1789 Cahier de doléances de Paris hors les murs (Jaurès HS15)

dimanche 27 juillet 2008.
 

Cahiers de doléances de 1789 (tiers-état, clergé, noblesse, Etats généraux) Jacques Serieys

Comment choisir entre tous ces cahiers, tous si vivants et si pleins, pour donner une idée concrète de cette grande consultation nationale ? Je veux citer seulement quelques parties du cahier du Tiers État de Paris intra-muros et de Paris extra-muros.

Et si je les choisis, c’est parce que la concision heureuse de quelques-unes de leurs formules leur a valu le grand honneur de fournir en grande partie le texte de la Déclaration des Droits de l’homme. A l’Assemblée nationale, c’est le sixième bureau, celui des élus de Paris, qui fournira le projet de Déclaration des droits le mieux accueilli : et les élus n’eurent guère qu’à se rappeler les cahiers de Paris. C’est donc Paris, en ses cahiers, qui a donné la formule de la déclaration immortelle, c’est de ce jour, exactement, que Paris est la capitale de la Révolution et de la France.

Voici quelques-uns des plus importants articles du cahier de Paris hors les murs. On en admirera la clairvoyance et la fermeté, la conscience révolutionnaire et le sens pratique.

La plus puissante nation de l’Europe va se donner à elle-même une Constitution politique, c’est-à-dire une existence inébranlable dans laquelle les abus de l’autorité seront impossibles.

Ce grand ouvrage ne sera pas difficile, si les volontés sont unies et les délibérations libres.

Pour que la liberté et l’union président à l’Assemblée nationale, il faut que leur règne commence dans les Assemblées élémentaires.

Nous protestons en conséquence, tant en notre nom qu’au nom de toute la nation contre la forme dans laquelle ont été tenues les assemblées d’électeurs.

En ce que après avoir été convoquées et formées, elles ont encore été présidées par des officiers publics lorsque la liberté exigeait qu’elles choisissent elles-mêmes leurs présidents, aussitôt après leur formation :

En ce qu’elles ont été soumises aux décisions provisoires des baillis, quoique la liberté exigeât que la police y fut exercée par des présidents de leur choix et que les questions y fussent résolues à la pluralité des voix :

En ce que les Assemblées ont été obligées de se réduire, quoique la liberté exigeât que les citoyens y fussent représentés par tous les députés qu’ils avaient choisis ;

En ce que la représentation nationale a été formée d’une manière illégale, le clergé et les nobles ayant nommé immédiatement leurs représentants, tandis que ceux du Tiers État ont été nommés, pour les communautés comprises dans les petits bailliages, par l’intermédiaire d’une assemblée d’électeurs, pour les communautés des grands bailliages par le double intermédiaire d’une première assemblée d’électeurs et d’une seconde assemblée réduite ; pour les villes, par le triple intermédiaire de députés choisis par corporations, ensuite d’une partie de ces députés choisis aux hôtels de villes, enfin d’une moindre partie de ces députés réduits encore aux bailliages.....

En ce que les ecclésiastiques et les nobles ont joui du privilège de se faire représenter dans plusieurs bailliages, tandis que les membres du Tiers État n’ont pu exercer qu’un droit de représentation, et qu’en effet un seul homme ne peut jamais être compté pour deux ;

En ce que l’usage des procurations engendre un second abus, celui de donner à ceux qui en sont porteurs, l’influence de plusieurs voix ;

Enfin en ce qu’on a méconnu partout le principe fondamental, que la puissance exécutive, après la formation complétée par le serment, ne doit jamais exercer par elle-même ni par ses officiers dans les assemblées élisantes un pouvoir dont les actes blessent toujours la liberté, et ont souvent sur les élections une influence d’autant plus dangereuse qu’elle peut n’être pas manifeste.

SECTION I

Objets préliminaires dans les états généraux.

Les membres des États généraux seront déclarés personnes inviolables au jour de leur nomination.

Ils ne pourront dans aucun cas ni aucun temps être tenus de répondre à aucune sorte d’autorité judiciaire ou autres de ce qu’ils auront fait, proposé ou dit dans les États généraux, si ce n’est aux États généraux eux-mêmes.

Aucune troupe militaire ne pourra approcher plus près que de dix lieues de l’endroit où seront assemblés les États généraux, sans le consentement ou la demande des États.

La suppression de toutes les exemptions pécuniaires à la jouissance desquelles le Clergé ainsi que la Noblesse de la prévôté et vicomte de Paris hors les murs se sont empressés de déclarer qu’ils renonçaient, sera convertie en loi nationale dans les États généraux.

On y ajoutera l’uniformité des peines pour les citoyens de tous les ordres, leur admission égale aux charges, offices et dignités, la non-dérogeance du commerce et des arts mécaniques, et la suppression de toutes servitudes personnelles.

Ces articles, une fois accordés, notre vœu est que les États généraux délibèrent par tête, et si ce vœu éprouvait d’abord quelque difficulté, nous désirons que, du moins, dans les cas où les ordres ne parviendraient pas à s’accorder par délibération prise séparément, ils se réunissent alors pour former une délibération définitive.

Tous les impôts qui se perçoivent sur la Nation seront déclarés illégaux, et cependant la perception en sera autorisée provisoirement ; mais seulement jusqu’au dernier jour de leur séance.

Nous regardons comme essentiel que les États généraux s’empressent d’établir dans leurs assemblées un ordre inaltérable, dont il nous paraît que les principes doivent être :

Une grande puissance dans le président, en ce qui concerne la police.

L’élection du président tous les quinze jours au plus tard.

Le choix alternatif dans les trois ordres de celui qui présidera l’assemblée générale.

L’adoption de règles précises et de formes lentes pour empêcher la précipitation des délibérations.

Nous désirons que toutes les propositions, opinions et délibérations soient rendues publiques, chaque jour, par la voie de l’impression.

Les États généraux exprimeront au Roi, dans leurs adresses et dans leurs discours, le plus profond respect pour sa personne sacrée, sans qu’aucun des membres puisse être assujetti à des formes qui dégraderaient la dignité de l’homme et blesseraient la majesté nationale. Le cérémonial sera le même pour tous les ordres.

Il nous paraît convenable que les états généraux s’empressent d’annoncer que la dette royale sera convertie en dette nationale aussitôt après que la Constitution sera formée.

Les États généraux prendront en très grande considération la cherté actuelle des grains, et s’occuperont des moyens d’y remédier.

Ils demanderont avec instance la liberté de tous les citoyens détenus pour fait ou sous prétexte de fait de chasse.

SECTION II

Déclaration des droits

Nous demandons qu’il soit passé en loi fondamentale et constitutionnelle :

Que tous les hommes sont nés libres et ont un droit égal à la sûreté et à la propriété de leur personne et de leurs biens.

LIBERTÉ

Qu’en conséquence nul citoyen ne peut être enlevé à ses juges naturels.

Que nul ne peut être privé de sa liberté qu’en vertu d’une ordonnance de son juge compétent, qui répondra des abus de l’autorité qui lui est confiée.

Qu’il est défendu, sous peine de punition corporelle, à toutes personnes d’attenter à la liberté d’aucun citoyen, si ce n’est d’ordonnance de justice.

Que toute personne qui aura sollicité ou signé ce qu’on appelle lettre de cachet, ordre ministériel ou autre ordre semblable de détention ou d’exil, sous quelque dénonciation que ce soit, sera poursuivie devant les juges ordinaires et punie de peine grave.

Que les États généraux, jugeant les emprisonnements provisoires nécessaires dans quelques circonstances, il sera ordonné que le détenu soit remis dans les vingt-quatre heures entre les mains de son juge naturel et que l’élargissement provisoire sera toujours accordé en fournissant caution hors le cas de délit qui entraînerait peine corporelle.

Qu’aucun décret de prise de corps ne sera prononcé que sur une accusation de crime comportant peine corporelle.

Que nul citoyen ne sera condamné à aucune peine, sinon pour une violation grave du droit d’un autre homme, ou de celui de la sûreté, et que cette violation sera déterminée par une loi précise et légalement promulguée.

Que c’est du droit naturel de tout citoyen de ne pouvoir être condamné en matière criminelle que sur la décision de ses pairs.

Que nul ne peut être accusé, persécuté, ni puni pour ses opinions et paroles, lorsqu’elles n’auront été accompagnées d’aucun acte tendant directement à l’exécution d’un crime condamné par la loi.

Que le libre usage des moyens de défense sera toujours réservé à l’accusé.

Que tout citoyen, de quelque ordre et classe qu’il soit, peut exercer librement telle profession, art, métier et commerce qu’il jugera à propos.

Que toute violation du secret à la poste sera sévèrement proscrite et punie.

Que tous les citoyens ont le droit de parler, d’écrire, d’imprimer ou de faire imprimer, sans être soumis à aucune peine, si ce n’est au cas de violation des droits d’autrui, déclarée telle par la loi.

Que la servitude de la glèbe sera abolie.

Que l’esclavage des noirs est contre le droit naturel.

Que la différence de religion, même entre les parties contractantes, ne ne peut être un obstacle à la liberté des mariages ni à l’état civil des citoyens. Que les milices et classes forcées des matelots doivent être supprimées.

PROPRIÉTÉ

Que toute propriété est inviolable, en sorte que nul citoyen ne peut en être privé, même pour raison d’intérêt public, qu’il n’en soit préalablement dédommagé, ce qui aura un effet rétroactif en faveur des propriétaires qui auraient été dépouillés de leurs biens sans en avoir été indemnisés :

Que tous les droits qui n’ont jamais pu être une propriété, comme présentant une violation constante du droit naturel, seront supprimés, ainsi que ceux qui, étant une propriété dans le principe, ont dû cesser de l’être par l’inexistence actuelle de la cause à laquelle ils étaient liés.

Que les fonctions quelconques de la puissance publique, même les plus éminentes, n’étant confiées que pour l’intérêt de la Nation, ne sont pas susceptibles de devenir une propriété, ni de créer, au profit des officiers qui en sont dépositaires, aucune espèce de droit qui puisse être opposé aux changements et à l’amélioration de l’organisation publique jugée nécessaire par la Nation.

(Cet article vise évidemment les détenteurs des offices de judicature et des charges du parlement, et sans doute aussi, sous une forme prudente, les ecclésiastiques dans lesquels la Révolution verra, selon le mot de Mirabeau, « des officiers de morale ».)

Qu’à l’égard des propriétés fondées en titres, celles qui nuisent à l’intérêt public sont susceptibles de rachat.

Qu’il est libre à tout propriétaire ou cultivateur de détruire, sur ses terres, toute espèce de gibier nuisible à ses propriétés. Que les corvées royales doivent être supprimées à jamais et converties en une prestation en argent qui sera acquittée par tous les ordres de l’État. Que les rivières navigables et grands chemins publics appartiennent, quant à l’usage, à la Nation, et quant à la propriété, n’appartiennent à personne. Que c’est un droit essentiel de tous les citoyens de pouvoir s’assembler, de faire des représentations et pétitions, et de nommer des délégués pour suivre l’effet de ces pétitions, tant auprès des États généraux qu’auprès du pouvoir exécutif.

SECTION III

De la constitution.

Nous chargeons nos députés aux États généraux de concourir, par tous les efforts de leur zèle, à l’établissement d’une constitution d’après les principes suivants :

La conservation du gouvernement monarchique et héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture et tempéré par les lois.

Le pouvoir législatif appartient à la Nation et la loi ne peut se faire que par la volonté générale sanctionnée par le Roi.

Le Roi est seul dépositaire du pouvoir exécutif.

La puissance judiciaire, essentiellement distincte du pouvoir législatif, ne peut être exercée au nom du Roi que par des magistrats ou par des juges approuvés par la Nation.

L’état des magistrats et officiers de justice ne pourra dépendre d’aucun acte du pouvoir exécutif, mais ils demeureront dans la dépendance absolue du pouvoir législatif de la Nation.

Aucun citoyen, même militaire, ne pourra être privé de son état que par un jugement.

Aucune loi ne sera promulguée sans une formule qui exprime le droit législatif de la Nation.

Les ministres et autres agents de l’administration seront responsables, envers la Nation, de l’autorité qui leur sera confiée.

Il sera établi, pour les États généraux à venir, une Constitution et une organisation complète, régulière, de manière que les députés soient également, librement et universellement élus, et exclusivement dans leur ordre, que, pour les élections, aucun citoyen puisse se faire représenter par procuration, et sans qu’il y ait entre les citoyens et les représentants plus qu’un seul degré d’intermédiaires, celui des électeurs.

Aucune partie de la Nation ne peut être privée du droit de représentation, et, en conséquence, les colonies françaises y enverront des députés, même, s’il est possible, pour la prochaine tenue.

Nous jugeons essentiel que les États s’assemblent périodiquement, au plus tard, tous les trois ans, la législation et les affaires publiques ne pouvant souffrir aucun retard, et à chaque tenue d’État il sera procédé à une élection nouvelle.

Les États généraux indiqueront, avant leur séparation, le lieu de leur prochaine tenue.

Les députes aux États généraux ne doivent pas être considérés comme porteurs de pouvoirs particuliers, mais comme représentants de la Nation.

Il ne sera établie aucune Chambre dont les membres ne seraient pas librement et régulièrement élus par la Nation (précaution contre tout système de Haute Chambre aristocratique).

Les États généraux ne pourront établir aucune Commission intermédiaire pour les représenter, ni permettre à aucun corps de l’État d’exercer cette représentation.

Dans l’intervalle des tenues des États généraux, il ne pourra être fait que des règlements provisoires, nécessaires pour l’exécution des lois déjà consenties par la Nation, mais qui ne pourront être élevées à la dignité de lois que par l’Assemblée nationale.

Il sera établi des assemblées provinciales dont les districts seront déterminés par les États généraux, et pareillement des assemblées secondaires et des assemblées municipales, lesquelles assemblées seront composées de membres librement élus par les citoyens...

Il ne sera établi aucun impôt direct ou indirect, ouvert aucun emprunt, établi aucune banque publique, ni créé aucun office ou commission sans le consentement de la Nation assemblée en États généraux.

Aucun impôt ne sera consenti que pour un temps limité jusqu’à la prochaine tenue des États généraux ; tous impôts cesseront, par conséquent, au terme cité ; si les États généraux ne les rétablissent pas, à peine de concussion contre les percepteurs, et même a peine contre ceux qui payeront volontairement d’être poursuivis comme infracteurs des droits et franchises de la nation.

Tout impôt consenti sera également supporté par les citoyens de tous les ordres sans exception, et sera soumis aux mêmes règles de perception, qui se fera sur un même rôle.

La contribution de chaque province sera fixée par les États généraux, d’après les instructions qu’ils se procureront par la voie des administrations provinciales et par tous autres moyens.

Tous les impôts seront versés dans la caisse principale, et les administrateurs en seront comptables aux États généraux, et aucun impôt ne pourra être réparti, levé, ni perçu que par la Nation elle-même, qui en chargera exclusivement les assemblées provinciales, secondaires et municipales.

En cas de guerre défensive, invasion ou attaques hostiles, le Roi, comme dépositaire du pouvoir exécutif, prendra les mesures les plus promptes pour veiller à la défense publique, et, dans ce cas comme dans celui de guerre offensive déclarée par le Roi, les États généraux se rassembleront dans les deux mois.

Les États généraux prendront les mesures qu’ils jugeront les plus convenables pour garantir les citoyens des effets de l’obéissance militaire, en conciliant néanmoins les droits de la sûreté nationale avec ceux de la liberté publique. Chaque militaire sera dans les cas ordinaires soumis au pouvoir civil et à la loi commune, de même que tous les autres citoyens.

Telles sont les bases fondamentales de la Déclaration des Droits de la Constitution que nous chargeons les représentants nationaux nommés par nous de faire ériger en Charte nationale et nous entendons que les dits représentants obtiennent sur cette charte la sanction royale, une insertion pure et simple dans les registre de tous les tribunaux supérieurs et inférieurs, de toutes les administrations principales secondaires et municipales et la publication en affiches dans tous les lieux du royaume avant de pouvoir voter sur aucun impôt et sur aucun emprunt public...

Et attendu que la Constitution une fois formée devra régner sur toutes les parties de l’Empire et même sur les États généraux, la Nation qui est le pouvoir constitutionnel, pourra seule exercer ou transmettre expressément à des représentants ad hoc le droit de réformer, améliorer et de changer la Constitution qui sera faite dans les prochains États généraux, et à cet effet il sera convoqué une Assemblée nationale extraordinaire, qui se réunira à l’époque qui sera indiquée par le vœu bien connu des deux tiers des administrations provinciales. »

Voilà le plan de Constitution tracé par les cahiers de Paris extra-muros. Quelque soit mon désir de montrer par des citations précises à quel degré de netteté et de maturité était parvenue la pensée de la bourgeoisie révolutionnaire, je ne puis reproduire les chapitres relatifs à la législation. Il faut cependant que je cite la partie relative à la justice criminelle, qui est animée d’une si belle inspiration humaine...

« Quant aux lois criminelles :

Un code pénal plus doux et plus humain, qui proportionne la peine ou délit, et ne laisse subsister la peine de mort que pour les crimes les plus graves ;

L’égalité des peines pour les citoyens de tous les ordres ;

La distinction des juges de fait et des juges qui appliquent la loi ;

L’abolition de la question, de la sellette et des cachots ;

L’instruction publique et la faculté aux juges d’interpeller les témoins sur les circonstances de la plainte et de leurs dépositions ;

La faculté à l’accusé de se choisir tel défenseur qu’il jugera a propos, même de s’en faire assister dans les procédures de l’instruction ;

L’établissement de défenseurs gratuits pour ceux qui ne pourraient s’en procurer ;

Nous désirons que toute sentence ou arrêt contienne le motif de la condamnation et la copie littérale du texte de la loi en vertu de laquelle l’accusé sera condamné, sans que jamais il puisse l’être pour les cas résultants du procès.

L’abolition de la confiscation des biens des condamnés ;

L’inhumation des suppliciés comme celle des autres citoyens, sans faire mention du genre de mort dans l’acte mortuaire ;

L’admission des parents des condamnés à tous emplois civils, militaires et ecclésiastiques. »

Vraiment l’ensemble de ces cahiers de Paris extra-muros est admirable. Non seulement ils formulent avec précision et sobriété les droits de l’homme d’où procède toute Constitution libre ; non seulement ils tracent un plan très net de Constitution ; mais ils semblent prévoir et prévenir, jusque dans les détails, tous les périls qui peuvent menacer la liberté nationale. Il prévoient la possibilité du coup d’État militaire que tenta en effet la Cour dans les journées qui précédèrent le 14 juillet et ils demandent que la force militaire ne puisse approcher de plus de dix lieues des États généraux. Ils veulent assurer l’inviolabilité de la Nation en la personne de ses représentants inviolables. Ils vont jusqu’à prévoir le discrédit et l’impuissance où des délibérations désordonnées et tumultueuses jetteraient l’assemblée, et ils déterminent d’avance le règlement : c’est en effet la Présidence de quinzaine avec des pouvoirs de police étendus qui sera instituée par l’Assemblée nationale.

Ils organisent si fortement la périodicité des États généraux qu’en fait, implicitement, ils en établissent la permanence ; en interdisant aux États généraux de se continuer par une commission intermédiaire, ils ôtent à la royauté le moyen de transformer cette commission peu à peu asservie en une sorte de représentation nationale fictive et d’éluder ainsi la convocation des États généraux.

Ils dessinent d’un contour très net tout le système administratif de la Révolution qui sera une hiérarchie d’assemblées électives ; et par cette organisation ils arrachent la France à l’action contre-révolutionnaire du pouvoir exécutif royal.

Comprenant bien que la sanction suprême de la Révolution est dans le refus de l’impôt, dans la grève générale de l’impôt, ils proclament que dés maintenant tous les impôts existants sont illégaux, qu’ils ne peuvent être consentis qu’après l’établissement, la promulgation et l’affichage de la Constitution. Ils vont jusqu’à déclarer rebelles les citoyens ennemis de leur propre liberté qui consentiraient à payer l’impôt non consenti par la Nation.

Enfin ils sentent si bien qu’à travers les orages et les difficultés de la période qui s’ouvre, le recours suprême sera toujours à la Nation ; et qu’en elle est la suprême force, la suprême sauvegarde révolutionnaire, qu’ils décident que les États généraux eux-mêmes ne pourront plus toucher à la Constitution une fois votée par eux ; que, pour la réviser, la Nation, seul pouvoir constituant, devra nommer une assemblée extraordinaire investie d’un mandat exprès.

Ainsi, dans un prodigieux éclair jailli de la pensée révolutionnaire de Paris nous entrevoyons, après la Législative qui a qualité pour légiférer, mais non pour constituer, la foudroyante Convention qui abolira la Constitution de 1791 et la royauté. La bourgeoisie révolutionnaire trace et éclaire au loin sa route et il y a vraiment entre les prévisions ou les dispositions que je viens de citer et les événements révolutionnaires une concordance merveilleuse. C’est comme un germe de pensée qui en se développant devient de l’histoire. O les plaisants théoriciens rétrogrades qui accusent de je ne sais quel vertige d’abstraction ces prodigieux voyants et organisateurs révolutionnaires !


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