Un porte-parole de Marine Le Pen en 2022 était lui aussi payé par le Parlement européen

lundi 21 avril 2025.
 

Le parti d’extrême droite a été condamné pour son « système » d’assistants fictifs mis en place jusqu’en 2016. Mais selon les informations de Mediapart, Andréa Kotarac a été illicitement le porte-parole de la candidate du RN lors de la dernière campagne présidentielle.

https://www.mediapart.fr/journal/in...[ALERTE]-alerte-20250414-111410&M_BT=1489664863989

Le « système » d’emplois fictifs d’assistant·es parlementaires mis en place par le Rassemblement national (RN) de 2004 à 2016, qui a valu à Marine Le Pen et à vingt-quatre coprévenu·es d’être condamné·es par le tribunal correctionnel de Paris, s’est-il arrêté après 2016 ? Des informations, collectées par Mediapart auprès de multiples sources, montrent que de 2019 à 2022, des règles cruciales du Parlement européen ont été ignorées par Andréa Kotarac.

Transfuge de La France insoumise (LFI), qu’il a quittée en 2019, Andréa Kotarac a cumulé de novembre 2021 à décembre 2022 la position de porte-parole de Marine Le Pen, puis du Rassemblement national, avec son emploi d’assistant parlementaire du député européen Hervé Juvin, sans en demander l’autorisation, pourtant obligatoire, au Parlement européen.

Contactés à de multiples reprises et par de nombreux moyens, Marine Le Pen, Andréa Kotarac, pas plus que le Rassemblement national, n’ont répondu à nos questions sur le sujet.

C’est après les élections européennes de 2019 qu’Andréa Kotarac devient l’assistant parlementaire accrédité du député RN Hervé Juvin, avec lequel il fonde le petit parti Les Localistes, censé incarner un courant d’une extrême droite plus « écologiste » et plus ancrée dans les territoires. Sans quitter ce « job » d’assistant, Andréa Kotarac est propulsé en novembre 2021 porte-parole de la candidate du RN à l’élection présidentielle.

Comme le veut sa nouvelle fonction, il va s’investir corps et âme dans la campagne électorale de sa cheffe, en sillonnant la France et les plateaux de télévision pour marteler les éléments de langage de son parti. Le compte Twitter d’Andréa Kotarac est alors garni de ses innombrables interventions sur CNews, BFM, LCI, France Info et de ses déplacements auprès des militant·es, dans les sections locales du RN.

Six mois à parcourir la France

Régulièrement, Andréa Kotarac vient lancer des « punchlines » sur CNews, dans l’émission de Jean-Marc Morandini, et le 16 mars il accompagne Marine Le Pen sur le plateau de Cyril Hanouna dans « Face à Baba ». Il ne compte pas ses heures. Sa vie professionnelle est intense, au service de Marine Le Pen, et ses actions dédiées à la victoire de sa candidate. De temps à autre, il illustre son compte du réseau social X de quelques photos de ses activités au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, avec le groupe RN qu’il préside depuis juin 2021.

On retrouve aussi sans mal aujourd’hui la trace de ses déplacements de campagne dans différentes régions françaises.

De novembre 2021 à mai 2022, les apparitions publiques d’Andréa Kotarac sont quasi intégralement consacrées à la campagne électorale de Marine Le Pen, comme si le député européen Hervé Juvin, qu’il est censé assister au quotidien, n’existait pas, ou si peu.

Andréa Kotarac devait en théorie consacrer 75 % de son temps à son député, à Bruxelles, Strasbourg ou au Luxembourg.

Une fois, en janvier 2022, Andréa Kotarac évoque son député sur X, pendant un voyage très controversé qu’ils font, accompagnés de Thierry Mariani, lors de la « fête nationale » de la Republika Srpska, l’enclave serbe en Bosnie-Herzégovine. Andréa Kotarac ne mentionne jamais d’activités à Bruxelles ou à Strasbourg, deux villes qui semblent sortir de son radar. Pourtant, pendant la campagne électorale, il continue de percevoir son salaire d’assistant parlementaire européen.

Le contrat d’assistant parlementaire accrédité d’Andréa Kotarac est un contrat à temps partiel à trois quarts temps, rémunéré selon la grille du Parlement européen au moins 3 750 euros brut par mois (environ 5 000 euros s’il avait été à temps plein). L’assistant doit donc en théorie consacrer 75 % de son temps à son député. Ce temps de travail, l’assistant doit le passer à Bruxelles, Strasbourg ou au Luxembourg. Cette obligation contractuelle est indiquée dans le « régime des règles applicables aux fonctionnaires et autres agents », qui cadre les activités des assistants parlementaires accrédités.

Ces derniers sont formellement employés par le Parlement européen « pour apporter une assistance directe dans les locaux du Parlement européen, sur l’un de ses trois lieux de travail », est-il bien écrit. C’est « sous la direction et l’autorité » de leur député·e que les assistant·es remplissent leur mission.

Une nécessaire autorisation

Les sources que nous avons contactées au Parlement européen considèrent qu’il est de fait impossible de cumuler un emploi du temps de porte-parole en pleine campagne électorale présidentielle avec un travail d’assistant·e parlementaire, qui demande une présence quotidienne auprès de son ou de sa députée. Interrogé le 8 décembre 2023 par BFMTV sur le renvoi de Marine Le Pen et de ses coprévenu·es du RN devant le tribunal correctionnel, Andréa Kotarac décrivait la façon dont son parti concevait la fonction d’assistant parlementaire au Parlement européen : « L’assistant fait des activités techniques sur le fond des rapports de son député, des activités argumentaires et politiques pour le député, il le suit dans ses activités politiques sur le terrain. »

Les assistants parlementaires ont-ils le droit de s’engager dans une campagne électorale ? Les règles européennes sont claires. Un document des questeurs du Parlement, consulté par Mediapart, les rappelle avec précision : « Les assistants parlementaires accrédités ayant l’intention de participer à la campagne électorale d’une autre personne doivent demander l’autorisation. » L’option n’est donc pas interdite, mais il faut introduire une demande sur un portail dédié, le portail HRM.

Surtout, cet engagement politique des assistant·es doit rester modeste : « Leur participation aux campagnes électorales devrait se faire à titre strictement personnel et donc : en dehors des heures de travail et sans occuper de postes importants (responsable de campagne, porte-parole, etc.). » La fonction de porte-parole est ainsi clairement proscrite.

Congés sans solde

Il n’est toutefois pas exclu qu’un·e assistant·e s’implique davantage dans une campagne électorale. Pour ce faire, il ou elle doit poser des congés sans solde, après en avoir demandé l’autorisation au Parlement. De sa prise de fonction en tant que porte-parole, en novembre 2021, à la fin de la campagne électorale en mai 2022, Andréa Kotarac n’a demandé cette autorisation qu’à une seule reprise et pour une durée très courte, de quatre jours. Quatre jours dont il a bénéficié dans l’entre-deux-tours de la présidentielle.

Andréa Kotarac était pourtant bien au courant des règles internes du Parlement. Selon nos informations, confirmées par de multiples sources, il a, par le passé, pris de longs congés sans solde pour ses propres campagnes électorales, en mars et en juin 2020, alors qu’il concourait aux élections municipales à Lyon, puis au printemps 2021 pour les élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes. Ensuite, il ne prendra plus de congés sans solde jusqu’à sa démission, en décembre 2022, à l’exception des quatre jours de l’entre-deux-tours. Il continuera d’exercer des fonctions de porte-parole du RN, qu’il occupe toujours aujourd’hui.

Dans son jugement du 31 mars dans l’affaire des assistant·es du RN, le tribunal correctionnel de Paris considère que « l’existence d’un système mis en place pour rémunérer sous couvert de contrats fictifs d’assistant parlementaire des personnes qui travaillent en réalité pour le parti ou pour ses dirigeants, ne fait, selon le tribunal, pas de doute ». Ce système a-t-il perduré alors même que l’instruction judiciaire était en cours ?

Un autre cas, plus récent encore, pose par ailleurs question. Le 8 avril 2025, Le Canard enchaîné révélait que Jordan Bardella s’évertuait à maintenir son chef de cabinet parisien, François Paradol, au poste d’assistant parlementaire européen à temps partiel et ce, malgré les remontrances du secrétaire général du Parlement, qui lui écrivait : « Les procès devant les juridictions françaises ont mis en exergue les risques liés à une utilisation des fonds alloués à l’assistance parlementaire dans les cas de figure dans lesquels les assistants poursuivent une activité parallèle au bénéfice d’un parti politique. »

Le cas de François Paradol diffère de celui d’Andréa Kotarac, car l’assistant de Jordan Bardella a un statut d’assistant « local ». L’assistant parlementaire européen local conclut un contrat de travail avec le député et l’assiste dans son État membre, il peut donc travailler depuis Paris. Dans le cas des assistant·es parlementaires accrédité·es, comme Andréa Kotarac, les règles sont sans équivoque, notamment au sujet du lieu de travail et du cumul de fonctions, car c’est bien avec le Parlement qu’est signé le contrat de travail.

Le Rassemblement national ne répond pour l’instant à aucune des sollicitations de Mediapart au sujet d’Andréa Kotarac. Mais pour Nick Aïossa, du bureau européen de Transparency International, « vu les similarités avec le système de détournement de fonds qui a valu à Marine Le Pen et ses coprévenus des condamnations, le Parquet européen devrait immédiatement lancer une enquête ».

Cédric Vallet


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