8 février 1962 : CHARONNE crime d’Etat, crime pour mémoire

mardi 25 octobre 2016.
 

Quarante-huit ans après, l’État n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans le crime du métro Charonne. Entretien avec Daniel Renard, président du Comité Charonne pour la vérité et la justice.

Jean-Pierre Bernard, Fanny Dewerpe, Daniel Fery, Anne-Claude Godeau, Édouard Lemarchand, Suzanne Martorelle, Hippolyte Pina, Maurice Pochard, Raymond Wintgens. Il y a quarante-huit ans, le 8 février 1962, ces neuf syndicalistes de la CGT, dont huit étaient militants du Parti communiste, étaient assassinés, à la station de métro Charonne, par les brigades spéciales dirigées par Maurice Papon, à l’époque préfet de police de Paris.

Ils venaient de participer à une manifestation contre l’OAS (1) et pour la paix en Algérie. Daniel Renard, aujourd’hui président du Comité Charonne pour la vérité et la justice, faisait partie des organisateurs de cette manifestation. Il témoigne.

Pourquoi un comité Charonne et pourquoi ce nom : vérité et justice ?

DANIEL RENARD. Parce que nous voulons que l’État reconnaisse enfin sa responsabilité dans le crime du 8 février 1962 et que justice soit rendue aux familles des victimes. Nous voulons aussi faire connaître ce qui s’est passé. Beaucoup, surtout parmi les jeunes, ignorent tout de Charonne. On ne leur en parle pas à l’école.

Quel était l’objectif de cette manifestation du 8 février ?

DANIEL RENARD. Elle avait deux objectifs : la riposte aux attentats de l’OAS et la paix en Algérie. Le 7 février, une charge de plastic au domicile du ministre André Malraux avait défiguré la petite Delphine Renard. D’autres attentats avaient visé notamment le député communiste Raymond Guyau et l’écrivain Vladimir Pozner qui avait été sérieusement blessé. Le soir même, les unions départementales CGT de la Seine et de la Seine-et-Oise provoquaient donc une réunion des organisations syndicales et politiques pour riposter. Et, le matin du 8 février, un tract appelait à manifester à 18 h 30 à la Bastille. Il était signé par les syndicats CGT de Seine et de Seine-et-Oise, les organisations parisiennes de la CFTC, de l’Unef, du SGEN, les sections de Seine-et-Oise de la Fédération de l’éducation nationale (FEN) et du Syndicat des instituteurs. Les fédérations de Seine et de Seine-et-Oise du Parti communiste et du PSU, les Jeunesses communistes, les Jeunesses socialistes unifiées, le Mouvement de la paix de Seine et de Seine-et-Oise s‘associaient à l’appel.

Comment les événements se sont-ils déroulés ? Vous étiez parmi les organisateurs…

DANIEL RENARD. J’étais secrétaire général de la FEN de Seine-et-Oise. Lorsque nous avons su que le gouvernement interdisait la manifestation, nous avons tenté en vain d’avoir un rendez- vous à la préfecture de police. Il faut rappeler que le préfet de police, Maurice Papon, venait de s’illustrer dans le massacre des Algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à l’appel du FLN – on connaît aussi son rôle, en Gironde, pendant l’Occupation. La Bastille n’étant pas accessible, nous avons constitué cinq cortèges différents. En tête de chacun il y avait des responsables des organisations qui appelaient. On a évalué à 60 000 le nombre total de manifestants. Je me trouvais dans le cortège qui, parti du boulevard Beaumarchais, est arrivé à l’angle de la rue des Écoles et du boulevard Saint-Michel où la dislocation s’est effectuée dans le calme. Je suis alors rentré chez moi, à Bezons. C’est dans la nuit que j’ai été informé de ce qui s’était passé au métro Charonne. Alors que des responsables de la CGT et de la CFTC venaient de s’adresser aux manifestants et avaient appelé à la dispersion, la police a chargé avec une violence inouïe. Il y a eu huit morts sur le champ, un neuvième est décédé huit semaines plus tard. Parmi les nombreux blessés, certains l’étaient très sérieusement. Selon la thèse que Papon et le gouvernement ont tenté d’accréditer, les manifestants se seraient rués dans l’escalier du métro dont les grilles étaient fermées et se seraient écrasés les uns sur les autres. Mais c’est faux, les grilles n’étaient pas fermées.

Comment expliquez-vous une telle violence ?

DANIEL RENARD. Papon et le gouvernement cherchaient à en découdre. Les unités de police avaient été particulièrement choisies et comportaient des éléments qui revenaient d’Algérie. Or la volonté d’écraser la lutte du peuple algérien avait été mise à mal. Avec une certaine mauvaise volonté, le gouvernement français avait dû engager, le 20 mai 1961 à Évian, des pourparlers avec le gouvernement provisoire de la République algérienne. L’OAS, qui voulait y faire échec, multipliait les attentats. Mais la mobilisation contre la guerre s’élargissait. Le 16 janvier 1962, un appel à « agir au grand jour contre les factieux de l’OAS » avait été signé par cent anciens résistants, parmi lesquels des gaullistes comme le général Billotte. Évidemment, les militants communistes qui luttaient depuis des années contre la guerre d’Algérie étaient particulièrement motivés. Le 8 février ils constituaient le gros des cortèges, ce qui fait que sur les neuf victimes, huit étaient communistes.

Quel a été l’impact de Charonne ?

DANIEL RENARD. Cela a déclenché un mouvement auquel le pouvoir ne s’attendait pas. Le lendemain, l’appel à un arrêt de travail d’une heure a été massivement suivi dans tout le pays. Les obsèques ont eu lieu le 13 février à l’appel de toute la gauche, de toutes les organisations syndicales. La foule était immense – on a parlé de 1 million de personnes. La pression pour que les négociations avec le FLN progressent est devenue telle que le 19 mars 1962 les accords d’Évian étaient signés.

Quel enjeu représente aujourd’hui la reconnaissance de ce crime ?

DANIEL RENARD. Cette reconnaissance est très importante pour agir contre toutes les survivances du colonialisme. Nous associons le 8 février 1962 et le 17 octobre 1961 qui était aussi une manifestation pacifique. Faire reconnaître ces crimes par l’État français est aussi une façon de travailler à l’amitié franco-algérienne. Ces dates marquent l’histoire de France et font partie de l’identité populaire.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JACQUELINE SELLEM, L’Humanité


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