticiper. Que dire de cet article du Monde où l’on apprend que les données de Santé publique France sont incomplètes, approximatives – sans parler du manque de transparence –, laissant penser que le gouvernement navigue à vue ? « J’ai l’impression qu’ils jouent à la roulette-russe : on prend nos points faibles de la première vague, on aggrave la situation et on verra ce que ça donne pour la deuxième vague », s’exclame Caroline Fiat.

Parce que c’est notre projet !

Alors que le couvercle de la marmite est sur le point de sauter, Emmanuel Macron, fidèle à lui même, attise le feu : « C’est pas une question de moyens, c’est une question d’organisation », lance-t-il. De quoi indigner Agnès Hartemann : « Il est complètement à côté de la réalité. C’est assez terrifiant. Ce n’est pas qu’un problème d’argent, c’est aussi un problème de conditions de travail. Dans quelles conditions va-t-on pouvoir soigner les gens dans les mois qui viennent ? Lui, il va se prendre un boomerang dans la figure. Il n’a pas compris la réalité de la situation de ce mois d’octobre. » Est-ce si surprenant que cela, venant d’Emmanuel Macron ? Comme nous le rappelle André Grimaldi, « Édouard Philippe, qui était Premier ministre à l’époque et qui a fait l’ouverture du Ségur, a dit : "La crise exige de nous, non pas nécessairement de changer de cap, mais très certainement de changer de rythme". Donc pour lui, on va dans le bon sens mais il faut simplement desserrer un peu la vis. » « C’est très difficile de savoir si leur attachement au service public est réel ou s’ils pensent que le privé va assurer tout ça, abonde Agnès Hartemann. Ou alors, en juin quand ils ont ouvert le Ségur, ils pensaient que c’était réglé... mais ça ne l’est pas du tout ! »

Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas et n’y aura jamais de « plan massif » pour l’hôpital public. Pas tant qu’Emmanuel Macron sera président de la République. André Grimaldi ne mâche pas sa déception :

« Il y a eu le discours de Mulhouse, et puis rien. On aura eu un grand hymne à l’hôpital public pour accompagner sa dépouille au Panthéon. Après un grand incendie, quand tout a brûlé, repoussent des roses, mais il peut aussi pousser des ronces. »

L’hiver vient

Sauf qu’il va bien falloir gérer l’épidémie en cours et les malades qui arrivent aux urgences. Mais comment faire avec moins de moyens, donc, mais aussi moins de personnels ? Là encore, le gouvernement et ses bras armés vont réussir à s’y mettre jusqu’aux genoux. Ainsi, alors qu’Olivier Véran lance, solennel, cet appel : « Nous avons besoin de renforts », le directeur général de l’AP-HP Martin Hirsch prévient : il « souhaite » que certains soignants « puissent renoncer à leurs vacances ». Bande de fainéants ingrats ! Caroline Fiat ne décolère pas : « C’est impossible de demander aux soignants de se passer de leurs vacances. On a besoin de se reposer ! Sinon, on va vite péter un câble. Vu les remerciements de la première fois – les intérimaires qui n’ont pas eu la prime par exemple –, la fatigue accumulée, la peur du virus, ceux qui ont été malades, ceux qui ont ramené le virus à la maison… les soignants ne vont pas s’arrêter de soigner, mais s’il y a une deuxième vague, ils n’iront pas en réa-Covid. Ils vont rester dans leur service. Vous savez, la réa-Covid, au-delà de voir des malades dans un état dramatique et de la fatigue au travail, c’est toute une vie entre parenthèse : plus de câlin à ses enfants, plus de repas en famille, plus de vie conjugale, on dort sur le canapé… »

Aux dires de chacun, il est une chose redoutée et redoutable dont l’ombre grandit jour après jour : une sorte de grande désertion des soignants, provoquée par le système lui-même. « Si on veut que le personnel revienne, il faudrait une annonce extrêmement forte sur le service public, des augmentations de salaire, des améliorations des conditions de travail. On veut travailler confortablement », explique Agnès Hartemann.

Mais pour l’heure, la dernière trouvaille pour désengorger les urgences serait d’instaurer un « ticket modérateur forfaitaire et universel » pour les passages aux urgences sans hospitalisation. Dans le podcast « Au turbin ! », on apprend que seulement 25 à 30% des arrivées aux urgences par jour amènent à une hospitalisation. Voilà tout ce à quoi nous aurons droit. Austérité, rentabilité, compétitivité. Au diable la santé !

Loïc Le Clerc


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