GRAND MARCHE TRANSATLANTIQUE USA - Union européenne (Atelier de lecture PRS)

mardi 4 novembre 2008.
 

Le projet « d’union transatlantique »apparaît dès le début de la guerre froide. Mais l’échec du projet de communauté européenne de défense (CED) avait montré la vigueur des forces qui s’opposaient à la vassalisation ouverte à l’égard des États-unis. En France, des élus de la gauche modérée comme Mendès France ou François Mitterrand s’étaient retrouvés avec les gaullistes et les communistes contre ce projet. L’idée réapparaît après la chute du mur de Berlin, en même temps que la théorie du « choc des civilisations ».

En 1995, Bill Clinton, Président des États-unis, Jacques Santer, Président de la Commission européenne, et Felipe Gonzalez, Président du Conseil européen signent le « Nouvel Agenda transatlantique ». Deux instances permanentes sont créées : le Dialogue transatlantique des législateurs (entre le Congrès américain et le Parlement européen), et le TransatlanticBusiness Dialogue entre les grands patrons américains et européens.

En 1998, le projet de « Nouveau Marché transatlantique », soutenu par les commissaires européens est mis en échec par le refus de la France (Védrine, Jospin et Chirac). Les objectifs de ce marché étaient la création d’une zone de libre échange pour les services, l’élimination des barrières techniques et réglementaires au commerce, la libéralisation des marchés publics, de la propriétéintellectuelle et des investissements, la suppression progressive des droits de douane sur les produits industriels d’ici 2010. Néanmoins, le sommet UE-E.U de Londres en 1998 lance un « partenariat économique transatlantique »en vue d’une plus grande intégration économique UE-E.U.

Après 1998, le projet d’union transatlantique est relancé. Pourtant aucun débat public n’est organisé. Le Parlement adopte plusieurs résolutions dans la plus grande discrétion.

Cet atelier de lecture vous propose de découvrir ce qu’il est à ce jour. Nous nous demanderons dans trois premier quel est le fondement économique de ce projet, puis quels sont ses organes, enfin quel est ce partenariat stratégique. Enfin, nous nous demanderons pourquoi l’Europe privilégie une union avec les États-unis plutôt qu’une coopération avec le reste du monde.

1.Une justification économique…

- C’est dans le texte :

Résolution du Parlement Européen, le 1/06/06 : Le commerce entre les deux grands marchés a atteint un niveau sans précédent, le seul volume des échanges s’élevant àun milliard d’euros par jour ; […] l’Union européenne export[e] pour presque 120 milliards d’euros [de services] vers les États-Unis, [soit] un tiers du volume total des échanges de services àl’extérieur de l’Union européenne […] ; les investissements directs étrangers […] dépassent maintenant 1 500 milliards d’euros…

Résolution du PE, le 1/06/06 : L’Union européenne et les États-unis constituent le plus grand partenariat bilatéral du monde en termes d’échanges commerciaux (quelque 600 milliards €de biens et de services échangés en 2003) et d’investissements (quelque 1 400 milliards €au total en 2003), et que pas moins de 14 millions d’emplois, dans l’Union européenne et aux États-Unis, dépendent des liens commerciaux transatlantiques (selon la Commission).

Résolution du PE, le 22/04/04 :[Le Parlement européen propose] la coopération économique et monétaire transatlantique en vue de mettre en place un marché transatlantique sans barrières pour 2015 [et recommande] une date d’exécution anticipée à2010 pour les services financiers et les marchés des capitaux, l’aéronautique, l’économie digitale (vie privée, sécurité et droits de propriété intellectuelle), la politique de concurrence et la coopération en matière de régulation.

Communication de la Commission, le 18/05/05 : Une réelle intégration des marchés financiers européens et américains peut aboutir àune réduction des frais d’opérations de bourse allant jusqu’à60% […], ce qui [augmenterait] de 50% les volumes d’échange.

Résolution du PE, le 8/05/08 : (Le Parlement européen) rappelle que de nombreuses barrières dites non tarifaires aux échanges commerciaux et aux investissements trouvent leur source dans des actes des organes législatifs visant àservir des finalités sociales, sanitaires, culturelles ou environnementales

1. Une justification économique inexacte et dangereuse

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L’importance des échanges avec les États-unis justifient selon la Commission un partenariat privilégie. Pourtant , la Direction générale du Commerce de la Commission européenne nous apprend que depuis 2003, la Chine est le 2ndpartenaire commercial de l’Europe, et que la Russie est notre 3èmepartenaire commercial depuis 2005 (étant 4èmeen 2004 et 5èmeen 2003).

En 2006, pour la 1ère fois, le montant des échanges commerciaux entre la Chine plus la Russie et l’UE (471, 728 Milliards €) est supérieur au montant des échanges avec les États-unis (444, 201 milliards d’€). La différence s’accentue en 2007 : nos échanges commerciaux progressent avec la Chine et la Russie (+534, 982 Milliards €) et reculent légèrement avec les Etats-Unis (+441, 731 Milliards €).

Sur la période 2003-2007, nos échanges avec les États-unis ont progressé de + 56, 326 Milliards d’€, contre +154, 950 Milliards d’€avec la Chine et +124, 470 Milliards €avec la Russie. La croissance du commerce avec ces deux pays légitimerait-elle que nous nous engagions dans un processus similaires à celui engagé avec les Etats-Unis avec eux ?

En outre, le projet de grand marché représenterait une libéralisation sans précédent de nos échanges commerciaux. La suppression des « nombreuses barrières non tarifaires [trouvant] leur source dans des actes des organes législatifs visant à servir des finalités sociales, sanitaires, culturelles ou environnementales »justifierait par exemple, le droit à des entreprises privées américaines très présentes dans le domaine de la santé à concurrencer les systèmes publics en Europe. Elle interdirait également les restrictions d’importation de boeuf aux hormones.Quant à l’économie européenne, elle serait invitée à écouler sa production sur un marché américain une fois celui-ci ouvert. L’espoir des dirigeants européens est que les consommateurs américains surendettés jouent le rôle de locomotive pendant que les salariés européens, soumis aux politiques libérales de la Commission, verront leur pouvoir d’achat diminuer.

2. Des organes législatifs…

- C’est dans le texte :

Communication de la Commission, le 18/05/05:La Commission recommande [d’]insuffler plus de politique dans les relations pour améliorer le cadre actuel ; […d’]intensifier le dialogue transatlantique des législateurs (qui serait constituéde représentants du Parlement européen et des deux chambres du Congrès américain), première étape vers une « Assemblée transatlantique »àpart entière.

Résolution du PE, le 1/06/06 :Il est nécessaire de renforcer la dimension parlementaire du partenariat transatlantique en transformant le Dialogue transatlantique des législateurs (DTL) en une assemblée transatlantique qui puisse organiser des sommets des législateurs avant les sommets U.E.-E.U.

Résolution du PE, le 1/06/06 :[Le Parlement européen] estime qu’il faudrait prévoir, au plus tard dans le cadre du budget 2007 du Parlement, la création d’un poste permanent àWashington, afin que le Parlement et le DTL maintiennent un contact permanent avec la Chambre des représentants et le Sénat américains.

Résolution du PE, le 1/06/06 :[Le Parlement européen] réitère la nécessité[de mettre] sur pied un secrétariat restreint pour le dialogue transatlantique des législateurs [et] demande à la Chambre des représentants d’envisager la création d’une délégation permanente en vue d’assurer la continuité du dialogue transatlantique des législateurs.

Résolution du PE, le 8/05/08 :(6) [Le Parlement européen] estime que les résultats atteints par le conseil économique transatlantique (CET) depuis sa création démontrent que le marché transatlantique ne peut s’établir par la seule voie d’un processus administratif, mais que la réalisation de cet objectif nécessite une orientation politique forte et continue ; encourage le CET à poursuivre ses efforts de façon résolue.

2. Des organes législatifs qui trahissent une dimension politique

L’organisation du grand marchétransatlantique est dotéde deux principales instances : la première est législative : le dialogue transatlantique des législateurs (DTL) ; la seconde est politique : le Conseil économique transatlantique (CET).

Le Parlement européen entretient avec de très nombreuses parties du monde des relations parlementaires. Elles varient d’intensité et de forme d’une zone géographique à une autre. En 1995, le dialogue parlementaire transatlantique devient le DTL. Outre des rencontres bisannuelles, les échanges par plateforme électronique sont réguliers, des commissions spécialisées des parlements fonctionnent et des groupes de responsables préparent les sommets UE-EU.

En 2005, la Commission recommandait que le DTL soit renforcé en une assemblée transatlantique à part entière. Le Parlement européen a suivi cette recommandation de la Commission une année plus tard.

Le CET (conseil économique transatlantique) est créé en 2007. Il s’agit d’un organe politique présidé par le Vice-président de la Commission européenne, Günter Verheugen et Al Hubbard, assistant du président des États-unis pour la politique économique et directeur du conseil économique national. Le CET rassemble également les membres de la Commission européenne et les membres du Cabinet/Bureau américain qui assument la responsabilitépolitique des domaines politiques couverts par ledit cadre. En ce qui concerne l’Europe, les membres permanents du CET sont les commissaires aux relations extérieures (BenitaFerrero-Waldner), au commerce extérieur (Peter Mandelson) et au marchéintérieur et aux services (Charlie McCreevy). En outre, d’autres commissaires peuvent y participer sur invitation des co-présidents ou àleur propre demande. Cet organe politique est clairement soumis aux intérêts économiques particuliers. Il est en effet censé« représente[r] unforum qui permet aux groupes d’intérêt de faire connaître leur point de vue »(site officiel : www.europa.eu).

3. Un partenariat stratégique…

- C’est dans le texte :

Résolution du PE, le 22/04/04 : [Le Parlement européen] demeure […] préoccupé par la politique du gouvernement des États-Unis selon laquelle les pays doivent coopérer avec les États-unis dans leurs objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale pour devenir des partenaires commerciaux.

Résolution du PE, le 1/06/06 : [Le Parlement européen] réaffirme que l’accord de partenariat transatlantique doit élargir l’agenda actuel dans les domaines politique, économique et sécuritaire, en visant à établir une "communauté d’action" en matière de coopération mondiale et régionale dans tous les secteurs où sont en jeu les valeurs et les intérêts communs des deux partenaires ; [et] demande instamment que les discussions soient poursuivies sur la réaction rapide commune […] dans des pays où il pourrait être porté atteinte aux intérêts vitaux et aux valeurs partagées des deux partenaires ; souligne l’importance d’accroître les capacités militaires de l’Europe pour le bien de la sécurité internationale et en vue d’établir de meilleures relations de partenariat entre l’U.E et les E.U sur le plan politique et militaire.

Résolution du PE, le 5/06/08 : « [Le Parlement européen] souligne l’importance de l’OTAN, qui demeure la plateforme essentielle pour les consultations entre l’Europe et les E.U. en matière de sécurité, et de la politique étrangère et de sécurité commune en vue de renforcer notre capacité à faire face aux menaces sur la sécurité[…] ; se félicite de la déclaration américaine au sommet de Bucarest, selon laquelle la mise en place d’une forte alliance à l’OTAN suppose également une capacité de défense forte de l’Europe.

Résolution du PE, le 5/06/08 : [Le Parlement européen] prend acte […] de la déclaration du sommet de Bucarest […] qui plaide en faveur d’une architecture globale de défense antimissiles qui couvrirait tous les territoires alliés ; invite le Conseil et les États membres à créer un cadre visant à faire participer tous les État membres de l’Union et de l’OTAN aux discussions à ce sujet.N. Sarkozy, 16èmeconférence des ambassadeurs, le 27/08/08 : J’ai voulu situer, franchement et nettement, la France au sein de sa famille occidentale […]. J’ai voulu rénover notre relation avec l’Alliance atlantique. Pourquoi ? […Lors du] Sommet de l’OTAN de Bucarest, en avril dernier […] pour la première fois depuis la création de l’Alliance, le Président des États-unis a apporté un soutien public, clair et net, au projet de défense européenne ; il l’a fait parce qu’il était convaincu qu’en portant le projet de la Défense européenne, la France ne souhaitait pas affaiblir l’Alliance atlantique.

3. Un partenariat stratégique au nom du choc des civilisations

Un infléchissement profond intervient dans les relations entre l’Union européenne et les États-unis entre 2004 et 2006. En effet, alors qu’en 2004, le Parlement européen se dit « préoccupé »par le fait que pour les États-unis, un partenariat économiques avec eux implique une coopération dans leurs objectifs de politique étrangère, il souhaite, dès 2006, élargir les discussions avec les États-unis aux questions sécuritaires et « établir une "communauté d’action" en matière de coopération mondiale et régionale dans tous les secteurs où sont en jeu les valeurs et les intérêts communs des deux partenaires ». Pourquoi un tel revirement ?

Nicolas Sarkozy, qui se félicite du soutien par le Président des États-unis du projet de renforcement de défense européenne donne une explication de ce revirement, en ce qui concerne la France : « Pendant les décennies de contrainte bipolaire, comme pendant la décennie de situation unipolaire, il était juste et souhaitable que notre pays marque sa différence par rapport à Washington. Mais nous sommes entrés [dans l’] « ère des puissances relatives ». [L]’ascension fulgurante de la Chine, de l’Inde, du Brésil, le retour de la Russie créent une situation profondément nouvelle : aucun pays n’est plus en mesure d’imposer seul sa vision des choses […].Quand il n’y a qu’une seule grande puissance, il faut affirmer son indépendance par rapport àcette grande puissance. Quand il y a un système avec deux puissances, on peut affirmer sa volonté d’être entre les deux, même si on est plus proche de l’une. Mais, dans le concert des puissances relatives, on doit dire les choses telles qu’elles sont, où se trouve la France : la France se trouve aux côtés de ses alliés, dans sa famille occidentale. »(le 27/08/08).

Il semble bien que la même logique soit en oeuvre dans les instances européennes : L’article 27.2 du Traité sur l’Union européenne modifié par le Traité de Lisbonne le traité de Lisbonne ne prétend t-il pas que « La politique de sécurité et de défense commune […] respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord […] et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans [le] cadre [de l’OTAN] » ?

4. L’« union de l’Occident »…

- C’est dans le texte :

Résolution du PE, le 8/05/08 :(A) […] la paix, la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit, le droit international ainsi que des économies et un développement durables sont des valeurs communes àla base du partenariat transatlantique

Communication de la Commission, le 18/05/05:Les relations UE/États-Unis […] doivent être plus stratégiques et plus efficaces afin de concrétiser notre vision commune d’un ordre international plus démocratique, pacifique et prospère.

Résolution du PE, le 1/06/06 :[Le Parlement européen] demande au partenariat transatlantique, qui représente environ 57 % du produit national brut mondial et demeure le bimoteur de l’économie mondiale, d’exercer une fonction de dirigeant global dans un contexte caractérisépar l’intensification de l’interdépendance, l’émergence de nouvelles puissances économiques…

Résolution du PE, le 9/06/05 : [Les] droits de l’homme et la recherche d’une approche multilatérale efficace, [sont les]valeurs [qui] constituent [notamment] la caractéristique distinctive de notre approche démocratique vis-à-vis du reste du monde depuis que nous avons fondéconjointement le système des Nations unies. N. Sarkozy, 16èmeconférence des ambassadeurs, le 27/08/08 : la France se trouve aux côtés de ses alliés, dans sa famille occidentale.

4. L’« union de l’Occident » contre le reste du monde

La célébration par la Commission et le Parlement européen des « valeurs communes des États-unis et de l’Union européenne » correspond à la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington. Pour Huntington, l’Europe et les Etats-Unis doivent s’unir pour défendre les « valeurs occidentales ». Celles-ci seraient menacées par l’essor des « civilisations » chinoises, « musulmanes » ou russe : « Le rapport de force entre les civilisations change. L’influence relative de l’occident décline ; la puissance économique, militaire et politique des civilisations asiatiques s’accroît » écrivait-il déjà en 1997.

L’unité de l’occident repose sur l’affrontement avec le reste du monde : « on ne peut avoir de vrais amis si on n’a pas de vrais ennemis. A moins de haïr ce qu’on n’est pas, il n’est pas possible d’aimer ce qu’on est » écrit Huntington.

Édouard Balladur, s’est fait zélateur français de cette théorie avec son ouvrage Pour une Union occidentale entre l’Europe et les États-unis. Il y explique que « l’Histoire commence à se faire sans [l’Occident] et peut-être un jour se fera t-elle sans lui ». « L’esprit de revanche historique des pays émergents » expliquerait « l’hostilité du reste du monde » à l’égard de l’occident. Face aux « menaces actuelles » « il faut se montrer plus hardi et bâtir une véritable Union occidentale entre les deux rives de l’océan ».

La thèse du choc des civilisations n’est pas une simple théorie universitaire, c’est hélas la stratégie mise en oeuvre par les États-unis d’Amérique (« lutte du bien contre le mal », « guerre contre le terrorisme », politique agressive de l’OTAN contre la Russie, soutien à l’indépendance du Tibet…).

Conclusion

Le projet de grand marché transatlantique a été élaboré en tenant les citoyens à l’écart. Rares sont les Européens qui en connaissent seulement l’existence. La commission elle-même reconnaît, dans sa communication du 18 mai 2005, cette trop grande discrétion : « nombreux sont ceux qui déplorent […] que son image publique soit trop discrète et qu’il soit perçu comme un exercice technocratique ». Pourtant, son importance est considérable à la fois sur les plans économique, politique et stratégique.

Pour PRS, l’orientation libérale et atlantiste du grand marché transatlantique menace nos droits sociaux, nos économies et la paix elle-même. C’est pourquoi nous nous mobilisons pour en faire connaître l’existence et le contenu. C’est pourquoi nous exigeons un véritable débat public sur le grand marché transatlantique. La campagne contre le grand marché transatlantique contribue ainsi àla bataille pour une autre Europe démocratique, sociale, porteuse de paix et d’un autre monde que celui voulu par les Etats-Unis d’Amérique.


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