27 janvier 1789 Soulèvement à Rennes des jeunes Bretons du Tiers-état face aux ratonnades nobles

dimanche 28 janvier 2024.
 

1) Poussée de forces anti-féodales en Bretagne

1a) La bourgeoisie

Le docteur Guépin a bien décrit la montée en puissance de la bourgeoisie bretonne entreprenante face à une noblesse arrogante mais de plus en plus désargentée.

- commerce transatlantique (boeuf salé, textiles, vin, denrées antillaises, commerce triangulaire...)

- industrie : fabrique d’indiennes, de toiles, de cordages, de clouterie, de coton...

- organisation de classe par la Chambre de commerce fondée en 1646

1b) La préparation des Etats de Bretagne

La bourgeoisie engage le combat dès les réunions convoquées pour l’élection de délégués, à Nantes le 1er novembre 1788.

" Elle ne voulait plus que les États de Bretagne fussent une parade aristocratique où le Tiers-État ne figurait que pour voter des subsides.

Elle demande au bureau municipal :

1° que le Tiers-Etat ait un député, avec voix délibératives par dix mille habitants ; que ce député ne puisse être ni noble, ni anobli, ni délégué, sénéchal, procureur fiscal ou fermier du seigneur ;

2° que l’élection de ces députés soit à deux degrés ;

3° que les députés du Tiers-État soient égaux en nombre à ceux des deux autres ordres, dans toutes les délibérations et que les voix soient comptées par tête ;

4° que les corvées personnelles soient abolies et l’impôt également réparti sur toutes les possessions. (Docteur Guépin)

1c) Les ouvriers mobilisés imposent la défaite du clan noble

Le bureau municipal de Nantes comprend des notables farouchement opposés à ces revendications démocratiques. Aussi, il refuse de les prendre en compte.

" Pour tout emporter, la bourgeoisie nantaise va fait appel au peuple ; les ouvriers, sortis des manufactures et des ateliers, enveloppèrent la salle où le bureau municipal délibérait, et des milliers de prolétaires, réunis pour faire peur aux récalcitrants, décidèrent la première victoire révolutionnaire." (Guépin).

1d) L’influence idéologique de la pensée des Lumières

Le futur député constituant Constantin-François Chassebœuf (qui se fait appeler Volney, contraction de Voltaire et Ferney), athée comme D’Holbach, publie La Sentinelle puis La Sentinelle du peuple en 1788 1789. Il diffuse également une brochure intitulée Conditions nécessaires à la légalité des États généraux.

D’autres journaux paraissent comme le Hérault de la Nation qui veut rallier les ruraux à la bourgeoisie patriote urbaine.

2) Etats de Bretagne et journée des Bricoles

Les etats provinciaux se réunissent le 30 décembre 1788.

Le Tiers demande immédiatement à être représenté en nombre égal aux deux autres ordres réunis, le vote par tête et l’égale répartition des impositions. Il refuse de participer aux travaux tant qu’il n’a pas obtenu satisfaction sur ces trois points. La noblesse refuse. Le ton monte de plus en plus obligeant le roi à suspendre les séances.

Les représentants du Tiers retournent alors auprès de leurs électeurs. Des réunions nombreuses et animées s’organisent par paroisse. Le compte rendu des positions de la noblesse est même traduit en breton.

Dépitée par cette offensive du Tiers et en particulier de la jeunesse, la noblesse organise un rassemblement le 26 janvier 1789 à Rennes, en faisant craindre la perte de leur emploi par leurs domestiques (laquais, portefaix, porteurs d’eau, cuisinières, porte-chaises...) et en jouant sur les difficultés populaires en particulier devant la hausse des prix. Lors de cette Journée des Bricoles (lanières de cuir passées autour du cou pour traîner une voiture) ces employés de la noblesse attaquent, frappent et blessent des bourgeois, surtout des étudiants.

Le Parlement de Bretagne apporte son soutien à cette ratonnade pour la défense des privilèges.

Suite à l’agression d’un ouvrier grièvement blessé par des laquais de grands seigneurs, de jeunes bretons s’assemblent le lendemain 27 et marchent sur le rassemblement noble. Le combat laisse des morts et des blessés sur le carreau. Dirigés par le futur général Moreau, alors étudiant, beaucoup de jeunes traversent la ville en ne cachant plus leurs armes (pistolets, épées), signe supplémentaire d’une montée pré-révolutionnaire

Le 28, le Parlement commence à instruire des plaintes contre les hommes du Tiers. Un véritable soulèvement armé se déclenche alors, une marée déferlant sur Rennes (par exemple 900 jeunes de Nantes et 600 des environs de cette ville).

3) La montée d’un soulèvement antinobiliaire

Prenons seulement pour exemple trois proclamations votées par des jeunes de Bretagne à leur départ pour Rennes.

3a) Proclamation des jeunes de Nantes

« Frémissant d’horreur à la nouvelle de l’assassinat commis à Rennes à l’instigation de plusieurs membres de la noblesse… ordre dont l’égoïsme forcené ne voit dans la misère et les larmes des malheureux qu’un tribut odieux qu’ils voudraient étendre jusque sur les races futures… voulant rompre le dernier anneau de la chaîne qui nous lie… avons arrêté de partir en nombre suffisant pour en imposer aux vils exécuteurs des fanatiques aristocrates… »

3b) Proclamation des jeunes d’Angers

« Considérant que dans le moment où la liberté française touche à sa régénération, il n’est pas un véritable citoyen qui ne voie avec indignation l’aristocratie…

« Qu’une pareille forme de gouvernement, qui suppose des esclaves, ne peut être regardée que comme une violation des droits les plus sains de la nature…

« Avons délibéré et unanimement arrêté qu’en qualité d’hommes et de citoyens, nous sommes et serons toujours prêts à voler au secours de nos frères injustement opprimés… que, désirant uniquement recouvrer des droits inaliénables et imprescriptibles… nous ne nous opposerons qu’aux prétentions révoltantes que quelques membres de l’état oseraient élever contre les pouvoirs incontestables et la légitime autorité de la nation. »

3c) « Arrêté des mères, sœurs, épouses et amantes des jeunes citoyens d’Angers »

« Nous… assemblées extraordinairement Déclarons que si les troubles recommençaient… tous les ordres de citoyens se réunissant pour la cause commune, nous nous joindrons à la nation dont les intérêts sont les nôtres…

« Nous périrons plutôt que d’abandonner nos amants, nos époux, nos fils et nos frères, préférant la gloire de partager leurs dangers à la sécurité d’une honteuse inaction… »

3d) Contexte de mobilisation populaire

Les difficultés climatiques et la spéculation jouent dans le sens d’une hausse des prix pour les denrées de base de l’alimentation populaire, d’où une radicalité populaire qui rejoint la mobilisation étudiante.

8 juin 1783 Volcan Laki Eyjafjöll en éruption : Contribution du climat au déclenchement de la Révolution française

Ainsi, les tentatives de la noblesse pour écraser les aspirations démocratiques, se soldent par des échecs face à la masse d’un peuple de plus en plus décidé à prendre en mains son avenir.

Jacques Serieys

Ce texte fait partie d’un article plus complet auquel le lecteur peut accéder en cliquant sur le titre ci-dessous

1788 1789 Une situation prérévolutionnaire : Assemblée de Vizille (21 juillet), Etats de Franche-Comté, Etats de Bretagne..

Les 3 précédents articles de cette série 1789 2009 :

* 220ème anniversaire de la Révolution française. Défendons-la. Plan des articles de notre rubrique (1789 2009 1ère partie)

* Sur les causes structurelles de la Révolution française (1789 2009 2ème partie)

* Vive la Révolution française qui a balayé l’Ancien régime, son roi omnipotent, son haut clergé parasite, sa noblesse inhumaine et sa justice arbitraire (1789 2009 3ème partie)

Suite dans nos deux articles ci-dessous, également mis en ligne :

* 1788 1789 Une situation prérévolutionnaire : journée des Tuiles, Etats de Franche-Comté, Etats de Bretagne... (1789 2009 6ème partie)

* Cahiers de doléances et préparation des Etats Généraux de 1789 accroissent l’aspiration à la justice sociale et l’implication politique populaire (1789 2009 7ème partie)



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