Baromètre de la pauvreté : des chiffres alarmants

mercredi 11 novembre 2020.
 

Un Français sur trois a vu ses revenus baisser cette année et, pour 16 % d’entre eux, cette baisse est significative. Un Français sur cinq dit ne pas pouvoir boucler ses fins de mois. Parmi les 50 % de Français qui ne sont pas partis en vacances cet été, un quart invoquent des raisons financières*.

Les indicateurs de la montée d’une pauvreté économique – mais aussi sociale et culturelle – en ces temps de crise sanitaire ne manquent malheureusement pas. Ainsi, près d’un parent sur deux estime que ses enfants accusent du retard à l’école des suites du confinement et de l’incapacité à faire classe à la maison.

Le baromètre 2020 de la pauvreté charrie son lot de chiffres et ils sont vertigineux. Dans Le Monde du 6 octobre, on pouvait par ailleurs lire qu’un million de Françaises et de Français sont passés, ces derniers mois, sous le seuil de pauvreté (revenus inférieurs à 1 063 euros par unité de consommation) et que le nombre de pauvres vient par-là même de franchir la barre fatidique des 10 millions dans notre pays. Triste record...

Derrière ces données macro-économiques qui font froid dans le dos, des femmes, des hommes, des enfants aux vies cabossées par les difficultés économiques et sociales. Cette année particulièrement, et au-delà des personnes qui éprouvaient déjà des difficultés, ce sont des tranches entières de la société qui ont basculé dans la pauvreté. La crise sanitaire est bien entendu passée par là.

Insoutenable précarité

Les témoignages se bousculent et nous submergent. Ici, un jeune homme licencié qui, pour la première fois, se rend aux Restos du Cœur pour pouvoir manger. Là, une mère de famille qui ne parvenait pas à joindre les deux bouts pour nourrir les siens et qui, pour que les enfants puissent manger à leur faim, s’astreint à ne prendre elle-même qu’un seul repas par jour. Là encore, l’étudiant qui finançait sa formation à coup de postes intérimaires l’été et qui n’a plus aucune ressource pour reprendre le chemin de la fac à la rentrée.

Parallèlement, parce qu’il faut bien que la solidarité s’organise, ce sont les associations qui se sont organisées pour faire, plus, mieux, avec parfois moins de bénévoles. Car les anciens, souvent les premiers de cordée d’un monde associatif foisonnant, ont été ceux à qui on a demandé d’être le plus précautionneux vis-à-vis de leur santé. Alors, les associations ont appris à faire sans le gros des troupes, ont réinventé des nouvelles manières de distribuer des repas, directement en bas de la tour d’immeubles. Certaines ont aussi fait face à l’augmentation exponentielle des bénéficiaires.

Des collectivités ont pris leur part en débloquant de l’argent pour aider les associations mais aussi, très concrètement, en versant aux familles dont les enfants étaient habituellement demi-pensionnaires dans les écoles, de quoi pouvoir faire les courses.

Riposte ou pis-aller ?

Passer de la difficulté à la précarité, basculer dans la pauvreté : voilà ce qui a été la réalité matérielle de nombre de Français ces derniers mois. Évidemment, la perte d’emploi a été sans conteste l’accident le plus radical, mais les baisses de revenus ont également émaillé la vie de beaucoup d’entre nous et continuent d’être une réelle épreuve. Qu’on soit salarié ayant perdu le bénéfice de quelques heures supplémentaires, intérimaire trouvant moins de contrats ou indépendant qui ne s’est pas payé le temps de retrouver une activité et de rétablir une trésorerie qui le permette, beaucoup se sont retrouvés brutalement face à des obstacles bien plus grands qu’eux.

La crise n’est pas derrière nous. Chacun le sait et ce sont aussi des craintes durables qui s’installent. Ainsi, plus d’un Français sur deux déclare avoir peur de basculer dans la pauvreté. Ce sont les mêmes qui, parce qu’ils craignent pour demain, commencent à établir des choix entre les différentes priorités du quotidien, se soigner ou se nourrir étant le dilemme le plus partagé. Ce sont les mêmes aussi qui, dans un mouvement d’anticipation mâtiné de crainte, ne sont pas partis en vacances.

La solidarité doit s’exprimer à l’échelle nationale. Les solidarités de voisinage, les réponses citoyennes et associatives, l’accompagnement des collectivités territoriales : tout cela a permis que beaucoup d’entre nous tiennent le coup. Cependant, le gouvernement doit riposter à la hauteur des enjeux sociaux vertigineux qui se posent. Il doit répondre à une question simple qui tient en peu de mots. Acceptons-nous que la pauvreté gagne du terrain en France ? La réponse est éminemment politique.

Nous vivons dans un pays riche où certaines entreprises ont gagné beaucoup d’argent pendant le confinement et ses lendemains – essentiellement sur le dos des victimes de la crise –, mais aussi où nombre de particuliers plus ou moins fortunés ont pu continuer à épargner. Si les richesses continuent d’augmenter pour certains et que d’autres basculent dans la grande précarité, alors les inégalités se creusent. Rien de bon n’émerge dans une société aux fractures béantes. Ce sont elles qui alimentent la colère, la contestation et les émeutes sociales.

Répondre à l’urgence sociale

Il faut un plan de lutte contre la pauvreté à hauteur des besoins qui ont émergé. De l’aide financière aux partenaires institutionnels ou associatifs pour les nécessités immédiates à la construction massive de logements sociaux pour anticiper les demandes futures d’une génération fauchée, il faut mettre de l’argent à tous les étages pour qu’il bénéficie à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Il faut un impôt qui permette la redistribution, vraiment et enfin. Il faut que la solidarité s’exerce à l’échelle du pot commun auquel nous avons collectivement accepté de contribuer en s’assurant que celles et ceux qui s’enrichissent puissent payer davantage.

Enfin, il faut ouvrir une discussion sur les niveaux de salaires et augmenter le Smic. C’est aussi là la manière directe d’assurer que chacun puisse vivre de son travail, en revalorisant les métiers de ces « premiers de corvée » que nous avons tant applaudis lors du confinement.

Marlène Collineau

* Enquête Ipsos / Secours populaire réalisée les 4 et 5 septembre 2020


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