Sarkozy, l’ami de la grande bourgeoisie

vendredi 22 octobre 2010.
 

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon forment un couple de sociologues atypiques. Au lieu de faire des enquêtes dans les milieux populaires, ouvriers comme certains de leurs collègues, ils dissèquent depuis vingt ans le milieu de la grande bourgeoisie, celui de « l’oligarchie de l’argent ». Leur nouvelle enquête, « le Président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy », est un livre de combat. A peine sorti le livre est en tête de gondoles dans les librairies, ce qui n’est pas pour nous déplaire tant leurs thèses sont en résonnance avec notre analyse politique !

Un livre pour se souvenir

Chiffres et faits à l’appui, ils démontrent comment la France se transforme en oligarchie, en un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personne, à une classe restreinte et privilégiée. Le pouvoir actuel est au service d’une classe, la grande bourgeoisie, dont Nicolas Sarkozy s’est fait le porte-parole. Choqués par la soirée au Fouquet’s, puis par les vacances sur le Yacht de Bolloré, les deux sociologues ont décidé, dès le lendemain de la victoire sarkozyste, de tenir un journal d’enquête qui a abouti à cet ouvrage. Ils racontent « en un récit tragi-comique, les cadeaux faits aux plus riches et les réformes rétrogrades qui conduisent à l’appauvrissement des plus pauvres. »

En compilant ces faits, les Pinçon nous offrent un bilan d’étape de la Sarkozie, et prouvent que le gouvernement mène systématiquement une politique en faveur des nantis. Une démarche d’autant plus précieuse que le mode de gouvernement de l’ « omniprésident » privilégie à la fois l’urgence absolue (un évènement en chasse un autre toutes les heures), le double discours (il n’est pas rare qu’une chose et son contraire soient annoncées le même jour) mais aussi le mensonge pur et simple, en disant une chose mais faisant son contraire. Un des exemples les plus explicites concerne la « moralisation du capitalisme » et la pseudo-fin des paradis fiscaux. En atteste la vaste blague de la liste noire établie en janvier 2009 des pays « fiscalement non coopératifs », dix huit micros états, qui n’accueillent que 0,6 % des 500 milliards d’euros français installés dans des paradis fiscaux !

Des cadeaux pour les riches

De longs développements sont consacrés à la contre-révolution fiscale de l’été 2007, durant laquelle le seuil du bouclier fiscal a été abaissé de 60 à 50 %, de nouvelles niches fiscales créées et les droits sur les successions et donations quasiment supprimés. Six pour cent des contribuables concernés par le bouclier fiscal ont récupéré 63% du total des restitutions. Un accaparement à l’opposé du partage des richesses ! « 979 bénéficiaires du bouclier fiscal se sont vu restituer 368 millions d’euros, soit un moyenne de 376 134 euros, qui atteint les six millions pour les dix les plus favorisés. Pour Liliane Bettencourt, troisième fortune professionnelle de France, avec 17 milliards d’euros, ce sera 30 millions, soit plus de 5 % du coût global du bouclier. »

La défiscalisation quasi-totale des successions et des donations, deux mois après l’élection présidentielle, montre les honneurs que Nicolas Sarkozy octroie à un milieu dont l’héritage forme la clef de voûte. Les Pinçon ont calculé qu’ « un enfant peut recevoir, tous les six ans, des donations pour un montant cumulé de 313 948 euros ». Ils estiment que deux milliards et demi d’euros sont octroyés chaque année pour « favoriser la transmission des patrimoines familiaux et la pérennité de la classe dominante. Le capitalisme héréditaire est assumé... » « Le sacre de Nicolas Sarkozy est celui du racisme social. L’argent ne doit plus se cacher, il est la consécration naturelle du talent, du courage, de l’utilité sociale et de toute réussite. »

Un autre épisode a permis à Sarkozy de faire sienne la devise de Guizot « Enrichissez-vous » : celui du sauvetage des banques. La dette contractée par l’État pour renflouer les banques au cœur de la crise financière de l’automne 2008 creuse le déficit tout en renflouant les rentiers ! « Les coûts du remboursement de la dette, liée notamment à tous ces cadeaux faits aux riches, doivent être couverts au prix de coupes sévères dans les dépenses publiques et sociales. » Les profits restent privés mais la dette est socialisée ! Ainsi, il a été décidé d’« aider les banques... mais sans se mêler de leurs affaires. L’absence de contrôle sur l’utilisation de ces milliards d’euros a permis une relance de l’activité spéculative, qui avait justement mené à la crise ». Les Pinçon démontrent également comment l’État organise sa propre insolvabilité.

La menace népotique

Des anecdotes plus personnelles sont égrenées tout au long de l’ouvrage. Quelques épisodes croustillants illustrent le népotisme du Président. La liste d’amis intimes directement favorisés par le pouvoir est réellement impressionnante, les détails des petits arrangements troublants. Les conflits d’intérêts fourmillent. Un exemple : le lendemain de la mort de dix soldats français en Afghanistan, en août 2008, N. Sarkozy participe à une réunion de copropriétaires au Cap Nègre, en présence du Préfet du Var, pour régler un problème majeur : l’installation du tout-à-l’égout dans la demeure des Bruni-Tedeschi. La famille, c’est sacré ! On l’a vu quand le Président a tenté d’installer son fils à la présidence de l’EPAD. Garder un contrôle total du fief « Hauts-de-Seine » semble être une préoccupation majeure du Président. Ainsi, les Pinçon montrent comment le projet de loi sur le Grand Paris favorise essentiellement les intérêts du 92.

Les riches pour exemple

De peur que ce constat ne nous désespère, les Pinçon nous offrent quelques pistes d’action. Force est de constater que nous sommes sur la même longueur d’onde ! Ils nous invitent à restituer l’intelligibilité des rapports de classe. C’est justement l’objectif du livre « Classes en lutte » qui vient de paraître chez Bruno Leprince et auquel les Pinçon ont contribué. Pour mettre fin à l’oligarchie politique, ils proposent de supprimer le cumul des mandats et d’interdire que des représentants du peuple puissent continuer à exercer leur profession d’avocat d’affaires. La piste du vote obligatoire est évoquée. Mais surtout, il s’agit, comme nous nous échinons à le dire depuis le référendum de 2005, de « respecter les résultats électoraux ! » Pour porter des coups fatals à l’oligarchie économique et financière, les Pinçon invitent à nationaliser les banques et les agences de notations, à interdire la titrisation, à supprimer la Bourse et à limiter le cumul des mandats dans les conseils d’administration. Enfin, dans un épilogue intitulé « Que faire des riches ? », Michel et Monique nous engagent simplement à « faire des riches notre exemple », dans la mesure où leur puissance est due à leur solidarité. Il nous faut donc sortir de notre « individualisme négatif où le chacun pour soi tend à dominer ». Et si militer était la solution ?

Jeanne Fidaz

Le président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Ed.Zones. Classes en lutte, collectif, Bruno Leprince éditions


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message