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Après ses propos remettant en cause la décision de justice contre le RN, le premier ministre s’est, une nouvelle fois, enfoncé dans des bribes d’explications incompréhensibles. Y compris au sein de ses propres troupes, on prend ses distances.
https://www.mediapart.fr/journal/po...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250401-175301&M_BT=1489664863989
Àpeine 20 secondes de séance et les huées montaient déjà entre les murs de l’Assemblée nationale. Jean-Philippe Tanguy, député du Rassemblement national (RN), venait de prendre le micro pour dénoncer le « quarteron de procureurs et de juges [exerçant] la vendetta du système contre Marine Le Pen ». Les protestations sur l’ensemble des bancs – hors extrême droite – ont recouvert les paroles de l’élu, qui s’est mis à hurler : « Nous ne nous laisserons pas voler l’élection présidentielle, aucun député du RN ne laissera diffamer celle qui incarne l’espérance du peuple de France ! »
Au lendemain de la condamnation de Marine Le Pen et de plusieurs de ses lieutenants, jugés coupables d’avoir détourné 4,1 millions d’euros de fonds publics du Parlement européen, c’est pourtant moins l’extrême droite que le premier ministre lui-même qui s’est retrouvé sur le banc des accusés. En cause, ses commentaires sur la décision des juges. Lundi, l’entourage de François Bayrou indiquait que ce dernier avait été « troublé par l’énoncé du jugement ». Le même répétait son malaise, mardi matin, lors du petit-déjeuner du « socle commun » à Matignon, en glissant que « la France est le seul pays où on fait ça ».
Avant la séance de mardi après-midi, le porte-parole du groupe RN Thomas Ménagé expliquait déjà attendre « que le premier ministre s’exprime en dehors des salons et des réunions de groupe en disant précisément ce qu’il pense de l’exécution provisoire ». « On veut connaître la conception de la démocratie qu’a le gouvernement », a-t-il ajouté. « Le premier ministre peut répondre par des avancées législatives sur la question, voulait croire un autre député du groupe. Il a en tout cas l’air enclin à dire ce qu’il pense sur ce sujet. »
Pressé de questions mardi dans l’hémicycle, François Bayrou n’aura toutefois pas dissipé les ambiguïtés, se contentant de réponses aussi sinueuses qu’indigentes. À Boris Vallaud, président du groupe socialiste au Palais-Bourbon, qui demandait solennellement au premier ministre d’exprimer son « soutien inconditionnel » à la justice de son pays, l’intéressé s’est empêtré dans ses contradictions.
« Le soutien que nous devons apporter aux magistrats dans l’exercice de leurs fonctions doit être un soutien inconditionnel… », a-t-il commencé, avant de souligner, sous les hochements de tête de Marine Le Pen que « le seul point de l’exécution provisoire fait que des décisions lourdes et graves ne sont pas susceptibles de recours ». Puis, le premier ministre a étrangement poursuivi mais « comme citoyen [sic] » pour tenter de développer une idée… qu’il n’a pu mener à son terme, face aux remous d’incompréhension sur les bancs à gauche de l’hémicycle. Une formule qui a également rendu « furieux » plusieurs députés de la majorité, selon l’un d’entre eux.
Relancé par l’écologiste Cyrielle Chatelain quelques minutes plus tard, le Béarnais n’a pas été beaucoup plus clair. « Les magistrats sont dans l’exercice de leur mission et il est légitime que nous leur apportions notre soutien. Après… », a-t-il commencé sous les « Nooooon ! » d’une gauche consternée que le soutien à la justice puisse s’accompagner d’un « après » signifiant « mais ».
Une fois encore, François Bayrou, visiblement déstabilisé, s’est tourné vers les député·es insoumis·es, se raccrochant comme une bouée de sauvetage à leurs déclarations de la veille. Dans un communiqué, le parti de Jean-Luc Mélenchon avait participé aux critiques de la décision de justice en remettant en cause l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité de la présidente du RN.
Un premier ministre jetant le doute sur une décision alors même que l’extrême droite crie au complot et que la magistrate est elle-même personnellement mise en cause et menacée ? Y compris dans la coalition gouvernementale, les déclarations de François Bayrou ont créé le malaise.
Toute la journée, les critiques se sont multipliées sur ses propos. Porte-parole du groupe MoDem à l’Assemblée, Perrine Goulet s’est publiquement inscrite en faux : « Nous ne sommes pas troublés, on est en phase avec ce qu’ont dit les juges », a-t-elle assumé devant la presse. Au micro de TF1, Erwan Balanant, député MoDem, a lui aussi pris ses distances : « Déjà, la France n’est pas le seul pays à avoir des peines d’inéligibilité […]. Il se dit troublé, moi je ne suis pas troublé, non. »
Dans le reste de la coalition gouvernementale, les propos de l’élu de Pau n’ont pas trouvé davantage de soutien, au contraire. Lors de leur réunion de groupe, mardi matin, les député·es macronistes ont ainsi applaudi le député Pieyre-Alexandre Anglade lorsque celui-ci a pris la parole pour dire qu’il « n’imaginai[t] pas que le premier ministre ne soit pas pour la séparation des pouvoirs ». « La conférence de presse du RN ce matin a été d’une violence inadmissible contre les juges. Quand on est le premier ministre, on ne peut pas emprunter une pente aussi glissante », ajoute-t-il auprès de Mediapart.
D’autres voix se sont élevées en ce sens. « Darmanin et Bayrou ne sont pas très à l’aise avec la question de l’exécution provisoire. Moi, en tout cas, je ne veux pas tomber dans le piège tendu par le RN de ne parler que de l’inéligibilité et non de la culpabilité de Marine Le Pen », souligne par exemple le député macroniste Pierre Cazeneuve. Interrogée par Mediapart, pour savoir si elle estimait que les propos de François Bayrou étaient exagérés, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a répondu par un silence éloquent.
Même critique en creux du côté des soutiens d’Édouard Philippe. « Il est assez compliqué de contester une loi votée en son temps. À mon niveau et au niveau du groupe, nous sommes pour la stabilité de l’État de droit : la décision est conforme aux textes en vigueur », a rappelé Paul Christophe, président du groupe Horizons.
M. Bayrou a besoin du soutien du RN et de ses amis à l’Assemblée nationale pour pouvoir maintenir son gouvernement.
Mathilde Panot, députée La France insoumise
Sur le fond, les explications méandreuses de François Bayrou révèlent son embarras face à une situation qui lui est en réalité familière. Relaxé en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem – son parti et cinq de ses eurodéputés ont été condamnés pour détournement de fonds public –, il attend lui-même son procès en appel. Le parquet avait requis contre lui trente mois de prison avec sursis et trois ans d’inéligibilité avec sursis.
Par ailleurs, le premier ministre, bien décidé à rester le plus longtemps possible à Matignon, compte sur la bienveillance du RN, qui peut à tout instant actionner le bouton de la censure. « M. Bayrou a besoin du soutien du RN et de ses amis à l’Assemblée nationale pour pouvoir maintenir son gouvernement », a ainsi noté l’Insoumise Mathilde Panot.
Devant les journalistes, les cadres du parti lepéniste ont repris les éléments de langage distillés par Marine Le Pen en réunion de groupe. « Le système a sorti la bombe nucléaire, parce que nous sommes sur le point de gagner les élections », a-t-elle lancé, avant de prévenir, sous les applaudissements : « Ils nous ont volé les législatives par des manœuvres scandaleuses. Que les choses soient très claires : on ne laissera pas les Français se faire voler l’élection présidentielle. » De quoi mettre en pâmoison ses lieutenants, dont l’un d’eux disait à Mediapart son admiration : « Ce qui est étonnant, c’est que c’est elle qui nous remonte le moral, alors que ça devrait être l’inverse. Elle est vraiment impressionnante. »
Allié serviable de Marine Le Pen, Éric Ciotti a lui aussi pris le micro, pour interpeller François Bayrou et se demander, le plus sérieusement du monde, si la France était encore une démocratie, convoquant les précédents de la condamnation de François Fillon et de l’arrêt de la chaîne C8.
« Le gouvernement des juges s’installe contre le peuple souverain », a-t-il tonné, avant d’annoncer une proposition de loi de son groupe pour « supprimer l’exécution provisoire » pour les peines d’inéligibilité (et seulement celles-ci). Dans les couloirs de l’Assemblée, un cadre du groupe confiait son espoir de voir le gouvernement émettre un avis de sagesse sur le texte à venir.
Pauline Graulle et Youmni Kezzouf
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