Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (votée le 26 août 1789)

mardi 5 septembre 2023.
 

- 1) La Déclaration de 1789 comme fruit de l’évolution historique

- 2) La Déclaration de 1789 comme rupture dans l’évolution historique

- 4) Le débat de l’’Assemblée constituante sur la Déclaration des droits

- 7) Du 20 au 26 août : rédaction définitive et principaux débats

- 9) 10) Comparaison avec la Déclaration d’indépendance américaine

- 11) Déclaration dans sa version originale

Tout grand mouvement social, toute révolution apporte quelques éclairs dans l’histoire humaine : l’avenir se situe dans cette direction. En cette journée du 26 août 1789, les députés à l’Assemblée constituante se hissent à la hauteur de cet enjeu, n’écrivant pas une déclaration des droits "seulement pour la France, mais pour l’homme en général" (Pétion), voulant y inscrire "les vérités de tous les temps et de tous les pays" (Duport).

Selon plusieurs historiens, la première séparation géographique entre Droite et Gauche dans l’Assemblée serait née le 26 août 1789 lors du débat sur la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen lorsque la place du culte avait été évoquée : les défenseurs du Roi et de la Religion se seraient positionnés d’emblée à Droite, les démocrates à Gauche.

1) La Déclaration de 1789 comme fruit de l’évolution historique

Eté 1789 : La France connaît une situation révolutionnaire classique : Ceux d’en bas ne veulent plus subir asservissement, misère et vexations ; partout des châteaux brûlent emportant en fumée les titres féodaux. Ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant ; leur appareil d’Etat est paralysé ; lorsqu’ils tentent de réprimer le mouvement populaire, ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas isolant le pouvoir politique et paralysant l’armée (prise de la Bastille le 14 juillet 1789).

De nouveaux pouvoirs naissent de cette mobilisation sociale, particulièrement les municipalités. Un nouveau rapport de force politique se crée, imposant une révolution institutionnelle (rôle de l’Assemblée nationale constituante, des municipalités) et sociale (abolition des privilèges féodaux).

Une révolution juridique devait logiquement compléter ce processus. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen votée le 26 août 1789 y contribue.

Cette Déclaration représente un nouveau jalon dans le processus démocratique bourgeois :

- lié aux évolutions économiques pré-capitalistes ayant généré la révolution hollandaise, la révolution britannique, la guerre d’indépendance des Etats Unis... L’argent devient le mode essentiel de relation sociale et de domination économique ; une pièce de 1 franc permet les mêmes achats à un paysan, à un salarié, à un noble, à un curé. Dans ces conditions l’organisation de la société en ordres (clergé, noblesse, tiers-état) prétendument institués par Dieu n’a plus de raison d’être.

Cette Déclaration s’inscrit aussi dans l’histoire du mouvement intellectuel lié à cette évolution économico-sociale, mouvement qui s’est affirmé de la Renaissance aux Lumières se fondant sur les faits, la science et la logique plus que sur la théologie, centrant sa réflexion sur l’homme et non essentiellement sur Dieu. Parmi les philosophes caractéristiques de cette évolution signalons Grotius et Spinoza (Hollandais), Locke (Britannique), Rousseau (Français). Pour nous en tenir à l’essentiel, il est évident que la Révolution française profite de la maturation de la théorie du droit naturel :

- déjà avancée par des intellectuels de la Renaissance comme La Boétie « La nature, ministre de Dieu, gouvernante des hommes, nous a tous créés et coulés en quelque sorte dans le même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères... Il n’y a rien au monde de plus contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre... » (Discours de la servitude volontaire)

- élaborée dans sa version moderne par la philosophie des Lumières (Locke, Rousseau...)

2) La Déclaration de 1789 comme rupture dans l’évolution historique

Le droit naturel ne naît pas en 1789 mais telle ou telle phrase d’un philosophe ne pouvait avoir la portée d’une Déclaration cohérente, fondée sur la liberté individuelle, débattue et votée par les élus de la plus importante nation de la planète à ce moment-là ; de plus, au cours d’un mouvement révolutionnaire puissant, étape avancée d’un processus bien plus large.

De 1773 à 1802, longue période de poussée populaire, démocratique et révolutionnaire

Jamais une théorie du droit naturel :

- n’avait affirmé avec une telle force les droits subjectifs de chaque humain indépendamment de sa position sociale, de son ethnie, de sa nationalité, ou de toute autre considération.

- n’avait affirmé avec une telle clarté le fait que la société doit se porter garante des droits naturels (liberté, égalité, sûreté)

- n’avait été rédigé avec une dimension universaliste aussi évidente. Les « hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » du pôle Nord au pôle Sud, du Levant au couchant. « Ce caractère d’universalité distingue la déclaration française des libertés à l’anglaise, comme des déclarations de droits américaines, plus pragmatiques dans leurs clauses... » (Michel Vovelle ; 1789)

- jamais les droits naturels n’avaient été formulés dans le cadre du contrat social, de la notion de volonté générale.

« Le caractère de cette déclaration représente en soi une rupture historique fondamentale dans l’énoncé du droit : au droit divin, fondant la liberté et la responsabilité des enfants de Dieu, au droit monarchique qui s’en réclamait par délégation, il substitue la référence à l’homme sous l’égide de la nature, non point comme entité métaphysique, mais comme ordre aménageable dans le cadre du pacte social, sous la souveraineté de la loi, expression de la volonté générale. » (Michel Vovelle ; 1789)

3) Révolution et réflexion

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’a pas été préparée au calme par un petit cénacle isolé de quelques juristes. Elle naît au travers d’un instant révolutionnaire particulièrement agité. Le sujet arrive devant l’Assemblée durant la semaine du 14 juillet 1789 ; il reste plus ou moins à l’ordre du jour durant les 3 semaines de la Grande peur, puissante révolution sociale et municipale.

Grande peur paysanne (19 juillet au 6 août 1789), révolution municipale : double pouvoir et nouveau pouvoir

La Grande peur rend la question de l’abolition des privilèges prioritaire début août :

4 août 1789 Abolition des droits seigneuriaux par l’Assemblée nationale

Ces conditions de rédaction en plein coeur d’une grande révolution expliquent d’après le célèbre universitaire de droit public général Ferdinand Larnaude le retentissement particulier de cette Déclaration à l’échelle planétaire. Il est cependant surprenant de voir des députés élever à ce point leur réflexion collective en pleine phase de bouleversement.

Trente projets émanent de députés ; d’autres de personnalités extérieures comme Condorcet, Servan et Cerruti. Le premier est déposé par La Fayette le 11 juillet, le second par Sieyès le 21 juillet (42 articles), puis Target (31 articles) et Mounier (16 articles) le 27 juillet, Servan, avocat au Parlement de Grenoble (13 articles) le 29 juillet, Durand de Maillane (9 articles) et Thouret (texte très long) le 1 er août, Gouges-Cartou (71 articles) le 12 août, Mirabeau le 14 août...

Il ne faut surtout pas voir dans la Déclaration qui sera finalement votée un texte astucieux d’intellectuel de la bourgeoisie cherchant à dévoyer le peuple, du combat social vers le terrain juridique et démocratique. Elle constitue un compromis momentané entre des courants contradictoires : des aristocrates qui y sont totalement opposés, des intellectuels bourgeois qui préfèreraient éviter le vote d’une déclaration des Droits, des élus du Tiers Etat poussés par leurs électeurs et par le contexte révolutionnaire, une aile démocratique radicale autour de Robespierre qui veut utiliser cette Déclaration pour aller plus loin encore sur le terrain démocratique (suffrage universel...) et social.

4) Le débat de l’’Assemblée constituante sur la Déclaration des droits

L’étalement de la discussion sur plusieurs semaines et la multiplicité des projets s’explique par le contexte d’insurrection de cet été 1789, par les oppositions qui apparaissent mais aussi par la complexité de la tâche théorique à laquelle s’attaquent les députés et par les conséquences prévisibles.

La perspective de voter une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’a pas enthousiasmé bien des députés lors des premières discussions. Gaultier de Biauzat écrit le 29 juillet, à ses commettants : « Nous avons pensé, dans mon bureau, ce soir, qu’il est inutile et dangereux d’insérer une Déclaration des droits de l’homme dans une constitution. »

L’Historien Alphonse Aulard, républicain et radical-socialiste, excellent connaisseur de la Révolution française, note « Une partie de la bourgeoisie, à la veille de se privilégier politiquement, hésitait à proclamer les droits du prolétariat. Elle ne les contestait pas : elle jugeait imprudent de les crier aux oreilles des prolétaires, parce qu’elle ne voulait appliquer ces droits que partiellement, s’en réserver l’exercice politique. »

Un représentant de la grande bourgeoisie comme Pierre-Victor Malouet (planteur à Saint Domingue) comprend parfaitement la logique démocratique d’une déclaration des droits de l’homme et pousse dès le 3 août à éviter une telle proclamation « Pourquoi transporter les hommes sur le haut d’une montagne, et de là leur montrer tout le domaine de leurs droits, puisque nous sommes obligés ensuite de les en faire redescendre, d’assigner les limites, et de les rejeter dans le monde réel, où ils trouveront des bornes à chaque pas »

En fait, toutes les classes sociales favorisées craignent que les milieux populaires s’appuient sur une déclaration des droits favorable à l’égalité civile pour imposer à terme des droits relevant de l’égalité sociale.

C’est bien le sens de l’article paru dans Rivarol, Journal polilique national, le 2 août 1789 : « ... Malheur à ceux qui remuent le fond d’une nation ! Il n’est point de siècle de lumière pour la populace : elle n’est ni française, ni anglaise, ni espagnole : la populace est toujours et en tout pays la même, toujours cannibale, toujours anthropophage ! Vous allez en ce moment donner des lois et une constitution éternelle à une grande nation, et vous voulez que cette constitution soit précédée d’une Déclaration pure et simple des droits de l’homme. Législateurs, fondateurs d’un nouvel ordre de choses, vous voulez faire marcher devant vous cette métaphysique que les anciens législateurs ont toujours eu la sagesse de cacher dans les fondements de leurs édifices. Ah ! ne soyez pas plus savants que la nature ! Si vous voulez qu’un grand peuple jouisse de l’ombrage et se nourrisse des fruits de l’arbre que vous plantez, ne laissez pas ses racines à découvert. Craignez que des hommes, auxquels vous n’avez parlé que de leurs droits et jamais de leurs devoirs, que des hommes qui n’ont plus à redouter l’autorité royale, qui n’entendent rien aux opérations législatives d’une Assemblée nationale, et qui en ont conçu des espérances exagérées, ne veuillent passer de l’égalité naturelle à l’égalité sociale, de la haine des rangs à celle des pouvoirs, et que, de leurs mains rougies du sang des nobles, ils ne veuillent aussi massacrer leurs magistrats. »

Les députés conservateurs s’opposent en séance à une déclaration des droits de l’homme qui donnerait une justification aux mouvements populaires en cours, déjà violents, contre toutes les formes d’inégalité civile et sociale. Le Courrier de Provence résume ainsi leur position : « MM. Crénièrc, Grandin, le duc de Lévis, l’évêque de Langres ont fortement insisté sur les inconvénients qui résulteraient, selon eux, d’une exposition des droits de l’homme et du citoyen dans une monarchie, où l’état actuel des choses leur est si souvent en opposition directe que le peuple peut en abuser. C’est un voile qu’il serait imprudent de lever tout à coup. C’est un secret qu’il faut lui cacher, jusqu’à ce qu’une bonne constitution l’ait mis en état de l’entendre sans danger. Un homme sage ne réveille point un somnambule qui marche entre des précipices, parce qu’au lieu de le sauver il risquerait de le perdre. On ne s’est pas exprimé de cette manière, mais nous rendons le sens des objections qui nous ont frappé, etc. »

Dans un pays resté majoritairement et profondément catholique, l’idée de droits de l’homme indépendamment de Dieu représentait une rupture avec la tradition héritée des Pères de l’Eglise et du Concile de Trente.

Des élus modérés (Malouet, Lally Tollendal) la considèrent inutile.

Certains députés influents comme l’abbé Grégoire souhaitent la lier à une déclaration des devoirs de l’homme en société.

Même Mirabeau tente d’empêcher le vote de cette déclaration en argumentant :

- contre son caractère universaliste abstrait " Avant de penser généreusement au code des autres nations, il eût été bon que les bases du nôtre fussent posées sinon convenues."

- contre le risque de radicalisation démocratique et sociale d’une telle déclaration "frappée de l’abus que le citoyen peut en faire"

- contre la méthode intellectuelle qui la sous-tend " empressement à faire sortir les principes de liberté du cabinet des philosophes"

- contre l’instauration révolutionnaire d’une nouvelle société indépendamment des siècles passés qu’elle suggère « Nous ne sommes pas des sauvages arrivant sur les bords de l’Orénoque pour fonder une société »

Avec d’autres, il considère la future constitution comme le texte principal de référence. En conséquence, ils demandent la reprise de la discussion sur les droits après le vote de la constitution et comme annexe après celle-ci.

http://www.cosmovisions.com/ChronoR...

5) L’évolution du débat

Plusieurs périodes peuvent être différenciées dans ce processus :

* les prémices du débat à l’Assemblée ( dont la lecture du projet de La Fayette le 11 juillet) et au Comité de constitution (dont la réflexion sur le premier projet de Siéyès les 20 et 21 juillet). Parmi les autres projets déposés notons ceux de Thouret, Malouet, Rabaut Saint Etienne...

* du 27 juillet au 4 août, la nature de la Déclaration est clarifiée : elle aura un caractère universel et précèdera la Constitution en préparation ; elle ne sera pas simultanément une déclaration de devoirs.

* La journée du 4 août est décisive. L’Assemblée prend connaissance de l’immensité du soulèvement social et du double pouvoir municipal. Les opposants à la déclaration des droits perdent alors l’écoute de leurs collègues dont le premier objectif est de proposer un nouveau modèle social apte à faire cesser l’insurrection populaire.

Aulard note intelligemment « Quand l’Assemblée apprit, le 4 août, que la Révolution était partout victorieuse, elle cessa de prêter l’oreille à ces objections, et, consacrant la victoire populaire, elle décréta, quelques heures avant de voter l’abolition du régime féodal, que la constitution serait précédée d’une Déclaration des droits, et qu’il n’y aurait pas de Déclaration des devoirs. »

* du 4 au 11 août, l’assemblée est absorbée par les débats sur l’abolition des privilèges féodaux. Le glissement à gauche de l’Assemblée durant cette semaine va évidemment peser sur la suite

* du 11 au 19 août, une phase de réflexion avec mise en place le 13 d’un comité de cinq membres qui fait une proposition en 19 articles

* du 20 au 26 août, la rédaction finale

* au matin du 26 août, le texte n’est pas finalisé ; la séance parlementaire du 27 août doit en poursuivre la rédaction. Dès l’ouverture de celle-ci, l’Assemblée décide de se consacrer immédiatement et exclusivement à la rédaction d’une constitution. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en restera donc à son état d’achèvement au soir du 26 août.

6) Le projet Mirabeau

Le Comité des cinq (Mirabeau, Tronchet, Redon, Demeunier et l’évêque de Langres) expose devant l’Assemblée son projet en 19 articles.

Les députés considèrent ce texte trop long et imprécis mais valident son préambule :

« Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare les droits suivants de l’homme et du citoyen. »

Un seul point de ce préambule occasionne un petit débat, la référence à l’Etre suprême.

L’abbé Grégoire propose d’intégrer « en présence et sous les auspices de l’Être Suprême » dans la dernière phrase entre "déclare" et "les droits", amendement aussitôt accepté par l’Assemblée, ses animateurs étant soucieux de gagner le vote des députés du clergé à l’ensemble de la Déclaration.

Dans son rapport, Mirabeau "secrètement hostile" (Aulard) à toute déclaration posée séparément des devoirs inscrits dans la constitution a proposé l’ajournement de la déclaration après la constitution et, dans l’immédiat, un renvoi aux bureaux.

Chaque bureau dresse donc un nouveau projet dans la journée du 18 août ; celui du sixième bureau (Mounier, Lafayette) est retenu comme base de réflexion en raison de sa brièveté et de sa cohérence.

Mirabeau tente une dernière fois ce jour-là d’ajourner le vote d’une déclaration des droits mais, sous les huées, se voit obligé de changer de tactique. Jusqu’au vote final, il va pousser sur chaque sujet à donner un caractère intemporel aux articles afin qu’ils ne puissent avoir de conséquences législatives concrètes.

7) Du 20 au 26 août : rédaction définitive et principaux débats

Durant cette semaine, la déclaration voit le jour dans une ambiance bruyante, indisciplinée mais portée par la nécessité historique.

12 août 1789 Une séance à l’Assemblée nationale

« Il se produisit en effet ce phénomène, presque invraisemblable, que ces 1200 députés, incapables d’aboutir à une expression concise et lumineuse, quand ils travaillaient, soit isolément, soit par petits groupes, trouvèrent les vraies formules, courtes et nobles, dans le tumulte d’une discussion publique, et c’est à coups d’amendements improvisés que s’élabora, en une semaine, l’édifice de la Déclaration des droits. »

Cette discussion définitive donna lieu à de nouveaux débats importants :

- par exemple lorsque l’abbé d’Eymar demanda qu’y soit insérée l’affirmation que "la religion catholique est religion d’État". Il n’obtint pas de majorité. Cependant le clergé pesa sans cesse dans le débat.

- par exemple, en un sens opposé, lorsque Laborde de Mereville intervient le 20 août pour justifier qu’il ne fût pas question de Dieu : « L’homme, dit-il, tient ses droits de la nature : il ne les reçoit de personne. » L’Assemblée ne pouvait le suivre sur ce terrain pour la raison bien résumée par Aulard : la référence à un Etre suprême « dans le préambule du grand acte révolutionnaire était le prix de la collaboration du Clergé à la Déclaration des droits. »

- par exemple lorsque Sieyès insista pour séparer les droits de l’homme (tous les hommes) de ceux des citoyens (seulement les riches) « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyens passifs, tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, mais tous n’ont pas droit de prendre une part active dans la formation du pouvoir public ». Il n’obtint pas non plus de majorité.

- par exemple lorsque Mirabeau voulut intégrer dans les fondements de la société humaine le rôle du roi, sa prééminence sur l’exécutif et sa seule responsabilité au nom de l’Etat « Le chef de la société doit seul être responsable... La responsabilité serait illusoire si elle s’étendait depuis le Premier ministre jusqu’au dernier des sbires. » Il ne parvint pas à persuader une majorité de collègues.

- par exemple sur la liberté de conscience (dont liberté religieuse) que l’article proposé borne dans la limite de la Loi « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Le pasteur Rabaut Saint Etienne avance, lui la formulation suivante« Tout homme est libre de ses opinions. Tout citoyen a le droit de professer librement sa religion... » Mirabeau défend un point de vue proche de l’orientation laïque future « Je ne viens pas prêcher la tolérance ; la liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît tyrannique lui-même, puisque l’existence de l’autorité a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait tout aussi bien ne pas tolérer. » La formulation d’origine est maintenue par les députés. Le Courrier de Provence (Mirabeau) tape dur sur le sujet « Au lieu de prononcer sans équivoque la liberté religieuse, l’Assemblée nationale a déclaré que la manifestation des opinions de ce genre ne pouvait être générale, qu’un ordre public pouvait s’opposer à cette liberté ; que la Loi pouvait la restreindre. Autant de principes faux, dangereux, intolérants, dont les Dominique et les Torquemada ont appuyé leur doctrine sanguinaire. »

Sur sa lancée, le député d’Aix élargit la question de la liberté à celle de l’esclavage établissant que "la liberté des nègres" est la "conséquence de la liberté des droits".

* Des députés hostiles à toute déclaration des droits de l’homme poursuivirent une bataille systématique d’opposition durant toute la semaine. C’est le cas du frère de Mirabeau, André Boniface, qui voulait s’en tenir aux Dix commandements de la Bible et, dans le cadre de sa guerre du rire, déposa une motion en faveur d’une Déclaration des droits des chevaux.

Ceci dit, le principal problème posé par cette Déclaration était autre et les Constituants en étaient conscients.

Aulard résume ainsi la question : « L’autre point de vue, à savoir la Déclaration considérée comme programme d’une société à organiser, les Constituants le laissaient volontiers dans une demi-ombre, parce qu’il contredisait en partie le régime bourgeois qu’ils allaient établir.

Le principe de l’égalité des droits, c’est la démocratie, c’est le suffrage universel, pour ne parler que des conséquences politiques de ce principe, et ils allaient établir le suffrage censitaire.

Le principe de la souveraineté de la nation, c’est la république, et ils allaient maintenir la monarchie.

Ces conséquences étaient aperçues, non de la masse, mais des consti- tuants, des hommes instruits. Et c’est bien pour cela que la bourgeoisie avait hésité à faire une Déclaration des droits. »

8) Le vote article par article

Le 20 août, dix articles de la proposition émanant du 6ème bureau sont réduits à trois :

- Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

- Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

- Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Le 21 août, les articles 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13 du 6ème bureau sont réduits à 3 :

- La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

- La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

- La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.

Les députés abordent le 22 août l’article 14 du 6ème bureau traitant de la protection individuelle face au despotisme politique ou judiciaire. Un certain nombre de présents dans l’Assemblée en ont souffert sous l’Ancien régime, y compris parmi les nobles comme Lally-Tollendal ou Mirabeau. La discussion devient particulièrement l’affaire de spécialistes du droit. Il en sort les points 7, 8 et 9 de la déclaration définitive :

- Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

- La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

- Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi.

Le dimanche 23 août, l’Assemblée aborde les articles 15, 16, 17 et 18 du projet concernant la religion et la liberté d’expression (liberté de conscience et de presse). Ce débat là va s’avérer le plus long et le plus générateur d’affrontements verbaux. Le 24 août, le juriste suisse Etienne Dumont, présent à l’Assemblée, écrit à un ami anglais « Des arguties grammaticales ont occupé l’Assemblée et il est impossible de se faire une idée de la fougue, de la violence et des absurdités qu’on a dites du côté du clergé et de leurs partisans. »

L’abbé Sieyès réussit in extremis à proposer et faire voter le 17ème article le 26 août avant la fermeture du débat et le vote de la version définitive « Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

9) Déclaration d’indépendance américaine (4 juillet 1776) et Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789)

Les textes émanant de l’expérience américaine (Déclarations de Virginie et du New Hampshire, Déclaration d’indépendance) représentent des précédents importants pour les rédacteurs de la Déclaration de 89. Ils sont connus des milieux politiques et intellectuels d’une France qui a combattu aux côtés des Insurgents américains contre l’armée britannique. Plusieurs acteurs de cette guerre d’indépendance (La Fayette, Comte de Montmorency, Duc de La Rochefoucault...) interviennent dans les débats de 89. De plus, Thomas Jefferson, principal rédacteur de la Déclaration américaine, se trouve en cet été 1789 à Paris comme ambassadeur des Etats Unis.

Ceci dit, la démarche américaine et la Déclaration française diffèrent nettement.

3a) Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la Déclaration d’indépendance américaine pour constater son caractère essentiellement étatsunien avec les deux tiers du texte consacrés aux griefs adressés à la Grande Bretagne. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen présente, elle, un aspect clairement universel.

3b) La cohérence du texte américain repose sur une argumentation justifiant la rupture des treize colonies (embryon des Etats Unis) vis à vis de la Grande Bretagne. Il commence donc par la première phrase suivante "Lorsque dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l’ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l’opinion de l’humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation."

La cohérence du texte français repose sur une argumentation justifiant les droits de l’homme. Il commence donc par " Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme... ."

3c) La déclaration américaine justifient les droits comme droits de l’homme créés par Dieu "Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables... Nous, les représentants des États-Unis d’Amérique, assemblés en Congrès général, prenant à témoin le Juge suprême de l’univers de la droiture de nos intentions, publions et déclarons solennellement au nom et par l’autorité du bon peuple de ces Colonies, que ces Colonies unies sont et ont le droit d’être des États libres et indépendants... Pleins d’une ferme confiance dans la protection de la divine Providence, nous engageons mutuellement au soutien de cette Déclaration, nos vies, nos fortunes et notre bien le plus sacré, l’honneur"

La Déclaration française justifie les droits d’une part comme droits naturels d’autre part par leur intérêt citoyen "afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant à chaque instant être comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous".

3d) Il suffit d’analyser le premier article pour comprendre la différence de fond

- "Tous les hommes sont créés égaux" affirme la déclaration américaine. "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" précise celle votée par la Constituante en 1789, les mots supplémentaires entraînant logiquement l’abolition de l’esclavage qui sera effectivement actée cinq ans plus tard par la Convention.

10) Déclaration américaine et Déclaration française : individu, droit, nation, citoyen, souveraineté populaire, Etat

Il est particulièrement éclairant de comparer la Déclaration des droits (Bill of rights) votée aux Etats Unis le 25 septembre 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen votée le 26 août 1789.

La Déclaration américaine affirme les droits de chaque individu contre l’Etat fédéral en matière de religion (1er article), de port d’armes (2ème article), de logement des militaires (3ème article), de procédure judiciaire ( 4ème, 5ème, 6ème, 7ème et 8ème article). Cette déclaration présente donc déjà un aspect politiquement libéral individualiste. Elle répond aussi à des préoccupations tactiques et pragmatiques afin de gagner les suffrages des antifédéralistes à la constitution fédérale.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 présente au contraire un aspect fondamentalement politique, juridique et philosophique, "dogmatique" diront ses adversaires. Elle assoit la nouvelle société en gestation sur trois piliers :

* l’homme, l’individu et ses droits "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits... Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression... L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi... Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme..."

* le droit comme formalisation du contrat citoyen "La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse... La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas... Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites... La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires"

* la Nation et ses citoyens "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents... Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés... Chaque citoyen a le droit, par lui-même ou par ses représentants, de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée"

Cette déclaration apparaît aussi comme un compromis momentané entre le forces en présence en cette fin août 1789. Pour terminer notre petit tour d’horizon sur cette déclaration notons donc qu’elle insiste à la fois :

* sur la propriété "étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité" .

* sur la souveraineté populaire (volonté générale), la séparation des pouvoirs et le respect des droits de l’homme comme critères de démocratie "Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution."

* sur la résistance à l’oppression comme droit naturel et imprescriptible de l’homme.

Jacques Serieys

11) L’affirmation de l’égalité et des droits humains

Dans le Radeau démocratique, l’historienne Sophie Wahnich rappelle la portée émancipatrice des écrits de la Révolution française.

Sophie Wahnich a réuni une série d’articles.

Ses travaux sur la Révolution ont démontré l’ardente actualité des questions soulevées par ce moment fondateur de notre modernité. Comment s’exerce la souveraineté populaire  ? Comment le peuple contrôle-t-il ses élus  ? Affirmer les droits de l’homme, c’est bien ; les garantir, c’est mieux. Le croisement avec «  l’horrible situation où nous sommes  » s’avère éclairant, car «  notre séquence politique accule quiconque refuse d’entériner les lois tyranniques qui se multiplient à devoir réinventer des gestes de résistance à l’oppression  ».

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) affirme, dans son article 1  : «  Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.  » Or, ainsi que le clament, depuis Burke et Maistre, les «  réacteurs  » de tout poil, est-on bien sûr qu’il s’agit là d’une «  abstraction  »  ? Dès l’article 1, elle «  met à mal les castes de l’Ancien Régime, la société d’ordre où l’on naissait noble ou non-noble, doté de privilèges ou de sa seule puissance de vie et de survie  ». Le royaliste Rivarol s’indigne  : «  Les nègres dans les colonies et les domestiques dans nos maisons peuvent, la déclaration des droits à la main, nous chasser de nos héritages. Comment une assemblée de législateurs a-t-elle feint d’ignorer que le droit de la nature ne peut exister un instant à côté de la propriété  ?  » Mais, souligne Sophie Wahnich  : «  Ce ne sont pas les seuls royalistes qui récusent l’intuition sensible de l’égalité… ce sont les tenants de la liberté économique illimitée qui est elle-même en contradiction avec la réciprocité du droit. Contre la politique qui repose sur des principes de justice, ils préfèrent déjà la realpolitik des intérêts.  » En l’An II, la Convention montagnarde impulse une «  économie populaire  » pour assurer le droit à l’existence des «  impropriétaires  », avec la fixation d’un maximum du prix des subsistances, la saisie des biens des émigrés au profit des citoyens pauvres (décrets de Ventôse proposés par Saint-Just), l’amorce d’une Sécurité sociale sous la pression des sans-culottes. La Déclaration des droits se révèle donc «  une machine de guerre très concrète pour inclure des hommes très concrets eux aussi dans la sphère sociale d’un droit garanti  ».

Le régime de Vichy par définition antirévolutionnaire

Les combattants de l’émancipation, contre l’esclavage et la colonisation – Frantz Fanon, Hô Chi Minh, Léopold Senghor –, n’ont cessé de s’y référer  : «  La langue révolutionnaire de l’universel n’était pas répudiée car elle avait été reconnue comme ayant servi triplement  : à la décolonisation, au rejet du régime de Vichy par définition antirévolutionnaire et à ce que Sartre et Aimé Césaire avaient appelé le sauvetage moral de l’Europe par la décolonisation.  » Le droit de résistance à l’oppression est fondé sur le principe de la liberté réciproque. Après une très longue éclipse (1799-1946), la Déclaration coiffe notre Constitution, au grand dam du patronat qui s’agite pour qu’elle en soit retirée  ! La force propulsive d’une avancée révolutionnaire, sa visée émancipatrice sont souvent mieux perçues par les conservateurs. Aujourd’hui, les droits humains sont dépréciés en «  assistanat  » ou «  égalité des chances  ». «  Quand l’unité du genre humain et l’égalité en droit ne sont plus déclarées, ça se passe très mal pour les groupes dominés ou minorisés. Le droit les enferme au lieu de les libérer de leur condition. C’est un fait. L’oubli et le mépris des articles 1 et 2 de 1789 produisent des horreurs.  » Aliocha Wald Lasowski Philosophe

12) Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 (version originale dans le français de l’époque)

Les Représentans du Peuple François, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernemens, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solemnelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant à chaque instant être comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des Citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnoît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivans de l’Homme et du Citoyen.

Article premier.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

I I.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

I I I.

Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

I V.

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

V.

La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

V I.

La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.

V I I.

Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

V I I I.

La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

I X.

Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne seroit pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi.

X.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

X I.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.

X I I.

La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

X I I I.

Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés.

X I V.

Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentans, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiète, le recouvrement et la durée.

X V.

La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

X V I.

Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

X V I I.

Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Extrait du Procès-Verbal de l’Assemblée Nationale, du Jeudi premier Octobre 1789.

L’Assemblée a arrêté que M. le Président se retirera devers le Roi, à l’effet de présenter à son acceptation la Déclaration des Droits.

Collationné conforme à l’original.

Signé, MOUNIER, Président ; le Vicomte de Mirabeau, Démeunier, Bureaux de Pusy, l’Év. de Nancy, Faydel, l’Abbé d’Eymar, Secrétaires.


COMPLEMENT

L’article de Wikipedia "Histoire constitutionnelle de la France" apporte un éclairage intéressant sur la déclaration de 1789

Article détaillé : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’Assemblée constituante de 1789 vote un texte bref, de 17 articles, promis à un immense succès. Ce texte est une machine de guerre contre l’Ancien Régime, une charte de la démocratie moderne. Sources de la Déclaration des droits de l’homme[modifier]

On trouve des idées similaires entre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la déclaration d’indépendance américaine : cette dernière proclame la liberté, l’égalité, le droit de constituer un État libre si le gouvernement méconnaît la liberté. La thématique est donc proche. Des philosophes de l’époque, parmi lesquels Condorcet et Diderot, sont très enthousiasmés par la déclaration américaine, et les constituants sont incités à rédiger une déclaration.

Toutefois, les perspectives sont différentes. La Déclaration américaine est une révolution politique, conservatrice, se référant au passé. Le texte français joue la carte de la modernité, empreint de rationalisme, d’individualisme ou encore d’universalisme. En Amérique, les droits des citoyens sont directement constitutionnalisés. En France, l’objectif est historique : fonder un nouvel ordre civil et politique.

Cependant, le député d’Aix-en-Provence, Mirabeau, déclare qu’il faut tenir compte du passé. La thèse de la démarcation ne tient pas, et la thèse des emprunts est discutable. On retient une spécificité de la déclaration française : elle contient un versant démocratique de la pensée politique.

Dès le Moyen Âge naît l’idée que le Roi tient son pouvoir du peuple, issu d’un contrat. Ce versant se perpétue jusqu’aux guerres de Religions au XVIIe siècle. L0 s’impose le versant second, monarchique de droit divin.

Les sources de la déclaration sont donc tant lointaines que proches. On retient la théorie du droit naturel moderne : le droit est inhérent à la nature humaine, à sa raison. Celle-ci doit dégager un ensemble de droits individuels antérieurs et supérieurs à l’État. Se développe également l’idée de la souveraineté nationale. Contenu[modifier]

La Déclaration consacre les droits de l’individu :

* liberté,

* égalité

* propriété (reliée à celle de liberté, reprenant l’idée anglaise)

* résistance à l’oppression.

Sur le plan politique, elle assure les fondements démocratiques du nouveau régime :

* souveraineté nationale

* séparation des pouvoirs.

Les fondements du Droit Public moderne : souveraineté nationale et séparation des pouvoirs[modifier]

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

— Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Article 3

La souveraineté passe donc du roi à la nation, elle est une, indivisible, exprimée dans la loi (volonté générale), égale pour tous, s’imposant à tous. La Déclaration assure le primat de la loi en tant que source du droit, la loi détermine la liberté.

Sieyès a forgé la théorie du mandat représentatif et a repris la séparation des pouvoirs de Montesquieu de manière à assurer la liberté du citoyen. Cette séparation est conçue au profit du législatif (Assemblée unique, représentation miniaturisée de la Nation).

Doit-on se référer à Rousseau ou à Sieyès pour qui tout pouvoir est représentatif ?

Le député d’Aix, une fois élu, représente une fraction de la Nation, ne nuisant pas à l’unité du tout. Or, comment désigner les députés ? En théorie, tous les citoyens détiennent le droit de choisir les députés. Mais les constituants adoptent l’idée d’un suffrage censitaire.

La représentation de la Nation peut être confiée à une, ou deux Assemblées, toutefois la crainte d’une perte de l’unité nationale ainsi que celle d’une résurgence de l’aristocratie conduit à opter pour une seule Assemblée.

« Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée n’a pas de constitution. »

— Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Article 16

Or, la séparation entre exécutif et législatif peut être rigide, déséquilibrée (1791), ou au contraire équilibrée (1795, constitution directoriale). Le régime peut également être caractérisé par le Parlementarisme, on dote alors chacun des deux pouvoirs d’une arme : la responsabilité au profit du législatif, la dissolution au profit de l’exécutif. Mirabeau avait songé à une séparation de ce type, relativement souple, mais les Constituants ont opté pour la rigidité et le déséquilibre.

La Déclaration peut donner lieu à quatre types de lecture différentes :

1. L’oubli ou mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements. La Déclaration n’est alors pas rupture avec le passé, il s’agit simplement de rétablir les droits bafoués, ce qui implique une régénération de la Monarchie. Sous cet angle, la Déclaration n’est pas dans le sens de l’Histoire, il n’y a pas de rupture avec le passé.

2. La Déclaration est une fondation ouvrant le Régime de la Liberté, de l’Égalité, annonçant le régime moderne, même si liberté et égalité sont par la suite bafouées.

3. Le modéré Barnave déclare que la Déclaration n’est qu’un catéchisme philosophique et politique, dans la mesure où elle fait appel à un messianisme religieux, elle n’envisage pas les droits du citoyen français mais de tout le genre humain. Elle semble donc aisément imitable Par ailleurs, elle est empreinte d’un optimisme illimité, se référant à Rousseau : les institutions sont responsables de tous les maux de l’humanité. Les constituants négligent le fait que c’est l’homme qui gatte les bonnes institutions, autrement dit, qui en crée des mauvaises.

4. La Déclaration présente un aspect pratique, réaliste. On s’aperçoit qu’elle condamne l’absolutisme, les abus de droit(s) privés et public, elle condamne l’intolérance, met à jour les droits du citoyen et les droits de l’homme.

Selon Michelet, historien républicain, « la Déclaration c’est le Catéchisme du Nouvel âge. »

Voir aussi

Aulard :

http://www.archive.org/stream/histo...

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A...


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