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La manifestation de soutien organisée le 6 avril, à Paris, par le Rassemblement national, n’a pas mobilisé les foules, mais elle a été une nouvelle occasion pour Marine Le Pen d’attaquer « le système » et la justice.
Dimanche après-midi, derrière l’hôtel des Invalides dans le VIIe arrondissement de Paris, la place Vauban était loin d’être remplie en dépit de ce qu’espéraient les cadres du Rassemblement national (RN), à l’initiative de cette manifestation de soutien à Marine Le Pen, à la suite de la condamnation de la cheffe de file du parti d’extrême droite, le 31 mars à cinq ans d’inéligibilité et quatre ans de prison pour détournements de fonds publics.
Alors que 8 000 manifestant·es étaient attendu·es par les organisateurs et que le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, en annonçait 10 000, ils étaient certainement plus proches des 4 000. Les forces de police, en revanche, étaient présentes en nombre pour quadriller la place. Il n’y a pas eu de débordement.
Le parti avait organisé la venue des journalistes – environ trois cents avaient demandé à couvrir le meeting – en rendant obligatoire leur accréditation et leur placement sur le côté de la place, dans un carré dédié. Tout a été fait pour contrôler la couverture de cette journée. Jusqu’au mot d’ordre de la journée, « Sauvons la démocratie », alors même qu’il est question d’en démolir l’un des principaux piliers : la justice.
Les « fédérations qui en ont les moyens ont payé le transport en affrétant des bus », précise Damien, un des assistants parlementaires du député RN de la Somme, Jean-Philippe Tanguy. « Nous avons emmené avec nous près de cinquante militants, poursuit-il. Tout a été organisé dès le soir de la condamnation avec Jordan Bardella et toutes les fédérations en visio pour préparer une action. » Le temps « pressait et a été court pour organiser ce meeting », dit-il, gêné en observant une place très clairsemée.
Il balaye d’un revers de main tout risque de débordement pouvant venir de militants d’extrême droite. « Il y a des cons partout mais nous n’avons pas eu besoin de mot d’ordre, assure-t-il, à l’exception de la vigilance. Il faut que nous puissions paraître comme un parti de gouvernement. C’est ce qu’on doit s’appliquer à refléter. » Autre consigne : « Aucune banderole ou pancarte. Nous ne sommes pas des manifestants et on privilégie les drapeaux distribués sur la place par des bénévoles et adhérents au parti. » Des signes de patriotisme plus visibles, cette fois, que les tatouages nazis des militants les plus identitaires.
« Nous ne sommes pas là contre la justice mais contre l’injustice et pour l’État de droit », conclut Damien. Rien n’est moins sûr, à entendre le discours de la cheffe de file de l’extrême droite. Ayant « une sainte horreur de l’injustice et de la partialité », elle se dit victime « d’un combat judiciaire [qui] fait partie intégrante d’un parti politique ». Un discours relayé par nombre de ses soutiens, qui n’hésitent pas à fustiger les « juges rouges », comme Jacques, venu de Cherbourg.
Sur l’estrade, Marine Le Pen s’en prend elle aussi, avant tout, au Syndicat de la magistrature, accusé d’épingler « sur un tableau de chasse juridique » les élu·es. Puis elle pointe la magistrate, sans la nommer, « du Syndicat de la magistrature » qui a pris « une décision qui n’est pas une décision de justice mais une décision politique » et qui aurait décidé de « [l’]éliminer de la vie politique ».
Sans apporter de précision sur le fond de sa condamnation, Marine Le Pen a déclaré ne pas « [s]’être battue pour [elle]-même ou des avantages ». L’absence d’enrichissement personnel – bien que le système mis en place ait largement participé à améliorer leur confort de vie – est l’un des arguments du RN utilisé pour minimiser le détournement de fonds publics dont la justice a estimé le préjudice à 4,1 millions d’euros.
Marine Le Pen a également rappelé que plusieurs chefs d’État européens faisaient l’objet de poursuites judiciaires, dont le vice-premier ministre italien, Matteo Salvini, poursuivi pour avoir bloqué en mer en 2019 un navire avec 147 migrant·es à bord. À ces mots, la foule acclame un tel parallèle.
Se défendant de vouloir « être au-dessus des lois », Marine Le Pen a dénoncé le travail des juges et des magistrats qui, « sous couvert d’appartenance syndicale », prennent « une décision politique » qui « bafoue l’État de démocratie ».
Mais son dessein a pris forme au fil de son discours, lorsqu’elle assure « ne pas contester la justice », tout en souhaitant néanmoins que « ces dévoiements indignes à la démocratie cessent ».
La « souveraineté appartient au peuple », a-t-elle lancé, et afin de redonner confiance en la justice, elle a assuré à ses électeurs que son parti lui en donnerait les « moyens humains ». En attendant, elle a invité la justice à se remettre en cause et à « se livrer à une introspection », prenant au passage la défense de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne, dont « la faute, si tant est qu’elle existe, serait un acte plus durement sanctionné que la plupart des crimes », si le tribunal venait à confirmer la peine de sept ans de prison proposée par les procureurs. La justice n’aurait ainsi pour seul but que de « persécuter les opposants ».
Des arguments qui font mouche Marine Le Pen a donc appelé à « affronter les forces du système dont le seul projet est de se maintenir quelle que soit la bassesse de moyens pour y parvenir ». Une promesse de purge lancée à demi-mot qui n’était pas pour déplaire à Raphaël, 30 ans, venu d’Amiens. Ancien sympathisant communiste, il milite pour l’extrême droite depuis une dizaine d’années, « depuis la trahison de la gauche ». Aujourd’hui, il serait prêt à soutenir « Marine jusqu’au bout ». « S’il faut envahir le Conseil constitutionnel, je le ferai, car la révolution commencera par des purges. » Ce professeur de physique-chimie désigne « la caste des juges, des journalistes et de [ses] collègues les professeurs ». Il y a du « ménage à faire », conclut-il, refusant d’en dire davantage.
Près de la statue du maréchal Émile Fayolle, un autre militant RN boit les paroles de Marine Le Pen. À l’écouter, on sent que les éléments de langage rabâchés toute la semaine par les porte-parole du parti ont fait leur effet. Risque de récidive nul, justice manipulée qui chercherait à barrer la route à Marine Le Pen vers l’Élysée, magistrats penchant à gauche, tout y passe. « Un assistant parlementaire, c’est aussi un militant actif, il fait un travail politique. Son député a été élu par des Français, donc pourquoi ne pourrait-on pas, lui aussi, le retrouver sur le terrain en France ? », défend-il encore, reprenant un argument du parti à la flamme.
Ce militant d’une soixantaine d’années, qui clame avoir « bercé dans le parti depuis petit », refuse de donner son prénom. « Ce n’est pas que j’ai honte, mais… », se justifie-t-il péniblement. « Et de quoi devrais-tu avoir honte ? », le reprend un manifestant.
Sur la place Vauban, en ce dimanche ensoleillé, c’est plus par affection pour Marine Le Pen qu’on s’est déplacé de toute la France que par hostilité à l’égard de sa condamnation pour détournements de fonds publics. D’ailleurs, les sympathisants RN se trouvent souvent bien embêtés pour justifier les reproches adressés à la justice, accusée d’empêcher le destin politique de la triple candidate à l’élection présidentielle.
Chez eux, la marque « Le Pen » reste un carburant de mobilisation sans pareil. Jordan Bardella en sait quelque chose. Mis au-devant de la scène, c’est pourtant la nièce de la cheffe de file du parti, Marion Maréchal, qui, à l’applaudimètre, semble retenir la préférence des militants.
On croise également à ce meeting quelques curieux personnages, dont Francisco, un Espagnol de 67 ans, qui dit vivre en France depuis plusieurs années, et qui vitupère contre la « mafia socialiste, La France insoumise et l’extrême gauche, tout ça, c’est la merde » selon lui responsable de la condamnation de Marine Le Pen pour détournements de fonds publics. Sans qu’on l’y invite, il embraye sur la guerre civile, qu’il croit inévitable, et sur le principal problème de la société française, son islamisation. « Ah, mais vous êtes arabe, vous ? », semble-t-il se rendre compte en observant le journaliste qui l’interroge. « Y a beaucoup de racisme anti-Blancs en France », conclut-il.
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Après la condamnation de Marine Le Pen, une semaine d’intimidation mortifère 5 avril 2025 Marine Le Pen condamnée : les dix mensonges du RN démontés 5 avril 2025 Parmi les intervenants, c’est le dernier rallié au RN, le président de l’Union des droites pour la République (UDR), Éric Ciotti, qui a été le plus loin dans le procès de la justice auquel était dédié ce meeting, quitte à flirter avec les appels à la sédition. « Vous êtes les fantassins de la démocratie en danger », a-t-il clamé. En attaquant Marine Le Pen, c’est le « peuple français » qui se retrouve sur le banc des « accusés » et c’est tout simplement une « exécution de la démocratie », à laquelle les magistrats se sont livrés en « menaç[ant] de mort politique la favorite des élections présidentielles ».
L’ancien chef du parti Les Républicains (LR) a donc appelé les militant·es à « résister et à choisir librement leur destin », dans une démocratie menacée pêle-mêle par « l’interdiction d’une chaîne de télévision [en référence à C8 – ndlr] » ou par « des fronts républicains, un cordon sanitaire honteux », qui privent les Français d’une « alternative à droite ».
Éric Ciotti ne souhaite pas vivre une deuxième « confiscation de la démocratie française » telle qu’il l’avait vécue avec François Fillon et apporte ainsi tout son soutien au RN contre « un système sclérosé, rassis », et qui pourra libérer la France de « l’impôt, de l’immigration et de la violence ».
« [À travers] Marine, c’est vous qu’ils souhaitent faire tomber », a-t-il conclu, avant de préciser que « le trouble à l’ordre public est une fable » car « pour eux, le trouble serait qu’elle gagne ».
« Selon que vous soyez puissant ou misérable, les juges de cour vous rendront blanc ou noir » : à ces mots, la foule a acclamé Louis Aliot, vice-président du RN, lui aussi condamné par le tribunal pour détournement de fonds publics. Le maire de Perpignan a qualifié cette condamnation de « piège » destiiné à « empêcher [le RN] d’arriver aux affaires ». Les 4,1 millions d’euros détournés sont quant à eux présentés comme « une affaire de persécution », venant « de l’oligarchie » et « relayée en particulier par l’ancienne garde des Sceaux de François Hollande, Mme Taubira ».
Le vice-président du RN n’a pas hésité à dire qu’« aucun argent public n’[avait] été détourné ». Le parti d’extrême droite serait donc victime d’une « construction fictive », et Louis Aliot va jusqu’à alléguer que « des faux en écritures publiques » ont été faits pour le condamner.
Prenant pour exemple des trafiquants de drogue qui seraient, selon lui, trop faiblement condamnés, il n’y a qu’un pas, qu’il franchit sans difficulté, pour en conclure que « les décisions de justice mettent en péril la démocratie ».
Avant le tour de parole de Jordan Bardella, sur les écrans qui entourent la scène sont projetés des extraits d’interviews de politiques soutenant Marine Le Pen. C’est toute l’extrême droite européenne qui défile avec notamment l’Italien Matteo Salvini et le Hongrois Viktor Orbán, qui a récemment promis d’éliminer ses opposants politiques, les juges, les médias, et les ONG.
« Injuste et scandaleuse » : Jordan Bardella emboîte ainsi le pas de ses prédécesseurs sur le podium, Louis Aliot et Éric Ciotti, pour qualifier une décision de justice motivée de façon « grossière et militante ». Se défendant de « remettre en cause la séparation des pouvoirs », il a néanmoins appelé à « s’indigner face aux pressions de certaines organisations » visant directement « le Syndicat de la magistrature » et le « tiers des magistrats syndiqués » qui « ont fait appel à faire barrage » au parti d’extrême droite. Le président du RN a appelé les militants à combattre contre « cette chasse à l’homme lancé par la gauche » et à continuer de soutenir un parti qui saura mettre fin « au politiquement correct, au wokisme et à l’islamisme ».
Yunnes Abzouz, Pascale Pascariello et Laura Wojcik
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