France-Maroc : après les « descentes » d’extrême droite, quatre Lyonnais présentés à un juge

mardi 20 décembre 2022.
 

Après la victoire de l’équipe de France en demi-finale de la Coupe du monde, un adolescent de 14 ans est mort fauché par une voiture à Montpellier. Plusieurs villes ont vu des groupes d’extrême droite chauffés à blanc descendre dans les rues.

Au soir du mercredi 14 décembre, des milliers de personnes ont célébré la qualification de l’équipe de France pour la finale de la Coupe du monde dans l’espace public, sous l’œil de 10 000 policiers et gendarmes déployés sur le territoire. Rien qu’à Paris, environ 25 000 personnes ont investi les Champs-Élysées.

Ces festivités ont cependant été émaillées d’incidents, dont le plus grave s’est produit à Montpellier : un adolescent de 14 ans est mort, percuté par une voiture.

Des images très crues de la scène, qui s’est déroulée dans le quartier populaire de La Paillade, ont très vite été diffusées sur les réseaux sociaux. Elles montrent une voiture blanche à l’arrêt, dans une file de véhicules. Un groupe de jeunes s’en approche et retire le drapeau français accroché à la vitre. L’automobiliste redémarre alors brusquement, s’extrait de la file en braquant vers la gauche et fauche deux personnes, dont l’adolescent, qui reste au sol.

Dans la nuit, le préfet de l’Hérault a annoncé son décès malgré l’intervention des secours. Jeudi matin, le parquet de Montpellier précise à Mediapart avoir ouvert une enquête pour « coups mortels aggravés avec arme » (c’est-à-dire la voiture), confiée à la sûreté départementale, et rechercher « l’auteur des faits », qui a pris la fuite en abandonnant son véhicule. Plusieurs élus locaux ont exprimé leur émotion après ce drame.

« La disparition d’Aymen nous plonge dans une épreuve effroyable », a déclaré la famille de l’adolescent dans un communiqué publié par Midi Libre jeudi midi. Appelant « au plus grand calme », elle exprime sa « confiance dans les institutions de la République » et demande aux médias « de respecter [son] deuil et [son] intimité ».

Des incidents ont toutefois éclaté, dans la soirée de jeudi, dans les quartiers de La Mosson et du Petit-Bard. Des feux de poubelles ont été allumés, des barricades dressées, des projectiles lancés sur les forces de l’ordre. « Le domicile d’un Montpelliérain, en lien avec le drame de la veille, a été littéralement saccagé en guise de représailles, sur fond d’expédition punitive », écrit Midi Libre.

À Lyon, le « sentiment d’impunité » perdure

Dans plusieurs villes, l’extrême droite a profité du prétexte sportif pour descendre en groupe dans la rue et provoquer des troubles.

À Lyon, peu après la fin du match, « un groupe de jeunes d’extrême droite s’est rapproché des supporters rassemblés sur la place Bellecour. Il y a eu une rixe et la police est rapidement intervenue pour repousser le groupe et le suivre », selon une source préfectorale citée par Le Progrès. Lyon Mag a retracé l’itinéraire de cette « soixantaine de membres de l’ultradroite », dans les rues de la Presqu’île.

Sollicité par Mediapart, le parquet de Lyon a confirmé jeudi matin que « huit personnes ont été interpellées au cours de la nuit » pour « participation à des attroupements armés », « violences aggravées » ou « dégradations ». Plusieurs enquêtes confiées à la sûreté départementale du Rhône visent à « déterminer leur exacte implication » et à « établir leurs motivations », ajoute le parquet, sans s’avancer à ce stade sur leur éventuelle appartenance à des mouvements d’extrême droite.

Vendredi après-midi, quatre des huit gardés à vue lyonnais, que le parquet soupçonne désormais « d’appartenir à la mouvance ultra droite », ont été déferrés en vue de leur mise en examen pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations » et « attroupement avec arme et/ou visage dissimulé ».

Le parquet de Lyon a ouvert une information judiciaire pour ces deux délits ainsi que pour des « violences à caractère raciste » n’ayant pas entraîné d’ITT. Les investigations se poursuivent sous l’autorité d’un juge d’instruction.

À LIRE AUSSI Lors de la procession du 8 décembre 2022.À Lyon, l’ultradroite « se lâche » et défie de nouveau les pouvoirs publics 15 décembre 2022 Une enquête de Mediacités pointait le « sentiment d’impunité » dont bénéficient les militants radicaux lyonnais depuis plusieurs mois, multipliant les violences et les provocations malgré la dissolution du Bastion social (en 2019) et de Génération identitaire (en 2021). Procession aux flambeaux, agressions, intimidations : l’ouverture de plusieurs enquêtes pénales et l’interdiction de certaines manifestations n’ont pas suffi à enrayer le phénomène.

Lors du conseil municipal du 15 décembre, le maire de Lyon, Grégory Doucet (EELV), a tenu à dénoncer une nouvelle fois « une idéologie à laquelle [leur] ville, capitale de la Résistance, creuset de l’humanisme, ne peut rester indifférente ». Il a demandé la fermeture de La Traboule et de l’Agogée, où se réunissent les militants d’extrême droite locaux.

Le 24 octobre 2022, le maire de Lyon avait déjà adressé un courrier au président de la République à la suite d’une manifestation sauvage d’ultradroite réunissant environ 200 personnes, scandant les slogans « Immigrés assassins » ou « L’immigration tue » après le meurtre de la petite Lola à Paris.

Emmanuel Macron a renvoyé le maire de Lyon vers le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui ne lui a pas répondu à ce jour.

À Paris, une quarantaine de militants d’extrême droite arrêtés D’après un premier bilan national dressé par le ministère de l’intérieur, 266 personnes ont été interpellées mercredi soir dans toute la France, dont 167 en région parisienne. Une partie de ces arrestations sont liées à des phénomènes de délinquance classique un soir de match : feux de poubelles, jets de projectiles, bagarres entre supporters.

Selon le parquet de Paris, 110 gardes à vue étaient en cours jeudi matin dans la capitale, essentiellement pour des « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique », « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences », « détention d’engins explosifs », « port d’arme de catégorie D » et « embuscade ». Elles ont connu des suites judiciaires variables (classements sans suite, compositions pénales, déferrements, etc.).

Parmi les gardés à vue parisiens, 38 personnes sont considérées comme « affiliées à l’ultradroite ». Elles ont été arrêtées dans le XVIIe arrondissement, à la sortie d’un bar, pour certaines en possession d’armes blanches. Une source policière, citée par l’AFP, indique qu’elles souhaitaient « en découdre sur les Champs ».

Selon Le Parisien, 15 de ces militants radicaux seraient fichés S pour leur appartenance au GUD ou à Génération identitaire. Marc de Cacqueray-Valmenier, le leader du groupuscule Les Zouaves Paris (dissous en janvier 2022) fait partie des 26 personnes dont la garde à vue a été prolongée jeudi soir.

Agrandir l’image Des supporters cagoulés de l’équipe de France brandissent un drapeau bleu-blanc-rouge, mercredi 14 décembre, sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris. © Photo Julien de Rosa / AFP À Montpellier, « une poignée de militants nationalistes a gâché la célébration » Outre le décès de l’adolescent évoqué plus haut, Montpellier a aussi été le théâtre d’incidents impliquant l’extrême droite.

Marie Deghetto et Caroline Couffinhal, journalistes pour La Gazette de Montpellier, couvraient la soirée de la demi-finale. Selon leur récit, publié dans la soirée de mercredi sur le live de leur journal, « une poignée de militants nationalistes a gâché la célébration ».

Auprès de Mediapart, elles racontent : « Quelques minutes avant le coup de sifflet final, nous sommes allées sur la place de la Comédie. Il y avait énormément de supporters du Maroc et c’était très tranquille. Puis, nous avons vu des gens monter sur la statue des Trois-Grâces, drapeau occitan à la main. Ils ont commencé à crier : “On est chez nous !” »

« Quelques instants plus tard, poursuivent les deux journalistes, des supporters du Maroc ont voulu les rejoindre sur la statue, mais c’était pour faire la fête avec eux. Ils ne savaient visiblement pas qu’il s’agissait de militants nationalistes. Un supporter marocain s’est fait gazer à bout portant par l’un des hommes, qui avait une bombe lacrymogène. Et c’est à partir de là que ça a commencé à chauffer. Des personnes, dont certaines étaient cagoulées, ont envoyé des feux d’artifice en direction des nationalistes. C’est devenu chaud. En cinq minutes, des chaises ont volé sur la place. Et il y a eu pas mal de bagarres. Il a fallu attendre une bonne dizaine de minutes avant l’intervention des CRS, qui ont envoyé les lacrymos. »

Jeudi midi, le fil Telegram « Ouest Casual », émanation de l’ultradroite, relayait plusieurs vidéos des incidents place de la Comédie.

À Bordeaux, SOS Racisme a constaté des tags apparus dans la nuit sur son local : « La France aux Français », « Action directe identitaire » et « plus d’OQTF ». Dans un communiqué, l’association appelle les pouvoirs publics « à faire preuve de la plus grande fermeté à l’endroit de ces activistes d’extrême droite violents et racistes » mais aussi de « mettre un terme à la course absurde derrière l’électorat d’extrême droite ».

Sud-Ouest rappelle qu’à Bordeaux, le 7 décembre, une vingtaine de militants d’extrême droite armés de barres de fer sont venus perturber une conférence donnée par deux députés de La France insoumise à la faculté de lettres. Une semaine plus tôt, une association de solidarité avec les immigrés avait elle aussi vu ses locaux recouverts de tags identitaires.

À Nice enfin, selon Le Figaro, des hommes cagoulés ont couru à la poursuite de supporters marocains mercredi soir, en criant « Dehors les Arabes » et « On est chez nous ». Nice-Matin relate qu’au coup de sifflet final, « les identitaires prennent en chasse un groupe de supporters, drapeau marocain sur le dos », conduisant les forces de l’ordre à utiliser des gaz lacrymogènes et des lanceurs de balles de défense « pour disperser ces groupes » sur l’avenue Jean-Médecin.

Le spectre des « ratonnades » Depuis mercredi soir, plusieurs responsables politiques de la Nupes (Insoumis, écologistes, socialistes) ont dénoncé des « ratonnades » et pointé la responsabilité des pouvoirs publics, insuffisamment conscients du danger ou actifs contre la menace que représentent ces groupes. La cheffe de file des députés LFI, Mathilde Panot, s’est ainsi dite « très inquiète » de voir agir « en toute impunité » des « groupuscules d’extrême droite ».

À LIRE AUSSI Coupe du monde 2022 : à Asnières-sur-Seine, les supporters marocains déçus, mais fiers d’avoir brillé devant le monde entier 15 décembre 2022 Sur Twitter, la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, Marine Tondelier, a également interpellé Éric Zemmour et Jordan Bardella sur Twitter en ces termes : « Vous qui depuis trois jours annonciez que ça allait dégénérer hier pour France-Maroc… Vous ne nous aviez pas dit que vous parliez de vos alliés identitaires de l’ultra-droite qui préparaient des ratonnades à l’ancienne… Des multirécidivistes en plus… »

Avant le match, Europe 1 citait une note du renseignement intérieur sur les risques de « débordements » et de « délinquance d’opportunité » liés à la demi-finale, produite deux jours plus tôt. La radio s’appuyait sur ce document pour pronostiquer que « la présence de l’ultradroite dans la rue pourrait ajouter de la pagaille », sans que ces éléments semblent issus de la note elle-même.

Europe 1 évoquait notamment la possibilité que « plusieurs dizaines de membres des “Strasbourg Offender”, un groupuscule hooligan composé de néonazis, identitaires et ultranationalistes », descendent dans le centre-ville de la capitale alsacienne « pour y “patrouiller” et rétablir un ordre qu’ils estiment mal tenu par des forces de sécurité intérieure ».

Aucun événement particulier ne s’est cependant produit à Strasbourg mercredi soir, hormis une photo relayée par « Ouest Casual », sur laquelle les Strasbourg Offender posent en groupe près de la cathédrale, avec deux drapeaux à croix celtique.

La rédaction de Mediapart


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