22 juin 1899 Waldeck-Rousseau et la gauche républicaine au gouvernement

mardi 4 juillet 2023.
 

Le 22 juin 1899, le gouvernement Waldeck-Rousseau de "défense républicaine" est investi par l’Assemblée nationale. Il va rester au pouvoir jusqu’au 3 juin 1902, donnant une issue progressiste à l’affaire Dreyfus, ouvrant la voie au gouvernement Combes du Bloc des gauches.

1) Qu’est-ce que la gauche de défense républicaine en 1899 ?

Pour la comprendre, il faut nécessairement la situer dans la bataille acharnée qui se poursuit en France depuis la Révolution française entre :

- d’un côté, une droite composée des privilégiés, pré-fascistes et cléricaux

- de l’autre, une gauche composée de républicains, de progressistes et d’animateurs du mouvement ouvrier (ces trois courants ne se recoupant pas toujours, loin de là)

Cet affrontement pèse d’autant plus de 1899 à 1902 que l’Europe et particulièrement la France connaissent alors une poussée pré-fasciste.

Ceci dit, cette gauche de défense républicaine comprend des élus colonialistes, des élus que l’on peut considérer comme des libéraux (défense des intérêts capitalistes)...

2) Poussée pré-fasciste en Europe sur la fin du 19ème siècle et début du 20ème

Les pays européens connaissent alors une poussée de courants très conservateurs et même fascistes ( en France l’Action française, en Autriche le Parti Social Chrétien de Karl Lueger...). L’affaire Dreyfus doit s’analyser dans ce cadre avec une droite militariste, nationaliste et antisémite de masse. En 1898, le gouvernement républicain de Henri Brisson ouvre l’instruction de la Cour de cassation sur le procès Dreyfus de 1894.

La détermination de la droite nationaliste a écraser "la gueuse" (ainsi nomment-ils la République) ne fait qu’augmenter. Le 23 février 1899, profitant des obsèques de Félix Faure, Déroulède tente un coup d’État en prenant l’Elysée grâce aux troupes de la brigade Roget qui défilent (il sera acquitté par la cour d’Assises de la Seine). Le 4 juin 1899, le président de la république est frappé à Auteuil.

Aux élections municipales de mai 1900, les nationalistes et pré-fascistes remportent à Paris 45 sièges sur 80.

3) Pierre Waldeck-Rousseau, exemple de républicain modéré et opportuniste mais convaincu et efficace face à la droite cléricale et pré-fasciste

Pierre Waldeck-Rousseau, élu président du conseil le 22 juin 1899 fait partie de ces républicains marqués à gauche suite à l’oppression tyrannique naturelle que la droite cléricale fait subir au 19ème siècle à quiconque n’est pas un "fidèle royaliste, papiste et clérical", en particulier dans ses fiefs. Or, la famille de Waldeck-Rousseau habite en Bretagne (Avranches dans le Cotentin puis Nantes).

Son père, René Waldeck-Rousseau, a joué un rôle important dans l’animation de la gauche nantaise de 1833 à 1882, a été élu député républicain de Loire-Inférieure à l’assemblée constituante d’avril 1848 à mai 1849 ; il a remporté les élections municipales de de Nantes en 1970, puis 1871, et encore en 1872, époque d’affrontement particulièrement dur face à la droite ; son premier adjoint Ange Guépin apporte des éléments intéressants sur cette gauche républicaine nantaise

Pierre Waldeck-Rousseau poursuit le combat républicain de son père, en plus modéré mais tout aussi convaincu face à la droite cléricale et pré-fasciste. Rédacteur dans sa jeunesse du journal L’Avenir à Saint Nazaire, élu député républicain de Rennes en 1879, membre des républicains "opportunistes", il fait partie du gouvernement Gambetta puis du second gouvernement de Jules Ferry (23 février 1883 - 6 avril 1885) ; l’abrogation de la Loi Le Chapelier et la reconnaissance légale des syndicats ouvriers provient de la « loi Waldeck-Rousseau » votée le 21 mars 1884. Elu sénateur de la Loire en 1894, le voilà candidat à l’élection présidentielle de 1895 où il obtient 184 voix au premier tour contre 338 à Henri Brisson et 244 à Félix Faure.

4) Le gouvernement de défense républicaine

Une gauche bourgeoise de "défense républicaine" (Alliance républicaine démocratique, radicaux, le socialiste Millerand) se rassemble au Parlement face à la poussée de droite anti-républicaine. Le 26 juin 1899, le gouvernement Waldeck-Rousseau est investi par les députés « La Chambre en exprimant la résolution de ne soutenir qu’un Gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines et à assurer l’ordre public, a nettement défini la tâche qui s’impose au nouveau cabinet. »

Clémenceau, figure de la gauche radical-socialiste, apporte son soutien au gauvernement en pointant son hétérogénéité « C’est un coup de théâtre, écrit ainsi Clemenceau. En vérité, c’est un étrange assemblage ; rien n’était plus inattendu que la rencontre de ces trois hommes dans une même action politique. Waldeck-Rousseau, l’ami, l’élève favori de Gambetta, l’un des représentants les plus autorisés de la politique dite opportuniste. Galliffet, qui fut aussi de l’intimité de Gambetta, un soldat, de l’école des sabreurs à panache, qui a malheureusement laissé dans nos guerres civiles une trace d’implacabilité légendaire. Millerand, enfin, un socialiste révolutionnaire qui revendique hautement les droits de la démocratie laborieuse, en vue de l’organisation de justice sociale si lente à venir. »

Jaurès, non élu député en 1898, soutient la participation socialiste au gouvernement Waldeck-Rousseau.

5) Le gouvernement de défense républicaine face à la droite et son avant-garde préfasciste

Conscient de la nature dangereuse pour la démocratie des organisations de droite : Ligue des patriotes, Jeunesses royalistes et Ligue antisémite, Waldeck-Rousseau fait arrêter leurs dirigeants le 12 août 1899. Plusieurs de ceux-ci se retranchent dans le « Grand Occident de France » au 51, rue de Chabrol. Ils sont ravitaillés à partir d’un toit et protégés dans la rue par de nombreux amis. Lorsque l’extrême gauche manifeste contre ces fascistes, la police intervient durement ; des anarchistes se vengent par le sac de l’église Saint Joseph, proche (bilan : une centaine de blessés et une cinquantaine d’arrestations).

Peu à peu, la répression engagée contre cette droite activiste réussit cependant à l’affaiblir sauf dans la région parisienne.

6) Le gouvernement de défense républicaine face au danger antirépublicain, particulièrement dans l’armée

Conscient du fait que l’armée représente un danger immédiat pour les institutions républicaines, Waldeck-Rousseau prend des mesures efficaces pour stopper l’épidémie antirépublicaine et antisémite parmi les officiers supérieurs. Il épure l’administration et l’armée, en remplaçant des juges, des préfets et des chefs militaires. Deux décrets soumettent l’avancement des militaires à l’avis du ministre, tandis que Waldeck-Rousseau vise particulièrement des officiers compromis tels que Zurlinden, l’ex-ministre de la Guerre qui avait persécuté le colonel Picquart, ou le général de Pellieux, mis en retraite forcée

Conscient du fait que l’Eglise représente le terreau essentiel des plantes mortelles ayant nom cléricalisme, traditionalisme royaliste, antisémitisme (dont les Assomptionnistes sont les champions), le gouvernement Waldeck-Rousseau met en place un système d’autorisation des congrégations et de contrôle.

Dans le même temps, la grande loi sur les associations (1901) libère les potentialités d’une recomposition des formes d’organisation de la société autrement que par les seules associations paroissiales.

7) Le gouvernement de défense républicaine et l’affaire Dreyfus

Parmi les premières décisions du gouvernement, notons la décision d’ouvrir la révision du procès Dreyfus ; ce nouvel épisode débute à Rennes le 7 août 1899.

Les activistes de droite en profitent pour relancer l’agitation armée face au gouvernement. Le 14 août 1899, l’avocat de Dreyfus reçoit une balle de pistolet tirée en public, en présence de nombreux policiers ( y compris le directeur de la sûreté générale, plusieurs commissaires spéciaux...) mais le tireur n’est et ne sera jamais ni connu ni retrouvé.

Après la condamnation avec circonstances atténuantes de Dreyfus en septembre, Waldeck-Rousseau suggère de faire appel à la grâce présidentielle : il envoie le ministre socialiste Millerand la proposer à l’équipe dreyfusarde (Mathieu Dreyfus, Zola, Jaurès, etc.). Après tergiversations - Clemenceau, notamment, préférerait la justice plutôt qu’une grâce - celle-ci accepte, et le président Loubet signe le décret de grâce en septembre. Cette mesure est complétée par le projet de loi d’amnistie, concrétisé par la loi du 14 décembre 1900.

8) La fête républicaine du 19 novembre 1899

Cette fête est organisée pour l’inauguration du monument de Dalou, Le Triomphe de la République, place de la Nation.

Exécuté par le sculpteur Aime Jules Dalou, le projet a obtenu en 1889, le second prix du concours pour un Monument à la République. Dix ans plus tard, il est donc réalisé et installé Place de la Nation dans le XIIème arrondissement.

Il comprend :

- une statue de la république (belle, accueillante, pied léger sur un globe terrestre)

- entourée par un ouvrier, un enfant portant un gros livre, la Justice et la Paix distribuant les fruits de l’abondance

- le tout placé sur un char tiré par deux lions guidés par le Génie de la Liberté, flambeau au vent et symbolisant le suffrage universel

- au pied, quatre crocodiles de bronze crachant des jets d’eau baignent dans un bassin et représentant les ennemis de La République. Ils ont évidemment été enlevés pour être fondus durant l’Occupation et le bassin supprimé en 1960 pour éviter qu’un gouvernement ou une mairie de gauche ne veuille reconstituer le monument d’origine.

9) Gouvernement de défense républicaine et classe ouvrière

Sur le plan social, les progrès réalisés par le gouvernement sont limités :

- les décrets d’août 1899 fixent un certain nombre de normes sociales dans le cadre des marchés publics. Ils imposent ainsi aux entreprises amenées à travailler pour le compte de l’Etat, en particulier pour le secteur des travaux publics, le respect de conditions de travail minimales (durée du travail, salaires, repos dominical...)

- 1er septembre 1899 : entrée de représentants ouvriers au Conseil supérieur du travail

- Lois Millerand sur le travail des femmes et des enfants et sur la réduction de la durée du travail (onze heures par jour, délui de 4 ans vers une journée de 10 heures)

Confronté à une vague de grèves (dont celle du Creusot), le gouvernement cherche à se poser en intermédiaire de bonne volonté ; en tout cas, il évite toute intervention de l’armée ou des forces de l’ordre.

Durant les années de ce gouvernement de "défense républicaine", la colonisation présente un aspect totalitaire tout aussi marqué que précédemment et la majorité de "gauche républicaine " ne s’illustre pas par une volonté de faire respecter un minimum les droits de l’homme.

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10) Gouvernement de défense républicaine et développement d’un mouvement républicain de masse

De 1898 à 1902, la gauche républicaine a connu en France une phase de militantisme actif, d’approfondissement, d’organisation, d’extension vers les zones rurales traditionnelles.

Des milliers de "comités républicains" fleurissent et tiennent des banquets souvent massifs que les activistes de droite attaquent parfois au début mais qui s’imposent au fil des années préparant le mouvement de masse des années 1904 et 1905 contre lequel va se briser l’offensive cléricale.

L’union républicaine progresse électoralement : aux élections municipales de mai 1900, le camp nationaliste est en baisse, notamment grâce à des coalitions entre radicaux et socialistes.

En juin 1901, un grand congrès des forces républicaines, radicales et radicales-socialistes lance la préparation des législatives de 1902 avec pour but une majorité de gauche passant de la "défense républicaine" à "l’action républicaine".


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