Sur la fusion en cours entre fascisme et néolibéralisme

lundi 18 mars 2024.
 

19 décembre 2023, après quelques jours de frénésie politique et bien des péripéties, la loi immigration portée par le gouvernement et par Gérald Darmanin est adoptée à la fois par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Quelques jours plus tôt, le locataire de la Place Beauvau et homme fort du gouvernement avait subi un immense camouflet à la suite de l’adoption d’une motion de rejet dès le début des débats sur sa loi. S’il ne fallait pas être dupe du vote de Les Républicains et du Rassemblement National – qui ont ostensiblement affirmé qu’ils avaient voté contre parce que la loi n’allait pas assez loin – cela a constitué une défaite majeure pour le gouvernement.

À cette défaite ont succédé une commission mixte paritaire qui a fortement durci le texte initial, des marchandages avec LR et le RN pour s’assurer de leurs votes et in fine l’adoption dudit texte durci grâce à l’adjonction des voix de la droite extrême et de l’extrême-droite. Le gouvernement et Emmanuel Macron ont beau eu vitupérer que le texte n’avait pas été adopté avec les voix de l’extrême-droite ou expliquer que le conseil constitutionnel avait censuré une bonne partie des dispositions – donc laisser ce dernier arbitrer politiquement pour le compte du pouvoir en place, ce qui n’est pas sans conséquences mortifères – la réalité est bien présente sous nos yeux depuis lors : l’adoption de cette loi importante pour le gouvernement grâce aux voix de l’extrême droite n’était pas un coup politique mais bien un franchissement de seuil dans la fusion en cours entre macronisme et lepénisme.

Le barrage effondré ?

6 février 2024, dans un entretien au Monde, le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, explique qu’il est prêt à travailler avec toutes les oppositions et que, pour lui, “l’arc républicain c’est l’hémicycle”. Outre le choix douteux du 90ème anniversaire du coup fasciste tenté par toute une myriade de groupuscules d’extrême-droite – mais peut-être faut-il y voir, 90 ans après leur victoire symbolique, le jour où la République ne vacille plus mais abdique – cette déclaration, arrivant quelques jours seulement après son discours de politique générale centré sur les questions d’ordre (“Tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies”), matérialise avec puissance le nouveau stade dans lequel se trouve le pouvoir macroniste.

Jusqu’ici, en effet, le fameux barrage évoqué sempiternellement dans les entre deux tours opposant un candidat dit républicain à un autre provenant de l’extrême-droite s’était transformé en barrage hydroélectrique apportant de la puissance à cette dernière. Les dernières semaines ont marqué une véritable rupture dans cette dynamique, qui était déjà mortifère par ailleurs. En faisant voter une loi importante grâce à ses voix puis en le faisant intégrer de manière explicite l’arc républicain, le pouvoir en place ne se contente plus d’être un carburant pour le fascisme de par sa politique antisociale et autoritaire, il en devient l’allié objectif dans la création d’un bloc néolibéral fasciste. Macron est pareil à ces éléments chimiques qui sont à la fois les symptômes d’une réaction et les catalyseurs de cette dernière, il est actuellement en train d’épouser l’ensemble ou presque des thèses de l’extrême-droite et symbolise à merveille ce que devient le capital une fois qu’il est radicalisé.

La poutre travaillée

Le macronisme a évidemment une responsabilité immense dans la fusion en cours. Un pouvoir cynique – qui avait commencé son premier quinquennat par la phrase sur les kwassa kwassa – prêt à toutes les compromissions pour défendre les intérêts du capital et adossé à une armée de managers sans aucune colonne vertébrale politique ni réelle intelligence, voilà les ingrédients parfaits pour réaliser ce tour de force de se faire absorber par l’extrême-droite alors même que l’on est au pouvoir. Il faut cependant être conséquent lorsque l’on aborde ce genre de sujets graves.

Et la conséquence, ici, nous oblige. Elle nous oblige à rappeler que tout ce qui arrive aujourd’hui vient de loin. Elle nous oblige à nous souvenir de la droite décomplexée de Sarkozy, de ses sorties de matamore et de son ministère de l’identité nationale. Elle nous oblige aussi à nous remémorer la capitulation intellectuelle en rase campagne de Hollande, le pouvoir immense donné au petit Valls et la tentative avortée d’inscrire la déchéance de nationalité dans la loi. Elle nous oblige également à parler de toutes ces personnes qui, consciemment ou non, ont continué à soutenir mordicus qu’il existait une aile gauche au macronisme. Elle nous oblige, enfin, à incriminer tous ces responsables politiques qui n’ont rien fait pour arracher les médias des griffes de milliardaires peu scrupuleux, médias qui jouent aujourd’hui un grand rôle dans la fascisation de ce pays fourbu à force de matraquage.

Singeries et déchéance Tout ceci – et la liste pourrait être immensément plus longue – nous rappelle une chose importante, une leçon de l’histoire qui s’impose désormais à notre époque contemporaine : singer les fascistes n’évite pas les fascistes, peu importe ce qui se mélange au brun c’est à coup sûr le brun qui finit par l’emporter. Sans doute qu’au départ il s’agissait de tactique, faire monter l’extrême-droite pour être certain de l’emporter au second tour de l’élection présidentielle, notre système électoral étant dysfonctionnel au possible.

Cette stratégie ne se départissait pas d’un corollaire à la fois malhonnête et dangereux, celui de renvoyer dos à dos l’extrême-droite et la moindre opposition de gauche hostile au néolibéralisme. Aussi la France Insoumise a-t-elle été placée dans le même sac que le Rassemblement National pendant de nombreux mois par le pouvoir en place. Si cette stratégie avait pour but de casser la NUPES, elle n’a pas été sans conséquence mortifère. Au-delà de diaboliser la FI, celle-ci a effectivement crédibilisé et normalisé plus encore le RN. Par sa phrase dans le Monde, Gabriel Attal est assurément arrivé au bout de cette logique mortifère. Il s’agissait hier d’exclure la FI du champ républicain, la voilà aujourd’hui réintégrée mais comme son ostracisation s’accompagnait (mollement) de celle du RN, sa réintégration implique l’intégration du RN. Voici donc venu le temps du stade final de la déchéance politico-intellectuelle du champ politique.

Passer du lapin au loup Une fois que nous avons dit tout cela, que reste-t-il à faire ? Se rouler en boule dans un coin en attendant l’impact ? Certains partis dits de gauche semblent avoir adopté cette position. Ou, pour être plus précis, ressemblent à ces lapins pris dans les phares d’une voiture et ne sachant que faire car tétanisés. Plutôt que de jouer aux lapins, il devient chaque jour plus urgent que ce qu’il reste de la gauche se transforme en loup pour parer les catastrophes qui arrivent parce que s’il y a bien une chose de claire, c’est que cette fusion entre néolibéralisme et fascisme a toutes les chances de se renforcer dans les années à venir.

Il est toujours délicat de pronostiquer politiquement l’avenir et l’on court toujours le risque de passer pour un imbécile si ce que l’on annonce ne se produit pas. Ceci étant dit et cette précaution étant prise, sur le temps mi-long du pouvoir macroniste depuis 2017 nous avons de bonnes raisons de penser que cette coalisation a toutes les chances de se renforcer. Néanmoins, les choses peuvent évoluer rapidement. En mars 2014, personne n’aurait pu prédire l’émergence d’Emmanuel Macron ni que 10 ans plus tard il serait encore au pouvoir. Les gauches, à commencer par toutes celles qui ont refusé une liste unitaire pour les élections européennes, doivent être à la hauteur de l’histoire et du moment que nous vivons. Plutôt que de défendre leur petit pré carré, il serait grand temps qu’elles prennent conscience de l’incendie qui nous guette et qui, sous bien des aspects, a déjà démarré. Dans la Grèce antique la καταστροφή (katastrophế) signifiait le renversement. Faisons donc en sorte que la catastrophe advienne pour le bloc néolibéral fasciste et non pas pour l’idée républicaine.

Marwen Belkaid


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message