Les aides financières de l’État à la presse et le pluralisme

dimanche 15 mai 2022.
 

Le pluralisme idéologique de la presse : réalité ou fiction ?

Dans l’article : Médias : La télé–implémentation du biologiciel libéral dans les 45 millions de cerveaux connectésj’avais surtout insisté sur l’impact des médias audio visuels.

Mais la presse écrite nationale comme régionale ou locale joue un rôle aussi important dans la formation des opinions notamment politiques. Pour connaître la diffusion de l’ensemble de la presse, on peut consulter le site de l’OJD.

Comme pour les médias audiovisuels, la presse est globalement un vecteur du système TINA (there is no alternative). Voir sur ce point l’article du Monde diplomatique d’août 2007 :Le lavage de cerveau en liberté Évidemment il existe quelques exceptions dont l’une va mériter notre attention.

Pour s’en convaincre, il suffit de faire le comptage suivant, en se limitant par exemple à la presse d’information générale et politique : Presse libérale de droite ; presse libérale de gauche ; presse non libérale de gauche. On s’aperçoit vite combien cette dernière catégorie est extrêmement minoritaire. Or, un journal particulièrement remarquable faisant partie de cette catégorie non libérale est L’Humanité

Le Journal l’Humanitéfondé en 1904 par Jaurès a joué un rôle important dans l’histoire sociale et politique de notre pays. Il est l’un des rares à avoir survécu si longtemps aux péripéties de notre histoire tourmentée.

Je ne raconterai pas ici son itinéraire : Il suffit de consulter, entre autres, l’encyclopédie en ligne Wikipédia.Malheureusement, comme une bonne partie de la presse, l’Humanité souffre depuis de nombreuses années (notamment depuis 2007) d’un déficit de diffusion pour assurer son équilibre financier.

Ce journal doit affronter trois difficultés : il n’est guère favorable aux pouvoirs successifs en place et à la toute puissance des groupes financiers qui contrôlent les annonceurs et d’autre part ses ressources publicitaires sont très limitées.

Certains considèrent que les aides de l’État à l’Humanité sont excessives alors que la publication récente du rapport des aides à la presse par le ministère de la culture montre que cette aide est de l’ordre de 6,3 millions d’euros le situant à la 11e place. L’aide totale par numéro est de 0,53 Euros.

Il est vrai que "l’Humanité est, avec La Croix et Libération, l’un des trois quotidiens nationaux bénéficiaires de subventions de l’État au titre de l’« aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires », instituée par le décret n°86-616 du 12 mars 1986" (Source : Wikipédia)

Remarquons que des aides accordées à des journaux comme Le Monde (18,6Millions d’euros), Le Figaro (18, 2 millions €), Ouest-France (11,9 millions d’euros),Libération (10,7 millions d’euros), Aujourd’hui en France et Le Nouvel observasteur (9,3 Millions d’euros) sont nettement plus importantes L’Humanité est devancé par Télé 7jours au 10e rang. Source : ministère de la culture

Comme le faisait remarquer une élue du PG (Morel Darleux), la somme des aides accordées aux magazines de télévision est d’environ 28 millions d’euros, ce qui n’est pas sans poser questions ! .

Personne ne s’est aventuré à faire le calcul suivant : d’une part la somme des aides de l’État accordées à la presse libérale de droite, de la somme des aides accordées à la presse libérale de gauche d’une part et d’autre part la somme des aides accordées à la presse critique non libérale comme l’Humanité.

La disproportion est alors gigantesque. L’Humanité est quasiment le seul à appartenir à cette troisième catégorie non libérale. Peut-on alors parler vraiment de pluralisme idéologique ?

On ne peut donc que sourire en entendant les cris d’onfraie d’un certain nombre de commentateurs de droite et d’extrême droite concernant l’aide apportée au journal l’Humanité votée à l’Assemblée nationale en décembre 2013 pour effacer sa dette de 4 millions d’euros qui lui restait à verser suite à un emprunt contracté en 2002.

Le total de l’aide ainsi accordée et du remboursement de la dette correspond à peu près au montant de l’aide accordée au magazine Télérama (dont je ne juge pas ici de la légitimité). Ce total reste inférieur à l’aide accordée au journal La Croix (10,7 millions d’euros)

Cependant, on peut regretter que le journal n’ait pas donné d’explication sur les raisons de l’effacement de cette dette (que je considère pour ma part comme légitime et nécessaire, compte tenu de des éléments exposés ici). Cette absence d’explication, (sauf erreur de ma part), peut favoriser l’émergence de toutes sortes d’interprétations hostiles ou infondées. Quoi qu’il en soit, les députés ont eu raison de voter l’amendement permettant l’effacement de la dette

Un autre calcul intéressant à faire est le suivant : faire le total des aides accordées par l’État à la presse économique libérale et d’autre part l’aide accordée au magazine pluraliste et indépendant Alternatives économiques (190e rang sur 200, aide de 176 320 €). On ne peut alors être étonné que l’économie libérale règne en maître au royaume de la presse

Autre comparaison possible : le total des aides accordées à la presse scientifique et de formation et total des aides accordées à la presse people  : là encore, l’écart est vertigineux. On peut donc légitimement s’interroger sur la manière dont les aides sont réparties.

Revenons à l’Humanité. Ce journal mériterait mieux que sa diffusion actuelle (37 634 exemplaires par tirage en moyenne si l’on considère les chiffres du ministère de la culture 11 779 384 de tirage annuel divisé par 313 jours de l’année en retirant les 52 dimanches) compte tenue de son bon niveau intellectuel, de la qualité de ses articles et de sa capacité à ne pas se laisser enfermer dans une vision trop partisane contrairement à un préjugé souvent répandu.

Trop de gens considèrent que ce journal ne se réduit qu’à relater les péripéties des conflits sociaux. Certes, il le fait, et c’est d’ailleurs l’une de ses missions historiques mais ce journal peut se montrer par ailleurs riche en articles de fond tant dans le domaine économique que dans le domaine culturel.

Ce n’est pas par hasard que c’est le seul journal à publier des textes relativement arides comme celui du traité constitutionnel européen en 2005 et d’autres textes du même genre depuis, considérés comme réservés à des experts. Il contribue ainsi à ce que certains appellent la "formation populaire".

On peut espérer que ce journal retrouve un nouveau souffle en s’articulant par exemple sur la presse numérique.

L’Humanité est l’un des rares journaux à contribuer à un véritable pluralisme idéologique dans notre pays même si Internet, il est vrai, permet aussi une expression de ce pluralisme.

Hervé Debonrivage


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