La fusion d’une majorité de l’ex Parti Communiste italien avec "la marguerite" de Prodi impose de construire une nouvelle force politique de gauche

jeudi 24 mai 2007.
 

Depuis quelques années, la gauche européenne vit une période de transition. Des partis traditionnels s’épuisent, sont battus électoralement, entrent en crise, disparaissent ; d’autres forces commencent à émerger.

Quand un cycle se clôt, s’ouvre une période transitoire où l’histoire hésite sur le chemin à suivre. Nous en sommes là, dans un contexte de confusion politique comme le mouvement socialiste en a connu rarement depuis un siècle et demi. Aussi, un besoin de refondation de la gauche se fait sentir aux Pays-Bas, en Allemagne, en France...

Parmi les déroutes en cours, une apparaît comme particulièrement flagrante, celle d’un grand parti dumouvement ouvrier européen : le Parti Communiste Italien.

Fondé par des dirigeants aussi prestigieux que Gramsci, Bordiga et Blasco, son passé et son devenir méritent une grande attention.

Dans les années 1965 à 1973, les débats du Parti Communiste Italien étaient suivis par l’ensemble des anticapitalistes du continent européen. Dans un département comme l’Aveyron, où la gauche avait connu de 1920 à 1944 une histoire un peu semblable à celle de l’Italie, Gramsci apportait bien des réponses. Les textes théoriques publiés par Les Temps Modernes apparaissaient comme un souffle de renouveau de la pensée anticapitaliste après la bêtise bureaucratique du stalinisme moscovite.

Dans le groupe de jeunes lié au PC auquel je participais parfois en 1966 (sans en être du tout l’animateur), il m’est arrivé de me revendiquer "italien de gauche" comme de nombreux jeunes politisés de l’époque. Dans les premiers mois du groupe que j’ai participé à fonder en 1967 (Le Pavé), j’ai oscillé entre "italien de gauche" et sympathisant JCR.

Qu’est-il arrivé en Italie au Parti Communiste, au Parti socialiste et aux forces anticapitalistes depuis 40 ans ?

1) Le Parti Socialiste Italien

Il naît du Parti Ouvrier Italien fondé en 1882 puis du Parti des Travailleurs Italiens ( 1892). En 1893, il prend le nom de Parti Socialiste Italien avant d’être interdit en 1894 puis de se reconstruire publiquement. Du point de vue théorique (Labriola...) comme dans la pratique politique (par exemple pendant la 1ère guerre mondiale), en bien comme en mal (maximalisme), la connaissance de ce parti présente un très grand intérêt.

Après la Première Guerre Mondiale, l’Italie connaît un des plus grands mouvements sociaux de l’histoire mondiale. L’échec de toute perspective positive et la création de la 3ème Internationale vont faire exploser le Parti Socialiste en cinq morceaux principaux :

- les Bordighistes, majoritaires dans le Parti Communiste jusqu’en 1925, qui fonderont plus tard la Gauche Communiste. On peut les considérer comme une ultra gauche anti-parlementaire.

- le courant communiste proche des dirigeants de la 3ème Internationale qui va diriger le Parti Communiste Italien après 1925 et dont le dirigeant le plus connu est Antonio Gramsci.

- un petit réseau trotskiste dirigé par l’un des trois fondateurs du Parti Communiste Italien, Pietro Tresso .

- le Parti Socialiste Unifié, scission droitière

- le Parti Socialiste Italien

Dissous et réprimé par le régime mussolinien, le parti socialiste fournira un nombre important de volontaires dans les Brigades Internationales en Espagne puis dans la Résistance en Italie.

Le Parti Socialiste Italien restera, pour l’essentiel, sur une orientation d’unité de la gauche et d’alliance avec le Parti Communiste durant la Guerre froide. Par contre, en 1962, il se laissera déjà tenter par une alliance de "centre gauche" avec la démocratie chrétienne qui le conduira à des crises internes et scissions successives.

Dans les années 1970 et 1980, il devient simplement un parti de gouvernement allié à la démocratie chrétienne.

Deux faits symbolisent la dérive politicienne et carriériste du parti socialiste italien :

- Lors du scandale de « Mani pulite », son premier secrétaire Bettino Craxi est impliqué et se réfugie en Tunisie pour échapper à la justice italienne. Le parti se dissout en 1994.

- Des fidèles de Bettino Craxi fondent le Nouveau Parti socialiste italien, allié à Silvio Berlusconi. D’autres vont fusionner avec le PDS.

2) Le Parti communiste italien

Il s’agit du parti communiste d’Europe, le plus indépendant de Moscou, en raison de son histoire héroïque ( interdiction par Mussolini en 1926, puis presque vingt ans de clandestinité et de Résistance), de sa forte implantation nationale et de la personnalité de ses dirigeants. Ainsi, Togliatti, son chef clandestin depuis 1927, n’hésite pas après les évènements de Hongrie (1956) à théoriser "une voie italienne vers le socialisme". Enrico Berlinguer affirmera encore plus cette prise de distance. Elu secrétaire en 1972, il sarde adopte une ligne "eurocommuniste", qui conduira à la rupture avec Moscou en 1981.

Malheureusement, cette autonomie d’orientation stratégique se concrétise dans l’objectif d’un "compromis historique" entre démocrates-chrétiens et communistes. L’objectif pour le PCI est de gagner des voix "modérées" aux élections et se faire admettre comme digne de participer au pouvoir politique si tentant.

Cette orientation est typiquement le produit d’une couche politique d’élus et cadres essentiellement préoccupés par leur avenir électoral personnel et conjoncturel. Elle coupe toute posibilité de débouché politique aux luttes syndicales et revendicatives. Elle nie toute validité à une perspective politique de front unique, d’unité de la gauche (PCI, PSI) renvoyant le PSI dans une alliance gouvernementale avec les démocrates chrétiens. Elle marginalise politiquement l’énorme extrême gauche italienne de l’époque qui va déraper sur une orientation ultragauche, symbolisée par les brigades rouges.

Dans le contexte de forte combativité sociale des années 68 en Italie, elle a permis au PCI d’atteindre de forts scores électoraux (34,4% aux législatives de 1976). Mais elle a surtout validé l’idée qu’entre la gauche et la droite, entre le grand capital et les travailleurs, l’objectif essentiel est la recherche d’un compromis.

Sur une telle orientation, d’autres partis étaient mieux placés pour tirer les marrons du feu. Cela donne la formule célèbre du "pentapartito" (gouvernement des "cinq partis" : Démocratie Chrétienne, Socialistes, Sociaux démocrates, Républicains, Libéraux).

- En novembre 1989, trois jours après la chute du mur de Berlin, le secrétaire annonce qu’il faut créer un nouveau parti. En janvier 1991, le PCI devient le Parti Démocratique de Gauche ( PDS). Une minorité va créer le Mouvement de Refondation Communiste

- Avril 2006 : une coalition électorale nommée L’Union dirigée par Romano Prodi gagne de peu les élections législatives et sénatoriales.

- Avril 2007 : Le Congrès du PDS réuni à Florence décide de fusionner dans un même parti avec les démocrates chrétiens du libéral chrétien Romano Prodi.

La forme explique parfois le fond avec moins de phrases :

- lors de la fondation du Parti Démocratique de Gauche, le chêne était devenu le symbole du parti avec un petit drapeau rouge dans un coin ; aujourd’hui celui-ci est remplacé par un oeillet et les étoiles de l’Union européenne.

- pas de rouge lorsdu congrès de Florence mais une couleur dominante orange comme François Bayrou, plus d’Internationale ni Avanti Popolo mais une chansonnette "Le ciel est toujours plus bleu".

Ce Congrès de Florence symbolise bien la fin du cycle commencé en 1965-1973 mais elle signe aussi la possible fin d’une expérience historique : celle des Partis Communistes nés de la Révolution russe.

3) Le dernier avatar de la "réflexion théorique" de l’ex Parti Communiste Italien (Piero Fassino) publié hier par Le Monde :

" Issu de la fusion des deux principaux partis de centre gauche, les Démocrates de gauche (DS, héritiers du Parti communiste italien) et la Démocratie libérale-Marguerite (DL, héritiers de la Démocratie chrétienne), le Parti démocrate - une formation de type social-démocrate - doit voir le jour le 14 octobre, dans le cadre d’une assemblée constituante pour laquelle les dirigeants des deux formations comptent faire voter un million de sympathisants.

Quels sont les objectifs du Parti démocrate ?

Avec la coalition de l’Olivier, nous avons mis en route depuis douze ans, et plus particulièrement ces cinq dernières années, un processus d’unification de notre électorat qui a besoin d’être complété.

Le Parti démocrate entre dans le cadre d’une stratégie d’unité des forces réformistes qui s’est déjà réalisée dans L’Olivier et qui a été approuvée par les électeurs. Le deuxième objectif est d’amorcer une réorganisation du système politique à travers une réforme des partis. La réforme des institutions et celle de la loi électorale ne suffisent pas.

En Italie, nous en avons la preuve : l’adoption d’un système bipolaire majoritaire n’a pas mis fin à la culture proportionnelle. C’est pourquoi nous mettons en place une grande force politique qui a l’ambition de réunir plus de 30 % de l’électorat. Notre but est de dépasser la désespérante fragmentation politique qui caractérise le système italien.

Pourquoi le faire maintenant ?

Nous sommes à un moment où le pays a besoin de grands changements et de réformes profondes. Cela ne peut pas se faire seulement à travers le gouvernement. Pour conduire une phase de grande transformation, on a besoin de s’appuyer sur un grand parti politique. Aux Etats-Unis, Roosevelt l’a fait pour son New Deal, Adenauer en Allemagne après la guerre et de Gaulle au moment de créer la Ve République.

L’Italie d’aujourd’hui a besoin d’une grande formation de centre gauche qui soit le moteur du changement.

Sur quel projet idéologique repose cette gauche réformatrice ?

Le Parti démocrate est l’équivalent italien des grands partis sociaux-démocrates européens, en termes de culture, de programmes et de rôle. Sauf qu’on ne peut pas parler seulement de social-démocratie parce que, en Italie, il y a en plus l’apport d’une culture catholique progressiste.

Une constante italienne, c’est le catholicisme en politique. Pendant longtemps, les catholiques ont été représentés par un parti, la Démocratie chrétienne, qui avait une vertu : c’était un parti du centre qui regardait à gauche, c’est-à-dire qui a empêché que les catholiques deviennent la base d’une action conservatrice.

Depuis qu’il n’y a plus de parti catholique, la tentation est récurrente de greffer sur le monde catholique une politique de droite. Le Parti démocrate est aussi la réponse à ce problème : maintenir le monde catholique dans le camp progressiste.

L’avenir de la gauche en Europe est-il celui-ci, toujours plus au centre ?

Les élections des deux dernières années en Europe se sont jouées à un point ou un point et demi. Cela signifie que la compétition est de plus en plus centre-droit contre centre-gauche. Le vieux schéma tripolaire droite, centre, gauche, l’un cherchant à gagner contre les deux autres, ne fonctionne plus.

Même en France, l’hypothèse d’un Bayrou comme troisième pôle s’est révélée inexistante. Il doit choisir, être ici ou là. La gauche doit être capable de parler au centre et de le représenter. Le parti qui guide le front progressiste doit toujours être un grande formation de centre gauche. C’est ce qu’ont fait Tony Blair avec le Parti travailliste et Gerhard Schröder avec le SPD.

Votre expérience peut-elle servir de modèle pour le Parti socialiste français ?

Il n’y a pas de doute que l’élection présidentielle pose ce problème en France. Mais elle ne le pose pas seulement au PS. Il serait trop simple de dire que la gauche ne peut pas vivre sans une alliance avec le centre ; ce dernier doit aussi absolument s’allier. C’est tout le schéma qui a changé.

Il faut réorganiser le système politique en fonction de cette bipolarité nouvelle. Ce n’est pas un hasard si des dirigeants français comme Michel Rocard, Jacques Delors et Dominique Strauss-Kahn regardent avec intérêt notre expérience.

Partout, il faut une force pour conduire une alliance plus large car, en Europe, la bipolarisation n’est jamais un bipartisme.

4) Félicitations à droite pour cette évolution des ex-communistes mais scissions à gauche

Invité au congrès de l’ex PC (Démocrates de gauche), Silvio Berlusconi a applaudi le discours du même Piero Fassino : "Si c’est cela le Parti démocrate, à 95 % je suis prêt à m’y inscrire aussi. J’ai entendu un positionnement social-démocrate qui, sur certains points, est carrément libéral ; je suis d’accord avec la politique sociale dont a parlé le secrétaire des DS." Ce dernier a évoqué "la nécessité historique" d’une évolution "pour ceux de nos enfants qui n’ont connu que la paie en euros et qui n’étaient peut-être pas nés à la chute du Mur".

L’évolution social-libérale de l’ex parti communiste italien a sans cesse provoqué des scissions sur sa gauche. Les deux dernières sont celles :

* d’un courant (environ 15 % des adhérents) autour de Fabio Mussi qui a pris acte de "la faillite politique du défi né avec la fin du PCI".

* d’un autre courant, quelques jours avant le congrès de Florence, autour de Gavino Angius, l’un des "historiques" du mouvement postcommuniste (vice-président du Sénat, il fut chef de groupe des DS) : "Nous étions partis pour une grande entreprise, mais nous avons échoué, et notre problème est de rentrer vivants à la base. Si on ne trouve pas le bon angle de rentrée, on est condamnés à se désintégrer. Or le Parti démocrate n’est pas la bonne trajectoire, c’est la dispersion des forces socialistes."

Ces deux dernières scissions vont-elles fusionner, se rapprocher de Rifondazione ? Sur quelle orientation ? En Italie comme en Allemagne, en Belgique ou en France, le difficile accouchement d’une nouvelle gauche est en cours.

Jacques Serieys


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