Louis XIV : Misère, agiotage et gaspillage

dimanche 12 mars 2023.
 

A) La société française sous Louis XIV : magnificence, bombance et indigence

Quand j’étais enfant, une partie des électeurs de droite se réclamaient encore du royalisme mettant souvent en avant le règne de Louis XiV durant lequel la Cour de Versailles était le centre politique et culturel de l’Europe. Il est vrai que la Seconde partie de ce règne marque l’apogée d’une alliance entre la féodalité domptée par l’absolutisme, l’Eglise catholique dévote et une nouvelle bourgeoisie.

L’historien Louis-Pierre Anquetil, presque contemporain de cette période, résume parfaitement la vie facile des nouveaux riches " Les fêtes somptueuses ne s’étendaient guère au delà de la Cour... L’exemple des nouveaux enrichis, leur facilité à prodiguer l’or comme ils l’avaient gagné, leur profusion pour la table, les équipages, les ameublements, leur prodigalité à payer les commodités et les plaisirs communiquent une espèce de frénésie de parure, de bonne chère, de jeu et de bâtiments. Tandis qu’on voyait la misère au plus haut degré et la France ruinée, il y avait des gens qui faisaient abattre comme insuffisants des palais où le plus magnifique des Rois s’était trouvé parfaitement bien logé avec toute sa Cour, pour en faire de plus beaux."

Le maréchal de Villars ajoute "Il ne sera pas inutile de faire observer que dans le même temps, l’épidémie de l’agiotage infecte d’autres contrées..." La Compagnie de la mer du Sud et l’Allée du change à Londres valaient bien la Compagnie du Mississipi et la Rue Quinquampoix de Paris. Il en était de même en Hollande.

B) Dîner servi à Versailles, à l’ambassadeur du Portugal, le 28 février 1696

Potages (12 potages)

- 12 pigeons aux choux
- 6 poulets farcis aux asperges
- 10 petits potages hors-d’œuvre
- 2 perdrix aux béatilles
- 1 canard aux navets
- 2 hauts de côtes de moutons au poireaux
- 1 poularde au riz
- 1 poularde pour potage de santé
- 4 ris de veau aux truffes et aux culs d’artichauts
- 2 poulets farcis aux oignons
- 4 pigeons au basilic

Entrées

- 1 grande entrée
- 1 pièce de bœuf de 15 kg garnie de boudin de saucisses et d’andouilles

Hors-d’œuvres

- 1 tourte de 8 pigeons
- 6 poulets fricassés
- 2 poulardes au coulis de béatilles
- 2 perdreaux
- 2 poulardes en filet
- 1 pâté haché
- 8 pigeons fricassés
- 2 pièces de veau pour fricandeau aux asperges

Rôts et entremets

Premier plat d’entremets

Pâté de jambon

2 plats de rôt

- 2 poulardes
- 2 oiseaux de rivière
- 6 poulets
- 5 perdrix

2 autres plats de rôts en plat de Savoie

- 1 poularde
- 4 poulets
- 4 perdrix
- 4 bécasses
- 4 canards

Dans un autre plat de Savoie

- 4 salades en jatte
- 4 petits plats entremets

C) 1 700 000 Français meurent de faim et de précarité en 1693 et 1694

En 1693 et 1694, deux années terribles, près de 1,7 million de Français trouvent la mort. Autant que durant la Première Guerre mondiale, mais pour une population deux fois moindre. C’est la grande purge des miséreux que la cherté du pain jette sur les chemins pour y mendier et qui meurent au hasard de leur errance.

Dans la capitale, à l’été 1694, l’heure est à l’angoisse et non encore a la colère. À l’initiative des clercs, de longues processions se forment autour de la chasse de sainte Geneviève, patronne de la cite. Sur ordre de la municipalité et appointes par elle, des « chasse-gueux » se chargent d’expulser les pauvres ; il en va ainsi également dans la plupart des villes de France. Condamnes a l’errance, les malheureux se jettent dans les champs sur le blé encore vert et le dévorent : il faut instituer un système de surveillance des récoltes. Mais la situation des campagnes n’est pas meilleure : dans bien des régions, en particulier dans le Massif central - le Limousin et l’Auvergne sont particulièrement touches —, de nombreux paysans quittent leurs villages et se lancent à leur tour sur les routes, tachant, a force de mendier, de gagner les villes ou ils espèrent trouver de la nourriture...

Quand toutes les céréales sont épuisées - le froment, le seigle, l’avoine après le blé -, es pauvres se trouvent réduits à recueillir les glands ou les fougères pour en faire une sorte de pain. Ces « méchantes herbes » achèvent de ruiner la santé des malheureux, qui enflent après y avoir eu recours. Les orties, les coquilles de noix, les troncs de chou, les pépins de raisin moulus n’ont pas meilleur effet. Les curés, qui nous renseignent sur ces tristes expédients, parlent aussi des bêtes, ( qu’on ne nourrit plus et qui meurent avant les hommes : les charognes de chiens, de chevaux et « autres animaux crevés » sont consommées en dépit de leur état de pourriture des sources indirectes mentionnent des cas de suicides et d’autres, plus rares, d’anthropophagie.

Durant tout l’été 1694, la chaleur, qui accélère la putréfaction des milliers de cadavres sur les chemins, est responsable de graves épidémies. La typhoïde, notamment, propagée par l’eau et les aliments souillés, achève ceux qui ont réussi à se nourrir un peu. Les organismes, affaiblis, sont moins féconds : la natalité, loin de compenser le nombre des morts, fléchit durant tous ces mois...

Cité par M. Lachiver, les Années de misère/ Paris, Fayard, 1991

D) 1693/1694 - une famine sous Louis XIV

Le siècle de Louis XIV et ses nombreuses guerres ont jeté la population de France dans la misère.

1693/1694 - une famine sous Louis XIV

1693 et 1694 sont, pour ne citer qu’elles, deux années terribles pendant lesquelles plus d’un million de personnes vont mourir (pertes militaires, mauvaises récoltes, épidémies, misère ….)

En 1693 après plusieurs mauvaises années, la récolte s’avère en effet très médiocre : aux Halles de Paris, en juin, un pain d’une livre coûte à un ouvrier l’équivalent d’une journée de travail.

L’hiver qui suit est exceptionnellement rude et la conjonction de la malnutrition des mois précédents et du froid intense va provoquer des une augmentation considérable du taux de mortalité.

Le printemps 1694 ne va pas arranger les choses : il est sec, beaucoup trop sec.

Conséquences : le grain devient cher et rare et la misère s’installe. On chasse les mendiants des villes quand les paysans touchés eux aussi par la misère quittent les villages et se retrouvent à mendier sur les routes pensant trouver plus de nourriture dans les villes.

Une fois toutes les céréales épuisées, les pauvres se trouvent réduits à recueillir les glands ou les fougères pour en faire une sorte de pain. Ces « méchantes herbes » ainsi que les orties, les coquilles de noix, les troncs de chou, les pépins de raisin moulus achèvent de ruiner la santé des malheureux.

Les curés, qui nous renseignent sur ces tristes « repas », parlent aussi des bêtes, qu’on ne nourrit plus et qui meurent avant les hommes : les charognes de chiens, de chevaux et « autres animaux crevés » sont consommées en dépit de leur état de pourriture.

On retrouve des hommes morts dans les prairies, la bouche pleine d’herbe « comme les bêtes » ; on avale les palettes de sang que les barbiers viennent de tirer aux malades.

Personne ne se soucie des cadavres de plus en plus nombreux sur les chemins. Ce qui avec la chaleur va entraîner des épidémies à foison : la fièvre typhoïde, la variole, …

Le prêtre stéphanois Jean Chapelon, mort en 1694, a décrit en vers la nourriture de ses contemporains durant la famine :

« Croiriez-vous qu’il y en eut, à grands coups de couteau

Ont disséqué des chiens et des chevaux,

Les ont mangés tout crus et se sont fait une fête

De faire du bouillon avec les os de la tête

Les gens durant l’hiver n’ont mangé que des raves

Et des topinambours, qui pourrissaient en cave

De la soupe d’avoine, avec des trognons de chou

Et mille saletés qu’ils trouvaient dehors

Jusqu’à aller les chercher le long des Furettes [le marché aux bestiaux]

Et se battre leur soûl pour ronger des os

Les boyaux des poulets, des dindons, des lapins

Étaient pour la plupart d’agréables morceaux ».

Monsieur de Bernage, intendant de la généralité de Limoges, ne cessera de dénoncer la misère des classes rurales sous Louis XIV et nous donne un témoignage poignant de ce qu’il voit autour de lui, dépeignant ainsi dès 1692 des malheureux dépossédés de tout "vivant dès à présent d’un reste de châtaignes à demi pourries, qui seront consommées dès le mois prochain au plus tard. Je ne comprends point dans ce nombre de pauvres tous ceux qui habitent dans les villes et les paroisses circonvoisines, non plus que de toutes les paroisses, situées entre Limoges et Angoulême, parce qu’elles ont été moins maltraitées que les autres outre qu’on y porte aisément du blé de Poitou et que les villes et les paroisses pourront secourir leurs pauvres".

Vers le nord-est de la généralité de Limoges, pour 110 paroisses, il recense 26 000 mendiants et 500 "pauvres honteux", c’est à dire des gens qui ne peuvent se résoudre à mendier et meurent de misère dans leurs villages : « la plus grande partie des habitants sont contraints d’arracher les racines de fougères les fait sécher au four et piler pour leur nourriture ».

Dans un rapport du 2 octobre 1692. M. de Bernage parcourt de nouveau sa généralité en direction du Périgord, et écrit : "... J’avoue que je ne pouvais pas croire ce que je vois. Toutes les châtaignes sont perdues, et la plus grande partie des blés noirs. Les seigles ont beaucoup soufferts il y aura si peu de vin que le prix en augmente tous les jours. Il y a un peu plus de blé que l’année dernière mais en vérité, la châtaigne et le blé noir ayant manqué, il ne suffira pas jusqu’au Carême pour la nourriture des habitants. Et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que les élections d’Angoulême et de Saint-Jean-d’Angély sont encore plus maltraitées à proportion que le Limousin. Le mal est si grand que, sans un grand remède la généralité tombera à n’en revenir de longtemps... La plus grande partie des bestiaux ayant été vendue ces deux dernières années, et la récolte étant aussi mauvaise qu’elle est, je ne sais pas de quoi on fera de l’argent pour payer les impositions".

Autre témoignage provenant de François Delaval, docteur en médecine et notaire royal à Pampelonne sur les hivers rigoureux des années 1693 et 1694 :

"Il est à remarquer à la postérité que l’année mil six cens nonante trois, nonante quatre, ont este des annés acablés de fléaux et de malheurs, la guerre estant extraordinairement eschauffée dans toute l’Europe, les maladies populaires si grandes dans notre royaume qu’il mourut une troisième partie du peuple, presque dans toutes les parroisses, et une disette aussi tellement grande que la plus grande partie mourut de faim, estant en obligation de brouter les herbes, manger les orties et aussi plantes des qu’elles commencèrent à sortir de terre dans le printemps. Le seigle se vendit en ce pais 24 livres le cestier Le fromant 28 livres le cestier Le millet gros et les grosses feves 50 livres la mesure. Et la pipe du vin du pais iusques à vint cinq escus. Les souches des vignes toutes mortes par la vigueur des deux hivers de 1694 et 1693. Et l’année 1693 point de chastaignes. Dans laquelle années les fléaux commencèrent."

Toute cette misère n’empêchera pas la monarchie de mettre en place dès 1695 un nouvel impôt, la capitation.

Sources

Lachiver, les Années de misère - Paris, Fayard, 1991.

http://archives.tarn.fr/fileadmin/t...

Sources :

TDC n°687 (Versailles et Louis XIV Le miroir de l’absolutisme)

Louis XIV, sa cour et le régent :

http://books.google.fr/books?id=MFs...


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