Du 24 février au 26 juin 1848 : la Révolution et la république, du lyrisme à la répression sauvage du mouvement ouvrier

vendredi 1er mars 2024.
 

En ces temps de commémorations, il est des sujets sur lesquels les gouvernements de la République française s’efforcent d’être discrets. Le bicentenaire de la Révolution française avait ainsi mis la Première République sous l’éteignoir. Le 165e anniversaire de la seconde, très logiquement, a connu le même destin. Dans notre société en crise, une proportion toujours plus importante de la population s’interroge légitimement sur l’effectivité des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Il est donc malséant de réveiller les fantômes. Osons cependant la faute de goût et rappelons que la peur sociale a écrasé dans le sang l’espoir démocratique engendré par la Révolution du 24 février 1848.

La possibilité d’existence de ce que l’on nomme « une république démocratique et sociale » (un pléonasme) ne durera que quelques semaines au cours desquelles Lamartine passera du lyrisme (« nous faisons ensemble la plus sublime des poésies ») à la répression, laissant au « parti de l’ordre » la possibilité de dominer la république.

Quelle république ? Finalement celle qui, infidèle à ses initiateurs qui la voulaient toute populaire pour établir le bien public, se contenterait d’être sans roi ni peuple ! Voyons de plus près.

De la Révolution de février à l’élection de l’Assemblée constituante en avril, le peuple de Paris, armé, présent en permanence devant l’Hôtel de Ville où siège le gouvernement provisoire, est le seul interlocuteur légitime. Dès les premiers jours, les bases d’une démocratie politique sont jetées : la peine de mort pour les crimes politiques est supprimée, le suffrage universel masculin, la liberté de la presse et la liberté de réunion sont instaurées, l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises est décrétée et sera effectuée dans les Antilles en mai. Comme pendant la Révolution française, les clubs et les journaux se multiplient. Sous la pression populaire, le gouvernement provisoire décide d’ouvrir des Ateliers nationaux qui doivent employer les chômeurs.

Toutefois, la suppression de ces Ateliers, décidée par la nouvelle Assemblée élue le 23 avril, massivement composée de républicains dit « modérés » et de royalistes, pousse à la révolte : qu’est-ce qu’une république sinon une société dans laquelle chacun a droit à l’existence ? Pendant les combats, on compte 4000 morts parmi les insurgés, 1000 pour les gardes nationaux. 1500 personnes sont fusillées sans jugement et sur 25.000 prisonniers 11.000 sont déportés. La province, inondée par la propagande conservatrice, applaudit. Le péril rouge jugulé, « la république modérée » fraye la voie de la réaction.

L’histoire de la Seconde République a finalement été celle d’un régime dans lequel les seuls vrais républicains du temps auront toujours été dans l’opposition. Et pour la plupart en prison.

Juin 1848, ce soulèvement « le plus terrible, le plus désespéré qui se soit jamais produit » (Frankfurter Journal, du 3 juillet), devint une clé de l’histoire contemporaine : c’était la première fois qu’une révolution sociale était écrasée dans le sang et cette « inéluctable vérité » (Baudelaire) hante toujours les deux forces qui s’affrontent, liberté versus servitude, malgré les tentatives de refoulement.

Yannick Bosc (Université de Rouen), Florence Gauthier (Université Paris 7), historiens, sont les animateurs du site internet www.revolution-francaise.net .

22, 23, 24 février La Révolution de 1848 éclate à Paris avant d’emporter l’Europe "C’était beau"


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