Poèmes : l’argent roi (Anacréon, La Fontaine, Hésiode, Théognis...)

lundi 9 janvier 2023.
 

La tradition grecque présente Hésiode comme un petit paysan d’Ascra en Béotie. Il se plaint de l’oppression dont souffrent les petites gens, de l’injustice croissante, de la suprématie des riches. Il déplore en termes émouvants la disparition de l’âge d’or, où "l’on travaillait paisiblement, de sa propre volonté, avec des biens bénis."

A) Anacréon (poète grec antique, seconde moitié du 6ème siècle)

Que sert d’invoquer aujourd’hui

Sagesse, honneur, vertu, naissance ?

Amour voit tout cela d’un oeil indifférent.

Par l’argent il est ébloui.

Honte à qui le premier laissa naître en son âme

La soif de ce métal infâme !

Par lui, point de parents, de frères, ni d’amis

Par lui le meurtre et la guerre

D’un bout à l’autre ensanglantent la terre.

Et cependant il a fait encore pis.

Il a détruit l’amour !

B) Les deux Mulets (Jean de La Fontaine)

Deux mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,

L’autre portant l’argent de la gabelle.

Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,

N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

Il marchait d’un pas relevé,

Et faisait sonner sa sonnette :

Quand l’ennemi se présentant,

Comme il en voulait à l’argent,

Sur le mulet du fisc une troupe se jette,

Le saisit au frein et l’arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups ; il gémit, il soupire.

" Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?

Ce mulet qui me suit du danger se retire ;

Et moi j’y tombe, et je péris !

- Ami, lui dit son camarade,

Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi :

Si tu n’avais servi qu’un meunier, comme moi,

Tu ne serais pas si malade. "

Les deux Mulets Poèmes de Jean de La Fontaine

C) Ça dépend du prix qu’on y met (Agénor Altaroche)

... Mondor est fier de sa croix neuve.

Ce Mondor s’est donc fait un nom ?

Nullement.

Il a donc fait preuve de courage ou de talent ? --- Non.

Mais il est riche, et sa main jette

Tout l’or que sa bouche promet...

Il aura bientôt la rosette,

Ça dépend du prix qu’on y met...

.

Indépendant de contrebande,

Un auteur des plus abondants

Livre, par ordre et sur commande,

De fort mauvais Indépendants.

C’est qu’il attend maigre salaire

De la pratique qui commet.

Payé mieux, il eût su mieux faire...

Ça dépend du prix qu’on y met.

.

Il n’est rien que l’or ne procure :

Succès dramatiques, pouvoir,

Noblesse, esprit, beauté, droiture,

Places, rang, louanges, savoir,

Serments saints, dévouements austères

Que d’un prince à l’autre on transmet,

Majorités parlementaires...

Ça dépend du prix qu’on y met.

.

Le Commerce, hors les temps de crises

Où parfois à court il est pris,

Offre à tout prix des marchandises ,

Des gouvernements à tout prix.

Toile ou roi, ministre ou faïence, Demandez... On vous en remet

Pour votre argent en conscience...

Ça dépend du prix qu’on y met.

D) Le Berger et la Mer (Jean de La Fontaine)

Du rapport d’un troupeau dont il vivait sans soins,

Se contenta longtemps un voisin d’Amphitrite :

Si sa fortune était petite,

Elle était sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage

Le tentèrent si bien qu’il vendit son troupeau,

Trafiqua de l’argent, le mit entier sur l’eau.

Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,

Non plus berger en chef comme il était jadis,

Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage :

Celui qui s’était vu Coridon ou Tircis

Fut Pierrot et rien davantage.

Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,

Racheta des bêtes à laine ;

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,

Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :

« Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,

Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre :

Ma foi ! vous n’aurez pas le nôtre. »

Ceci n’est pas un conte à plaisir inventé.

Je me sers de la vérité

Pour montrer par expérience,

Qu’un sou, quand il est assuré,

Vaut mieux que cinq en espérance...

La mer promet monts et merveilles :

Fiez-vous y ; les vents et les voleurs viendront.

Jean de La Fontaine, Le Fables

E) Théognis contre la richesse pour les coquins et la pauvreté pour les bons

Théognis vivait au 6ème siècle à Mégare, ville située entre Corinthe et Athènes. L’extension de l’élevage des troupeaux en vue du commerce de la laine entraîna de vastes expropriations paysannes comme cela se produisit plus tard en Angleterre à l’époque de Thomas More. Vers l’année 640 environ, les masses indignées tombèrent sur les troupeaux des grands propriétaires fonciers et les massacrèrent.

Dans ses Elégies et Sentences morales, Théognis se lamente « Ce n’est pas pour rien que Pluton est tellement honoré des mortels car avec lui-même le méchant devient honnête homme. Vraiment, il serait juste que les bons aient la richesse et que les coquins souffrent de la pauvreté... Pour le plus grand nombre des hommes, il n’existe qu’une vertu, la richesse. Le reste n’est d’aucun avantage... Il faut bien que tous conviennent de cette vérité, qu’en toutes choses la richesse a la suprême puissance. »

F) L’argent.

Son chant est un murmure, il réjouit mon oreille ;

Il est comme un oiseau qui éclate de joie,

Une fleur douce et agréable sous les doigts

Qui illumine mon cœur comme un grand soleil.

.

Il règne au firmament de toutes les merveilles !

Dans ce monde affolant, c’est lui notre seul vrai roi.

Le caresser est un réel plaisir pour moi :

C’est un petit être léger comme une abeille.

.

C’est un papillon brillant de mille couleurs,

Un ange promettant des années de bonheur,

Et quand il n’est pas là, oh combien il me manque !

.

Quand on en a un, on invite ses amis ;

Et plus ils sont nombreux, nuages de fourmis,

Plus on en veut d’autres,... petits billets de banque !

Recueil : D’ineffables fables affables (2006)

Alexandre Marrot

G) Hésiode

Hélas ! fallait-il donc que la rigueur du ciel

M’ait fait naître en un temps et de fange et de fiel !

Et ne pouvait-il pas, aux jours qu’il me dispense,

Ou plus tôt ou plus tard marquer leur existence ?

Sur la terre aujourd’hui pèse l’âge de fer :

Des travaux, nuit et jour, chargés par Jupiter,

Les hommes, corrompus, à l’infortune en proie...

Mais bientôt Jupiter aura mis au tombeau

Cet âge où l’homme est vieux au sortir du berceau

Et qui voit les enfants en horreur à leur père,

Le père à ses enfants, et le frère à son frère ;

Ni respect, ni devoir ! Plus d’hôtes, plus d’amis !

Par d’avides vainqueurs nulle ville épargnée,

Nul respect des sentiments, l’équité dédaignée...

De la terre, aussitôt, vers la voûte céleste,

La pudeur et Némésis partent en même temps,

Le corps environné de tissus éclatants.

Elles vont, loin des lieux d’où l’homme les exile,

A l’arbitre des dieux demander un asile,

Nous laissant ici-bas d’incurables soucis.

(Hésiode, Les Travaux et les Jours, traduction Nisard)

Hésiode poursuit sa description du développement des violences exercées par les riches, les comparant à des rapaces :

Certain jour, dans les airs qu’il fend avec vitesse,

Un épervier emporte, en ses serres pressé,

Un pauvre rossignol palpitant et blessé.

L’oiseau mélodieux se plaint "Paix, misérable !

Paix, lui dit le tyran dont le pouvoir l’accable,

Par un plus fort que toi, loin des tiens emporté,

Tu subis mon caprice et non ta volonté.

Dès ce soir, si je veux, ou tu seras ma proie,

Ou de la liberté tu goûteras la joie.

Insensé qui, bravant un trop pressant danger,

Contre un plus fort que toi tente de s’insurger !

Qu’y gagne-t-il ? la honte : où court-il ? à l’abîme".

Ainsi dit l’épervier, emportant sa victime.


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