La course au vaccin : une course aux profits qui co–vide les caisses de la Finance publique et de la Sécurité sociale.

vendredi 11 décembre 2020.
 

Big Marquet, big racket !

La financiarisation néolibérale de la recherche pharmacologique constitue un pillage des deniers publics au profit des groupes pharmaceutiques privés et de leurs satellites.

Big Marquet, big racket !

lire Alternatives Economiques n°407 - 12/2020, vous trouverez entre autres, cet article. Source Internet : https://www.alternatives-economique...

La course au vaccin contre le Covid révèle la prépondérance des biotechs, les start-up du secteur pharmaceutique, dans la recherche et leur modèle hyperfinanciarisé.

La course au vaccin contre le Covid-19 entre dans l’une de ses dernières étapes et les équipes de recherche surenchérissent dans les annonces concernant son « taux d’efficacité ». Mi-novembre, le laboratoire américain Pfizer et la société allemande de biotechnologie BioNtechPlus ont ainsi revendiqué une efficacité de plus de 90 % pour leur vaccin développé en commun. Quelques jours plus tard, Moderna affirmait à son tour que son vaccin atteignait une efficacité de 94,5 %, tandis qu’AstraZeneca annonçait 70 % pour le sien.

Si ces taux sont prometteurs, ils restent à prendre avec des pincettes. Ils ont été observés sur des effectifs réduits, qui plus est avec très peu de recul temporel, et l’ensemble des données n’a pas encore été communiqué aux autorités sanitaires.

Ces annonces montrent surtout quelle équipe de recherche est la plus en avance, qui porte l’effort de recherche dans l’industrie pharmaceutique. Or, on ne retrouve pas dans cette liste les géants du secteur, comme Sanofi, Roche ou Novartis, mais des noms inconnus jusqu’ici du grand public : Moderna ou BioNTech. Si le géant Pfizer est bien associé à Moderna, c’est ce second qui porte en réalité l’innovation et la recherche, Pfizer apportant principalement des capacités de production, c’est-à-dire des usines.

Multinationales contre start-up

Moderna comme BioNTech sont des exemples parfaits de la place qu’ont prise les entreprises de biotechnologie1. Ce sont des petites structures relativement jeunes. La première a seulement dix ans d’existence et emploie un peu plus d’un millier de salariés, tandis que la seconde a été créée en 2008 et compte 1 300 employés. Rien à voir avec les leaders du secteur, les « Big Pharma », ces laboratoires vieux de plusieurs décennies employant des dizaines de milliers de personnes.

Grosses start-up d’un côté et multinationales de l’autre : « C’est une belle illustration de la manière dont fonctionne actuellement l’innovation pharmaceutique », estime Els Torreele, chercheuse en santé globale, membre de l’Institute for innovation and public purpose et ancienne responsable de la campagne d’accès aux médicaments de MSF. « Les grands laboratoires ont externalisé leur recherche vers ces petites entreprises de biotech. »

« Les grands labos ont externalisé leur recherche vers les petites entreprises de biotech »

Ce qui pourrait être considéré comme le cœur de métier de l’industrie pharmaceutique apparaît aujourd’hui trop coûteux et trop risqué aux yeux de ces grandes firmes. « Les biotechs sont devenues le cœur de la R&D du secteur pharmaceutique », se vante même Franck Mouthon, le président de France Biotech, l’association regroupant les entreprises du secteur.

Financiarisation

Mais pourquoi en est-on arrivé là ? « La financiarisation des grandes firmes pousse à l’externalisation de ces activités », analyse Mathieu Mathalban, économiste à l’université de Bordeaux et membre des économistes atterrés. « Les grands laboratoires voulant économiser leurs capitaux propres ont tendance à prendre des petites participations dans ces biotechs au lieu de financer directement la recherche, et souvent les rachètent dès qu’il y a une perspective de marché, c’est-à-dire une innovation ayant fait ses preuves. »

Mais pour que cette organisation économique fonctionne, cela nécessite que pendant des années, voire plutôt une décennie en pratique, soit le temps de mener à bien les recherches, ces jeunes entreprises soient financées à perte.

« Le modèle des biotechs, ce sont des entreprises dont les produits sont encore en phase de développement : Moderna n’a par exemple pas encore vendu un seul traitement. Elles accumulent donc des pertes financières pendant des années », résume Mathieu Montalban.

Maximiser le retour sur investissement

Interviennent donc des acteurs du capital-risque, qui ont comme rôle d’investir dans des entreprises à fort potentiel. Ils amènent les liquidités nécessaires pour supporter les pertes pendant des années et surtout le risque d’échec, qui est très élevé. L’écrasante majorité des biotechs, comme des start-up en général, fait faillite quelques années après leur création. Le degré de risque et d’incertitude est particulièrement élevé dans le domaine médical, et davantage dans le vaccinal.

« Il faut une biotech qui réussisse pour compenser l’investissement dans les dix autres qui ont échoué », estime Mathieu Montalban. Le capital-risque demande donc un retour sur investissement élevé pour la société dont l’innovation a débouché sur un traitement ou un vaccin. Ce retour sur investissement peut se traduire par une marge importante prélevée sur le produit dès sa commercialisation, mais également par une forte valorisation de l’entreprise pour permettre à l’acteur de capital-risque de revendre ses parts au prix fort. Celui-ci n’a en effet pas vocation à rester durablement au capital de ces biotechs, et nombre d’entre elles sont ainsi rachetées par des grands laboratoires pharmaceutiques.

Ces différents mécanismes tendent ainsi à financiariser fortement ces jeunes structures : sans avoir jamais commercialisé un seul produit, Moderna est par exemple déjà en Bourse. Pour doper leur profitabilité et rentabiliser leur investissement, le principal outil dont disposent ces biotechs une fois leur innovation opérationnelle est le brevet déposé sur leur invention.

Le juste prix

« Le but de l’innovation pharmaceutique est d’avoir le monopole, ce qui permet d’établir des marges très confortables », résume Els Torreele. Ce pouvoir de marché, matérialisé par le brevet, pousse donc davantage le prix des traitements et vaccins à la hausse. Un prix payé par les organismes de remboursement, à l’instar de la Sécurité sociale française. Ce n’est évidemment pas le seul facteur poussant à l’inflation du prix de ces produits, mais la financiarisation de ces jeunes structures y contribue.

« Les prix des vaccins se situent généralement bien en dessous d’un dollar la dose, mais l’industrie est en train de pousser la profitabilité de ce marché »

En l’occurrence, Moderna et BioNtech avancent des prix situés aux alentours de 25 dollars la dose pour leur vaccin contre le Covid-19. Sachant que les deux candidats-vaccins nécessitent deux doses, le coût de chaque vaccin pourrait dépasser les 50 dollars. Etant donné l’ampleur de la population à vacciner, la facture pour les finances publiques de chaque pays risque d’être salée.

« Les prix des vaccins se situent généralement bien en dessous d’un dollar la dose, mais l’industrie est actuellement en train de pousser la profitabilité de ce marché, jusqu’alors un marché de valeur ajoutée relativement réduite, pour en faire une activité très profitable », détaille la scientifique Els Torreele.

Alors que les économies d’échelle devraient justement tirer les prix vers le bas, en particulier dans le cas du Covid où les volumes de doses à produire peuvent se chiffrer en milliards.

La puissance publique, dindon de la farce ?

Ce niveau de prix surprend d’autant plus que les pouvoirs publics ont largement soutenu la recherche de ce vaccin, que ce soit par des précommandes de doses ou des mécanismes de soutien à la recherche, spécifiques à la lutte contre le Covid-19 ou pas.

« Les biotechs se construisent d’ailleurs généralement à partir d’innovations réalisées à l’université, ajoute Els Torreele, la plate-forme ARN à l’origine du candidat-vaccin de Moderna provient de l’Institut américain de la santé (NIH). »

Enfin, la troisième phase clinique de recherche du vaccin, en cours et consistant à les tester sur des dizaines de milliers de personnes pour mesurer son efficacité, se fait dans les hôpitaux. Ce sont eux qui gèrent les patients et non les grands labos ou les petites biotechs.

Curieuse logique économique, qui voit la puissance publique intervenir à chaque étape du développement du vaccin, prendre à sa charge une partie importante du risque financier inhérent à sa recherche, et néanmoins payer ce vaccin au prix fort... 1. Société exerçant dans des technologies biologiques. 2. Fin de l’article de AE

HD


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