Refondations à gauche. Pour une nouvelle force
La perte de repères politiques et le brouillage à gauche signent une décomposition qui n’en finit pas. Flirt d’une partie du PS ou des Verts avec le Modem, personnalités issues des rangs de la gauche dans un gouvernement de droite ultra-libéral et autoritaire, communistes et Verts sans voix, virage d’Arlette Laguiller dont le parti souhaite figurer sur les listes aux municipales dès le premier tour avec le PS... Le tableau est corsé ! En attendant, les conséquences d’une politique de classe qui assomme les catégories populaires sont chaque jour plus criantes. Les luttes sociales sur tous les fronts démontrent les capacités de résistance dans notre pays mais l’opposition politique à Nicolas Sarkozy reste quasi introuvable. Il y a de quoi s’inquiéter : serons-nous capables de nous ressaisir pour porter demain une alternative dans le pays ?
Pour y parvenir, la gauche doit se reconstruire, retrouver ses fondamentaux tout en se modernisant, et se recomposer. Deux propositions politiques occupent le devant de la scène. D’un côté, l’idée grandit - notamment au PS - d’un rassemblement de toute la gauche dans une même force, parti ou confédération. Sur le modèle italien, le Modem pourrait y avoir sa place. Le centre de gravité de cette nouvelle auberge espagnole serait de toute évidence la ligne actuellement majoritaire au PS, c’est-à-dire celle d’un accompagnement du libéralisme économique, d’un manque d’ambition sur de nombreux sujets et d’une confusion toujours plus grande entre modernisation et droitisation. De l’autre côté, Olivier Besancenot fait recette. Il faut dire que, dans le désert qu’est l’opposition, l’entendre tenir avec brio un discours clairement de gauche, ça fait du bien ! Mais que propose-t-il ? Créer un grand parti anti-capitaliste, « mi guévariste, mi-libertaire », essentiellement axé sur les luttes sociales, au discours simplifié qui frise parfois une vision simpliste du monde, revendiquant l’extériorité au champ institutionnel - pensant même que c’est ce qui fait sa force - et une frontière parfaitement étanche avec le PS et ses alliés, réels ou potentiels. Besancenot estime que, pour cette entreprise, aucun partenaire n’existe et propose donc aux « héros du quotidien » de renforcer une LCR rebaptisée à l’occasion du saut quantitatif escompté. Je préfère toujours la volonté de rupture à l’esprit d’accommodement. Mais doit-on s’enfermer dans ce choix binaire ? La répartition des rôles est marche : aux premiers, la « réalpolitik » et la gestion, l’objectif de prise de pouvoir, la capacité électorale de battre la droite à la faveur du jeu de l’alternance ; aux seconds, la parole contestataire, la solidarité infaillible avec les mobilisations, l’esthétique révolutionnaire et le sentiment auto-satisfait d’être du bon côté de la barrière, loin de toute compromission, en prenant son parti d’un cadre durablement minoritaire. Ainsi pourrait aller la gauche... De mal en pis donc. Car ce scénario des deux gauches est la garantie de notre incapacité à être en situation de transformer.
Une autre hypothèse méritait d’être explorée : la mise en route de convergences entre toutes les forces qui, aujourd’hui éparpillées, veulent une gauche de gauche. La seule perspective qui peut desserrer l’étau, c’est la création d’une nouvelle force politique qui défende le partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps, l’émancipation individuelle et collective, qui assume l’affrontement avec la logique capitaliste, fasse émerger des idées neuves, redonne au mot « réforme » le sens d’un progrès pour les catégories populaires et pour le bien commun tout en faisant vivre l’aspiration révolutionnaire, c’est-à-dire la visée d’un changement radical de société. Un autre monde est nécessaire : à nous de raccorder le nécessaire au possible. Pour être en situation de modifier la donne et de susciter une dynamique populaire, cette force nouvelle doit rassembler des socialistes qui ne se retrouvent pas dans l’aggionamento de leur direction, des communistes, des écologistes, des trotskystes, des altermondialistes, des acteurs-trices du mouvement social et du monde de la culture, toutes celles et ceux qui se sentent aujourd’hui orphelins mais ont envie de s’engager résolument à gauche. Je ne crois pas qu’elle puisse se construire à partir d’une seule organisation, d’une seule sensibilité de la gauche critique. Certains s’y sont essayés, avec les échecs que l’on connaît. Parce que nous avons besoin de mêler sur le fond toutes les traditions et apports de la gauche critique et que tout comportement hégémonique de la part d’une des forces empêchera les autres de s’agréger.
Or, il faut voir large. L’enjeu, c’est bien de changer le rapport de force au sein de la gauche. Les responsables et militant-e-s d’organisations concernés par une telle recomposition ont une responsabilité pour faire advenir cette alternative. Les débats sont d’ailleurs ouverts dans la perspective des Congrès qui vont tous se tenir en 2008. Sortir des routines et mêler les traditions requiert du courage. Et du temps : les recompositions politiques ne se sont jamais faites en un jour. Mais il y a réellement le feu au lac, le moment est venu d’être responsables et de passer le pas, sans rejouer les scénarios d’échecs passés. Les initiateurs de « Maintenant à gauche » (www.maintenantagauche.org) ont fait une proposition : organiser des Etats généraux de la gauche de transformation sociale. Manière d’expérimenter et d’élaborer ensemble, en positif. Les échéances européennes de 2009, avec l’avantage du scrutin de liste, devraient constituer une étape importante dans ce processus constitutif. Une occasion de dire ensemble « oui », et pas seulement « non ». Si seulement on osait...
de Clémentine Autain , co-directrice du mensuel Regards et co-animatrice de Maintenant à gauche
Date | Nom | Message |