7 août 1786 Insurrection ouvrière de Lyon L’émeute des deux sous

samedi 30 septembre 2023.
 

La puissance et la radicalité du mouvement plébéien (ouvrier, paysan, populaire urbain) de 1789 à 1794 s’explique de façon importante par le fait qu’il hérite de l’expérience des mouvements sociaux survenus aux 17e et 18e siècles, en particulier à partir de 1780.

La ville de Lyon en est le meilleur exemple.

1) La fabrique lyonnaise

L’industrie lyonnaise de la soie a été développée par les souverains français (François 1er, Henri IV, Louis XIV) pour éviter un déficit commercial du royaume. En 1660, 3000 maîtres ouvriers font travailler 10000 métiers à tisser. De 1665 à 1690, la production est multipliée par 3.

Au 18ème siècle, Lyon représente le principal centre européen de production de soieries (achats somptueux de Catherine II de Russie, de Charles IV d’Espagne...). Avec 14000 métiers à tisser occupant plus de 30000 personnes, Lyon est aussi la première ville ouvrière de France. Cependant, la prospérité de l’industrie et des marchands-fabricants (patrons) est payée par les Canuts (salaires de misère et journée de travail de 18 heures).

L’industrie de la soie est organisée selon le système de la manufacture dispersée, dominée par le capitalisme commercial. De grands négociants-fabricants achètent la production à des artisans qui sont en fait des salariés travaillant à domicile, payés à la pièce.

2) L’exploitation des Canuts

Un mémoire de 1786 sur les fabriques de Lyon explique parfaitement la philosophie des patrons de la soie vis à vis de leur main d’oeuvre. « Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais, qu’il n’ait précisément que ce qu’il lui faut pour se bien nourrir et se bien vêtir... Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l’ouvrier dans un besoin continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas-prix de la main d’oeuvre est non seulement avantageux pour lui-même, mais qu’il le devient encore plus en rendant l’ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses moeurs, plus soumis à ses volontés. » (cité par Maurice Moissonnier dans Les Canuts, Messidor editions sociales 1988).

L’Eglise catholique joue un rôle central dans la domination idéologique du patronat sur les Canuts et la formation d’une main d’oeuvre exploitable au maximum. Ainsi, pour les Enfants de la Charité « le travail purificateur assure la rédemption effaçant les péchés de la naissance criminelle et combat les mauvais penchants de la triste hérédité des pupilles » (La France ouvrière Tome 1 Editions de l’Atelier) ; en 1763, cette institution signe un contrat avec un négociant fabricant pour 73 fillettes de 7 à 12 ans, 15 heures de labeur par jour en hiver, 16 heures en été... En 1767, un rapport médical constate les nombreux cas de tuberculose pulmonaire, gale, scorbut, scrofule, "déformation enflée du ventre" et analyse les causes de décès des jeunes travailleuses : manque de nourriture et de chauffage, augmentation de la durée de travail, "aliments grossiers et de difficile digestion... contrainte continuelle".

Un mouvement social puissant en août 1786

Durant l’été 1786, une effervescence sociale diffuse monte dans la population ouvrière de la ville.

Le 7 août, un mouvement revendicatif explose parmi les Canuts. Ils demandent l’augmentation du "tarif" promis depuis deux mois à savoir deux sous par aune (1 mètre 18 cm et 8,4 millimètre) de tissu uni. Il s’agit d’une grève de type moderne fondée sur une revendication précise et l’arrêt du travail tant que celle-ci n’est pas obtenue " Il n’y aura pas de navette sans les deux sols". Le nombre et le dynamisme de la lutte entraînent les ouvriers chapeliers dans leur sillage.

Le 8 août, une ordonnance consulaire (municipalité liée aux patrons) interdit toute réunion. Naturellement, le mouvement prend un aspect insurrectionnel puisque l’appel à se rencontrer est déjà avancé. Les chapeliers se rassemblent à Perrache, les Canuts à Villeurbanne. Le patronat comme les consuls ignorant le mouvement et ses revendications, des travailleurs de la Fabrique (industrie de la soie) se rassemblent le soir devant l’hôtel du prévôt des marchands Tolozan de Montfort.

Dans la nuit, des ouvriers chapeliers et d’autres professions rejoignent la contestation qui tourne émeute. Les forces de l’ordre (maréchaussée) interviennent violemment. Un mort et plusieurs blessés sont à déplorer.

Le Consulat essaie de gagner du temps. Il accepte de recevoir une délégation menée par Pierre Sauvage, animateur de la lutte des chapeliers. Des promesses sont faites ; les ouvriers rentrent chez eux.

Au matin du 9 août, une grosse majorité de la population lyonnaise est dans la rue ; de nouvelles revendications apparaissent ; des ouvriers déterminés parcourent les ateliers encore au travail pour les faire débrayer. Pierre Sauvage apparaît au balcon de l’Hôtel de Ville, main dans la main avec un consul et fait ovationner le roi et le consulat tant il est certain du respect des promesses faites.

En fait, les marchands fabricants (patronat) et les consuls font appel au roi et à un régiment de chasseurs pour rétablir l’ordre.

La répression

Le 12 août 1786, quatre ouvriers (dont les chapeliers Jacques Nérin et Pierre Sauvage et le tisseur Antoine Dapiano) sont pendus Place des Terreaux. Non seulement le "tarif" général des soieries n’est pas augmenté mais il est supprimé par décret du conseil du roi Louis XVI ce qui permet aux marchands fabricants les plus durs de payer encore moins qu’avant le travail à la tâche.

En 1787, dans son mémoire "Du commerce et des manufactures distinctives de la ville de Lyon", l’abbé Bertholon constate « Toujours il devance le lever de l’aurore et prolonge ses travaux bien avant dans la nuit pour pouvoir par la longueur du temps compenser la modicité des salaires insuffisants... Quelqu’un a dit que nulle part on ne pouvait établir de manufacture comme à Lyon parce qu’il faudrait trouver ailleurs des gens qui ne mangeassent ni ne dormissent comme à Lyon. »

Réprimée, décapitée après avoir pris conscience de sa force, l’avant garde ouvrière lyonnaise se reconstruit dès lors clandestinement dans la solidarité des quartiers, autour en particulier de Denis Monnet. Il est arrêté en novembre 1786 mais un nouveau mouvement social mieux préparé, plus expérimenté, plus uni, plus puissant se prépare...

Gare à la revanche de 1789 à 1793 quand tous les pauvres s’y mettront.

5 mai 1790 Les Canuts de Lyon (ouvriers de la soie) décident de "se régir et gouverner eux-mêmes"

Les canuts de Lyon, première grande insurrection ouvrière du 21 novembre au 3 décembre 1831

Source :

* Les Canuts. Maurice Moissonnier. Messidor Editions sociales, 1988.

* L’identité politique de Lyon. Entre violences collectives et mémoire des élites. Bruno Benoît. Editions L’Harmattan, 1999.

* La France ouvrière. Sous la direction de Claude Willard. Les Editions de l’Atelier, 1995.


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