CAC 40 : tout pour le capital, nouvelle saison

samedi 21 janvier 2023.
 

Même dans les temps difficiles, la spirale prix-profits-capital prospère allègrement. En 2022, les entreprises du CAC 40 ont reversé 80,5 milliards d’euros à leurs actionnaires. Un record. Le capitalisme de la rente croît et embellit.

PlusPlus les années passent, plus elles se ressemblent. Alors que les économistes et les responsables politiques glosent depuis des mois, avec le retour de l’inflation, sur les dangers de voir se reconstituer la spirale prix-salaires, la spirale prix-profits-capital, elle, prospère allègrement.

Elle n’a même jamais été aussi élevée pour les sociétés du CAC 40, à s’en tenir aux résultats présentés par la lettre financière Vernimmen de janvier. D’après ses calculs, ces entreprises ont versé 80,5 milliards d’euros à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions en 2022.

Ce montant constitue un record absolu. « Le niveau le plus haut jamais enregistré depuis que nous faisons cette étude [2003] », reconnaît la lettre financière. En 2021, Vernimmen avait calculé que les sociétés du CAC 40 avaient distribué 69,4 milliards d’euros à leurs actionnaires. En une année, alors que l’économie mondiale est soumise à de multiples chocs, ces groupes ont décidé qu’il était opportun d’augmenter de 16 % en moyenne leur distribution.

Même si les bénéfices distribués en 2022 sont la résultante des profits record de 2021, année de rebond après l’arrêt économique provoqué par la pandémie, ces chiffres illustrent la permanence de la stratégie adoptée par ces groupes : tout pour le capitalisme actionnarial.

« Ces chiffres, qui sont excellents, ne sont qu’à l’unisson d’autres tout aussi excellents enregistrés en 2022, malgré un contexte économique et géostratégique compliqué », observe Vernimmen.net, soulignant la baisse du taux de chômage, le nombre élevé des créations d’entreprises ou des levées de fonds à un niveau inédit par les start-up.

Figurant depuis des années au sommet des classements des groupes internationaux qui distribuent la plus grande partie de leurs bénéfices aux actionnaires, les sociétés françaises n’ont pas failli à la tradition : elles distribuent la moitié ou plus de leurs bénéfices à leurs actionnaires, quand les firmes allemandes sont autour du tiers.

Comme chaque année, les mêmes noms reviennent en tête des sociétés les plus généreuses. TotalEnergies arrive naturellement en tête avec 13,3 milliards d’euros suivi par LVMH (7,1 milliards), Sanofi (4,7 milliards), BNP Paribas, Stellantis (ex-PSA), AXA et Crédit agricole ne sont guère loin derrière.

Mais il y a plus frappant encore que la distribution des dividendes : c’est la part prise par les rachats d’actions. Année après année, cette pratique ne cesse de progresser pour atteindre des proportions qui atteignent là encore des sommets. En 2022, les groupes du CAC 40 ont dépensé 23,7 milliards d’euros pour racheter leurs propres d’actions avant de les annuler. Une pratique qui n’a pas pour seul objet de faire monter leurs cours.

« La France n’aime pas trop les profits (…) », éditorialise dans Les Échos le journaliste David Barroux, condamnant par avance jusqu’à la caricature tous les discours critiques sur les politiques actionnariales des grands groupes. « L’évidence devrait nous pousser à admettre tout d’abord que les profits sont déjà le meilleur carburant pour nourrir les investissements des entreprises », poursuit-il, en reprenant implicitement le fameux théorème « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». L’ennui est que ce théorème de novembre 1974 ne fonctionne plus depuis bien longtemps.

S’il existe un État-providence en France, c’est désormais pour le capital.

Comment justifier de telles redistributions de capital ? Car il ne faut pas se faire d’illusion. Au vu des résultats des groupes du CAC 40 au premier semestre 2022 (82 milliards d’euros), la débauche de dividendes va se poursuivre cette année. Dans le même temps, les dépenses d’investissement et de recherche et développement diminuent. Et les destructions d’emplois se poursuivent. Au nom de la maîtrise des coûts et des temps difficiles.

Les thuriféraires du capitalisme actionnarial justifient l’action des grands groupes au nom de la nécessité de savoir récompenser le risque. Mais où est le risque quand les banques centrales pendant une décennie ont injecté dans le système financier des centaines de milliards d’argent gratuit ? Quand le gouvernement, après avoir abaissé toute la fiscalité sur le capital – de l’impôt sur les sociétés à l’impôt sur la fortune en passant par la flat tax sur les dividendes –, continue à verser des centaines de milliards indistinctement et sans contrepartie à l’ensemble des sociétés travaillant sur le territoire ? Et les premières entreprises bénéficiaires sont les groupes du CAC 40.

D’après les travaux de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et de la CGT, des chercheurs du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), le total des aides publiques versées aux entreprises s’élevaient à 157 milliards d’euros en 2019. Un « pognon de dingue » qui a encore grossi avec la pandémie et la crise. Certains évoquent désormais la somme de 200 milliards d’euros, soit plus du tiers du budget de l’État.

S’il existe désormais un État-providence en France , c’est désormais pour les entreprises et plus largement pour le capital. Et là, personne n’évoque la question des fraudeurs et des assistés.

Le deuxième argument en défense du capitalisme actionnarial est que rendre le capital aux actionnaires permet une meilleure allocation des ressources, le marché étant bien plus apte que tout autre moyen pour sélectionner les investissements les plus prometteurs. La multiplication des bulles et des crises qui marquent les décennies du néolibéralisme en fait douter.

Et l’éclatement des bulles des valeurs technologiques, immobilières, et même des crypto-actifs qui est en cours actuellement illustre à nouveau le fonctionnement total erratique des marchés fonctionnant selon les modes entre l’euphorie et la déprime, et se livrant à toutes les spéculations.

En choisissant d’encourager ces mouvements, voire en les soutenant plutôt que de les corriger, le gouvernement favorise une concentration de richesses à des niveaux inégalés entre peu de mains. Au-delà de l’affichage, ce n’est pas son projet de dividende salarié qui va inverser la tendance. Le pouvoir a délibérément opté pour un capitalisme de rente. Et l’assume.

Martine Orange


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message