Comprendre la géopolitique des États-Unis des origines à nos jours.

vendredi 2 mai 2025.
 

Malgré son affaiblissement et la remise en cause de son hégémonie politique, les États-Unis continuent d’être une grande puissance économique, financière et militaire dont les choix géopolitiques influencent l’économie mondiale. Nous allons examiner ici les principales doctrines de la géopolitique nord-américaine du 19e au XXIe siècle en s’attardant sur la période 1990 – 2025.

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Nous allons commencer notre étude par un document de la Rand Corporation pour montrer sur un exemple concret d’actualité comment se met en application la géostratégique hégémonie nord-américaine. Nous allons voir dans les paragraphes suivants comment ce document s’intègre dans un ensemble plus vaste de doctrines géopolitiques existantes aux États-Unis.

1 – Le rapport de la Rand Corporation de 2019 pour affaiblir la Russie

. Le document suivant permet de comprendre comment le déroulement de la guerre en Ukraine avait été prévu ainsi que ses conséquences en termes de sanctions économiques notamment.

Source :Rand Corporation :

rapport complet de 330 pages à l’adresse : https://www.rand.org/pubs/research_...

En 2019, la RAND Corporation a publié un rapport intitulé "Extending Russia : Competing from Advantageous Ground" qui analyse les vulnérabilités économiques, politiques et militaires de la Russie, et propose des options politiques pour les exploiter.

Ce rapport a été publié le 24 avril 2019 près de trois ans avant l’intervention militaire russe en Ukraine du 24 février 2022.

Voici un résumé des mesures à prendre contre la fédération de Russie figurant dans le rapport.

Les mesures économiques.

Augmenter la production énergétique américaine : Accroître la production de toutes formes d’énergie (pétrole, gaz, renouvelables) aux États-Unis et encourager d’autres pays à faire de même pour réduire les revenus russes issus des exportations d’énergie, en particulier le gaz naturel vers l’Europe.

Imposer des sanctions multilatérales : Renforcer et coordonner les sanctions économiques avec l’Union européenne et d’autres partenaires pour limiter l’accès de la Russie aux technologies, aux capitaux et aux marchés internationaux.

Encourager l’émigration de la main-d’œuvre qualifiée : Promouvoir le départ de jeunes Russes éduqués et qualifiés pour affaiblir le capital humain et l’innovation à long terme en Russie.

Mesures géopolitiques

Fournir une aide militaire accrue à l’Ukraine : Augmenter l’assistance militaire (armes, entraînement) à l’Ukraine pour élever les coûts de l’engagement russe dans le conflit, tout en évitant une escalade majeure.

Soutenir les rebelles en Syrie : Accroître le soutien aux groupes d’opposition en Syrie pour compliquer les opérations russes dans la région et augmenter leurs dépenses militaires.

Promouvoir la libéralisation au Bélarus : Encourager un changement de régime ou une orientation pro-occidentale au Bélarus pour réduire l’influence russe dans son voisinage immédiat.

Renforcer les liens avec les pays du Caucase du Sud : Développer des relations économiques et politiques avec des pays comme la Géorgie et l’Arménie pour concurrencer l’influence russe.

Réduire l’influence russe en Asie centrale : Intensifier l’engagement économique et diplomatique dans des pays comme le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan pour contrer la présence russe.

Mesures idéologiques et informationnelles

Mener des opérations d’influence contre le régime  : Utiliser des campagnes d’information pour saper la légitimité du régime russe à l’intérieur et à l’extérieur du pays, en exploitant les inquiétudes sur sa stabilité.

Encourager les protestations internes : Soutenir indirectement les mouvements de dissidence ou les troubles sociaux pour accroître la pression sur le gouvernement russe.

Mesures militaires

(le document a été rédigé au moment où Biden était président)

Repositionner les forces américaines en Europe : Modifier la posture militaire de l’OTAN pour augmenter la présence près des frontières russes, obligeant Moscou à investir davantage dans sa défense.

Développer de nouvelles capacités militaires : Investir dans des technologies (comme les drones ou les systèmes de défense antimissile) pour maintenir une pression militaire sur la Russie sans chercher la parité directe.

Augmenter les efforts de R&D naval : Renforcer la recherche et le développement dans le domaine naval pour défier la Russie dans des zones comme l’Arctique ou la mer Noire.

Manipuler la perception des risques russes : Déployer des capacités militaires qui amplifient les craintes russes sans nécessairement engager un conflit direct.

Analyse générale

Chaque mesure est accompagnée d’une évaluation des bénéfices potentiels, des coûts et des risques pour les États-Unis. Par exemple, les mesures économiques comme l’augmentation de la production énergétique sont considérées comme ayant un faible risque et un haut potentiel de succès, tandis que des options géopolitiques comme soutenir les rebelles en Syrie ou encourager un changement de régime au Bélarus sont jugées plus risquées en raison de possibles contre-escalades russes ou d’effets secondaires imprévus.

Ces recommandations visent à exploiter deux vulnérabilités principales de la Russie : son économie dépendante des exportations énergétiques et l’anxiété de ses dirigeants quant à la stabilité de leur régime. Cependant, le rapport souligne que la plupart de ces mesures sont escalatoires et pourraient provoquer des réactions russes, augmentant ainsi le risque global d’une confrontation plus large.

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Qu’est-ce que la RAND Corporation ?

Research and Development Corporation) est un think tank américain fondé en 1948. Elle est spécialisée dans la recherche et l’analyse stratégique, notamment dans les domaines de la défense, de la sécurité, de la politique internationale et de l’économie.

Lien avec le ministère des Armées et la CIA :

À l’origine, la RAND Corporation a été créée sous l’impulsion de l’US Air Force pour mener des études sur la guerre à froide et la défense stratégique.

Elle a travaillé sur des projets militaires et de renseignement pour le Pentagone, la CIA, la NSA, et d’autres agences gouvernementales américaines.

Elle a contribué au développement de la doctrine nucléaire américaine et aux stratégies de dissuasion pendant la guerre froide.

Elle continue à conseiller le Département de la Défense (DoD) des États-Unis sur des questions militaires et stratégiques.

Effectif et budget :

La RAND Corporation emploie environ 1 850 personnes, parmi lesquelles des chercheurs, analystes et experts en divers domaines.

Son budget annuel est d’environ 350 millions de dollars, provenant en grande partie de contrats gouvernementaux, d’organisations privées et de fondations.

Siège social : Son siège est à Santa Monica, en Californie, mais elle possède aussi des bureaux à Washington D.C., en Pennsylvanie, et à l’international (Europe, Australie, etc.).

Remarque sur ce rapport : cinq erreurs d’appréciation notable : la puissance de l’industrie russe qui ne se résume pas à une simple rente pétrolière ou gazière une sous-estimation de sa puissance militaire et de son avancée technologique ; la solidité de la base politique du président Poutine qui s’appuie sur une forte adhésion populaire ; la capacité de la Russie à développer considérablement ces échanges commerciaux et notamment énergétiques avec les pays de l’Asie et de l’Afrique ; une diplomatie coopérative efficace et le rôle des BRICS.

Ce rapport est, en réalité, en continuité stratégique avec les doctrines géopolitiques que nous allons examiner maintenant.

Le texte qui suit n’a pas simplement un intérêt historique, il permet d’éclairer et de comprendre, entre autres, la politique de Trump à la fois en continuité et en rupture avec les doctrines que nous allons décrire.

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2 – Les principaux géostratèges de la politique étrangère nord américaine.

Nous commençons la revue des plus influents Géopoliticiens des États-Unis par le cas particulier de Henry Kissinger qui a eu ses fonctions les plus importantes soues les présidences de Ford et Nixon.

Henry Kissinger, célèbre politologue et diplomate américain

a) Voici un résumé des principales fonctions occupées par Henry Kissinger sous différentes présidences des États-Unis, accompagné des dates correspondantes :

Dwight D. Eisenhower (1953-1961) : Kissinger n’a pas occupé de poste officiel dans l’administration, mais il a servi comme consultant informel pour des questions de politique étrangère, notamment via son travail avec le Conseil de sécurité nationale et des think tanks comme le Council on Foreign Relations, dans les années 1950.

John F. Kennedy (1961-1963) : Kissinger a été consultant occasionnel pour le Conseil de sécurité nationale, notamment pendant la crise de Berlin en 1961. Il n’avait pas de rôle permanent, mais ses conseils étaient sollicités en raison de son expertise académique à Harvard.

Lyndon B. Johnson (1963-1969) : Il a continué à jouer un rôle de consultant informel, notamment sur les questions liées à la guerre du Vietnam. Cependant, il est resté principalement dans le milieu académique et n’a pas eu de fonction officielle.

Richard Nixon (1969-1974) : Conseiller à la sécurité nationale : 20 janvier 1969 - 3 novembre 1975. Kissinger a été nommé dès l’entrée en fonction de Nixon et a exercé une influence majeure sur la politique étrangère, notamment sur la détente avec l’URSS, l’ouverture à la Chine et les négociations pour la fin de la guerre du Vietnam.

Secrétaire d’État : 22 septembre 1973 - 20 janvier 1977. Il a cumulé ce poste avec celui de conseiller à la sécurité nationale jusqu’en novembre 1975, une situation inédite qui lui a conféré un pouvoir exceptionnel. Il a notamment négocié les accords de Paris (1973) et géré la diplomatie pendant la guerre du Kippour.

Gerald Ford (1974-1977) : Secrétaire d’État : 22 septembre 1973 - 20 janvier 1977 (poursuite de son mandat commencé sous Nixon). Après la démission de Nixon en août 1974, Ford l’a maintenu à ce poste. Kissinger a continué à diriger la politique étrangère, notamment au Moyen-Orient et en Afrique australe, jusqu’à la fin du mandat de Ford.

Ronald Reagan (1981-1989) : Kissinger n’a pas occupé de poste officiel dans l’administration Reagan, mais il a été nommé président de la Commission nationale bipartisane sur l’Amérique centrale de juillet 1983 à janvier 1985, pour conseiller sur les politiques dans cette région en pleine guerre froide.

George W. Bush (2001-2009) : En 2002, Kissinger a été nommé par Bush à la tête de la commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Cependant, il a démissionné peu après, en décembre 2002, pour éviter de révéler les clients de sa firme, Kissinger Associates, en raison de possibles conflits d’intérêts.

Kissinger a donc eu des rôles officiels majeurs principalement sous Nixon et Ford, avec des contributions plus ponctuelles ou consultatives sous d’autres présidents. Après 1977, il a surtout exercé son influence via sa firme de conseil, Kissinger Associates, et en tant que commentateur et conseiller informel auprès de divers leaders.

.b) ses positions géopolitiques.

Voici une analyse détaillée basée sur ses positions connues, sans inventer d’informations :

Position sur la place des États-Unis dans le monde

Henry Kissinger, figure emblématique de la Realpolitik, considérait les États-Unis comme une puissance incontournable, devant jouer un rôle de leader dans le maintien d’un ordre mondial stable. Il voyait leur position non pas comme une quête de domination morale absolue, mais comme une nécessité géopolitique pour équilibrer les forces globales. Pendant sa carrière, notamment comme conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État sous Nixon et Ford, il a promu une vision pragmatique : les États-Unis devaient utiliser leur puissance pour façonner un système international basé sur des équilibres entre grandes puissances, plutôt que sur des idéaux universalistes.

Il estimait que l’idée de leadership américain était presque inscrite dans l’ADN de leur politique étrangère, mais il mettait en garde contre une approche trop idéologique, qui risquerait de les isoler ou de provoquer des conflits inutiles. Par exemple, dans ses écrits comme World Order (2014), il insiste sur la nécessité pour les États-Unis d’adapter leur rôle à un monde multipolaire émergent, tout en restant une force stabilisatrice.

Attitude par rapport à l’Europe et notamment l’Allemagne

Kissinger, né en Allemagne en 1923 dans une famille juive ayant fui le nazisme, avait une relation complexe avec l’Europe et son pays natal. Il valorisait l’Europe comme un partenaire stratégique essentiel pour les États-Unis, mais critiquait souvent son manque d’unité et de leadership politique fort. Il voyait dans le système westphalien – né en Europe au XVIIe siècle – un modèle historique d’équilibre des puissances qu’il admirait, mais estimait que l’Europe contemporaine, notamment après la Seconde Guerre mondiale, avait perdu cette capacité à s’imposer seule.

Concernant l’Allemagne, son expérience personnelle du nazisme a teinté sa vision : il reconnaissait son importance économique et géopolitique dans l’Europe d’après-guerre, mais restait méfiant envers toute résurgence d’un nationalisme excessif. Il a soutenu l’intégration européenne comme un moyen de stabiliser le continent, mais déplorait que l’Union européenne manque parfois de vision stratégique claire, notamment face à des puissances comme la Russie ou la Chine. Lors de ses dernières interventions, il encourageait les Européens à assumer un rôle plus autonome, tout en restant alignés avec les États-Unis dans un cadre atlantique.

Attitude par rapport à la Chine

Kissinger est largement reconnu pour avoir orchestré le rapprochement entre les États-Unis et la Chine dans les années 1970, une manœuvre visant à exploiter les tensions sino-soviétiques pour affaiblir l’URSS. Il considérait la Chine comme une puissance historique, pas simplement une « puissance montante », soulignant que sur 18 des 20 derniers siècles, elle avait dominé sa région par son influence culturelle plutôt que par la force brute.

Dans On China (2011), il met en avant une compréhension profonde de la vision chinoise du monde, marquée par une perception cyclique de l’histoire et une patience stratégique. Jusqu’à la fin de sa vie, il prônait un dialogue constructif avec Pékin, estimant qu’une confrontation directe entre la Chine et les États-Unis pourrait menacer la civilisation mondiale, surtout à l’ère de l’intelligence artificielle et des armes avancées. Il plaidait pour une coexistence basée sur le respect mutuel, tout en reconnaissant les défis posés par l’ascension chinoise, notamment sur des questions comme Taïwan, qu’il voyait comme devant revenir à la Chine à terme, mais sans recours à la force.

Attitude par rapport à la Russie

Kissinger avait une approche nuancée envers la Russie, influencée par son expérience de la Guerre froide et sa vision d’un ordre mondial équilibré. Il comprenait les préoccupations historiques russes, notamment leur obsession pour la sécurité face à un vaste territoire aux frontières vulnérables. Il a joué un rôle clé dans la politique de détente avec l’URSS, négociant des accords comme SALT I pour limiter les armes nucléaires. Après la chute de l’Union soviétique, il a souvent critiqué l’approche occidentale envers la Russie post-soviétique, notamment l’expansion de l’OTAN vers l’Est, qu’il jugeait provocatrice et susceptible de pousser Moscou dans une posture défensive ou agressive.

Concernant la crise ukrainienne, il proposait des solutions pragmatiques : par exemple, en 2014, il suggérait que l’Ukraine reste neutre et ne rejoigne pas l’OTAN, et en 2022, il évoquait la possibilité de concessions territoriales pour éviter une escalade. Il estimait que la Russie et la Chine ne partageaient pas des intérêts identiques à long terme, et que les États-Unis devraient éviter de les pousser dans une alliance contre l’Occident par une politique trop antagoniste.

En somme, Kissinger était un stratège qui privilégiait la stabilité globale par des compromis réalistes, souvent au détriment des idéaux démocratiques, ce qui lui a valu autant d’admiration que de critiques. Sa pensée reste influente pour comprendre les dynamiques entre grandes puissances au XXIe siècle. Considérons maintenant les géostratéges influents depuis les années 1990.

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La géopolitique hégémonique nord-américaine a été élaborée ou fortement influencée par les géopoliticiens Paul Wolfowitz, Zbigniew Brzezinski, George Friedman et Robert Kagan .

Nous allons examiner la pensée de chacun d’entre eux en mettant en lumière leurs positions sur la place des États-Unis dans le monde, ainsi que leurs attitudes envers l’Europe (y compris l’Allemagne), la Chine et la Russie. Nous compléterons également avec d’autres figures influentes.

1. Paul Wolfowitz

Position sur les États-Unis dans le monde : Paul Wolfowitz, figure néoconservatrice, a joué un rôle central dans la formulation de la politique étrangère américaine post-Guerre froide, notamment sous l’administration de George W. Bush où il fut secrétaire adjoint à la Défense. Il prônait une hégémonie américaine unilatérale, considérant les États-Unis comme la seule superpuissance capable de façonner un ordre mondial basé sur la démocratie et la liberté. Il croyait en l’usage de la force militaire pour prévenir l’émergence de rivaux et maintenir cette primauté.

Attitude envers l’Europe et l’Allemagne : Wolfowitz voyait l’Europe comme un allié subordonné dans le cadre de l’OTAN, mais il était sceptique quant à son autonomie stratégique. Il a soutenu l’élargissement de l’OTAN vers l’Est pour intégrer les pays d’Europe centrale et orientale, y compris l’Allemagne réunifiée, mais considérait que l’Europe devait rester alignée sur les objectifs américains, sans développer une politique indépendante qui pourrait concurrencer Washington.

Attitude envers la Chine : Il percevait la Chine comme une menace potentielle à long terme pour l’hégémonie américaine, en raison de sa montée économique et militaire. Il préconisait une politique de containment pour limiter son influence, notamment en renforçant les alliances en Asie-Pacifique.

Attitude envers la Russie : Wolfowitz considérait la Russie post-soviétique comme un adversaire affaibli mais toujours dangereux. Il a poussé pour une politique d’endiguement et de marginalisation, notamment via l’expansion de l’OTAN, afin d’empêcher Moscou de retrouver son statut impérial.

Ouvrage illustratif : Bien que Wolfowitz n’ait pas écrit d’ouvrage unique aussi célèbre que d’autres, son influence est cristallisée dans le Defense Planning Guidance de 1992 (rédigé sous sa direction), un document interne qui a fuité et qui expose sa vision d’une domination américaine sans rival, avec un focus sur la prévention de l’émergence de puissances concurrentes.

2. Zbigniew Brzezinski

Position sur les États-Unis dans le monde : Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale sous Jimmy Carter, était un réaliste avec une vision hégémonique subtile. Il estimait que les États-Unis devaient maintenir leur primauté mondiale en contrôlant l’Eurasie, qu’il considérait comme le « grand échiquier » géopolitique. Contrairement aux néoconservateurs, il privilégiait une hégémonie par la cooptation et les alliances plutôt que par la seule force militaire.

Attitude envers l’Europe et l’Allemagne : Il voyait l’Europe comme une « tête de pont » essentielle pour l’influence américaine en Eurasie. Il soutenait une Europe unie et intégrée à l’OTAN, avec l’Allemagne comme pivot, mais sous leadership américain. Il craignait qu’une Europe trop indépendante ne devienne un rival, bien qu’il la jugeât incapable d’une telle unité à long terme.

Attitude envers la Chine : Brzezinski considérait la Chine comme une puissance montante à intégrer stratégiquement pour contrebalancer la Russie. Il a soutenu la normalisation des relations avec Pékin dans les années 1970 et, plus tard, une coopération prudente pour éviter un affrontement direct.

Attitude envers la Russie : Il percevait la Russie comme le principal rival historique des États-Unis en Eurasie. Il prônait son affaiblissement, notamment en détachant l’Ukraine de son orbite, estimant que « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien ».

Ouvrage illustratif : Le Grand Échiquier : L’Amérique et le reste du monde (1997) est son œuvre phare. Il y expose sa stratégie pour maintenir la primauté américaine via le contrôle de l’Eurasie, en détaillant les rôles de l’Europe, de la Chine et de la Russie.

3. George Friedman

Position sur les États-Unis dans le monde : George Friedman, fondateur de Stratfor, adopte une approche géopolitique pragmatique. Il voit les États-Unis comme une puissance naturellement dominante grâce à leur position géographique (protégée par deux océans) et leur puissance économique et militaire. Il prédit que le XXIe siècle restera dominé par les États-Unis, malgré des défis temporaires.

Attitude envers l’Europe et l’Allemagne : Friedman est pessimiste sur l’avenir de l’Union européenne, qu’il juge fragmentée et incapable de rivaliser avec les États-Unis. Il considère l’Allemagne comme une puissance économique clé, mais géopolitiquement faible, et redoute un rapprochement germano-russe qui menacerait l’hégémonie américaine. Il prône donc une stratégie de division pour empêcher une Europe unie et indépendante.

Attitude envers la Chine : Il voit la Chine comme une puissance économique impressionnante mais structurellement fragile (dépendante des exportations, déséquilibres internes). Il doute de sa capacité à défier durablement les États-Unis à l’échelle mondiale.

Attitude envers la Russie : Friedman perçoit la Russie comme une puissance déclinante, mais agressive pour compenser sa faiblesse. Il soutient une politique de containment, notamment en utilisant l’Ukraine comme un « bélier » pour bloquer les ambitions russes, tout en prédisant son effondrement à long terme.

Ouvrage illustratif : The Next 100 Years : A Forecast for the 21st Century (2009) présente sa vision prospective, où les États-Unis maintiennent leur domination en exploitant les faiblesses de l’Europe, de la Chine et de la Russie.

4. Robert Kagan

Position sur les États-Unis dans le monde : Robert Kagan, autre néoconservateur influent, défend une hégémonie américaine basée sur la puissance militaire et la promotion des valeurs libérales. Il considère les États-Unis comme indispensables pour maintenir un ordre mondial stable face aux régimes autoritaires.

Attitude envers l’Europe et l’Allemagne : Kagan critique l’Europe pour sa faiblesse militaire et son penchant pour le multilatéralisme, qu’il juge inefficace. Dans son essai célèbre, il oppose les États-Unis « de Mars » (belliqueux) à une Europe « de Vénus » (pacifiste). Il voit l’Allemagne comme un acteur économique fort mais stratégiquement dépendant des États-Unis via l’OTAN.

Attitude envers la Chine : Il perçoit la Chine comme une menace croissante à l’ordre libéral dirigé par les États-Unis, plaidant pour une politique ferme de containment et de confrontation si nécessaire.

Attitude envers la Russie : Kagan considère la Russie comme un adversaire direct, hostile à la démocratie et à l’expansion de l’influence occidentale. Il soutient une posture dure, notamment via l’OTAN, pour contrer les ambitions de Moscou.

Ouvrage illustratif : Of Paradise and Power : America and Europe in the New World Order (2003) illustre sa vision des divergences transatlantiques et de la nécessité d’une Amérique forte face à l’Europe, la Chine et la Russie.

Deux autres stratèges méritent mention : Joseph Nye etJohn Mearsheimer

5. Joseph Nye

Position : Promoteur du « soft power », Nye soutient une hégémonie américaine durable via l’influence culturelle et diplomatique, complémentée par la puissance militaire.

Europe/Allemagne : Il voit l’Europe comme un partenaire clé, mais subordonné, et l’Allemagne comme un relais de l’influence américaine.

Chine : Il prône une coexistence prudente, utilisant le soft power pour limiter son expansion.

Russie : Il considère la Russie comme un défi gérable par des alliances et une diplomatie habile.

Ouvrage : Soft Power : The Means to Success in World Politics (2004). Train

6. John Mearsheimer :

Position : Réaliste offensif, il voit les États-Unis comme une puissance hégémonique régionale cherchant à empêcher l’émergence de rivaux en Eurasie.

Europe/Allemagne : Il juge l’Europe dépendante des États-Unis et l’Allemagne incapable de leadership autonome.

Chine : Principal rival à long terme, à contenir militairement.

Russie : Adversaire à surveiller, mais moins menaçant que la Chine.

Ouvrage : The Tragedy of Great Power Politics (2001).

Synthèse comparative

Hégémonie américaine : Tous partagent l’idée d’une primauté américaine, mais Wolfowitz et Kagan insistent sur la force militaire (néoconservatisme), Brzezinski sur la stratégie eurasienne et les alliances, et Friedman sur une vision géographique et prospective.

Europe/Allemagne : L’Europe est vue comme un allié utile mais subordonné (Brzezinski, Wolfowitz), faible et divisé (Friedman, Kagan).

Chine : Perçue comme une menace croissante, avec des approches variant entre intégration (Brzezinski), containment (Wolfowitz, Kagan) ou scepticisme sur sa durabilité (Friedman).

Russie : Considérée comme un rival à affaiblir, soit par l’expansion de l’OTAN (Wolfowitz, Kagan), le détachement de l’Ukraine (Brzezinski), ou une stratégie de long terme (Friedman).

Ces penseurs ont façonné la géopolitique hégémonique américaine, chacun avec une nuance propre, mais tous convergent sur la nécessité de préserver la domination des États-Unis face aux dynamiques de l’Eurasie.

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3 – les différentes doctrines dans la géo politique nord-américaine.

Les grandes tendances, écoles ou doctrines en géopolitique des États-Unis reflètent différentes visions du rôle du pays dans le monde, souvent influencées par des contextes historiques, des idéologies et des priorités stratégiques. Voici une synthèse des principales approches :

1. Réalisme

Le réalisme met l’accent sur la puissance, les intérêts nationaux et l’équilibre des forces. Les réalistes considèrent que les États-Unis doivent agir de manière pragmatique pour maintenir leur domination et leur sécurité dans un monde anarchique.

Figures clés : Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski.

Exemple historique : La politique de containment pendant la Guerre froide, visant à limiter l’expansion soviétique sans chercher à imposer des valeurs universelles.

Caractéristiques : Priorité à la stabilité stratégique, alliances basées sur des intérêts communs plutôt que des idéaux, et méfiance envers les interventions idéologiques excessives.

2. Libéralisme (ou idéalisme wilsonien)

Cette doctrine promeut la diffusion de la démocratie, des droits humains et du libre marché comme moyens de garantir la paix et la prospérité mondiale. Elle repose sur l’idée que des valeurs partagées réduisent les conflits.

Origine : Inspirée par Woodrow Wilson et son discours sur les "14 points" après la Première Guerre mondiale.

Exemple : La promotion de la démocratie au Moyen-Orient sous l’administration de George W. Bush (ex. : guerre en Irak, 2003).

Caractéristiques : Soutien aux institutions internationales (ONU, OTAN), interventionnisme pour "construire des nations" (nation-building), et foi dans le commerce comme vecteur de paix.

3. Isolationnisme

L’isolationnisme prône un désengagement des affaires internationales pour se concentrer sur les priorités liée à l’économie intérieure s. Historiquement, il a été influent avant la Seconde Guerre mondiale.

Exemple : La politique de neutralité des États-Unis dans les années 1930 ou, plus récemment, certaines positions de Donald Trump sous le slogan "America First".

Caractéristiques : Réticence à intervenir militairement à l’étranger, réduction des engagements dans les alliances multilatérales, et focus sur la souveraineté nationale.

4. Néoconservatisme

Une branche plus interventionniste du libéralisme, le néoconservatisme combine la défense des valeurs démocratiques avec une posture militaire agressive pour contrer les menaces perçues.

Figures clés : Paul Wolfowitz, Dick Cheney.

Exemple : La guerre contre le terrorisme post-11 septembre 2001, avec des interventions en Afghanistan et en Irak.

Caractéristiques : Usage préventif de la force (doctrine de la "guerre préemptive"), méfiance envers les régimes autoritaires, et croyance en la suprématie militaire américaine.

5. Hégémonisme (ou primauté américaine)

Cette approche vise à maintenir une domination unipolaire des États-Unis dans le système international, en empêchant l’émergence de rivaux comme la Chine ou la Russie.

Exemple : Le "Project for the New American Century" (PNAC) dans les années 1990, qui plaidait pour une hégémonie durable.

Caractéristiques : Investissements massifs dans la défense, projection de puissance globale (bases militaires à l’étranger), et rejet du multipolarisme.

6. Géopolitique offshore (équilibre offshore)

Inspirée par des penseurs comme Nicholas Spykman, cette doctrine suggère que les États-Unis devraient éviter un engagement direct sur les continents eurasiatiques et privilégier un rôle d’arbitre depuis leurs positions maritimes.

Exemple : La stratégie de pivot vers l’Asie sous Obama, visant à contrer la Chine sans s’enliser dans des conflits terrestres prolongés.

Caractéristiques : Contrôle des mers, soutien à des alliés régionaux pour contenir les puissances adverses, et minimisation des interventions directes.

Synthèse et évolution

Ces écoles ne sont pas mutuellement exclusives et ont souvent coexisté ou fusionné selon les administrations. Par exemple, Bill Clinton a mêlé libéralisme et hégémonisme avec l’élargissement de l’OTAN, tandis que Trump a oscillé entre isolationnisme et réalisme transaction

Un exemple de la mise en œuvre de la géostratégie nord américaine : la présence militaire en Europe et au Japon.

On compte environ 100 000 militaires nord américains présents sur le sol européen et environ 50 000 sur le sol du Japon.

En Europe :

Les États-Unis maintiennent une présence militaire significative en Europe, principalement dans le cadre de l’OTAN et pour répondre aux tensions géopolitiques, notamment avec la Russie. En 2025, les estimations récentes suggèrent que le nombre de militaires américains stationnés en Europe se situe autour de 100 000. Par exemple, des sources récentes indiquent qu’environ 65 000 à 70 000 soldats sont déployés de manière permanente, auxquels s’ajoutent des forces temporaires ou rotatives (comme les 20 000 soldats supplémentaires déployés en 2022 en réponse à la guerre en Ukraine).

L’Allemagne héberge la majorité de ces troupes (plus de 35 000), suivie par des pays comme l’Italie, le Royaume-Uni, la Pologne et la Roumanie. Ces chiffres incluent les soldats actifs, mais aussi parfois des réservistes et du personnel civil de soutien, ce qui peut faire varier les totaux selon la méthode de comptage.

Au Japon :

Au Japon, la présence militaire américaine est liée au traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon, signé en 1960. En 2025, environ 50 000 à 55 000 militaires américains sont stationnés dans l’archipel, principalement à Okinawa (où se concentre près de 70 % des bases américaines au Japon), ainsi qu’à Yokota, Misawa et d’autres sites. Ce chiffre est cohérent avec les données historiques : en 2007, on comptait environ 33 000 soldats, mais ce nombre a augmenté avec les tensions régionales (notamment avec la Chine et la Corée du Nord) et les réajustements stratégiques. Les plans de relocalisation d’une partie des Marines d’Okinawa vers Guam (environ 5 000 soldats) ont été progressifs et ne sont pas encore pleinement réalisés en 2025, maintenant ainsi un effectif proche de 50 000.

Précisions :

Ces chiffres concernent les soldats en service actif et ne comptent pas nécessairement les familles ou le personnel civil du Département de la Défense, qui peuvent gonfler les estimations totales.

Les variations dépendent aussi des exercices militaires, des crises (comme en Ukraine) ou des décisions politiques, comme une possible réduction budgétaire du Pentagone en 2025, qui pourrait affecter la présence à moyen terme.

Remarque : selon les sources d’information, le nombre de militaires nord américains présents à l’étranger s’élèverait entre 168 000 et 228 000.

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4 – Les liens entre les doctrines géopolitiques des États-Unis, le contexte historique et politique, le fonctionnement et les contradictions du capitalisme tant au niveau national qu’international.

Nous dressons ici un tableau synthétique de la question pour fixer quelques grandes balises sans avoir la prétention d’être exhaustif puisqu’il ne s’agit pas ici d’entrer dans les détails, ce qui nécessiterait un livre entier.

1. Les doctrines géopolitiques américaines dans leur contexte historique

Les États-Unis ont développé plusieurs doctrines géopolitiques majeures au fil du temps, chacune correspondant à des moments clés de leur histoire et à des impératifs économiques :

Doctrine Monroe (1823) : "L’Amérique aux Américains" visait à protéger l’hémisphère occidental de l’ingérence européenne. Elle coïncide avec une phase d’expansion territoriale et économique interne (conquête de l’Ouest, révolution industrielle naissante), où le capitalisme américain cherchait à sécuriser ses ressources et ses marchés locaux face aux puissances coloniales.

« Destin manifeste » (XIXe siècle) : Cette idéologie (teinté de messianisme) expansionniste accompagne l’accumulation primitive du capital aux États-Unis (exploitation des terres, esclavage, extraction de ressources), justifiant l’annexion de territoires comme le Mexique ou les terres autochtones pour alimenter une économie en croissance.

Politique du "Big Stick" et impérialisme (fin XIXe - début XXe) : Avec l’émergence des monopoles industriels (Rockefeller, Carnegie) et la nécessité d’exporter le capital excédentaire, les États-Unis s’orientent vers une projection de puissance (ex. : Panama, Philippines), en lien avec les théories économiques de l’impérialisme de Lénine – le capitalisme cherchant de nouveaux marchés et ressources.

Containment et Guerre froide (1947-1991) : La doctrine Truman et le plan Marshall reflètent une économie capitaliste américaine en plein essor (boom d’après-guerre, fordisme) qui doit contrer le bloc socialiste tout en ouvrant des marchés mondiaux pour ses exportations et ses investissements.

Unilatéralisme post-Guerre froide et néolibéralisme (1991-2001) : Après la chute de l’URSS, la "fin de l’histoire" (Fukuyama) et la Pax Americana coïncident avec la globalisation financière et la dérégulation (accords de l’OMC, NAFTA), où le capitalisme américain impose ses règles via des institutions comme le FMI et la Banque mondiale.

Guerre contre le terrorisme (2001-) : Post-11 septembre, cette doctrine sécuritaire s’articule avec une économie de plus en plus financiarisé et dépendante du complexe militaro-industriel, tout en sécurisant l’accès aux ressources énergétiques (pétrole irakien, gaz afghan).

2. Lien avec le fonctionnement économique et financier du capitalisme

En examinant ces doctrines à travers une grille marxienne, on peut identifier comment l’infrastructure économique influence la superstructure géopolitique, tout en tenant compte des interactions complexes et des contradictions internes :

Accumulation du capital et expansion territoriale : Au XIXe siècle, l’économie américaine repose sur l’exploitation des ressources internes (agriculture, minerais) et l’esclavage. Les doctrines comme la Destinée manifeste traduisent cette nécessité d’élargir l’espace économique pour absorber les surplus de production et éviter les crises de suraccumulation.

Impérialisme et exportation du capital : À la fin du XIXe siècle, avec la montée des trusts et la saturation des marchés internes, le capitalisme américain entre dans une phase impérialiste (Hobson, Lénine). Les interventions en Amérique latine ou en Asie répondent à ce besoin d’exporter des capitaux et de sécuriser des débouchés, sous couvert de "civilisation" ou de "liberté".

Fordisme et hégémonie mondiale : Après 1945, le modèle fordiste (production de masse, consommation de masse) nécessite des marchés stables et ouverts. Le containment et le plan Marshall ne sont pas seulement idéologiques (anticommunisme), mais aussi économiques : reconstruire l’Europe comme partenaire commercial et contenir les alternatives socialistes qui menaceraient le capitalisme global.

Financiarisation et néolibéralisme : À partir des années 1970-1980, la crise du fordisme (stagflation, chute des profits industriels) pousse vers une économie financiarisé. Les doctrines unilatérales et interventionnistes (ex. : guerres du Golfe) visent à protéger le dollar comme monnaie de réserve mondiale et à maintenir l’accès aux ressources stratégiques, tandis que le néolibéralisme impose la discipline de marché aux pays du Sud via la dette.

Crises contemporaines et militarisation : Aujourd’hui, face aux contradictions du capitalisme financiarisé (crise de 2008, inégalités croissantes), les États-Unis maintiennent leur hégémonie par une militarisation accrue (budget défense colossal) et des guerres asymétriques, qui profitent au complexe militaro-industriel tout en sécurisant les flux financiers et énergétiques.

3. Niveau national vs international

National : À l’échelle interne, les doctrines géopolitiques reflètent les luttes de classes et les besoins des élites économiques. Par exemple, le New Deal des années 1930 (interventionnisme étatique) précède une projection extérieure plus affirmée, tandis que la dérégulation reaganienne des années 1980 accompagne une posture agressive face à l’URSS. Les contradictions entre capital industriel et financier (ex. : Wall Street vs Main Street) influencent aussi les priorités géopolitiques.

International : Sur la scène mondiale, les États-Unis adaptent leurs doctrines pour préserver leur position dans le système capitaliste global. La Pax Americana post-1945 repose sur le contrôle des institutions (Bretton Woods) et des ressources, mais les rivalités actuelles (Chine, Russie) révèlent les limites d’un capitalisme en crise, où la suprématie économique américaine est contestée notamment avec l’apparition des BRICS.

La délocalisation des entreprises multinationales nord-américaines en Asie a conduit à la désindustrialisation des États-Unis, à sa dépendance industrielle et financière à la Chine notamment conduisant alors au retour à la doctrine isolationiste teinté de nationalisme permettant de canaliser une bonne partie du mécontentement des classes populaires vers un vote d’extrême droite conservatrice du capitalisme.

La restructuration du capital industriel des États-Unis se fonde sur une stratégie simple : contraindre des multinationales nord américaines délocalisées en Asie et des entreprises européennes, notamment allemandes, à s’installer sur le sol des États-Unis. Cette stratégie s’appuie sur deux ressorts : le prix bas de l’énergie et une augmentation des taxes douanières frappant les importations. On comprend ainsi l’acharnement des gouvernements nord américains au service de l’oligarchie capitaliste à casser le lien d’approvisionnement énergétique bon marché de l’Europe par la fédération de Russie, ce qui figure en toutes lettres dans plusieurs ouvrages de géo stratégie nord américaine.

Un autre rôle de l’augmentation des taxes douanières serait de diminuer la pression fiscale sur les citoyens des États-Unis. Mais si cette stratégie peut paraître rationnelle, sa mise en œuvre brutale peut conduire à un choc inflationniste et même à un crack boursier conduisant à une récession. Ainsi, l’effet boomerang d’une telle augmentation peut être désastreux.

La hausse des prix résultant de la hausse des taxes douanières à son importance mais n’est qu’un aspect du problème. Concernant les importations de la France, 6,9 % proviennent des États-Unis ; 15 à 16 % de l’Allemagne ; 55 à 60 % de l’union européenne dont les produits peuvent être taxés à des degrés divers.

Rien ne dit que les multinationales nord-américaines retournent vers les États-Unis en raison de cette hausse. En effet, les profits réalisés par les multinationales nord-américaines passent par les paradis fiscaux (au total 72) et notamment en Irlande. Ces profits échappent donc en grande partie à l’impôt. Si ces entreprises fonctionnent sur le sol américain, la pression fiscale sur les profits risque d’être plus importante.

Nombreuses multinationales étant cotées en Bourse, il est donc probable que l’on assiste à court terme à un nouveau crack boursier de type 1987ou 2008. D’où, mon dernier paragraphe :

4. Éviter une vision simpliste d’un déterminisme mécanique entre le fonctionnement de l’infrastructure et la superstructure idéologique.

ll ne s’agit pas de réduire la géopolitique à une simple émanation de l’économie. Les doctrines américaines intègrent des facteurs idéologiques (exceptionnalisme, messianisme), politiques (rivalités de pouvoir interne) et contingents (personnalités comme Roosevelt, Bush ou Trump ). Cependant, l’évolution du capitalisme – de l’accumulation primitive à la financiarisation – fournit un cadre matériel qui oriente ces choix stratégiques, sans les déterminer entièrement.

Conclusion

Les doctrines géopolitiques des États-Unis peuvent être mises en relation avec le capitalisme en tant que système dynamique et contradictoire. Elles répondent à la fois aux besoins d’accumulation du capital (ressources, marchés, profits) et aux crises inhérentes à ce mode de production (surproduction, concurrence interimpérialiste). Cette interaction entre infrastructure économique et superstructure idéologique n’est pas linéaire, mais dialectique : les impératifs économiques façonnent les stratégies géopolitiques, qui, en retour, restructurent l’économie mondiale pour prolonger l’hégémonie américaine. Aujourd’hui, face à la montée de puissances alternatives et aux crises internes, cette dialectique semble atteindre un point de tension critique.

Trois livres récents témoignent de cette crise :

La défaite de l’Occident de EmmanuelTodd paru aux éditions Gallimard (janvier 2024)

La fin de l’ordre occidental de Jacques Sapir aux éditions Perspectives libres (septembre 2024)

Désoccidentalisation : repenser l’ordre du monde par Didier Billion et Christophe Ventura aux éditions Agone ( octobre 2023. )

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Hervé Debonrivage


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