Le travail doit être intégré dans le champ politique.

lundi 4 avril 2022.
 

Le travail doit être intégré dans le champ politique.

Il est nécessaire de remettre en cause une conception réductrice du travail et du travailleur, en ce début de XXIe siècle.

D’autant plus que les partis (authentiquement) de gauche, leur composante marxiste incluse, ont dissocié la division technique du travail de la division sociale du travail, si bien que le travail est essentiellement abordé comme puissance créatrice de marchandises (biens ou services) et non pas comme un rapport social notamment entre les travailleurs.

** A – Une approche productiviste du travail

Le travailleur est considéré comme un agent économique comme producteur d’une quantité croissante de marchandises participant ainsi à la croissance économique dans la terminologie capitaliste ou au développement des forces productives dans la terminologie marxiste. Le taylorisme ou le stakanovisme asservissant le travailleur à la machine et à l’organisation technique du travail dans la firme capitaliste ou dite socialiste n’est pas remis en cause par les forces dites progressistes, sinon par la simple préoccupation des cadences. En effet, la hausse de la productivité est censée créer une société d’abondance mettant fin à la misère et permettre la satisfaction des besoins matériels de consommation. Le PIB comme somme des richesses produites par le travail, malgré ses imperfections connues, est le principal indicateur de développement pour comparer les différents pays. Le travail ainsi conçu écarte toute référence aux notions de personnes, de dignité, de fierté, de solidarité, de processus civilisati onnel et de dimension spirituelle.

Remarquons, à ce propos, que la religion chrétienne ne réduit pas le travail à une activité de production de richesses matérielles mais considère aussi son contenu culturel et spirituel. Pour plus de détails, on peut se référer à une lettre envoyée par le pape à la conférence internationale des syndicats tenue à Rome en novembre 2017.

https://doc-catho.la-croix.com/Urbi...

* À l’occasion de son centenaire célébré en 2019, l’Organisation internationale du travail (OIT) a lancé un vaste mouvement de réflexion sur l’avenir du travail. Convaincue que ce dernier vise le bien-être matériel et spirituel de l’Homme, l’institution onusienne a très vite tissé des liens avec les religions. Lors d’une rencontre interreligieuse, organisée par le Saint-Siège en février 2019 à l’OIT.

Source : https://www.choisir.ch/religion/rel...

** B – La subordination du travail au capital

La subordination du travail au capital est essentiellement pensée comme un rapport d’exploitation de la force de travail par le propriétaire des moyens de production et d’échange. Le travailleur est considéré comme un opérateur économique générateur de plus-value, de profit. La théorie marxiste de la plus-value absolue et de la plus-value relative théorise cette exploitation. Dans le cas de la subordination formelle du travail au capital, le produit fabriqué n’est pas la propriété de celui qui fabrique mais le travailleur reste maître de son procès de travail comme un artisan, en quelque sorte.

Dans le cas de la subordination réelle du travail au capital, le travailleur n’est plus maître du procès travail.

La valeur d’échange d’une marchandise est définie par Marx comme le temps social moyen nécessaire à sa production et considérée par lui comme un rapport social dépendant notamment du rapport de force entre travailleur et capitaliste. C’est notamment le cas de la valeur de la force de travail exprimée par le capital variable v dont l’expression monétaire est le salaire.

Néanmoins dans une formalisation moderne de cette valeur avec le calcul matriciel, cette valeur a tendance à être considérée sous son angle purement quantitatif. Or le quantitativisme économétrique et dominant dans l’économie bourgeoise contemporaine. On arrive au règne de la toute-puissance du chiffre qui s’appuie désormais sur les techniques numériques. La politique du chiffre fait rage dans tous les domaines y compris dans les administrations publiques et même à l’hôpital avec la T2A Le travailleur devient une colonne de chiffres dans un tableau Excel. Le travail abstrait de Marx devient une entité numérique.

Concernant la subordination formelle, la subordination réelle et la sous-traitance on peut se reporter à une étude dans la revue Actuelle Marx en utilisant le lien suivant : https://halshs.archives-ouvertes.fr...

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C – L’aliénation du travailleur.

L’aliénation du travailleur est appréhendée de trois manières : la non appropriation des produits fabriqués par les travailleurs, la finalité du travail échappe à celui qui le met en œuvre ; une partie ou la totalité du processus de production échappe au contrôle du travailleur.

Le rapport de domination dans l’entreprise est donc conçu à partir du rapport économique d’exploitation de la force de travail par les propriétaires d’entreprise et autre actionnaires.

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D – le droit du travail.

Le droit du travail résultant de nombreuses luttes sociales et politiques fait progressivement son apparition dans les entreprises. Ce droit est garanti par l’État qui s’appuie sur des lois et décrets, et par des accords de branche ou d’entreprise c’est l’Etat social. L’apparition de la sous-traitance affaiblit le droit du travail et le niveau de salaire dans les entreprises preneusse d’ordre et pour les entreprises donneuses d’ordre le contrat de travail est remplacé par un contrat commercial. Il est alors important de remarquer que le travailleur devient ainsi un objet de droit mais ne devient pas pour autant un sujet de droit. Pourquoi ? Parce que le travail est pensé hors du champ politique.

** E- les limites du champ politique Le pouvoir politique appartient à la sphère étatique et des collectivités territoriales. L’individu – citoyen n’a de pouvoir politique que dans cette sphère. Le militant politique, le simple électeur, le représentant politique élu opère dans cette sphère régie par des institutions politiques. L’individu – citoyen est ainsi un sujet de droit.

Mais le travailleur dans l’entreprise n’est pas considéré comme citoyen. Pourquoi ? Nous arrivons ici à une question fondamentale. Dans l’entreprise (du domaine public ou du domaine privé), les exécutants ne sont pas maîtres de l’organisation de leur travail. Ils sont soumis à une subordination hiérarchique des cadres dirigeants et coordinateurs. L’organisation du travail échappe à la grande majorité des travailleurs. Ils sont soumis à l’autorité des managers qui sont censés être compétents dans le domaine de l’organisation du travail. Avec une autonomie plus ou moins grande, ces derniers sont eux-mêmes soumis aux exigences de la rentabilité de l’entreprise définie par les propriétaires ou les fonctionnaires de la technostructure.

Le travailleur n’est pas considéré comme une personne accordant une dignité, un sens à son travail et pouvant en être fier,mais comme un simple opérateur économique paramétré par des critères de rentabilité, d’efficacité, de rationalité.

Il n’est pas considéré comme une personne douée d’une subjectivité propre ayant un pouvoir de décision non seulement dans l’organisation du travail mais aussi dans les orientations stratégiques de l’entreprise. Néanmoins, des managers peuvent demander un « investissement personnel » du « collaborateur » pour réaliser des objectifs qu’il aura lui-même défini à partir de critères déterminés par la direction. Le neuropsychiatre d’entreprise Christophe Dejours, dans son ouvrage « La souffrance en France » a démontré le caractère dévastateur sur le plan psychologique de ce type de management culpabilisateur. La personne est dans ce cas un objet de manipulation : elle est considérée comme simple facteur productif. Ce rapport de subordination hiérarchique n’est pas considéré comme un rapport de domination sociale et politique mais comme une simple subordination technique dans la division du travail. En ne considérant que le collectif de travail (ou travailleur collectif selon Marx) on efface une réelle différence de statut entre les exécutants et les décideurs. Les mérites du philosophe Jacques Bidet sont d’avoir mis en évidence l’importance du problème de l’organisation non seulement au niveau micr-oéconomique mais aussi au niveau macro-économique complétant ainsi l’étude amorcée par Karl Marx. En réalité le pouvoir de l’entreprise comme celui de la classe dominante se répartit entre deux pôles celui de la propriété (et du marché) et celui de l’organisation (et du savoir). Le pouvoir organisationnel est non seulement un pouvoir économique mais un pouvoir politique. Cette réalité a échappé aux mouvements progressistes des pays capitalistes mais aussi aux dirigeants des pays dits socialistes. Et cela a eu des conséquences colossales sur le cours de l’histoire au XXe siècle. Les syndicats combattent certes les abus de pouvoir de la hiérarchie dirigeante dans l’entreprise mais ne remettent pas en cause fondamentalement ce pouvoir hiérarchique.

Pour la plupart de syndicats, dans le cadre du capitalisme, cela semble impossible et toujours remis aux calendes grecques. D’où la méfiance aussi, pour la majorité des mouvements progressistes, à l’égard des expériences autogestionnaires. Cette dépolitisation du travail conduit à créer un clivage entre le militantisme syndical et le militantisme politique. Cette dépolitisation du travail conduit à créer un clivage entre le militantisme syndical et le militantisme politique. Et la pérennité de cet état de fait contribue à la faiblesse de la conscience politique des citoyens dans la société.

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F- le cas particulier de la planification

Dans le cas d’une planification d’investissement productif dans différents secteurs industriels, agricoles ou autres, celle-ci peut se concevoir de deux manières : d’une manière centralisée étatique avec des décisions prises dans les cabinets ministériels et autres appareils d’État ou d’une manière décentralisée à partir d’initiatives locales au niveau des communes ou des départements faisant intervenir des élus locaux et des associations de citoyens. L’État peut jouer un rôle de coordinateur entre différentes initiatives locales. L’organisation des investissements peut ainsi être conçue d’une manière purement technique ou d’une manière politique avec une intervention des citoyens. Le travail d’organisation devient alors de nature politique.

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En conclusion : le partage des richesses produites par la population active

Mais qu’en est-il du partage des richesses produites, c’est-à-dire du partage de la valeur ajoutée ?

Au niveau de l’entreprise, il paraît presque incongru que les travailleurs se préoccupent de cette question en examinant par exemple la comptabilité analytique de l’entreprise. Ce serait pour le coup considérer le travailleur comme un citoyen dans l’entreprise. Néanmoins, et heureusement, cette question est indirectement abordée par les revendications concernant le niveau des salaires.

Au niveau national, le partage de la valeur ajoutée, c’est-à-dire, grosso modo, le partage du PIB entre salaires et profits est considéré comme un problème politique et non simplement technique. Ce problème est lié aux inégalités considérables entre les revenus d’une oligarchie et ceux du reste de la population. L’individu – citoyen a le pouvoir, avec son bulletin de vote, de porter au pouvoir le mouvement politique qui remet en cause ce partage. **

On aura donc compris que la proposition figurant dans l’Avenir en commun introduisant la citoyenneté du travailleur dans l’entrepris et la question du partage de la valeur ajoutée produite par les travailleurs ne sont pas un détail mais constituent la pierre angulaire de la révolution citoyenne.

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Voir aussi : Quelle démocratie économique et sociale dans l’entreprise ? https://www.gauchemip.org/spip.php?...

** Démocratie et travail Martine Verlhac Dans Travailler 2017/2 (n° 38), pages 183 à 222 Source : Cairn info https://www.cairn.info/revue-travai...

** Hervé Debonrivage

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