Syndicalisme (7) La CGT Force Ouvrière

jeudi 15 mars 2007.
 

Nous avons éjà mis en ligne six articles d’Alain Graux sur le syndicalisme. Après la CGT, il donne ici son point de vue sur l’histoire et quelques caractéristiques de cette confédération syndicale.

Cet article n’engage pas le site PRS 12 ; il est évident que nous mettrions en ligne un texte présentant un désaccord sur tel ou tel point.

Des femmes et des hommes libres dans une organisation indépendante, ensemble pour acquérir une force leur permettant de défendre leurs droits, d’en obtenir de nouveaux, de se faire respecter.

15 000 implantations syndicales réparties sur tout le territoire (métropole et DOM TOM avec 103 Unions Départementales, dans tous les secteurs d’activité avec 33 Fédérations nationales et regroupés au sein de la Confédération Force Ouvrière

Quelle est son histoire ?

Née en 1895 sous l’appellation CGT, la CGT-FO est apparue sous ce sigle en 1948 à l’initiative de militant(e)s refusant l’emprise du parti communiste sur la CGT.

Depuis ses origines, le principe et la pratique de l’indépendance syndicale sont au cœur de son comportement, de ses analyses, de son rôle. Cette indépendance vaut à l’égard des partis politiques, des gouvernements, de l’État, du patronat et des églises.

Ainsi, par principe Force Ouvrière ne prend pas position à l’occasion des consultations politiques électorales à tous les niveaux. L’exception, conforme aux statuts confédéraux, a eu lieu en 1969, à l’occasion d’un référendum parce que nous avions considéré que la mise en place d’un sénat économique et social conduirait au corporatisme et à l’intégration du mouvement syndical, deux éléments contraires à l’indépendance.

À l’origine, au plan syndical, de la création de nombreuses structures de protection sociale collective (UNEDIC - Retraites complémentaires notamment), la CGT-Force Ouvrière, communément appelée Force Ouvrière a toujours considéré que la pratique contractuelle était un outil important pour construire et développer des droits collectifs à tous les niveaux (interprofessionnel - branches d’activité - entreprises).

En ce sens, Force Ouvrière a toujours combattu le tout État comme le tout marché.

Fondamentalement attachée aux valeurs républicaines (Liberté - Égalité - Fraternité - Laïcité), elle défend le service public et la sécurité sociale comme des structures assurant des droits égaux aux citoyens.

Cela explique le combat mené en 1995 contre l’étatisation de la sécurité sociale ou les conflits avec le patronat sur la refondation sociale, c’est-à-dire la livraison au marché de toutes les structures collectives et solidaires.

Ligne de conduite de Force Ouvrière depuis 1895, l’indépendance syndicale est aussi ce qui assure son avenir en tant que valeur fondamentale.

En témoigne en France ou ailleurs ceux qui s’y réfèrent ou tentent de s’y référer.

* FO vue par elle - même.

HISTOIRE :

Sa création est récente : 1947, après la seconde guerre mondiale, au début de la guerre froide. FO incarne le syndicalisme réformiste, la tractation, « les négociations de couloir ». Son orientation, comme pour le mutualisme, est faite de petites avancées.

Sociologie

FO fonctionne comme un groupe de pression. La franc-maçonnerie y exerce une influence significative. « En 1982 : je crois à la négociation perpétuelle, aux petites améliorations grignotées chaque jour... » (Ma route et mes combats - André Bergeron) Politique

La « peur du Rouge », de l’infiltration communiste, a nourri une culture du soupçon ; ce qui a nui à la nature de cette centrale. Cette peur a été avivée par les premiers travaux publiés en 1980 qui montraient que FO s’était maintenue grâce à son financement par la CIA.

FO a été longtemps, de 1947 à 1996, le syndicat préféré du patronat.

FO était au cœur du système paritaire : Présidence de la Sécurité Sociale, de l’UNEDIC, (bastions de FO).

C’est la CFDT qui a pris cette place ces dernières années.

1943-1948 : UNE NAISSANCE DIFFICILE.

En 1943, pendant la guerre, a lieu l’accord du Perreux qui réunifie la CGT. Malgré la clandestinité, les courants réformistes et communistes engagent une très dure compétition.

Les communistes jouent un rôle de premier plan. Ce courant unitaire est le fer de lance de la renaissance de la CGT ; il contrôle les 2/3 des fédérations.

Avant-guerre, trois courants se disputaient l’orientation et la direction de la CGT : Confédérés, Unitaires, Réformistes. A la Libération, les « collabos » sont épurés de l’organisation ; ce qui affaiblit le courant confédéré. Le 24 novembre 1944, Léon Jouhaud (l’ancien secrétaire général)et Robert Bothereau publient leur journal : « Résistance Ouvrière » qui se transforme en « Force Ouvrière » en 1945.

Au congrès de 1946, FO représente 20% des mandats.

Les années 46 et 47 sont marquées par de grandes grèves dont celles de Renault. Elles conduisent à un effritement du syndicalisme dans un contexte d’affrontement idéologique. La grève Renault conduit au départ des ministres communistes du gouvernement, alors que sur le plan politique la SFIO s’engage dans la politique de la « troisième force ». Au niveau international, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest s’installe. Les communistes s’opposent au Plan Marshall d’aide américaine à l’Europe. On appelle la CGT : « la CGT K ( Komminform*, Kosaque ) *Organisation communiste internationale dominée par l’URSS

Le mécontentement social est réellement très important et conduit à des conflits violents :

- grève à la SNCF, avec déraillement d’un train qui provoque la mort de plusieurs personnes

- Le climat social et politique est pré insurrectionnel.

- La Fédération des PTT quitte la CGT et se constitue en syndicat autonome. A la suite, plusieurs syndicats « sortent » de la CGT et s’autonomisent. Ils sont violemment anticommunistes. Cependant Jouhaud veut développer FO au sein de la CGT.

Le courant FO se désolidarise de la majorité CGT et décide de quitter la centrale à la fin 47.

Le premier congrès aboutissant à la création de la CGT-FO aura lieu en 1948.

Cette scission s’est faite dans l’impréparation. Jouhaud était persuadé que c’était la réédition de 1921 et que la CGT allait décliner au profit de FO qui finalement l’emporterait et deviendrait l’organisation syndicale majoritaire. Ce n’est pas ce qui s’est passé...

Les difficultés s’accumulent. Beaucoup d’anciens confédérés restent à la CGT.

Deux fédérations importantes, dirigées par des réformistes, décident de ne pas suivre la scission :

- Le LIVRE, pour conserver l’unité ;

- L’EDUCATION, la FEN organise une consultation sur trois choix : rester à la CGT, se joindre à FO, se constituer en syndicat autonome. C’est ce dernier choix qui a été fait.

Le rayonnement de la CGT- FO est dès le départ limité.

LE CONGRES CONSTITUANT d’AVRIL 1948

Persuadés de représenter l’avenir, les délégués proclament la continuité avec la CGT, c’est pourquoi le sigle est conservé : CGT-FO. Les structures restent les mêmes que celles de la CGT.

FO revendique les principes d’avant-guerre :

-  La politique de présence dans les entreprises nationalisées, les Comités d’entreprise créés à la Libération, au Conseil Economique Social.

-  Elle met l’accent sur la négociation collective et donc pour les Conventions Collectives, pour l’idéal d’une libre discussion entre les employeurs et les employés, pour le contrat ...

Principes aujourd’hui repris par la CFDT et le MEDEF : le contrat plutôt que la loi.

FO revendique 1 million d’adhérents en 1948 ; ce qui semble selon l’historien socialiste Alain Bergougnioux, très exagéré. Il estime la réalité plus proche de 400 000 membres.

Aux élections à la sécurité sociale de juin 1948, FO n’obtient que la 3° position.

Sociologie.

FO est ancré dans la Fonction Publique : Sécurité sociale, Santé, PTT : chez les employés, les cadres, un peu dans la métallurgie et les cheminots, et dans les PME du secteur privé.

Le ciment de l’organisation, c’est l’anticommunisme de tous les instants, primaire, secondaire et supérieur.

LES ANNEES DE CROISSANCE : 1950-1980

Jusqu’en 1958, FO est à l’aise au sein des institutions parlementaires de la IV° République où les négociations de couloir, les dîners, permettent d’agir comme un groupe de pression. Avec l’arrivée du Général de Gaulle et l’avènement de la V° République, le parlementarisme est réduit. FO est ébranlée, déstabilisée. L’évolution politique s’oppose à son identité profonde.

Après 1962 et 65, avec la candidature de François Mittterand à l’élection présidentielle, communistes et socialistes se rapprochent. Plus cette alliance s’affirme et plus FO se retrouve isolée.

Après 1970, avec la naissance du Nouveau Parti socialiste en 1971au congrès d’Epinay, l’indépendance politique de FO est subie. L’isolement syndical s’y ajoute jusqu’en 1978, avec le rapprochement de la CFDT et de la CGT. La CFDT, après avoir tenté sans succès une alliance avec FO, a conclu un Pacte d’Unité D’action avec la CGT. FO, par son anticléricalisme style III° République, n’a pas analysé à sa juste mesure l’évolution du syndicalisme chrétien et la création de la CFDT en 1964. Ce dogmatisme idéologique à empêcher l’alliance avec la CFDT, alors que de nos jours elle signe moult accords avec la CFTC...

La politique contractuelle de FO s’oppose à la volonté autogestionnaire, au socialisme démocratique alors en vigueur à la CFDT. FO développe une pratique singulière : la politique contractuelle.

Elle se distingue aussi par une très grande hétérogénéité politique :

-  Un courant « socialiste révolutionnaire » qui vote toutes les motions majoritaires depuis 20 ans.

-  Des courants de Droite, mais la force politique dominante c’est le PS (60 % des délégués sont socialistes).

-  La deuxième présence est celle du Parti des Travailleurs, qui pèse 20 % des délégués ; ce qui lui confère une influence sans mesure avec son importance politique (Glukstein : 0.5 % aux présidentielles).

-  Sauf cas particulier et rare, l’extrême droite n’est pas présente à FO.

L’IDEOLOGIE

La pratique syndicale est « américaine » par sa volonté de mettre la négociation à tous prix au centre de son action : le bargaining. C’est alors la seule centrale française qui agit de cette manière. C’est le syndicat du « grain à moudre » cher à André Bergeron.. Cette conception amène FO à repousser toutes les formes de partage de la gestion. Ce qui explique son hostilité à l’égard des conceptions de la CFDT.

Pour FO, Partis et Syndicats ont des fonctions différentes :

-  Les syndicats défendent les intérêts particuliers des travailleurs, les partis les intérêts généraux.

-  Refus de la gestion, de la cogestion, de l’autogestion.

On observe dans cette attitude l’esprit de la Charte d’Amiens propre aux origines du syndicalisme français. L’instrument du syndicalisme c’est le contrat collectif, la liberté de négocier à tous les niveaux, pour garantir les intérêts des travailleurs : conditions de travail et d’existence.

Cela implique une séparation très stricte entre le politique et le social, le contrat collectif apparaît comme la traduction du compromis social. C’est une théorie du pluralisme démocratique qui a des racines anciennes que l’on trouve chez Proudhon : résoudre les problèmes par soi-même dans une société divisée en classes.

Cette dimension proudhonnienne est cependant discutable car pour Proudhon le syndicalisme avait aussi une fonction gestionnaire : « l’atelier doit remplacer le gouvernement ». Les ouvriers satisferaient à leurs besoins à travers la gestion économique de l’usine, le compromis avec sa direction.

L’aspiration de FO est très libérale en séparant ainsi le politique et l’économique, et nie le rôle interventionniste de l’Etat républicain pour assurer l’équilibre et l’égalité entre tous les citoyens par la loi.

Evidemment ce rôle est différent selon la nature du pouvoir et la classe qui le dirige.

FO en cela se différencie autant de la CGT que de la CFDT, mais aussi avec le syndicalisme social-démocrate anglo-saxon et nordique où parti et syndicat se partagent les tâches.

C’est de ce fait une organisation singulière. Elle a été dirigée par quatre hommes :

Robert Bothereau - 1948 -1963 ; André Bergeron - 1963-1989 ; Marc Blondel - 1989-2004 ;

Jean Claude Mailly - 2004 ;

FO a connu une assez grande stabilité avec assez peu de changement à sa direction et dans son orientation : défense permanente des conventions, rares recours à la grève, maintien de l’action de groupe de pression, ancrage paritaire jusqu’en 1986. On peut noter cependant une inflexion de cette ligne, par une action plus revendicative avec Marc Blondel.

Un certain partage des tâches entre syndicats :

La CGT et la CFDT se mobilisent et engagent des actions, FO engrange et signe des accords ...

-  A partir de 1974, avec le plan d’austérité de Raymond Barre, cette politique contractuelle va se bloquer. L’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 ne va pas favoriser cette politique. Bergeron est rendu furieuse par la participation de ministres communistes au gouvernement. Elle est hostile aux Lois Auroux. FO s’isole un peu plus ...

-  La croissance est faible : de 400 000 adhérents en 1948, on atteint 500 000 trente ans plus tard alors que la CGT est à 2 millions et la CFDT à 1,5 en 1978.

-  En 2005, on ne recense que moins de 300 000 adhérents.

-  Ces chiffres sont imprécis du fait de la culture du secret si chère à FO qui ne délivre aucun élément sur sa sociologie.

-  Son implantation est essentiellement dans la Fonction Publique.

-  Fo se place au 3° rang des organisations syndicales pour son influence aux élections professionnelles, dans les Comité d’entreprise et pour les délégués du personnel, y compris pour les commissions paritaires de la Fonction publique.

Les trois défis de FO.

- La fonction du syndicalisme : quel est le rôle d’un syndicalisme réformiste sans réforme ?

Car il n’y a plus de grain à moudre. Les reculs sociaux, sous les coups de boutoir de la droite libérale sont importants. Il n’y a plus de résultats, que des concessions...

Marc Blondel a dit : « après la chute du mur de Berlin, on prétend que FO n’a plus de sens. Il ne convient pas de réduire FO à l’anticommunisme. FO met en oeuvre un réformisme éloigné de la gestion d’un supposé Bien commun. »

Les alliances : quel est le positionnement de FO par rapport aux autre centrales.

- Avec la CGT, FO sera t-elle en mesure de dépasser son anticommunisme congénital, suite à l’affaiblissement du PCF et de la CGT elle-même ?

- avec la CFDT sera t-elle capable de dépasser son anticléricalisme qui n’est plus de mise depuis la transformation de cette centrale en une organisation ouverte ?

La place de syndicat contractuel a été ravi à FO par la CFDT à la Sécurité Sociale, à la CNAM, aux ASSEDIC.

En 1990, une recomposition syndicale a été tentée et s’est traduite par un échec : l’Union Départementale de Paris a été exclue et à rejoint le nouveau syndicat autonome, l’UNSA.

- L’isolement international :

FO est fondatrice de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Elle s’est montrée très hostile à l’entrée de la CFDT.

FO a cependant adhéré à la CSI, mais avec réserve.

Si la représentativité change et se mesure en fonction des résultats d’élections professionnelles étendues aux nouvelles centrales, FO sera très affectée et perdra de son influence et de sa crédibilité.

Dès lors on comprend son opposition farouche à tous changements.

Son intérêt ne réside t-il pas à un rapprochement avec d’autres centrales, à un dépassement d’elle -même dans l’intérêt des salariés ?

Allain GRAUX le 2.02.2007

REFERENCES

Georges Ubbiali - université de Dijon

- L’altermondialisme en France, la longue histoire d’une nouvelle cause ( Agri Kollansky- Filleule-Mayer, chez Fayard)

- La valeur du travail- ( éditions Antipode)

- Histoire de la Cgt - Michel Dreyfus - Complexe 1995.

- Jacques Kergoat - la France du front populaire ;

- Daniel Guérin - juin 36, révolution manquée ( Babel poche)

- La naissance de Force Ouvrière, autour de Robert Bothereau - Michel Dreyfus, Gérard Gauthron, J.Louis Robert ( PU de Rennes, 2004)

- Histoire de la FEN - Guy Brucy - (Belin 2003)

- Epistémologie du syndicalisme - V.Chambarlhac, Georges Ubbiali (L’Harmattan,2005)

- Andolfatto Dominique : Histoire des Syndicats(1906-2006) - (Le Seuil, 2006)

- Sociologie des Syndicats (La Découverte, 2000)


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