La question de la reconstruction du réel par les médias est vaste et complexe, car elle fait intervenir plusieurs acteurs et agents d’influence qui participent à la création et à la diffusion d’une « réalité médiatique » souvent différente de la réalité factuelle. Ce processus, conscient ou inconscient, peut être influencé par des objectifs économiques, idéologiques, politiques, ou sociaux.
Voici un panorama structuré des acteurs clés qui interviennent dans cette construction.
1. Les Propriétaires des Médias
Les propriétaires des groupes médiatiques, qu’ils soient des entreprises privées, des groupes industriels ou financiers, ou des États, ont une influence majeure sur la ligne éditoriale et les choix de couverture médiatique.
Objectifs : Les intérêts des propriétaires peuvent être économiques (maximisation des profits, augmentation de l’audience) ou idéologiques (promotion de leurs idées ou défense de leurs intérêts économiques et politiques). Exemples : En France, des milliardaires comme Vincent Bolloré ou Patrick Drahi possèdent des groupes importants comme Vivendi (Canal+) et Altice (SFR/Libération/BFM), ce qui soulève des questions sur leur influence sur le contenu diffusé.
2. Le Pouvoir Politique
Les gouvernements et les partis politiques exercent une influence directe ou indirecte sur les médias, soit par le contrôle direct (médias publics), soit par la régulation, soit par des pressions plus subtiles.
Médias publics : Les médias publics (comme France Télévisions ou Radio France) sont souvent sous la tutelle d’organes politiques, avec un contrôle direct ou indirect sur les nominations et les lignes éditoriales. Pressions sur les médias privés : Les politiques peuvent influencer les médias privés via des subventions, des réglementations favorables ou des relations personnelles avec les propriétaires de médias. Objectifs : Les objectifs ici peuvent être de favoriser une couverture médiatique favorable, de minimiser les critiques ou de contrôler la perception publique des politiques.
3. Les Journalistes
Les journalistes jouent un rôle central dans la collecte et la diffusion de l’information, mais ils sont eux-mêmes soumis à des pressions structurelles.
Éthique journalistique vs Pressions : Bien que les journalistes aient des normes éthiques (recherche de la vérité, objectivité, vérification des faits), ils sont soumis à des pressions internes (rédactions, ligne éditoriale, temps, audience) et externes (politiques, économiques, publicitaires).
Autocensure : Face à la complexité des systèmes médiatiques, certains journalistes peuvent pratiquer l’autocensure, évitant de traiter des sujets sensibles ou polémiques pour ne pas risquer de compromettre leur position ou leur carrière.
Agenda-setting : Les journalistes contribuent à définir l’agenda médiatique, c’est-à-dire à déterminer quels sujets méritent d’être couverts et dans quel cadre. Cela influence la perception publique des priorités sociales ou politiques. Ainsi, par exemple, des thématiques peuvent être ignorés ou marginalisés comme le partage des richesses produites par la population active au le coût économique et financier de la guerre en Ukraine pour la France et l’Europe.
4. Les Groupes Privés et Entreprises
Les groupes privés, notamment les grandes entreprises, exercent une influence importante sur les médias, notamment à travers la publicité et le financement.
Publicité : La plupart des médias dépendent des revenus publicitaires pour leur fonctionnement. Cela crée une relation de dépendance entre les médias et les annonceurs, qui peuvent influer sur les contenus diffusés, en exerçant des pressions pour éviter des critiques ou promouvoir une image positive. Relations publiques : Les entreprises emploient également des agences de relations publiques pour façonner la couverture médiatique de leurs activités, en fournissant des contenus ou en intervenant directement auprès des rédactions. Objectifs : Il s’agit souvent de préserver une image positive, d’éviter les scandales médiatiques et d’influencer l’opinion publique pour des raisons économiques.
5. Les Groupes de Pression (Lobbies, ONG, Fondations, Think Tanks)
Des groupes d’intérêt, tels que les lobbies, les ONG, ou des fondations, ont une influence indirecte mais puissante sur les médias, par le biais de campagnes médiatiques, de rapports, ou de financement de certaines causes.
Lobbies : Les groupes de pression économiques ou industriels peuvent financer des études ou des campagnes médiatiques pour influencer les perceptions publiques et les décisions politiques. ONG : De nombreuses organisations non-gouvernementales travaillent pour sensibiliser le public à leurs causes en fournissant des informations, des rapports, ou en attirant l’attention des médias sur des problèmes spécifiques. Think tanks : Les instituts de recherche et de réflexion influencent également les médias en produisant des analyses, en organisant des conférences, ou en publiant des rapports qui sont ensuite repris par les journalistes. Objectifs : Ils cherchent souvent à influencer le débat public sur des questions spécifiques (environnement, droits humains, fiscalité, etc.) et à orienter l’opinion publique en fonction de leurs priorités idéologiques ou sociales. Par exemple, deuxthink tanks très influent sur les médias français : l’institut Montaigne et Terranova
6. Les Plateformes Numériques et les Algorithmes
Dans le contexte numérique, les grandes plateformes comme Google, Facebook, et Twitter sont devenues des acteurs incontournables de la diffusion d’informations, souvent au détriment des médias traditionnels.
Algorithmes de recommandation : Les plateformes sélectionnent et hiérarchisent les informations que voient les utilisateurs en fonction de leurs comportements et préférences passées, créant des bulles informationnelles ou des chambres d’écho. Désinformation : L’écosystème numérique facilite également la propagation de fausses informations ou de récits simplifiés qui touchent de vastes audiences. Monétisation de l’attention : Les plateformes favorisent souvent les contenus qui génèrent le plus d’interactions, même si cela signifie privilégier des contenus sensationnalistes ou polarisants. Des plates-formes numériques comme Facebook peuvent contracter des accords de partage de contenus de presse comme pour le journal Le Monde où Le Figaro permettant à ces journaux de percevoir des contributions financières.
7. Le Public
Le public lui-même joue un rôle non négligeable dans la construction de la réalité médiatique, à travers ses attentes, ses biais, et ses comportements de consommation d’information.
Audience : Les médias cherchent à répondre aux attentes du public pour maximiser l’audience, ce qui peut les inciter à privilégier des contenus divertissants ou sensationnalistes au détriment d’une couverture plus nuancée ou critique. Participation : Avec les réseaux sociaux et les espaces de commentaires, le public devient co-constructeur de l’information en partageant, commentant et réagissant aux contenus médiatiques. Cette interaction peut parfois renforcer certaines narrations ou contribuer à la viralité de certains récits. Les médias utilisent aussi les instituts de sondage pour avoir une connaissance de l’état de l’opinion publique sur certaines questions.
8 – Agences de renseignements et médias
Les agences de renseignements, qu’elles soient civiles ou militaires, jouent un rôle discret mais parfois crucial dans la manière dont les médias reconstruisent et diffusent certaines informations. Leur influence est complexe et multifactorielle, se manifestant à travers différents niveaux de collaboration et d’interaction avec les médias, en particulier dans des contextes politiques, géopolitiques, ou de sécurité nationale. Voici quelques aspects clés concernant cette relation :
1. Contrôle et manipulation de l’information :
Les agences de renseignements peuvent intervenir dans le flux d’information, soit pour protéger des opérations en cours, soit pour influencer l’opinion publique. Cela peut se faire par la diffusion de désinformation, ou plus subtilement par la filtration de certaines informations sensibles. Un exemple historique notoire est la désinformation menée par la CIA lors de la Guerre froide pour influencer les perceptions sur les régimes communistes dans les médias occidentaux. Dans certains cas, les agences sont aussi sources d’informations, fournissant directement aux journalistes des éléments qu’elles souhaitent rendre publics, souvent pour justifier des actions ou des interventions militaires. Ces informations peuvent être soigneusement sélectionnées pour donner un cadre narratif spécifique, renforçant ainsi la position de certains États ou institutions.
2. Relations avec les journalistes :
Il existe parfois une coopération directe entre certains journalistes et les agences de renseignements. Cette collaboration peut prendre diverses formes : • Des fuites organisées : Les agences fournissent des informations confidentielles à des journalistes de confiance pour façonner l’opinion publique ou pour préparer la population à des événements à venir, comme une intervention militaire. • Des relations d’infiltration : Certains journalistes ont été, dans l’histoire, employés ou recrutés comme informateurs par des agences de renseignement. Ce fut le cas durant la Guerre froide où des journalistes de grands médias étaient approchés par la CIA pour transmettre des informations ou pour leur servir d’agents de liaison. Un cas emblématique est celui de l’opération Mockingbird, un programme de la CIA dans les années 1950-1970 visant à influencer directement les médias américains et étrangers par le biais de journalistes engagés ou complices.
3. Censure et auto-censure :
Dans certains contextes, notamment en temps de guerre ou lors de situations de haute tension sécuritaire, les agences de renseignements peuvent exercer des pressions directes ou indirectes sur les rédactions pour qu’elles s’abstiennent de publier certaines informations. Cela peut prendre la forme de pressions légales (législation sur les secrets d’État) ou informelles (appel aux enjeux de sécurité nationale). L’auto-censure est aussi fréquente dans les rédactions, lorsqu’il s’agit de traiter des sujets touchant à la sécurité nationale, de peur de compromettre des relations avec les sources gouvernementales ou militaires, ou d’être accusées de mettre en danger la sûreté du pays.
4. Narratifs et propagande :
Les agences de renseignement, particulièrement en temps de guerre, peuvent aider à façonner les narratifs médiatiques pour légitimer des actions militaires ou politiques. Les exemples incluent les récits de la "guerre contre le terrorisme" après le 11 septembre 2001, où des informations ont été diffusées aux médias concernant la présence d’armes de destruction massive en Irak, justifiant ainsi l’invasion de 2003. Plus tard, il a été révélé que ces informations avaient été manipulées ou exagérées. La propagande, dans ce cadre, consiste à injecter dans le discours public des idées qui servent les intérêts des agences ou de l’État, via les médias, qui peuvent relayer ces messages soit de façon intentionnelle (complicité), soit par manque de vérification ou de contre-enquête.
5. Surveillance des médias :
Les agences de renseignement peuvent aussi être actives dans la surveillance des médias, afin de suivre les discours critiques ou hostiles aux intérêts du gouvernement ou de l’armée. Cela est particulièrement vrai dans les régimes autoritaires, mais existe également dans les démocraties sous certaines formes, notamment via des programmes de surveillance des communications journalistiques. Cela pose la question de la protection des sources des journalistes et du droit à l’information.
6. Effet de militarisation des médias :
Dans certaines circonstances, les agences de renseignements contribuent à un phénomène de militarisation des médias. En temps de conflit ou de crise, la couverture médiatique est souvent alignée avec les priorités stratégiques de l’État. Les médias relayent alors des discours qui normalisent l’utilisation de la force ou justifient des opérations de défense, minimisant les points de vue critiques ou alternatifs. Exemples concrets : • Afghanistan et Irak (2001-2021) : Les services de renseignement américains et britanniques ont joué un rôle central dans la diffusion de récits pro-guerre à travers les médias, soulignant les menaces terroristes et justifiant des décennies d’intervention militaire. • La guerre en Ukraine (2022-présent) : Dans ce conflit, les services de renseignements (de divers pays) interviennent dans la diffusion d’informations sur les actions militaires, les cyberattaques, et les campagnes de désinformation. La guerre de l’information est devenue aussi cruciale que la guerre sur le terrain. Conclusion : Les agences de renseignement, qu’elles soient civiles ou militaires, entretiennent donc un lien complexe avec les médias. Elles peuvent jouer un rôle d’influence significatif dans la manière dont les événements sont rapportés, façonnant les récits publics et parfois instrumentalisant les médias à des fins de propagande ou de désinformation. Cette relation, bien que souvent discrète, pose des enjeux importants pour la transparence, la démocratie et l’indépendance journalistique.
** ** Synthèse générale.
Ces différents acteurs – propriétaires de médias, pouvoirs politiques, journalistes, entreprises privées, groupes de pression, plateformes numériques, les agences de renseignements et le public – interagissent pour façonner la réalité médiatique. Chacun poursuit des objectifs qui peuvent parfois entrer en conflit : maximisation des profits, promotion d’une idéologie, défense d’intérêts privés ou politiques, etc. Cette interaction complexe génère une représentation de la réalité souvent fragmentée, subjective et influencée, créant une « réalité médiatique » qui peut s’éloigner de la réalité factuelle.
En fonction des médias et des contextes, certains acteurs auront plus de poids que d’autres, mais cette grille de lecture permet de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la construction de l’information et d’un réel fictif par les médias.
Il appartient aux citoyens de développer son esprit critique, d’utiliser sa raison plutôt que son émotion et de multiplier il ses sources d’information notamment sur Internet pour avoir une vision aussi proche que possible de la réalité factuelle.
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Annexe
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charte de déontologie des journalistes de Munich de 1971 https://fr.wikipedia.org/wiki/Chart.... Il,. Rs%20et%20cinq%20droits.
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Le champ journalistique expliqué par Pierre Bourdieu (vidéo)
https://www.youtube.com/watch?v=5eX...
https://www.youtube.com/watch?v=xbY...
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Influence des milliardaires sur le contenu des journaux dont ils sont propriétaires : le cas du Washington Post
https://www.gauchemip.org/spip.php?...
Hervé Debonrivage
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