Pauvre Boris...
Vian, on s’était offert le 33 tours, avec toutes les belles chansons. On n’est pas là pour se faire engueuler, Fais-moi mal Johnny, avec la délicieuse Magali Noël, le Déserteur, bien sûr, mais j’aime mieux celui que nous offrit Reggiani, avec le Dormeur du Val en intro. Et puis, l’année du bac, ce fut LE déclic : les Bâtisseurs d’Empire (ou le Schmürz) par peut-être bien le TPL, ça c’était du théâtre ! Une pièce qui disait entre autre que : « C’est les jeunes qui se souviennent. Les vieux, ils oublient tout. » Pas mal, non ?
Et puis, et puis, surtout, la même année, ce fut cette chanson que Ferrat (tiens, en entends-je, y avait longtemps… !) lui dédiait. Pauvre Boris, qu’il l’avait appelée. Pour dire que oui, ça faisait un peu bizarre, tous ces petits jeunes qui croyaient faire dans le protest song, parce que ça marchait du feu de Dieu, pacifisme et le toutim, au-delà de l’Atlantique. Voilà, elle disait ça, cette chanson. Et ces jours-ci, on ne l’a entendue sur aucune radio. Dommage !
(bb pg 57)
Tu vois rien n’a vraiment changé
Depuis que tu nous a quittés
Les cons n’arrêtent pas de voler
Les autres de les regarder
Si l’autre jour on a bien ri
Il paraît que « Le déserteur »
Est un des grands succès de l’heure
Quand c’est chanté par Anthony
Pauvre Boris
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Voilà quinze ans qu’en Indochine
La France se déshonorait
Et l’on te traitait de vermine
De dire que tu n’irais jamais
Si tu les vois sur leurs guitares
Ajuster tes petits couplets
Avec quinze années de retard
Ce que tu dois en rigoler
Pauvre Boris
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Ils vont chercher en Amérique
La mode qui fait des dollars
Un jour ils chantent des cantiques
Et l’autre des refrains à boire
Et quand ça marche avec Dylan
Chacun a son petit Vietnam
Chacun son nègre dont les os
Lui déchirent le cœur et la peau
Pauvre Boris
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On va quitter ces pauvres mecs
Pour faire une java d’enfer
Manger la cervelle d’un évêque
Avec le foie d’un militaire
Faire sauter à la dynamite
La bourse avec le Panthéon
Pour voir si ça tuera les mythes
Qui nous dévorent tout du long
Pauvre Boris
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Tu vois rien n’a vraiment changé
Depuis que tu nous a quittés
Cinquante ans après sa mort, une quarantaine d’artistes rendent hommage au génial écrivain musicien, à travers un album et un spectacle baptisés On n’est pas là pour se faire engueuler
Boris Vian était un as du swing, un homme du verbe passionné de musique. Amoureux du jazz, du be-bop et du style New Orleans, il aura également beaucoup apporté à la chanson. Autant d’univers qui lui ont valu d’écrire un savoureux traité musical joliment baptisé En avant la zizique. Mort d’une crise cardiaque à l’âge de trente-neuf ans, le 23 juin 1959, il a tout donné à la musique, laissant quelque cinq cents chansons derrière lui. Au moment où l’on célèbre les cinquante ans de sa disparition, deux événements éclairent d’un jour nouveau sa personnalité aux multiples facettes puisqu’il fut aussi bien poète qu’écrivain, journaliste, ingénieur et trompettiste de jazz. On n’est pas là pour se faire engueuler est à la fois un disque, un double album de dix-neuf de ses plus belles chansons, et un spectacle hommage à Vian, dont la première a été créée fin juin, au Festival des Nuits de Fourvière, à Lyon. Une actualité qui permet de redécouvrir l’état d’esprit fantasque de ce génial touche-à-tout qui semblait s’amuser de tout, tout en faisant les choses sérieusement.
Une quarantaine d’artistes composent le casting incroyable de cet enregistrement où se croisent des talents aussi différents qu’Olivia Ruiz, Mathieu Boogaerts, Jane Birkin, Merlot, Carmen Maria Vega, Thomas Fersen, Barbara Carlotti, Didier Wampas ou Christian Olivier, des Têtes Raides. Tous se sont retrouvés dans la poésie de Boris Vian, reprenant ses plus grands succès, mais aussi des chansons inédites. Daniel Darc offre ainsi des contours rock à Pas pour moi, tandis qu’Arielle Dombasle, théâtrale et pleine d’humour, s’amuse à chanter J’suis snob. La piquante Olivia Ruiz est tout aussi délicieuse sur la Java des bombes atomiques.Toutes et tous ont accepté avec enthousiasme de se glisser dans l’univers de Vian. À l’image de Juliette qui interprète avec bonheur la Complainte du progrès (les arts ménagers). Édouard Baer est extra dans son interprétation de Je voudrais pas crever, ainsi que Philippe Katerine sur Je bois. Il y a aussi Jean-Louis Trintignant, grave et émouvant, reprenant Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale, Lio interprétant la loufoque Natacha chien-chien, Juliette Gréco donnant de nouveaux habits au Déserteur, ou encore Jean-Claude Dreyfus prenant plaisir à interpréter un texte surréaliste de Vian, la Marche du concombre.
Autant d’artistes qui donnent une vision d’aujourd’hui de son oeuvre que l’on peut également apprécier sur scène. Le spectacle On n’est pas là pour se faire engueuler, qui vient d’être donné à Pleyel et que l’on verra bientôt aux Francofolies de La Rochelle, a l’avantage de célébrer la mémoire de Vian tout en évitant le côté solennel de l’exercice. Vian lui-même ne s’est jamais départi d’un regard ludique sur l’existence, lui permettant de garder une distance amusée, quelquefois teintée de gravité dans tous les domaines des arts qu’il aimait aborder. « Quand on écoute ses textes, c’est sidérant de modernité », confie Olivier Nuc, directeur artistique de l’album et du spectacle, qui ajoute : « Ce qui était intéressant, c’est de montrer que Boris Vian est un dénominateur commun pour des gens extrêmement divers, tous les artistes ayant participé à l’aventure. Son oeuvre, sa personnalité, son caractère sont extrêmement liés. Boris Vian, cela rend heureux tout de suite. »
Le premier à avoir compris la musique noire
Les artistes que nous avons rencontrés, lors de la première à Fourvière, sont unanimes quant à la modernité de Vian et de sa démarche qu’ils ressentent comme pertinente à bien des égards : « Ce que je préfère chez Vian, dit Daniel Darc, c’est Vernon Sullivan, les faux polars américains, l’auteur également de l’Écume des jours, démystifiant Jean- Paul Sartre qui devient Jean- Sol Partre. » Agnès Jaoui aime le regard décalé de Boris Vian : « Entre douze et quinze ans, je l’ai aimé comme un papa et comme un amoureux, raconte-t-elle au sortir de scène où elle a interprété Barcelone, mais aussi le Déserteur. Tout me plaît toujours autant. J’aime sa poésie et le fait qu’il ne se prenne jamais au sérieux, tout en faisant des choses magnifiques. » Arthur H, le trouve « printanier, solaire. Il y a quelque chose defrais dans son oeuvre. Il était du côté de la vie pure, presque du côté du surréalisme qui prônait l’amour, la vie, le rire. Il a été aussi le premier à avoir compris la musique noire et ce qu’elle avait de révolutionnaire ». Jean-Louis Trintignant, lui, est venu dire deux textes, dont Je voudrais pas crever, qui clôt le spectacle : « C’est étonnant qu’il soit mort à l’âge de trente-neuf ans et qu’il ait laissé tant de choses. C’est un grand poète, souligne-t-il. J’aimerais faire un spectacle sur lui, Prévert et Desnos, que j’appellerais les Trois Poètes libertaires du XXe siècle. Ils avaient tous les trois un esprit assez anarchiste. »
« Il a une écriture vivante », souligne François Hadji Lazaro, qui, sur le disque, reprend Fais-moi mal Johnny, popularisée par l’inoubliable Magali Noël : « Ce que j’aime chez lui, c’est le deuxième degré. J’espère que cela donnera envie à ceux qui le connaissent déjà de le relire et aux jeunes de s’y intéresser. Dans cinquante ans, ses textes garderont encore une certaine fraîcheur. »
Victor Hache
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