Le souffle du krach

vendredi 25 janvier 2008.
 

La presse aura fait de la présence de Dominique Strauss-Kahn à un forum du Parti socialiste l’événement central du week-end. Mais le plus étonnant en la matière n’est franchement pas que soit confirmé l’intérêt de DSK pour le PS. Ce qui est proprement sidérant est que le président du Fonds Monétaire International ait eu du temps disponible ce dimanche, en pleine crise financière mondiale. Les déambulations dominicales en plein krach mondial du patron d’une institution créée pour que le monde ne revive jamais la crise du 29 se révèle symbolique de l’impuissance des instances dirigeantes de la mondialisation financière.

Krach, le mot a été lâché. Après les commentaires lénifiants sur le fait que la crise des subprimes serait aisément dépassée, après la conviction proclamée que les « interventions concertées » des banques centrales prouveraient leur efficacité (des milliards de liquidités injectés en quelques heures), les analystes financiers reconnaissent désormais l’ampleur des dégâts. Seule Christine Lagarde résiste encore. Mais son argument tient de la méthode Coué : « Il faut éviter les mots spectre, les mots angoisse comme ça ». Les faits eux ne peuvent être évités. La baisse est particulièrement brutale : -6,83% à Paris sur la seule journée de lundi dernier, la plus forte chute depuis le 11 septembre 2001. Elle est générale : aucune place n’est épargnée, ni européenne (comme Francfort à -7,16% lundi), ni asiatique (Shangaï à -7,22%).

L’accélération de ces crises confirme l’instabilité intrinsèque du capitalisme financier globalisé. La finance exige des profits que l’économie réelle ne parvient pas à fournir. Il lui faut donc trouver des échappatoires. Crise après crise, ceux-ci s’effondrent les uns derrière les autres. La principale réponse de la banque centrale et du gouvernement américains à la dernière crise (éclatement de la « bulle des nouvelles technologies » en 2001) a été le soutien au marché immobilier. La montée continue des prix de l’immobilier a été la principale source « d’enrichissement » des ménages américains. Elle a soutenu artificiellement la consommation et l’endettement. C’est dans ce contexte que sont nées les subprimes. Quand tout allait bien, Bush plastronnait sur la société des propriétaires à laquelle avait accédé les 2/3 de la population du pays. Aujourd’hui la réalité se venge : la moitié de ces « propriétaires » ne possèdent en titre que 10 % seulement de la valeur réelle de leur maison. Car les disparités de richesse sont les plus élevées du monde industrialisé - les 50 % les moins nantis de la population se partagent 2,8 % seulement du patrimoine, et le 1 % le plus riche 32,7 %.

Comment la crise va-t-elle évoluer ? A la vérité personne ne le sait. Les grands sorciers de la finance sont muets. Car elle conjugue en effet des éléments inédits. La nouvelle technique financière dite de « titrisation », qui permet de revendre des créances douteuses, était par exemple vue comme la solution idéale pour répartir largement les risques. Elle a semé des mines dans tout le système, avec une opacité telle que personne ne sait qui est exposé et à quelle hauteur. Et puis il y a surtout le nouveau système global né notamment de l’essor de la Chine. Sa pleine intégration dans le marché mondial depuis son entrée à l’OMC en 2001 la rend dorénavant vulnérable. 40% du PIB chinois dépend déjà de ses exportations. Selon une estimation, le seul groupe de distribution américain Wal Mart assure 10% des ventes chinoises à l’étranger ! Sera-t-il possible de faire face à la baisse de la consommation américaine ? Rien n’est moins sûr. Et dans ce cas la Chine, qui a réalisé des investissements colossaux ces dernières années pourrait vivre une crise de surproduction qui donnerait un nouveau visage et une nouvelle ampleur à la crise mondiale.

Ce ne sont pas seulement les fondements du CAC 40 qui sont atteints. De multiples certitudes s’effondrent. Le système ne se régule pas de lui-même. La globalisation de l’économie n’est pas un facteur de stabilité. L’ouverture à tous les vents du marché mondial peut se payer très cher. La domination des Etats-Unis au sommet de la hiérarchie de la mondialisation n’est pas assurée pour toujours. La diminution des capacités d’intervention publiques sur les marchés laissent les Etats démunis quand la tempête gronde. Il est donc permis de demander à tous les « pragmatiques » et à tous les « modernes » comment ils entendent tenir compte d’une situation si concrète et si actuelle. Quels sont les changements que Nicolas Sarkozy va apporter à sa politique économique ? Quelles évolutions les chefs d’Etat européens vont-ils impulser dans la construction européenne ? A quelles révisions doctrinales les penseurs de la social-démocratie mondiale vont-ils se résoudre ? Ce sont les vraies questions auxquelles DSK a échappé dimanche. Ce sont pourtant celles qui importent. Car la réalité sera toujours plus têtue que le plus obstiné des journalistes.


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