15 et 17 décembre 1792 : La Révolution française proclame la guerre révolutionnaire aux privilégiés

lundi 18 décembre 2023.
 

"Le 15 décembre 1792, la Convention donnait à la guerre un caractère social, se portant pour défenseur du peuple, des classes pauvres, par toute la terre... Le rapport fait par Cambon au nom des trois comités (des finances, diplomatique, militaire) est le manifeste éternel que la France révolutionnaire a légué à l’avenir..." (Jules Michelet)

- La France "proclame la liberté et la souveraineté de tous les peuples chez lesquels elle a porté et portera les armes". "Tout privilège du petit nombre est une usurpation"

- A) Le contexte

- B) Rapport introductif de Cambon (extraits)

- C) Décret pris par la Convention (extraits)

- D) Commentaire de Michelet sur le débat concernant le rapport de Cambon et le décret du 15 décembre 1792

A) Le contexte

Depuis le printemps 1792, les armées royalistes (Autrichiens, Prussiens, émigrés français...) assaillent la France en révolution. Durant l’été, les échecs succèdent aux échecs. Heureusement, la mobilisation populaire est à son apogée parmi les années de 1789 à 1847 ; elle permet la défense de grandes villes du Nord et de l’Est, permet aussi une véritable guérilla paysanne qui coupe les envahisseurs de leurs arrières, permet de former une force bloquant la route de Paris, permet enfin la victoire de Valmy qui stoppe cette incursion.

Valmy ( 20 septembre 1792), symbole fort d’une mobilisation populaire qui sauve la Révolution française

Sur la frontière des Alpes, les volontaires affluent (6000 pour la seule ville de Marseille) pour arrêter l’armée du roi de Piémont Sardaigne. Face au peuple en armes, celle-ci reflue abandonnant même la grande ville de Nice. Même situation en Lorraine où opère la nouvelle armée de la Moselle face aux Prussiens.

Après Valmy, l’armée autrichienne s’est repliée sur des lignes fortifiées autour de Mons dans les Pays-Bas (Belgique). La masse des volontaires permet aux Français d’attaquer à droite le long de la Mer du Nord, à gauche en remontant la Meuse, au centre face aux lignes fortifiées ; de plus, l’Armée du Nord lance une proclamation publique appelant les Belges à leur propre révolution nationale. L’élan du peuple en armes pour sa révolution sociale et démocratique permet aux bataillons de foncer au pas de charge, droit sur les canons et bastions, droit vers les hauteurs. A 14 heures, les troupes autrichiennes se voient débordées de tous côtés et abandonnent rapidement tous les Pays bas.

Bataille de Jemmapes (6 novembre 1792) remportée par l’armée révolutionnaire

Cependant, une partie des dirigeants politiques et militaires français sont loin de partager les objectifs d’une révolution avancée. Le général Dumouriez, principal chef militaire, n’a pas poursuivi les Autrichiens et Prussiens battus après Valmy ; il a informé secrètement le roi de Prusse d’objectifs militaires français. Il se considère autonome dans ses décisions vis à vis de la Convention, polarise la droite des Girondins particulièrement parmi les puissants de la finance ulcérés de voir le ministère de la guerre éplucher les comptes des divisions en campagne ; en décembre 1792, il va tenter de sauver Louis XVI ; en avril 1793, il rejoindra directement les rangs de l’armée autrichienne avec tout son état-major.

Le 19 novembre 1792, les députés votent que la France portera "fraternité et secours" aux peuples qui voudraient recouvrer la liberté.

Le rapport et le décret ci-dessous répondent à la question concrète du comportement que doivent avoir les généraux dans les territoires non français sur lesquels ils pénètrent au Nord, à l’Est et au Sud. Ils visent particulièrement à contrôler à Dumouriez en lui imposant une logique révolutionnaire en Belgique, de respect des populations par les soldats, de dynamique démocratique autonome, de méfiance vis à vis de la noblesse et du clergé, de refus de tout lien secret avec les armées étrangères.

Le 15 décembre, Pierre Joseph Cambon, député de l’Hérault, monte à la tribune pour présenter un rapport commun des comités de la Convention (finances, guerre, diplomatie). Il s’agit d’une déclaration de guerre révolutionnaire à l’Europe des privilégiés. Son intervention n’est pas disponible sur le web. C’est dommage car elle participe du tournant de la Révolution française entre le 10 août 1792 (prise du palais royal, Louis XVI prisonnier) et le 2 juin 1793 (début de la Convention montagnarde).

B) Rapport introductif de Cambon (extraits)

Pierre Joseph Cambon bénéficie d’une écoute importante de la part des députés. Ses compétences dans de nombreux domaines (finances en particulier) sont évidentes. Il a été le dernier président de l’assemblée législative. Généralement classé parmi les modérés, le rapport ci-dessous symbolise la radicalisation de la révolution confrontée à la guerre civile et étrangère.

« Quand la France s’est levée en 89, elle a dit Tout privilège du petit nombre est une usurpation ; j’annule et casse tout ce qui fut sous le despotisme par un acte de la volonté. Voilà ce que doit faire et dire tout peuple qui veut être libre et mériter la protection de la France.

Partout où elle entre, elle doit se déclarer franchement pouvoir révolutionnaire, ne rien déguiser, sonner le tocsin... Si elle ne le fait pas, si elle donne des mots et point d’acte, les peuples n’auront pas la force de briser leurs fers... Voyez déjà la Belgique ; vos ennemis y sont triomphants, menaçants ; ils parlent de vêpres siciliennes. Vos amis y sont abattus ; ils sont venus ici, timides et tremblants, n’osant même avouer leurs principes ; ils vous tendaient les mains, disant "Nous abandonnerez-vous ?"

Non, ce n’est pas de la sorte que la France doit agir. Quand les généraux entrent dans un pays, ils doivent assembler le peuple, lui faire nommer des juges, des administrateurs provisoires, une autorité nouvelle, et l’ancienne la mettre à néant... Voulez-vous que vos ennemis restent à la tête des affaires ? Il faut que les sans-culottes participent partout à l’administration. (Tonnerre d’applaudissements)

Nos généraux doivent donner sûreté aux personnes, aux propriétés. Mais celles de l’Etat, celles des princes, de leurs fauteurs et satellites, celles des communautés laïques et ecclésiastiques, ils doivent les saisir (c’est le gage des frais de la guerre), les tenir, non par leurs mains, mais par celles administrateurs que nommera le peuple affranchi.

Ils doivent supprimer toute servitude, tout privilège, les droits féodaux, les dîmes, tous les anciens impôts. S’il faut des contributions, ce n’est point à vos généraux à les établir ; c’est aux administrations provisoires, à vos commissaires, qu’il appartient de les lever, et sur les riches seulement ; l’indigent ne doit rien payer. Nous ne sommes pas des agents du fisc, nous ne venons pas pour vexer le peuple.

Rassurez-les, ces peuples envahis ; donnez-leur une déclaration solennelle que jamais vous ne traiterez avec leur ancien tyran. S’il s’en trouvez d’assez lâches pour traiter eux-mêmes avec la tyrannie, la France leur dira Dès lors, vous êtes mes ennemis ! Et elle les traitera comme tels. »

C) Décret pris par la Convention (extraits)

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, de la guerre et diplomatique, réunis, fidèle aux principes de la souveraineté du peuple, qui ne lui permet pas de remettre aucune institution qui y portent atteinte, et voulant fixer les règles à suivre par les généraux des armées de la République, dans les pays où ils porteront les armes, décrète :

Article 1er : Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la République, les généraux proclameront sur-le-champ, au nom de la nation française, la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités établies, des impôts ou contributions existants, l’abolition de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux de censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse et généralement de tous les privilèges.

Article 2 : Ils annonceront au peuple qu’ils lui apportent paix, secours, fraternité, liberté et égalité, et ils le convoqueront de suite en assemblées primaires ou communales, pour créer et organiser une administration et une justice provisoire ; ils veilleront à la sûreté des personnes et des propriétés, ils feront imprimer le langage ou idiome du pays, afficher et exécuter sans délai, dans chaque commune, le présent décret et la proclamation y annexées.

Article 3 : Tous les agents et officiers civils ou militaires de l’ancien gouvernement, ainsi que tous les individus ci-devant réputés nobles, ou membre de quelque corporation ci-devant privilégiée, seront, pour cette fois seulement, inadmissibles à voter dans les assemblées primaires ou communales et ne pourront être élus aux places d’administration ou du pouvoir judiciaire provisoire.

Article 6 : Dès que l’administration provisoire sera organisée, la Convention nationale nommera des commissaires pris dans son sein pour aller fraterniser avec elle.

Article 11 : La nation française déclare qu’elle traitera comme ennemi le peuple qui, refusant la liberté et l’égalité, ou y renonçant, voudrait conserver, rappeler ou traiter avec le princes et les castes privilégiées ; elle promet et s’engage à ne souscrire aucun traité, et de ne poser les armes qu’après l’affermissement de la souveraineté et l’indépendance du peuple sur le territoire duquel les troupes de la république sont entrées, et qui aura adopté les principes de l’égalité, et établi un gouvernement libre et populaire...

PROCLAMATION

Le peuple français au peuple ....

Frères et amis, nous avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons. Nous offrons de vous faire jouir de ce bien inestimable qui nous a toujours appartenu, et que nos oppresseurs n’ont pu vous ravir sans crime.

Nous avons chassé vos tyrans : montrez-vous hommes libres, et nous vous garantirons de leur vengeance, de leurs projets et de leur retour.

Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires qui vous ont gouvernés jusqu’à ce jour, et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu’ils existent, l’abolition de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux tant féodaux que censuels, fixes ou casuels ; des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la gabelle, des péages, des octrois et généralement de toute espèce de contribution dont vous avez été chargés par des usurpateurs : elle proclame aussi l’abolition parmi vous de toute corporation nobiliaire, sacerdotale et autres, de toutes les prérogatives et privilèges contraires à l’égalité.

Vous êtes, dès ce moment, frères et amis, tous citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et défendre votre patrie.

Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes, hâtez-vous d’établir vos administrations et justices provisoires, en se conformant aux dispositions de l’article 3 ci-dessus. Les agents de la République française se concerteront avec vous, pour assurer votre bonheur et la fraternité qui doit exister désormais entre nous. »

E) Commentaire de Michelet sur le débat concernant le rapport de Cambon et le décret du 15 décembre 1792

Ni Robespierre, ni personne, n’osa faire objection. On ne pouvait se dissimuler pourtant qu’un tel décret, en rendant la guerre toute révolutionnaire, sociale sous un rapport, la rendait universelle...

Il n’y eut nulle objection, mais seulement une addition, fort raisonnable, proposée par la Gironde. Buzot demanda, obtint, que, dans chaque pays envahi, les nobles, les membres des corporations privilégiées, ne pourraient être élus aux administrations nouvelles, exclusion momentanée du reste, et bornée à la première élection.

... Rewbell et autres Montagnards l’appuyèrent, montrant que, si la Belgique allait mal, c’était justement parce qu’aux premières élections, on avait nommé les nobles et les prêtres, les aristocrates. On avait constitué les loups gardiens des moutons.

Un autre Girondin, Fonfrède, voulait même, (chose remarquable chez un député de Bordeaux) qu’on exclût aussi "les banquiers, les hommes d’argent, tous ennemis de la liberté".

Qu’en pensait la grande assemblée, le peuple ? Il tressaillit tout entier, embrassant d’un coeur immense la suprême nécessité qui lui arrivait d’en haut. Le manifeste nouveau était celui de la croisade pour la délivrance du globe ; il annonçait aux tyrans que la France partait de chez elle pour sauver toute la terre... Quand finirait une telle guerre ? Comment s’arrêterait-elle ? on ne pouvait le deviner.

Mais, si la France tressaillit, croyez bien que le vieux monde tressaillit aussi. Il avait prévu notre audace, mais pas jusque-là. Il aperçut avec terreur qu’elle nous créait d’un mot l’alliance universelle des tribus sans nom, sans nombre, infinies comme la poussière et foulées comme la poussière...

L’Angleterre jeta là l’hypocrisie, qui ne servait plus à rien. Elle arma...

Dumouriez et ses alliés, les banquiers, les prêtres, tombaient tous à la renverse. L’ambitieux général avait reçu coup sur coup des décrets, non des poignards. Avant d’être César, il avait trouvé Brutus.

Avant le décret du 15, il en reçut un du 13, qui défendait aux généraux de passer aucun marché, qui créait près d’eux des commissaires-ordonnateurs, lesquels n’ordonnaient qu’en informant le ministre et le ministre devait rendre compte à la Convention tous les huit jours.

Ainsi, Cambon sut clouer le grand gouvernail de la guerre aux mains de la Convention... Il avait traîné à la barre les hommes de Dumouriez, ces grandes puissances d’argent qui croyaient qu’on achetait tout, au besoin l’impunité. On les éplucha de près. Cambon prétendait qu’un seul, un abbé gascon, avait eu l’industrie de se faire sur les subsistances de l’armée un gain modéré, honnête, de 21000 francs par jour...

Un ordonnateur général fut envoyé pour veiller de près Dumouriez et il fut choisi parmi ces exagérés que Robespierre avait fait attaquer en octobre aux Jacobins. C’était un intime ami des hommes de la Commune et leur futur général, le poète, le militaire Ronsin... Fut-il choisi du consentement de Cambon, je n’en fais nul doute.


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