Françoise Laurant "Encore un tour de vis et le droit à l’avortement sera menacé en France"

mardi 25 février 2014.
 

Dans votre rapport sur la prise en charge de l’IVG en France, vous dressez un constat alarmant…

Françoise Laurant. C’est la situation qui est alarmante. En France, le droit à l’IVG 
n’est pas conçu comme un droit 
à l’égal des autres droits. 
Les femmes ne se sentent pas légitimées quand elles se trouvent confrontées à ce problème. 
Il faut changer cette mentalité 
et améliorer l’accès à l’avortement. Aujourd’hui, elles sont obligées d’effectuer un véritable parcours de la combattante dans certaines zones. Et ce parce qu’en dix ans
pas moins de 130 centres d’IVG 
ont fermé ou été regroupés au sein des gros mastodontes hospitaliers, en général loin des centres-villes. Or, dans ces structures, l’avortement n’est pas considéré comme une activité médicale valorisante. Tout le monde croit que cela marche correctement mais ce n’est pas vrai.

Pourquoi les femmes culpabilisent-elles en demandant une IVG  ?

Françoise Laurant. Ce n’est pas 
un acte naturel, souvent 
il faut qu’elles présentent 
des excuses ou des explications. 
On les sermonne en leur disant qu’elles auraient dû faire autrement, être plus sérieuses… Pourtant, 
les deux tiers d’entre elles étaient sous contraceptif, ce qui montre que ce n’est pas infaillible. Tout 
est renvoyé sur les femmes et pas sur un système qui ne fonctionne pas. Le mot «  culpabilisation  » 
n’est pas exagéré.

Comment expliquez-vous que la France en arrive à cette situation  ?

Françoise Laurant. En France, plus que dans d’autres pays, 
on a l’impression que dès qu’une loi est votée, tout est réglé. 
On suit rarement son application 
et ses éventuelles insuffisances. 
Les politiques et l’administration savent que cela ne fonctionne pas bien, mais ne font rien pour améliorer les choses. L’IVG n’est pas vécue comme un devoir 
du système de santé comme c’est
 le cas pour la maternité.

Peut-on, dans ce cas, penser que l’exercice du droit à l’avortement 
est menacé  ?

Françoise Laurant. Je dirais plutôt qu’il est handicapé. Un deuxième tour de vis et la question 
de la menace se poseraient sérieusement.

Comment expliquez-vous que 
des tentatives de remise en cause 
du droit à l’IVG se fassent jour 
en Europe  ?

Françoise Laurant. Il y a dans 
un certain nombre de pays, telles la Pologne ou l’Espagne, un recul manifeste de la loi, quand ce n’est pas sa suppression pure et simple. Les lobbys religieux y sont pour quelque chose. D’autant que l’Union européenne, franchement de droite, relaie leurs exigences. On l’a vu avec le rejet récent du rapport Estrela (lire le point de vue, en page 3). Les forces conservatrices sont très écoutées par l’UE. Même si elles ont toujours existé, ces forces ont aujourd’hui tribune ouverte. En France, les anti-mariage pour tous se sont constitués en mouvement politique. Lequel se bat contre l’avortement, contre l’homoparentalité, contre l’éducation à la sexualité, contre les études de genre, contre l’égalité entre les femmes et les hommes. 
Ils agissent activement.

Vous êtes inquiète  ?

Françoise Laurant. Oui. Des forces progressistes, même militantes, 
ne sentent pas que l’on assiste 
à un vrai enjeu politique. 
Ce mouvement n’est pas seulement une illustration du conservatisme, il est politique. Ainsi, parmi les mails envoyés aux parlementaires européens contre le rapport Estrela, 40 % provenaient de France, orchestrés par les militants 
de la Manif pour tous.

Entretien réalisé par Mina Kaci, L’Humanité


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