Aux abords de l’Assemblée nationale : « Vous ne trouvez pas que ça sent 1789 ? »

mardi 28 mars 2023.
 

Près du palais Bourbon, des salariés et des étudiants ont attendu le vote de l’Assemblée nationale toute une partie de la journée. Celui-ci ne viendra pas. Le gouvernement a imposé sa réforme des retraites par le 49-3, redonnant un nouvel élan à la mobilisation sociale.

Khedidja Zerouali, Christophe Gueugneau, Célia Mebroukine et Youmni Kezzouf

16 mars 2023 à 21h23

La place de la Concorde tremble encore sous les chants des manifestant·es à 20 heures, jeudi 16 mars, quelques heures après que le gouvernement a imposé sa réforme des retraites par l’article 49-3 de la Constitution.

« On est là, on est là » ou encore « La retraite à 60 ans on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder » mais aussi le plus classique « Tout le monde déteste la police ». Organisé à l’origine par Solidaires, le rassemblement sur cette place emblématique de Paris a connu un certain succès.

En début de soirée, les forces de l’ordre sont entrées en action, notamment avec des canons à eau. Leurs charges et l’utilisation de gaz lacrymogènes ont éloigné les manifestant·es du pont qui mène à l’Assemblée nationale, et les ont repoussé·es de l’autre côté de la place. Au moins huit personnes ont été interpellées, a indiqué la préfecture.

Au même moment, l’intersyndicale, dans une ambiance plus calme, annonçait une nouvelle « grande journée de grèves et de manifestations » le jeudi 23 mars.

Place de la Concorde, les manifestant·es n’ont pas attendu la semaine prochaine. Jeudi 16 mars, vers 16 heures, à l’arrivée des premiers d’entre eux, des cordons des forces de l’ordre se sont immédiatement déployés pour contenir la jeunesse sur la place.

Des manifestant·es venant d’un autre rendez-vous, de l’autre côté de l’Assemblée nationale, les ont bientôt rejoint·es. Des camions du syndicat Sud ont craché pendant plusieurs heures musique et discours de syndicalistes devant une foule réceptive, prête à reprendre tous les slogans.

L’humeur générale est à la détermination face au coup de force de l’exécutif sur la réforme des retraites. Une détermination que les forces de l’ordre ont du mal à repousser, face aux lancers de bouteilles ou de cailloux. La nuit tombée, toutefois, les charges commencent : grenades lacrymogènes, canon à eau, grenades de désencerclement. La foule recule sans fuir et les chants continuent.

Place de la Concorde, sur un air révolutionnaire

« Vous ne trouvez pas que ça sent 1789 ici ? », interroge une quadragénaire ravie de voir les foules arriver sur la place. « C’est ici qu’on avait installé la guillotine, c’était en juin 1789 mais avec le réchauffement, on a presque le même soleil que si on était déjà en juin », ajoute-t-elle dans un sourire. Derrière elle, les slogans contre la police se diversifient au fur et à mesure que les rangs de CRS et de gendarmes se densifient.

Certain·es manifestant·es sont venu·es avec des pancartes faites à la hâte, fustigeant sur tous les tons le manque de respect d’Emmanuel Macron pour la démocratie, d’autres avaient la chasuble syndicale dans le sac et se sont dépêchés de l’enfiler, d’autres encore sont venus là directement après leur journée de travail. C’est le cas de William Martinet, député La France insoumise des Yvelines, qui a quitté l’Assemblée nationale pour se joindre à eux.

À la Concorde flottent les ballons du syndicat Solidaires, qui avait appelé à un rassemblement à 15 heures. Sa tenue a été dans un premier temps interdite par la préfecture de police, mais le tribunal administratif a finalement donné raison au syndicat à l’issue d’un saisi en référé.

L’État doit même 1 000 euros à Solidaires… qui iront peut-être directement dans les caisses de grève puisque le syndicat l’annonce déjà : « Ce 49-3 dans ce contexte de colère sociale et de mobilisations massives ajoute de l’huile sur le feu… Solidaires continuera à construire dans les heures qui viennent, de la manière la plus unitaire possible, la réponse sociale à ce déni de démocratie et à exiger le retrait de cette loi injuste et illégitime. »

Un 49-3 qui relance la colère sociale

Sur place, Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, l’une des militantes pressenties pour prendre la tête de la CGT après Philippe Martinez lors du congrès de la confédération qui aura lieu à la fin du mois, assure que le passage en force est de nature à « attiser la colère des salariés ».

Et ils ne sont pas les seuls. Les étudiant·es comptent bien se greffer à cette mobilisation sociale selon la porte-parole du syndicat l’Alternative, Eléonore Schmitt, de même que le personnel des hôpitaux, à l’instar de Nicolas, aide-soignant aux urgences arrivé sur la place de la Concorde rapidement après le non-vote à l’Assemblée nationale.

Si la suite du mouvement social paraît encore incertaine, entre poursuite par la traditionnelle grève et durcissement par le blocage de l’économie, une chose est sûre : le 49-3 a ravivé la gronde sociale.

À 12 h 30, devant l’Assemblée nationale, quand le 49-3 n’était encore qu’une hypothèse, l’ambiance était beaucoup plus studieuse.

De nombreux journalistes jouaient des coudes et levaient leurs cartes de presse pour pouvoir accéder à la conférence tenue par l’intersyndicale. Un comble : les gendarmes choisissaient, un à un, les journalistes qui avaient le droit, ou pas, d’aller tendre un micro à Laurent Berger, Simon Duteil ou Philippe Martinez.

La place du Palais-Bourbon, qui accueillait la conférence, est quadrillée par les forces de l’ordre depuis le matin. Les journalistes non désignés, les militants syndicaux, les citoyens curieux sont éloignés des alentours de l’Assemblée.

« Nous aussi on veut la retraite à 55 ans comme les gendarmes ! » crie avec colère Paco, professeur dans un lycée public de la région parisienne. Il est 13 heures et l’enseignant, qui a enchaîné les journées de grève depuis le début du mouvement, fulmine face aux rangées de gendarmes l’empêchant d’accéder à la place : « L’Assemblée nationale, c’est la maison du peuple, donc si je veux revendiquer mes droits, je viens ici. On veut une retraite correcte, on veut pouvoir partir à la retraite à un âge raisonnable et il faut que les députés, qui sont censés nous représenter et travailler pour nous, l’entendent. Je suis venu le leur dire de nouveau. »

Paco prévient : si le gouvernement choisit le 49-3, « on bloque tout ». Et de faire référence aux épreuves du bac qui arrivent à grand pas et qui pourraient bien être bousculées par un grand mouvement de grève et de blocage du côté de l’Éducation nationale.

Un jardinier syndiqué à la CFDT prêt à « tout bloquer »

Sur la place, tous disent la même chose. Y compris les syndiqués de la CFDT, syndicat réformiste bousculé dans ses pratiques depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites.

Lionel, jardinier à la Ville de Paris, une chasuble orange sur le dos, parle comme son secrétaire général, Laurent Berger : « En cas de vote, je respecte le processus démocratique. Mais s’ils passent par le 49-3, alors là… Je serai prêt à tout, la manifestation, la grève générale, le blocage total, taper partout où ça a un impact, où ça leur fait mal. »

Quitte à continuer à perdre en salaire. Lionel est payé 1 500 euros net par mois et, à l’exception de la journée du 15 mars, il s’est mis en grève chaque fois que l’intersyndicale a appelé à la mobilisation. Un coût financier énorme pour le jardinier, qui ne compte pas s’arrêter là : « C’est un sacrifice, pour moi, pour mon petit-fils, pour les autres. »

À 53 ans, Lionel se dit déjà fatigué par les postures difficiles, le travail à l’extérieur par tous les temps, et l’assure, il est déjà « tout cassé », il ne pourra pas tenir jusqu’à 64 ans. Dans le fond, des cheminots, des agents de Pôle emploi, des lycéens crient : « On lâche rien, tout est à nous. »

Il est 14 heures pile, le vote est dans une heure et, autour du palais Bourbon, la gendarmerie se crispe un peu plus, contrôle des sacs, des identités, et, à part les journalistes et celles et ceux qui travaillent dans le coin, personne ne passe. Le très chic Café Concorde est empli de gilets rouges CGT : « Pas le public qu’on reçoit d’habitude », s’amuse le barman qui, lui non plus, ne pense pas pouvoir travailler jusqu’à 64 ans.

De l’autre côté de l’Assemblée nationale, au bout du pont de la Concorde, une vingtaine de personnes se prélassent au soleil en attendant le dénouement, le vote ou pas, le 49-3 et le début du chaos.

Et puis il y a un périphérique qu’on peut bloquer, en faisant ça, on asphyxie Paris.

Geneviève, enseignante à la retraite

Parmi eux, Geneviève et son mari. « On voulait aller à la prise de parole de l’intersyndicale mais les gendarmes ne nous ont pas laissé passer. On voulait y être pour dire qu’on ne veut pas de la réforme des retraites, pas plus que de la réforme de l’assurance-chômage, ni de ce monde-là qu’ils nous proposent. »

Geneviève a 72 ans, elle est enseignante d’histoire-géographie à la retraite, et se sent « méprisée continuellement par ce gouvernement ». Ce soir, demain et les jours qui suivront elle sera des blocages, des manifestations et des actions les plus dures à Paris. « Et puis il y a un périphérique qu’on peut bloquer, en faisant ça, on asphyxie Paris. J’espère que ça va péter. » Elle concède avoir un peu peur de la violence de la police mais elle sera de ceux et celles qui diront leur colère jusqu’au bout.

À quelques mètres d’elle, trois jeunes hommes discutent. Ils attendent tous de savoir ce qu’il adviendra de la réforme des retraites dans une demi-heure. L’un est couvreur, récemment devenu chargé d’affaires dans son entreprise, au bénéfice de la santé de son dos. Il était de toutes les mobilisations contre la réforme des retraites parce que « des couvreurs qui vivent longtemps après avoir pris leur retraite, j’en connais pas beaucoup ».

Le second est intermittent. Le dernier est brasseur, un bleu de travail sur le dos, un bouquin révolutionnaire dans la poche et un écouteur dans l’oreille droite qui lui permet de suivre en direct ce qui se passe à l’intérieur de l’Assemblée nationale, branché sur La Chaîne parlementaire.

Il est 15 heures et le gouvernement vient d’annoncer qu’il passera par la force, au mépris des plus grandes mobilisations sociales de ces trente dernières années, malgré des sondages toujours plus sévères et une intersyndicale complète et unie. « 49-3 ou pas, ta réforme, on n’en veut pas », crient en chœur les foules au départ de l’Assemblée nationale, direction la place de la Concorde. Le brasseur, son oreillette toujours bien fixée, se retrouve au milieu d’électriciens, de mainteneurs de la RATP, de salarié·es de Monoprix excédé·es.

En réaction à la décision de l’exécutif de passer par la force, un cortège s’élance pour ce qu’ils espèrent être le début d’un renouveau du mouvement social contre la retraite à 64 ans.

Khedidja Zerouali, Christophe Gueugneau, Célia Mebroukine et Youmni Kezzouf


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