1788 1789 Une situation prérévolutionnaire : Journée des Tuiles, Assemblée de Vizille, Etats de Franche-Comté, Etats de Bretagne..

dimanche 8 octobre 2023.
 

Le pouvoir royal d’Ancien régime dispose de forces de l’ordre peu nombreuses (en milieu rural environ 1 cavalier de la maréchaussée pour 7000 à 8000 personnes) ; à cette époque, ni brigade locale de gendarmerie, ni commissariat, ni compagnies de CRS ou gardes mobiles. Dans un contexte de misère, d’injustice sociale totale, de mépris quotidien, les troubles sont assez fréquents contre les impôts, contre un seigneur, contre un patron, suite à une famine… Les émotions locales se radicalisent , parfois même se généralisent jusqu’à l’intervention de l’armée.

Ce phénomène général de la France d’Ancien régime s’aggrave dans les années 1780, particulièrement en 1784 et 1788 pour atteindre une apogée de janvier à avril 1789 (310 émeutes sérieuses). Les rares interventions de l’armée ne font qu’aggraver les insurrections. A ce moment-là, on ne peut plus parler de rébellions locales endémiques ; il s’agit d’une véritable crise prérévolutionnaire durant laquelle la société civile s’émancipe de sa soumission sociale et politique.

1788 1789 Une situation prérévolutionnaire : Assemblée de Vizille (21 juillet), Etats de Franche-Comté, Etats de Bretagne...

1) 1788, un film pertinent sur les campagnes françaises à la veille de la Révolution

Voilà un vrai film historique, précis et juste dans ses décors, ses costumes, ses dialogues, ses personnages, son évocation du contexte général. L’action se déroule en Touraine près de Chinon ; en fait, elle rend compte de la vie rurale française de l’été 1788 à l’été 1789.

Ce film décrit parfaitement :

• en 1788, l’exploitation et l’oppression subies par des paysans qui ont intégré leur situation en bas de l’échelle sociale comme une réalité injuste mais immuable, reflétée par l’écrasement de leurs masures à l’ombre du château et de l’église. La collusion du comte, des gardes, du haut clergé, du juge…, fait peser une véritable chape de plomb sur des paysans sans cesse au seuil de l’exclusion sociale, du fait en particulier d’impôts et redevances prélevés dans des conditions laissant une large part à l’arbitraire.

• le raidissement des nobles dans la défense de leur statut social symbolique et de leurs intérêts, voulant faire payer aux paysans, le prestige et la fortune que l’évolution économique est en train de leur faire perdre.

• L’évolution d’une communauté paysanne au départ résignée qui va gagner en confiance, en unité, en capacité d’action collective. Autour de ses enfants éduqués, elle va même s’intéresser peu à peu aux questions politiques générales.

• Le rôle majeur de la convocation des Etats Généraux premièrement par la lueur d’espérance qu’elle fait naître, deuxièmement par la prise de conscience collective qu’elle éveille au travers du cahier de doléances, troisièmement par le surgissement d’une nouvelle légalité, celle des élus.

A l’été 1788, chaque paysan est courbé sur sa faucille, écrasé par la peur du seigneur, de son juge et de ses soldats. A l’été 1789, les paysans envahissent le château, jettent les titres par les fenêtres, détruisent les barrières, apprennent l’abolition à Paris des privilèges et droits féodaux. Le monde rural vénère encore son roi mais il est déjà entré dans la Révolution française.

2) Grenoble le 7 juin 1788 : la journée des Tuiles

Durant tout le printemps 1788, les mauvaises récoltes succédant aux inondations de 1787 ainsi que la hausse du prix du pain, alimentent souffrance et effervescence populaire.

Au même moment, tous les Parlements de France sont mobilisés contre la réforme judiciaire du Garde des Sceaux Lamoignon de Bâville. Cette colère tourne à la rébellion en Dauphiné. Le Parlement de Grenoble transmet les doléances du peuple auprès du roi Louis XVI et proteste vivement contre les édits Lamoignon.

Mis en vacances d’office, ce Parlement se réunit néanmoins le 20 mai. Il met au point une proclamation qui ouvre une sorte de double pouvoir entre d’une part l’autorité royale, d’autre part la province du Dauphiné, unie autour de sa prospère bourgeoisie (industrielle en particulier). « Le Parlement du Dauphiné se regarderait comme entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain » si les édits Lamoignon étaient maintenus.

Par des soldats, le lieutenant général de la province fait remettre aux parlementaires des lettres de cachet les exilant sur leurs terres. L’agitation se transforme alors en embrasement.

Le 7 juin, le tocsin sonne. Des employés de justice qui perdent leur emploi dans cette affaire, contribuent à ameuter la population. Le gouverneur engage la garnison pour mater les débordements. De nombreux émeutiers montent sur les toits jetant des tuiles et autres projectiles sur les soldats ; d’autres s’emparent des portes de la ville. En fin d’après-midi, les insurgés sont maîtres de la ville et réinstallent les parlementaires dans le Palais de justice.

3) L’Assemblée de Vizille (21 juillet 1788)

Dans la foulée de la Journée des tuiles, une assemblée se réunit à Grenoble le 14 juin 1788. Elle décide la convocation d’une assemblée représentative de la province selon les règles des Etats Généraux du royaume. La campagne électorale fait apparaître des contradictions entre trois aspirations :

• celle des nobles focalisés sur les édits Lamoignon, comme s’ils commençaient une nouvelle Fronde

• celle des bourgeois et intellectuels démocrates qui souhaitent une révolution démocratique du type anglais ou américain

• celle du peuple touché par la crise économique qui attend d’abord des réponses à ses besoins matériels

Une fois constituée, cette assemblée s’unit cependant sur des points importants. Le 21 juillet 1788, les élus du Dauphiné (50 pour le clergé, 165 pour la noblesse, 276 pour le Tiers Etat) tiennent séance à Vizille dans le château de l’industriel Claude Périer. Ils demandent ensemble :

• le rappel du Parlement,

• le rétablissement d’états provinciaux avec représentation égale du Tiers par rapport aux deux autres ordres

• le vote par tête lors de ces états

• la réunion d’états généraux du royaume.

Ces revendications expriment la volonté des nobles de préserver leurs privilèges et leur fonction sociale dans la féodalité (rappel du Parlement) ainsi que les aspirations démocratiques antiféodales (assemblée représentative, vote par tête des élus). Elles affaiblissent le pouvoir royal, de plus en plus acculé à la convocation d’états généraux du royaume pour sortir de l’impasse financière et politique.

4) Les Etats de Franche Comté

Le compromis factice et conjoncturel du Dauphiné contracté essentiellement entre noblesse et bourgeoisie industrielle explose bientôt dans d’autres provinces. C’est d’abord le cas lors des Etats de Franche Comté. Les élus du Tiers votent pour que leurs délégués aux Etats du royaume soient aussi nombreux que ceux de la noblesse et du clergé réunis ; les élus de la haute noblesse et du clergé adoptent la position inverse avec le soutien du Parlement provincial.

Les considérants avancés par les magistrats de Besançon contre le doublement des élus du Tiers sont intéressants par leur description de l’état du pays comme faisant craindre une révolution « Considérant que la fermentation qui règne dans le royaume… est excitée par une multitude d’écrits… opinions et assertions (qui) tendent à détruire toute subordination, à élever des insurrections contre l’autorité légitime… et à ébranler, peut-être même à renverser la monarchie… »

Leur texte représente déjà une sorte d’argumentaire de défense des privilèges de la noblesse fondés sur la propriété féodale (fief).

• « Considérant que l’immunité des fiefs… est un droit réel… par une possession de plus de mille ans

• « Que les droits les plus sacrés… celui même de succession au trône n’ont d’autre fondement qu’une possession semblable

• « Que l’exemption d’impôt, fait partie du prix des ventes

• « Que toutes les innovations sont dangereuses parce que l’esprit novateur ne s’arrête point dans son cours

• « Que l’inégalité dans la distribution des biens est dans les décrets de la Providence… »

Contre un tel arrêt de son Parlement, le peuple de Besançon se soulève. Des magistrats sont insultés et attaqués ; leur palais est assiégé et pris, ne leur laissant que la fuite pour salut.

Que fait le Roi ? Il casse le décret du Parlement. Le calme revient temporairement.

5) 27 janvier 1789 Soulèvement à Rennes des jeunes bretons du Tiers-état face aux ratonnades nobles. Un avant-goût de la Révolution française

Pour accéder à cette partie 5, cliquez sur le titre 5 ci-dessus.

6) A la veille des Etats généraux de 1789, la crise prérévolutionnaire s’aggrave : émeutes de Besançon et Amiens, émeute Réveillon (28 avril)

Pour accéder à cette partie 6, cliquez sur le titre 6 ci-dessus.

7) Une situation prérévolutionnaire avancée en Provence (Aix Marseille)

C’est dans cette province que le climat d’affrontement entre classes sociales paraît le plus aigu. Le peuple y souffre particulièrement de la faim. De grands rassemblements sur Toulon, Marseille, Aix montrent sa combativité. La situation devient extrêmement tendue : des bandes de paysans parcourent les campagnes, menaçant fermes et châteaux.

Or, l’aristocratie provençale est particulièrement vindicative pour défendre ses intérêts. L’évêque de Sisteron se fait connaître comme un opposant résolu du Tiers-état ; un soulèvement paysan le poursuit par les routes puis l’assiège ; il est sauvé par Mirabeau qui dispose d’une grande popularité dans le mouvement social local en cours.

Les accapareurs de blé et de farine se voient obligés de vendre leurs dépôts sur les marchés.

Voilà dans quel contexte se sont discutés les cahiers de doléances et les élections aux Etats généraux qui feront l’objet de notre prochain article : Cahiers de doléances et préparation des Etats Généraux de 1789 accroissent l’aspiration à la justice sociale et l’implication politique populaire (1789 2009 7ème partie)

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Les 5 précédents articles de cette série 1789 2009 :

* 220ème anniversaire de la Révolution française. Défendons-la. Plan des articles de notre rubrique (1789 2009 1ère partie)

* Sur les causes structurelles de la Révolution française (1789 2009 2ème partie)

* Vive la Révolution française qui a balayé l’Ancien régime, son roi omnipotent, son haut clergé parasite, sa noblesse inhumaine et sa justice arbitraire (1789 2009 3ème partie)

* Crise de l’Ancien régime et convocation des Etats Généraux (1789 2009 4ème partie)

* Marat, Robespierre et Saint Just avant la Révolution française (1789 2009 5ème partie)

Jacques Serieys


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