Syndicalisme ( 6) La CGT depuis 1914

mardi 27 février 2007.
 

La guerre de 1914 (14/21) - Inversion de l’identité de la CGT.

En 1914, sous l’influence de Léon Jouhaud, dirigeant du courant réformiste, en quelques semaines l’attitude de la CGT va basculer. Antimilitariste, elle va devenir patriote et belliciste, et encourage l’effort de guerre. L’Union sacrée se met en place pour la « Revanche ».

1918 - Léon Jouhaud : « il faut renoncer à la politique du poing tendu pour adopter une politique de présence...être présent partout où se discutent les intérêts ouvriers. »

Trois raisons pour ce retournement :

1)-Entre les proclamations et l’action réelle, l’écart s’est creusé avant la guerre. La tendance est à l’intégration à la Nation.

2)-Le poids du nationalisme républicain dans les consciences ouvrières : 1914 a été vécu comme la réminiscence de 1789, la lutte contre les « barbares d’outre-Rhin », alors que le barbarisme féodal était plutôt chez le Tsar de toutes les Russies, avant que n’éclate la révolution d’octobre en 1917.

3)- La crainte de la répression : les souvenirs de la Commune et la crainte de l’emprisonnement ; le carnet B institué par Malvy (une sorte de livret militaire pour les ouvriers, passeport indispensable à l’embauche).

Durant la période de la guerre la CGT participe aux commissions sous l’égide de l’Etat. Elle rencontre peu de résistance jusqu’en 1917.

L’opposition syndicale et pacifiste va organiser deux conférences internationales :

- à Zimmerwald (Suisse) avec la participation de Lénine et Trotski.

- A Kienthal.

Ce sont ces militants qui animeront et formeront les cadres de la troisième Internationale organisée sous l’influence du parti communiste soviétique (bolchévik) qui a triomphé en Russie.

La Cgt qui est issue de la guerre est renforcée et chevauche de puissants mouvements sociaux qui correspondent aux frustrations économiques et sociales engendrées par le conflit. Les effectifs vont accompagner ce mouvement, ils vont doubler sur un fonds de tentative de révolution socialiste mondiale. Les Bolchéviks ont réussi en Russie, et à sa suite les gauches socialistes se soulèveront ou s’agiteront en Allemagne, en Belgique, en Hongrie, en Suisse, en Italie, en Grande-Bretagne, en Roumanie, en Bulgarie.

En France, les cheminots déclencheront en 1920 une grande grève à tendance insurrectionnelle. Elle provoquera une cassure entre les sensibilités au sein de la Cgt :

- les réformistes avec Léon Jouhaud (socialiste) vont s’opposer aux :

- révolutionnaires animés par les Pacifistes qui vont connaître un succès grandissant après-guerre. Ce courant donne naissance, politiquement, au Parti Communiste (SFIC*) au Congrès de Tours en 1920.

( Léon Blum gardera « la vieille maison SFIO* »alors minoritaire).

SFIC : Section Française de l’Internationale Communiste

SFIO :Section Française de l’Internationale socialiste

- syndicalement à la CGTU : Confédération Générale du Travail Unitaire.

1921- Scission de la CGT, naissance de la CGTU.

Le syndicalisme français apparaît divisé pour la première fois : CGT, CGTU, et CFTC.

*La CFTC (syndicalisme chrétien) est née en 1919. La division entre les deux branches de la CGT persistera jusqu’en 1935/1936.

Comme le PC, la CGTU est l’organisation majoritaire, à tendance révolutionnaire et communiste. Elle devient la « courroie de transmission » du PC, ce qu’elle n’était pas initialement. Elle adhère à l’ISR.

Peu à peu la CGTU perd de sa substance, s’étiole, du fait de ses rapports de suggestion avec un PC qui se stalinise et se sectarise fortement. Cela conduit des militants à créer en 1924 une branche différente : La CGT- SR (syndicaliste révolutionnaire).

Au début des années 30, la CGTU a perdu beaucoup de ses adhérents, mais reste importante : (1929 : CGT : 750 000 ; CGTU : 400 000.) à la différence d’autres pays européens, comme en Allemagne où le courant communiste est devenu marginal au sein du mouvement syndical, avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933.

Les axes de lutte choisis expliquent ce déclin relatif en France :

Actions sur les salaires, les retraites ;

Mais aussi sur des thèmes politiques : défense de l’URSS, grève générale de 1928 ;

L’antimilitarisme qui provoque l’internement de dirigeants ;

La campagne de dénonciation du colonialisme.

Cette histoire de la CGTU n’est toujours pas écrite, avec ses pages de régression sectaire et partisane, mais aussi ses pages de gloire pour des luttes difficiles à son honneur dans le contexte de l’époque.

LA CGT, de 1921 à ...

La CGT réformiste rattrape son retard dans le courant des années 20 et au début des années 30. Elle mène une action différente de la CGTU, une politique de participation, Jouhaud étant favorable à la « présence ».

Elle va participer à la création du Conseil national Economique en 1925 (disparu en 1939 et renaissant à la Libération en Conseil Economique et Social). Elle joue un rôle important au Bureau International du Travail, sous l’égide de la Société Des Nations. Elle est fortement représentée au sein de la Fonction Publique.

Cependant entre 1921 et 1935, le mouvement syndical s’est affaibli du fait de sa division. Si au sortir de la guerre seront signées les premières Conventions collectives, aucune ne sera négociée ensuite jusqu’au Front Populaire.

La réunification

A partir de 1934, des changements politiques s’opèrent en France, consécutifs à la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne, suite au fascisme italien avec Mussolini en 1921.

Staline a changé de politique : il tend la main aux socialistes, particulièrement en France sous l’influence de Maurice Thorez, et aussi en Espagne avec la République qui a renversé la monarchie.

Le rassemblement politique entre la SFIO et la SFIC puis avec le Parti Radical donne naissance au Front Populaire, non sans difficulté.

Il se fait dans la lutte. Le 6 février 1934, la CGT et la CGT U mobilisent contre le coup de force des ligues d’extrême-droite. Le rapprochement entre CGT et CGTU est difficile, mais ses conditions sont favorisées par l’union politique.

En Mars 1936, les deux centrales se réunifient à Toulouse sous le sigle CGT.

Du point de vue sociologique, ce sont deux organisations complémentaires qui se rassemblent :

- la CGTU avec les ouvriers spécialisés des industries privées, des grandes entreprises industrielles ;

- la CGT qui repose sur la Fonction Publique, les secteurs les plus qualifiés, l’aristocratie ouvrière.

Ce sont ces éléments qui permettent de comprendre la dynamique populaire qui suivra la victoire électorale du Front Populaire. De puissants mouvements de grève éclatent en Juin 36 : 2,4 millions de grévistes, 11 000 grèves paralysent la production industrielle. Avec cette caractéristique :

- moins l’organisation était importante et plus les grèves étaient massives ;

- plus le syndicat était puissant et moins les grèves étaient suivies.

Dans le secteur privé, les syndicats de la CGTU étaient formés de petits noyaux très actifs à la différence de la CGT intégrée dans les administrations du secteur public.

Il y a peu de grèves chez les fonctionnaires.

Le mouvement communiste est puissant. Sous son influence qui se renforce, un torrent de syndiqués défile et s’organise.

La CGT réunifiée : 800 000 s. en 1936 ; 5 millions en 1937 : une explosion syndicale.

Dans la métallurgie les effectifs sont multipliés par 100, par 30 dans la chimie.

Pour la première fois, nous avons en France un syndicalisme de masse : plus d’un ouvrier sur deux est syndiqué à la CGT.

Le courant communiste se renforce dans les fédérations qu’il domine. En 1937/38, existent au sein de la CGT, les éléments qui lui permettront de la contrôler à la Libération.

Le courant unitaire reconnaît le rôle des nationalisations qu’il condamnait auparavant pour dérive capitaliste.

L’euphorie est de courte durée :

- en 1937, c’est la pause imposée à Léon Blum par les Radicaux ;

- c’est le recul du Front Populaire. Daladier(Radical), nouveau Président du Conseil, prend des mesures de limitation des salaires et d’augmentation du temps de travail.

La grève générale de 1938 se traduit par un échec, après laquelle s’ensuit une très sévère répression patronale. La Cgt perd un tiers de ses effectifs. En 1939, elle ne compte plus que 2,5 millions et demi d’adhérents. Ce qui demeure néanmoins important.

La CGT est à nouveau divisée en trois tendances :

- le courant communiste ;

- le courant réformiste de Léon Jouhaud ;

Un nouveau courant appelé « syndicats », du nom de leur journal. Ces militants proviennent du courant réformiste et sont résolument anticommunistes. Ils représentent 20 % des syndiqués. Parmi eux se développe la tendance « planiste » (d’origine belge), qui a été exclue de la SFIO, mais reste influente à la Cgt.

23.08.1939 - Signature du pacte germano-soviétique. C’est un véritable tremblement de terre.

Les « unitaires » qui approuvent ce pacte sont exclus de la Cgt. Dans les faits c’est une seconde scission, mais qui sera vécue différemment de celle de 1921.

Septembre 1939- C’est la guerre : Les troupes d’Hitler envahissent la Pologne.

Ces évènements empêchent la concrétisation de la scission. 16.08.1940- Le gouvernement de Vichy dissout les syndicats : Cgt, CFTC, patronal. Ils sont remplacés par des organisations corporatistes.

1940-1947 . La conquête communiste de la Cgt.

Pendant la guerre, une partie du mouvement syndical verse dans la collaboration. Ce sont essentiellement les syndicats planistes. René Beulin, bras droit de Léon Jouhaud est secrétaire d‘Etat à la production industrielle. C’est une partie très minoritaire du mouvement syndical.

Parallèlement un syndicalisme se développe dans l’illégalité, puis dans la Résistance.

En nov. 1940 - Déclaration politique de douze dirigeants syndicaux : CGT et CFDT s’opposent à la Charte du Travail de Vichy.

Septembre 1943 - Signature des accords du Perreux où Jouhaud était assigné à résidence. Unitaires et réformistes se retrouvent et recréent la CGT. De ce fait la Confédération va pouvoir participer au Conseil national de la Résistance.

La Libération en 1945, va permettre une nouvelle envolée syndicale.

1946 : six millions de salariés sont syndiqués à la Cgt unifiée.

Les Unitaires communistes, très actifs dans la résistance, sont l’aile marchante de la Cgt. C’est de cette période que date le contrôle de la Cgt par le PCF. Le syndicat se fait le défenseur de la bataille pour la production. Les communistes sont au gouvernement et M. Thorez encourage les travailleurs à se retrousser les manches.

Benoît Frachon, membre de la direction du PCF, devient le secrétaire général de la CGT. Elle adhère à la FSM (Fédération syndicale Mondiale - dirigée par les communistes).

1947- C’est le début de la « guerre froide » et les divergences réapparaissent au grand jour. De grandes grèves, très importantes, sont sévèrement réprimées par Jules Moch ministre socialiste qui crée les CRS. Ce sont de véritables affrontements sur fonds de tickets de rationnement et de privations. Les ministres communistes sont expulsés du gouvernement.

Le plan Marshall va cliver le mouvement syndical.

Les réformistes se regroupent autour de « Résistance ouvrière » qui devient Force ouvrière.

Fin 1947, à la suite des grèves, FO quitte la CGT. Ce sera la dernière grande scission de la confédération. Elle instaure l’ère du pluralisme syndical.

La CGT, fille aînée du PCF...

Toute l’histoire de la Cgt depuis 1947 jusqu’en 1990, est marquée par ses liens avec le PCF. Elle est tiraillée entre :

- jouer un rôle de courroie de transmission du PCF et voir son influence et ses effectifs baisser ;

- ou mettre l’accent sur l’autonomie et voir ses effectifs remonter.

C’est ainsi qu’une Cgt dogmatique alternera avec une Cgt pragmatique, créant une tension permanente.

1956-1982-

La CGT est plongée dans un ghetto par la guerre froide, du fait de son alignement idéologique sur les positions du PCF.

Après la fin de la guerre d’Algérie, elle sort de l’isolement en mettant sur pieds une nouvelle stratégie qui prend corps en 1966 avec : le pacte d’unité d’action avec la CFDT. Cette alliance suit la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1965, soutenue dès le premier tour par le PCF et la SFIO.

1967-1977 : dix années d’unité d’action.

Les grandes grèves de 1968, avec l’occupation des entreprises, vont conduire aux « accords de Grenelle ». Les salaires vont considérablement progresser, en particulier le salaire minimum, et la section syndicale d’entreprise sera enfin reconnue.

Les divergences syndicales vont fragiliser cette unité mais elle se maintiendra jusqu’en 1977, jusqu’à la rupture par le PCF, du programme commun avec le PS. C’est une période de renforcement du mouvement syndical.

A partir de 1978, la CGT et la CFDT divergent.

Cette période 1960-1977 a constitué l’âge d’or du mouvement syndical. Depuis c’est la crise.

Sociologie de la CGT

La CGT qui représentait 53 % des salariés syndiqués en 1946, ne représente plus aujourd’hui que 3 % des syndiqués français, avec 700 926 adhérents en 2005.

Bernard Thibault (SNCF), en est le secrétaire général depuis 1999.

Sa sociologie s’est modifiée au cours du temps :

En 1946, elle représentait 53 % des salariés syndiqués. ouvriers : % - 1998 : 39 % .

Son implantation est faible chez les femmes : 48 % du salariat pour 27 % des syndiquées.

La tendance est au vieillissement : en 1999, les 2/3 des adhérents ont plus de 40 ans.

Elle est sur représentée dans le secteur public par rapport au privé :

Cependant, la CGT demeure le première en terme d’audience électorale :

- Comités d’entreprise : 2001 - 23 %

- Prud’hommes : 2002 - 32,1 % - CFDT : 25 % - FO : 18 %

L’abstention aux élections prud’homales progresse régulièrement : 36,9 % dans le secteur privé en 1979 pour 67,3 % en 2002.

Les défis de la Cgt

la nécessité de s’adapter à une rapide transformation du monde salarial qui ne représente plus (mais encore) que 27 % des salariés. Ouvriers et employés pour 53 % à 57 % du salariat forment les classes populaires.

Les couches nouvelles de techniciens, ingénieurs et cadres se développent rapidement ;

L’emploi féminin représente un emploi sur deux.

Les populations salariales sont de plus en plus métissées.

Il devient nécessaire d’apporter des réponses au décalage entre la sociologie de la Cgt et les modifications de la composition du salariat.

Ceci dans un contexte où il faudrait aussi répondre à ces questions qui traversent le syndicalisme français : une faible implantation ;

le syndicalisme français dans sa version Cgt a toujours marqué peu d’intérêt pour le syndicalisme de service par rapport à un syndicalisme de luttes.

l’histoire sociale française est articulée autour de grandes crises :

la grève de 1906 ;

les grèves de 1917 à 1920 ;

Les grandes grèves du Front populaire en 1936/1938 ;

La libération de 1946 à 48 ;

les grèves de 1968 ;

La grève de 1995.

Le mouvement syndical français entretient toujours un rapport étroit avec l’action politique.

L’hostilité du patronat est permanent et celle de l’Etat s’y ajoute le plus souvent. C’est pour cela que le syndicalisme de négociation ne s’est pas développé en France.

Quel projet syndical pour la Cgt ?

Bernard Thibault n’est plus un dirigeant membre du Conseil national du PCF. Cependant chaque tendance du parti communiste occupe une place au sein de la direction de la centrale. Il existe donc un risque du transfert des divergences qui agitent les communistes. Nous avons pu le constater lors du positionnement de la Cgt sur le projet de traité européen.

Comment la Cgt pourra t‘elle gérer cette question de son rapport aux partis politiques ?

Va t’elle aller vers un syndicalisme d’accompagnement après la rupture idéologique avec le PCF ?

Va t’elle conserver un modèle stratégique basé sur la lutte des classes ?

Après son adhésion à la nouvelle centrale mondiale, la CSI, à la centrale européenne CES, la Cgt va t’elle abandonner ses références communistes, s’orienter vers des références social-démocrates ? Un syndicalisme d’accompagnement ?

Quels seront ses rapports, parfois houleux, avec l’altermondialisme, bien qu’elle participe comme membre fondateur à l’association ATTAC.

Allain GRAUX le 25-12 2006

REFERENCES Georges Ubbiali - université de Dijon
- L’altermondialisme en France, la longue histoire d’une nouvelle cause ( Agri Kollansky- Filleule-Mayer, chez Fayard)
- La valeur du travail- ( éditions Antipode)
- Histoire de la Cgt - Michel Dreyfus - Complexe 1995.
- Jacques Kergoat - la France du front populaire ;
- Daniel Guérin - juin 36, révolution manquée ( Babel poche)

à suivre : la CGT-FO, CFTC et CFDT , les syndicats autonomes ( UNSA, Solidaires, FEN)


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