"Mort, le communisme ?" (Yvon Quiniou) : Remarques de Jacques Serieys

dimanche 31 décembre 2023.
 

2) Reprendre le flambeau sur les meilleures bases possibles et au grand vent du quotidien (Jacques Serieys juin 2007)

2a) Mort le PCF et l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme ?

De 1969 à 2007, le PCF a connu un affaiblissement de son audience politique, résumé par ses résultats aux élections présidentielles ( 21,27% en 1969, 15,35% en 1981, 8,65% en 1995, 3,37% en 2002 et 1,93% en 2007). De cette chute, Yvon Quiniou dégage une première interrogation « Le Parti communiste est-il en train de mourir et, avec lui, l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme, partageant les richesses et les potentialités d’épanouissement individuel entre tous, dont il a été longtemps le porte-drapeau intransigeant non seulement en France mais en Europe ? »

Cette phrase posée en exergue par le philosophe communiste me surprend :

- en 2007, le PCF a connu un revers lors de ces élections présidentielles. Il représente, de loin, la principale organisation politique au sein de la gauche française de transformation sociale. Il constitue même, à mon avis, une pièce indispensable de notre avenir collectif en France, en tant qu’anticapitalistes. Cependant, les forces porteuses d’un« idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme, partageant les richesses et les potentialités d’épanouissement individuel entre tous » ne se résument pas au seul PCF. Les 4,08% d’Olivier Besancenot peuvent en constituer une partie, les 1,33% d’Arlette Laguiller une autre, l’essentiel des 1,32 % de José Bové une autre, les 0,34 % de Gérard Schivardi encore une autre sans compter des militants et électeurs de Ségolène Royal. La campagne du Non au Traité Constitutionnel européen comme les grandes grèves de 1995 et 2003 ont montré la puissance sociale et politiquement potentielle de l’anticapitalisme dans notre pays.

Plusieurs "enquêtes" l’ont également confirmé, par exemple celles-ci sur laquelle nous avons mis en ligne un petit article :

Enquête américaine : la France anti-capitaliste, populaire dans un monde demandeur de régulation publique

- surtout, Yvon Quiniou pose de fait, à tort, un signe d’égalité entre le Parti Communiste Français et « l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme » ; le PCF est un parti politique de notre pays, « l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme » a, lui, toujours présenté un aspect universel, internationaliste. Avant de parler d’acte de décès de cet idéal et de préparer les pièces notariées de l’héritage, il faudrait parcourir le monde d’aujourd’hui, ce qui se passe en Amérique latine, en Europe, dans le monde (forums sociaux, aspirations unitaires des forces antilibérales, trotskisme et 4ème internationale, réapparition de la mouvance maoïste...) . Même en France, les luttes du printemps 2006 (mouvement lycéen, grèves des salariés, puissance des manifestations) donnent des éléments factuels d’une période aux rapports de force instables et non d’effondrement.

- Yvon Quiniou identifie l’affaiblissement du parti communiste avec la disparition de l’idéal ci-dessus. Aucun anticapitaliste ne peut souhaiter une évolution du PCF de type italien ou une disparition de celui-ci sans qu’il soit dépassé dans une force nouvelle ; mais Yvon Quiniou ne paraît voir l’avenir qu’au travers du parti communiste, faisant du PCF le seul garant de l’idéal communiste (lequel ?) et de sa réinvention. Imagine-t-il que des militants d’autres forces politiques, d’ATTAC, des syndicats ... sont intéressés par ces débats et attendent autre chose que des soupçons d’instrumentalisation au service du capital ?

- en fait, le résultat du PCF lors de ces présidentielles 2007 pose, je crois, surtout, la question de créer ce rassemblement antilibéral dont nous avions esquissé la possibilité sans le réussir.

2b) Difficultés conjoncturelles ou structurelles du PCF ?

Yvon Quiniou :

- liste des raisons conjoncturelles du faible score de 2007 (vote utile pour éviter la répétition de 2002, division irresponsable du camp antilibéral...). Parmi ces raisons conjoncturelles il compte « l’instrumentalisation de l’extrême gauche pour affaiblir le PCF » ; avec de telles phrases assassines et fausses (globalement, la presse bourgeoise depuis 40 ans n’a pas soutenu l’extrême gauche pour mieux tuer le PCF), la constitution d’un front de la gauche anticapitaliste n’est pas pour demain. Je mets de côté la question du rôle de José Bové car je ne le compte pas comme partie prenante de "l’extrême gauche".

- mais affirme que le problème du PCF n’est pas seulement structurel car nous constatons « une tendance lourde d’affaiblissement de l’influence communiste depuis plus de vingt ans, dont on trouve l’équivalent dans d’autres pays européens. Comment l’expliquer ? » Accord total sur ce point.

2c) Comment expliquer l’affaiblissement du PCF et des partis communistes en Europe ?

- La réponse d’Yvon Quiniou demande ici à être reproduite dans son intégralité. « La révolution bolchevique a été à l’origine d’un système sociopolitique qui a largement défiguré ce que l’on pouvait entendre par ce terme à partir de Marx : opérée dans les conditions d’un capitalisme faiblement développé (ce que l’auteur du Manifeste a toujours déconseillé), elle a très vite dû recourir à la contrainte d’État pour réaliser son objectif et a supprimé un certain nombre de libertés sans lesquelles il est ridicule de parler de communisme. Au surplus, cette expérience a échoué en étant incapable de prouver sa supériorité sur le capitalisme en matière de productivité économique, voire en montrant l’inverse, et les régimes qui continuent de se dire communistes se convertissent à l’économie libérale, parfois la plus sauvage comme en Chine. La conséquence est claire : c’est l’idée même du communisme qui est atteinte dans la conscience collective et qui est déclarée soit totalitaire (quand on l’assimile à ses tares historiques), soit utopique (quand on signale son échec effectif). On demande donc à ses partisans d’y renoncer comme de renoncer à son fondement théorique, le marxisme : le communisme ferait partie de ces « grands récits » que l’histoire a définitivement invalidés. »

Je pense aussi qu’ont pesé sur l’évolution de l’URSS le "capitalisme faiblement développé" de la Russie tsariste ainsi que les conditions de lutte des bolcheviks au sein de cet Etat totalitaire, produit du capitalisme récent.

Oui, « La révolution bolchevique a été à l’origine d’un système sociopolitique qui a largement défiguré ce que l’on pouvait entendre par ce terme à partir de Marx ». Mais, de quand dater cette "défiguration" ? de la Révolution d’octobre elle-même, des années du vivant actif de Lénine (1917-1922), Trotsky, Boukharine... Je ne le crois pas. Ils ont bien sûr fait des erreurs mais dans un contexte tellement difficile face aux Etats fascistes constitués par les armées blanches et face à tous les Etats impérialistes (USA, Grande-Bretagne, France, Japon...) que l’on ne peut considérer cela comme une défiguration du communisme.

Oui, la révolution bolchevique « a très vite dû recourir à la contrainte d’État pour réaliser son objectif et a supprimé un certain nombre de libertés sans lesquelles il est ridicule de parler de communisme. » La difficulté d’un bilan sur ce point, c’est que face aux armées blanches fascistes maîtrisant une majorité du territoire, il n’était pas possible de constituer une démocratie avancée. Ceci dit, il est possible de pointer d’une part à mon avis une carence théorique dans l’articulation entre révolution démocratique et création d’un Etat ouvrier, d’autre part un retard des bolcheviks dans la sortie du "communisme de guerre", retard qui va peser lourd dans la captation bureaucratique de la révolution par Staline.

Guerre civile russe. Pourquoi les Rouges ont-ils gagné ? 29 octobre 1917 à octobre 1922

Je crois que le trotskisme historique a eu raison de dater la dégénérescence de l’URSS par rapport à l’idéal communiste, pour l’essentiel, non de la Révolution d’Octobre elle-même mais de la captation de cette révolution par la bureaucratie stalinienne. Le "capitalisme faiblement développé", la longue guerre civile et les défaites des autres révolutions européennes ont également constitué le terreau originel de cette captation. Dès les années 1930 au plus tard, il était évident que la direction politique de l’URSS recourait « à la contrainte d’État pour réaliser son objectif et supprimait un certain nombre de libertés sans lesquelles il est ridicule de parler de communisme ».

Oui, « cette expérience a échoué en étant incapable de prouver sa supériorité sur le capitalisme en matière de productivité économique, voire en montrant l’inverse, et les régimes qui continuent de se dire communistes se convertissent à l’économie libérale, parfois la plus sauvage comme en Chine. » Sur ce point, il serait utile d’une part de dater la supériorité manifeste du capitalisme international sur le "communisme international" (jusqu’en 1960 environ, ce n’est pas évident), d’autre part surtout d’analyser les raisons de "l’infériorité" finalement fatale.

Oui, « c’est l’idée même du communisme qui est atteinte dans la conscience collective et qui est déclarée soit totalitaire (quand on l’assimile à ses tares historiques), soit utopique (quand on signale son échec effectif) ». "Dis papa, c’est quand qu’on va où" comme chantait Renaud.

Cependant, l’état du capitalisme mondial justifie pour de nombreux humains la volonté d’en sortir.

Il faut remplacer le capitalisme d’après 43% des Français, 38% des Mexicains, 35% des Brésiliens... (sondage décoiffant de la BBC)

Il aurait été possible de renouveler le logiciel communiste à partir des aspirations humaines révélées dans les années 1968 (féminisme, écologie, autogestion, démocratie citoyenne, émancipation sexuelle...) ; le communisme moscovite comme pékinois en était absolument incapable. Telle reste notre tâche vis à vis de la nouvelle génération et de la nouvelle période mondiale de combativité.

2d) Se référer à un héritage politique du socialisme ou le jeter aux poubelles de l’histoire ?

Oui, nous sommes des héritiers

Pour être utiles en ce début du 21ème siècle face au capitalisme financier transnational et aux mafias qui pullulent en son sein, il serait erroné de jouer au Mr Propre naissant aujourd’hui dans le choux de l’altermondialisme ou de la divine cuisse de l’écologie.

Quelle crédibilité aurait aujourd’hui une gauche anticapitaliste qui renierait son lien historique à la Commune de Paris, à la Révolution de 1917, aux Républicains espagnols, à Mai 68... ? Aucune.

Refuser tout lien généalogique entre nous et les générations progressistes et ouvrières précédentes serait un enfantillage qui handicaperait très vite le mouvement de masse. Les expériences, réflexions et débats du socialisme historique constituent une référence incontournable pour essayer de rassembler la gauche de transformation sociale sur un corpus politique et idéologique viable ; l’enjeu se constate aujourd’hui tant au niveau de la France que de l’Europe et du monde.

Oui nous avons besoin de marquer notre héritage du socialisme et du communisme. Mais, quel héritage ? quel bilan des erreurs commises ?

Le texte d’Yvon Quiniou porte sur ces sujets. A ce titre, il mérite d’être connu et mis en ligne sur notre site. Je suis d’accord avec lui sur plusieurs points :

- Pourquoi le mouvement communiste s’effondre-t-il ? réponse d’Yvon Quiniou " La cause principale se trouve selon moi dans ce qui s’est fait au nom du « communisme » au XXe siècle".

- " Il ne faut pas admettre que le stalinisme a été une illustration du communisme"

- " Faut-il revoir de fond en comble notre « compréhension du monde »... au risque d’oublier l’injustice constitutive de notre société et de ne plus savoir non seulement comment y mettre fin mais si nous devons le faire ? Je ne le pense pas"

2e) La question du bilan de 1917 et de l’URSS est décisive

Yvon Quiniou propose de jeter tout le communisme d’Etat du 20ème siècle aux poubelles de l’histoire et, semble-t-il, la révolution bolchévique ( de même que la gauche de la 2ème internationale ?) avec l’eau du bain. Que reste-t-il alors ? les écrits de Marx. D’une part, c’est peu ; d’autre part, ils demandent aussi à être relus de façon critique. Lénine, Trotsky et plusieurs dirigeants bolcheviks étaient d’excellents connaisseurs des écrits de Marx et n’y ont évidemment pas trouvé de réponse adéquate aux questions posées de 1917 à 1927.

Il me paraît très important d’analyser précisément les responsabilités de l’échec de l’URSS :

* handicaps économiques, politiques, sociaux, culturels hérités de la Russie tsariste

* déformations de la pensée de Marx et marxienne ou aspects insuffisants (erronés ?) de ce corpus théorique

* poids de la guerre civile

29 octobre 1917 à octobre 1922 Guerre civile russe. Pourquoi les Rouges ont-ils gagné ?

* rôle de Staline et de la bureaucratisation du parti, de l’Etat

* rôle de Lénine d’une part, de Trotsky d’autre part, mais aussi de Boukharine, de Zinoviev et Kamenev...

La révolution russe de 1917 mérite un bilan approfondi, ne serait-ce qu’en mémoire des dizaines de millions de camarades qui ont milité en son nom, ne serait-ce que pour les dizaines de millions de camarades qui militeront au 3ème millénaire en faveur d’une société plus juste et plus émancipatrice.

Le mouvement insurrectionnel de 1917 constituait une réaction de masse de la population russe à des conditions de vie devenues inacceptables à cause de la guerre ; il aurait éclaté sans les bolchéviks, par contre il aurait probablement subi l’échec et une répression sanglante sans eux. L’Allemagne, la France, l’Angleterre ont aussitôt organisé et soutenu pendant 4 ans contre l’URSS la guerre civile la plus dévastatrice et la plus atroce connue dans l’histoire. L’avant garde de 1917 meurt dans les combats. Les choix politiques des bolchéviks ont-ils toujours été les bons dans ce contexte ? Là s’ouvrent plusieurs questions précises ( constituante et soviets, droit de tendance, pluripartisme, rôle du prolétariat et des syndicats, NEP d’où rôle du marché et rapport à l’économie mondiale, quel droit civil, pénal, constitutionnel...? quelle démocratie politique, les droits de l’homme, comment ? quel rapport aux processus d’émancipation...) dont les réponses nécessitent de différencier le conjoncturel (guerre civile) et l’essentiel. En tout cas, éliminer la Révolution russe du patrimoine pour cause d’arriération économique du pays, n’aiderait en rien à réfléchir à ces questions.

Au moins deux points me paraissent mériter une réflexion approfondie :

- on ne peut faire porter sur la seule responsabilité des bolchéviks certains manques dans le substrat théorique du mouvement socialiste se revendiquant du marxisme, par exemple sur la question de l’Etat où je partage globalement le point de vue d’Yvon Quiniou : " la thèse selon laquelle l’État pourrait et devrait un jour dépérir ne me paraît pas soutenable : nous aurons toujours besoin d’un pouvoir politique contraignant et porteur de normes organisant le vivre-ensemble, sauf à défendre une conception pour le coup angélique du fonctionnement de l’être humain et à occulter l’apport de Freud sur le fond pulsionnel de l’homme".

- il est erronné d’identifier révolution d’octobre et stalinisme ; l’analyse de la dégénérescence de l’une à l’autre est indispensable.

2F) Accord sur le corps du texte

Partageant globalement le développement central du texte d’Yvon Quiniou, je le reproduis ci-dessous :

« C’est l’idée même du communisme qui est atteinte dans la conscience collective et qui est déclarée soit totalitaire (quand on l’assimile à ses tares historiques), soit utopique (quand on signale son échec effectif). On demande donc à ses partisans d’y renoncer comme de renoncer à son fondement théorique, le marxisme : le communisme ferait partie de ces « grands récits » que l’histoire a définitivement invalidés. La conversion au capitalisme considéré comme l’horizon indépassable de l’histoire et la réduction de l’ambition politique, quand on se dit de gauche, à sa simple régulation deviendraient alors la seule solution intelligente et réaliste.

Il ne faut pas céder à cette tentation comme le font, en particulier, une grande partie des ex-communistes italiens : cela reviendrait à admettre que le stalinisme a été une illustration du communisme. Or celui-ci n’a jamais été réalisé nulle part : aucune révolution anticapitaliste ne s’est produite dans les conditions du capitalisme développé préconisées par Marx et selon les procédures démocratiques auxquelles il tenait par principe. Le test historique de son impossibilité, qu’il faudrait accepter s’il avait eu lieu, n’a donc jamais été effectué. On peut même penser que les diverses avancées d’inspiration socialiste que l’Europe a connues après la Seconde Guerre mondiale nous prouvent que la voie d’un socialisme démocratique est praticable, mais, tout autant, qu’il ne faut pas s’arrêter en chemin. Quant à la démonstration de l’impossibilité anthropologique du communisme, liée à l’hypothèse d’une nature humaine égoïste et rebelle à tout projet de mise en commun des biens, elle n’a pas non plus été faite. On ne peut l’écarter a priori mais on signalera à ceux qui seraient séduits par cette idée que, régulièrement, les théories suggérant qu’on ne pouvait changer tel type d’organisation sociale parce qu’elle correspondrait à la nature de l’homme ont été démenties par l’histoire : qui aurait pu soupçonner, dans l’Antiquité, qu’un jour l’esclavage serait aboli, alors qu’on affirmait qu’il était inscrit dans la nature humaine ? Prétendre aujourd’hui que la compétition interindividuelle, liée à la propriété privée de la production, est la base naturelle et indépassable de la vie économique constitue une affirmation tout aussi fragile et dont l’avenir ne me paraît guère plus garanti.

Par contre, on peut soutenir, sans verser dans le dogmatisme idéologique, que l’essentiel de l’analyse critique du capitalisme que nous offre Marx demeure valable aujourd’hui, si l’on admet qu’elle vise non une forme particulière de société - la société anglaise du XIXe siècle - mais un mode de production qui envahit aujourd’hui la planète, dont il a mis à jour les lois de fonctionnement et dont seules les formes concrètes ont véritablement changé du fait du bouleversement incessant des forces productives. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas revoir, enrichir, rectifier et même réviser certains aspects importants d’un héritage théorique que l’on a trop longtemps figé. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que la thèse selon laquelle l’État pourrait et devrait un jour dépérir ne me paraît pas soutenable : nous aurons toujours besoin d’un pouvoir politique contraignant et porteur de normes organisant le vivre-ensemble, sauf à défendre une conception pour le coup angélique du fonctionnement de l’être humain et à occulter l’apport de Freud sur le fond pulsionnel de l’homme. Mais cela nous indique que nous n’avons pas à changer de paradigme intellectuel pour penser, critiquer et améliorer la société, à moins de renoncer à la dénonciation de son inhumanité actuelle et à prétendre que les concepts qui la révèlent - exploitation, oppression, domination, aliénation - ne sont plus valides.

À raisonner hors de tout préjugé intellectuel, la question de l’avenir du mouvement communiste n’est donc pas réglée : sa survie n’est ni assurée ni impossible. Tout dépendra de sa capacité à prendre en charge la question sociale dans toute son ampleur, car c’est elle qui est primordiale, et à se convaincre que la disparition de la caricature du communisme qui régnait à l’Est nous rend disponibles pour l’inventer ici. »

2G) Encore sur le rapport entre le PCF et l’URSS stalinisée

Je suis d’accord pour considérer que le PCF a globalement gardé une autonomie importante par rapport à Moscou. Contrairement au corpus idéologique trotskyste, je ne tire pas un bilan négatif du tournant opéré par le PCF en 1932-1936 avec une stratégie combinant défense démocratique unitaire face au fascisme, tactique électorale d’unité de la gauche et force du mouvement social.

Ceci dit, Yvon Quiniou passe trop vite sur les débats nécessaires aujourd’hui quant à cette relation entre PC et URSS ; certaines réflexions seraient nécessaires aujourd’hui au sein de la gauche de transformation sociale. Il est évident, par exemple, que la direction du PCF a dû tenir compte de celle de l’URSS et du Komintern entre 1939 et 1947. Ce bilan ne doit pas relever d’historiens souvent anticommunistes.

- Je suis également d’accord sur le fond anticapitaliste émancipateur qu’a globalement conservé le PCF "le Parti communiste a été longtemps le porte-drapeau intransigeant non seulement en France mais en Europe... de l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme, partageant les richesses et les potentialités d’épanouissement individuel entre tous". Je crois effectivement que le PCF a globalement conservé, malgré difficultés et tournants, d’une part son lien privilégié avec la classe ouvrière, d’autre part "l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme, partageant les richesses et les potentialités d’épanouissement individuel entre tous", enfin la volonté de chercher dans le présent les voies d’une solution politique progressiste. C’est déjà bien.

2H) Et maintenant ?

Je ne peux m’empêcher de poser cette question car, sur le fond, la réponse aux questions posées par Yvon Quiniou ne se trouvera pas dans les cercles intellectuels spécialistes du marxisme. Elle se jouera jour après jour, lutte après lutte, campagne après campagne, sur la capacité de la gauche anticapitaliste à

- travailler ensemble pour peser réellement sur la réalité

- réussir ensemble à construire un rapport de force politique

- apparaître comme une alternative crédible au capitalisme et au social-libéralisme.

Quelle responsabilité !

C’est là que nous retrouvons la question du rôle passé et présent du PCF. En ne posant pas le problème des erreurs sectaires du PCF et de tout le "mouvement communiste" vis à vis des autres forces anticapitalistes, le risque de voir la direction de ce parti casser une possibilité de renouveau d’une vraie gauche existe, surtout dans une période aux rapports de force instables.

Jacques Serieys

Lien complémentaire à l’article ci-dessus :

2011, année révolutionnaire

1) Mort, le communisme (Yvon Quiniou, philosophe communiste)

Le Parti communiste est-il en train de mourir et, avec lui, l’idéal d’une société substantiellement meilleure que le capitalisme, partageant les richesses et les potentialités d’épanouissement individuel entre tous, dont il a été longtemps le porte-drapeau intransigeant non seulement en France mais en Europe ? Et faut-il revoir de fond en comble notre « compréhension du monde », que nous tirons pour l’essentiel de Marx, au risque d’oublier l’injustice constitutive de notre société et de ne plus savoir non seulement comment y mettre fin mais si nous devons le faire ? Je ne le pense pas.

Il faut d’abord être prudent dans le diagnostic de mort. Divers éléments conjoncturels expliquent le score catastrophique de l’élection présidentielle de 2007 : le vote utile pour éviter la répétition de 2002, la division irresponsable du camp antilibéral, l’instrumentalisation de l’extrême gauche pour affaiblir le PCF, l’hostilité des médias. Pourtant, même si cette situation peut être légèrement redressée aux législatives, elle s’inscrit dans une tendance lourde d’affaiblissement de l’influence communiste depuis plus de vingt ans, dont on trouve l’équivalent dans d’autres pays européens. Comment l’expliquer ?

La révolution bolchevique a été à l’origine d’un système sociopolitique qui a largement défiguré ce que l’on pouvait entendre par ce terme à partir de Marx : opérée dans les conditions d’un capitalisme faiblement développé (ce que l’auteur du Manifeste a toujours déconseillé), elle a très vite dû recourir à la contrainte d’État pour réaliser son objectif et a supprimé un certain nombre de libertés sans lesquelles il est ridicule de parler de communisme. Au surplus, cette expérience a échoué en étant incapable de prouver sa supériorité sur le capitalisme en matière de productivité économique, voire en montrant l’inverse, et les régimes qui continuent de se dire communistes se convertissent à l’économie libérale, parfois la plus sauvage comme en Chine. La conséquence est claire : c’est l’idée même du communisme qui est atteinte dans la conscience collective et qui est déclarée soit totalitaire (quand on l’assimile à ses tares historiques), soit utopique (quand on signale son échec effectif). On demande donc à ses partisans d’y renoncer comme de renoncer à son fondement théorique, le marxisme : le communisme ferait partie de ces « grands récits » que l’histoire a définitivement invalidés. La conversion au capitalisme considéré comme l’horizon indépassable de l’histoire et la réduction de l’ambition politique, quand on se dit de gauche, à sa simple régulation deviendraient alors la seule solution intelligente et réaliste.

Il ne faut pas céder à cette tentation comme le font, en particulier, une grande partie des ex-communistes italiens : cela reviendrait à admettre que le stalinisme a été une illustration du communisme. Or celui-ci n’a jamais été réalisé nulle part : aucune révolution anticapitaliste ne s’est produite dans les conditions du capitalisme développé préconisées par Marx et selon les procédures démocratiques auxquelles il tenait par principe. Le test historique de son impossibilité, qu’il faudrait accepter s’il avait eu lieu, n’a donc jamais été effectué. On peut même penser que les diverses avancées d’inspiration socialiste que l’Europe a connues après la Seconde Guerre mondiale nous prouvent que la voie d’un socialisme démocratique est praticable, mais, tout autant, qu’il ne faut pas s’arrêter en chemin. Quant à la démonstration de l’impossibilité anthropologique du communisme, liée à l’hypothèse d’une nature humaine égoïste et rebelle à tout projet de mise en commun des biens, elle n’a pas non plus été faite. On ne peut l’écarter a priori mais on signalera à ceux qui seraient séduits par cette idée que, régulièrement, les théories suggérant qu’on ne pouvait changer tel type d’organisation sociale parce qu’elle correspondrait à la nature de l’homme ont été démenties par l’histoire : qui aurait pu soupçonner, dans l’Antiquité, qu’un jour l’esclavage serait aboli, alors qu’on affirmait qu’il était inscrit dans la nature humaine ? Prétendre aujourd’hui que la compétition interindividuelle, liée à la propriété privée de la production, est la base naturelle et indépassable de la vie économique constitue une affirmation tout aussi fragile et dont l’avenir ne me paraît guère plus garanti.

Par contre, on peut soutenir, sans verser dans le dogmatisme idéologique, que l’essentiel de l’analyse critique du capitalisme que nous offre Marx demeure valable aujourd’hui, si l’on admet qu’elle vise non une forme particulière de société - la société anglaise du XIXe siècle - mais un mode de production qui envahit aujourd’hui la planète, dont il a mis à jour les lois de fonctionnement et dont seules les formes concrètes ont véritablement changé du fait du bouleversement incessant des forces productives. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas revoir, enrichir, rectifier et même réviser certains aspects importants d’un héritage théorique que l’on a trop longtemps figé. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que la thèse selon laquelle l’État pourrait et devrait un jour dépérir ne me paraît pas soutenable : nous aurons toujours besoin d’un pouvoir politique contraignant et porteur de normes organisant le vivre-ensemble, sauf à défendre une conception pour le coup angélique du fonctionnement de l’être humain et à occulter l’apport de Freud sur le fond pulsionnel de l’homme. Mais cela nous indique que nous n’avons pas à changer de paradigme intellectuel pour penser, critiquer et améliorer la société, à moins de renoncer à la dénonciation de son inhumanité actuelle et à prétendre que les concepts qui la révèlent - exploitation, oppression, domination, aliénation - ne sont plus valides.

À raisonner hors de tout préjugé intellectuel, la question de l’avenir du mouvement communiste n’est donc pas réglée : sa survie n’est ni assurée ni impossible. Tout dépendra de sa capacité à prendre en charge la question sociale dans toute son ampleur, car c’est elle qui est primordiale, et à se convaincre que la disparition de la caricature du communisme qui régnait à l’Est nous rend disponibles pour l’inventer ici.

* Dernier ouvrage paru : Karl Marx. Éditions Le Cavalier bleu, 2007.

par Yvon Quiniou, philosophe, publié par l’Humanité le 31 mai 2007

Source : http://www.humanite.fr/journal/2007...


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