Révolution française, république et socialisme

mardi 6 juillet 2021.
 

Les Républicains progressistes de tous les pays ont rendu hommage à la Révolution française comme étant l’accoucheuse des futures républiques. Tous les acteurs et courants socialistes ont mis en avant le lien historique révolution française / socialisme. Pourquoi cette attention générale aux évènements vécus en France, particulièrement de 1789 à 1794 ?

- parce que jamais jusqu’à ce moment-là, les masses populaires ne s’étaient aussi profondément, aussi activement, aussi longtemps engagées dans l’action politique sur la base de leurs propres intérêts.

- parce que jamais l’auto-organisation populaire n’avait atteint une telle massivité, une telle activité et même, souvent, une telle intelligence politique.

- parce que le processus né de la guerre face à la réaction européenne donna naissance à des politiques largement en avance sur l’époque, des droits sociaux à l’économie dirigée...

- parce que plusieurs de ses acteurs font figure de véritables premiers socialistes (L’Ange, Momoro, Dolivier, Babeuf, Buonarotti...)

- parce qu’elle a donné naissance au mouvement babouviste que Karl Marx a caractérisé de "premier parti communiste agissant".

- parce que son impact international a été considérable

En écrivant cette introduction, je ne sous-estime pas les faces bourgeoises réactionnaires de ces années avec par exemple la loi Le Chapelier et les martyrs de prairial. J’essaie seulement de dégager les éclairs d’avenir portés par le processus révolutionnaire.

Jacques Serieys

A) Révolution française et République (René Revol)

Le formidable élan du peuple français pour se débarrasser de l’absolutisme constitue l’acte de naissance de la République contemporaine. La République devient dès lors non plus l’élaboration abstraite de quelques penseurs mais un projet politique fondateur. Pourtant en 1789, au moment de la prise de la Bastille, peu de dirigeants révolutionnaires ne se disent républicains (à l’exception notable de Condorcet) ; ils pensent encore que la République est impossible dans un grand Etat comme le disaient Montesquieu et Rousseau (ce dernier n’affirmait-il pas "un gouvernement si parfait ne convient pas aux hommes"). C’est donc le processus révolutionnaire lui-même qui va poser la nécessité de la République. Dans le même temps et pour cette raison même, il va de soi que lorsque la contre-révolution se met en mouvement au 19ème siècle, elle exige la remise en cause de la République, ce qui explique qu’il ait fallu un siècle pour que la République s’impose.

Celui qui exprime le mieux au cours de la Révolution française la revendication de la République, c’est certainement Condorcet (1743-1794), appuyé par son ami américain Thomas Paine. Il s’oppose à la conception minimale de Sieyès qui veut réserver la citoyenneté active aux seuls propriétaires, la fortune étant censée pour lui être la seule à rendre raisonnable. Il défend dans plusieurs textes la République comme projet et comme institution, dont les plus célèbres sont :

- Sur la République (Condorcet, juillet 1791)

- Plan de Constitution présenté à la Convention nationale les 15 et 16 février 1793, l’an II de la République qui précède la Constitution de 1793 (adoptée sans débat en juin de la même année)

L’intérêt de la conception républicaine de Condorcet tient surtout à ce qu’il s’agit pas d’une prise de position de circonstance mais qu’elle constitue un lien sûr entre les Lumières (il fut un collaborateur de L’Encyclopédie) et le projet républicain contemporain. Défenseur du suffrage universel (le droit des femmes en particulier) et du système représentatif, insistant sur la prééminence des Droits de l’homme et du citoyen comme cadre surplombant la loi de la majorité, soulignant le caractère intrinsèquement lié des institutions républicaines et de l’instruction publique comprenant une éducation civique et politique, favorable à une participation constante du citoyen à la délibération publique, précurseur d’une laïcité garantissant la liberté de conscience et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, faisant appel à la raison de tous les citoyens pour juger des lois, ressentant clairement qu’une égalité est dans une certaine mesure indispensable au maintien de la République. Charles Coutel qualifie cette conception de République permanente. La lecture de Condorcet devrait faire partie de l’éducation de tous les citoyens. Faute de pouvoir reproduire ici ses textes essentiels, nous nous contenterons de cet extrait de 1793 ; il résume bien le contenu de la Révolution en cours :

« L’esprit actuel de la nation française est l’amour de l’égalité et de l’indépendance personnelle, la haine de toute autorité qui présente la moindre apparence d’arbitraire et de perpétuité, le désir de voir toutes les institutions nouvelles favoriser les classes les plus pauvres et les plus nombreuses, et celui de fraterniser avec les hommes de tous les pays qui aiment la liberté ou qui veulent la recouvrer. »

Droits de l’homme et du citoyen, libertés civiles garanties, égalité politique indissociable d’une véritable marche à l’égalité sociale, système représentatif et parlementaire disposant réellement de la capacité de faire la loi, gouvernement modeste soumis au contrôle de la représentation nationale, participation active des citoyens à la délibération publique qui précède les lois, instruction publique obligatoire, universalisme et internationalisme... tout cela est affirmé à un moment ou un autre de la Révolution française et constitue le programme invisible mais permanent du combat républicain jusqu’à nos jours.

Le 19ème siècle voit le "parti républicain" mener les combats pour faire aboutir les promesses de la Révolution...

B) Le socialisme, accomplissement de la Révolution française (Jaurès)

Jean Jaurès a écrit une volumineuse et magnifique Histoire socialiste de la révolution française. Nous empruntons ci-dessous au philosophe Bruno Antonini la présentation de cette oeuvre :

Pourquoi étudier la Révolution française ?

Il s’agit d’abord d’écrire une histoire de la Révolution française destinée aux ouvriers et aux paysans, en vue d’informer, et même de former le prolétariat, de l’instruire pour préparer efficacement la révolution à venir. Il faut que le prolétariat soit suffisamment éclairé, en France au moins, de sa tradition révolutionnaire unique au monde (1789-1793 ; 1830 ; 1848 ; 1871), pour réaliser la révolution sociale qui parachèvera la Grande Révolution. C’est donc que la Révolution française est inachevée et qu’il faut la compléter, l’accomplir pleinement par la révolution sociale de la propriété, liée à l’idée de démocratie, à la base de l’analyse sociale et critère principal du socialisme, qui s’inscrit pleinement dans la démocratie par la République. Sans la République, la démocratie fait du sur place : Révolution et République sont liées pour s’épancher en démocratie sociale. Ici, Jaurès ne fait pas qu’exprimer sa propre pensée : il exprime aussi un lien, une idée très française que la France a su se forger depuis 1789. Mais Jaurès reprend cette idée pour y inscrire le socialisme en perspective, avec la démocratie en filigrane.

De la Révolution française au socialisme

Le socialisme est déjà à l’œuvre avant son avènement dans la République, mais plus amplement encore dans la Révolution « bourgeoise » : lorsque les bourgeois capitalistes luttaient contre le féodalisme, ils luttaient pour la démocratie, c’est-à-dire déjà, et malgré eux, pour le socialisme à venir. Le socialisme mûrit, il est préparé par les révolutionnaires, sans qu’ils le sachent, sans qu’ils le veuillent consciemment – même ceux qui combattent et combattront le socialisme –, comme par un mouvement profond de l’histoire qui englobe et dépasse tous les hommes, mais ne se nourrit que de leurs actions plus ou moins volontaires, communes, fraternelles ou antagonistes. Malgré soi, sans être socialiste, chacun agit pour le socialisme. Le socialisme est donc le point ultime, la finalité universelle de l’histoire humaine, dans la conception jaurésienne de l’histoire. L’historien Jaurès est un penseur messianique qui invite et incite à l’action et à l’espoir. C’est pourquoi la Révolution bourgeoise est, en un sens, la préfiguration de la révolution prolétarienne à venir. L’historien Jaurès s’arrête à la porte de la prophétie. C’est en puissance qu’est contenue dans la révolution bourgeoise la révolution prolétarienne qui se prépare ; les bourgeois participent donc malgré eux à une œuvre qui les dépasse : l’accomplissement lent, patient et méthodique de la révolution sociale qui, par la victoire de la classe la plus opprimée, proclamera la victoire universelle, celle du genre humain, celle de l’Humanité tout entière enfin réunie dans la justice et dans la paix des classes et des nations. Nul ne sera vaincu dans cet avènement de l’unité humaine. En ce sens, Jaurès reprend à son compte l’idée de Marx dans le Manifeste communiste de 1848 sur le caractère « éminemment révolutionnaire » de la bourgeoisie, mais en y ajoutant l’idée d’une implicite collaboration onto-axiologique des classes, qui, dans un mouvement plus dialectique – et plus hégélien – que chez Marx, produit le dépassement des antagonismes des classes en une unité supérieure, qui ouvre déjà la voie à Jaurès au gradualisme et au ministérialisme. Cette étude sur la Révolution française est donc tournée vers l’avenir, vers l’action future.

L’historien Jaurès... trouve le sens profond de l’histoire, la compréhension de la réalité historique, au-delà de sa simple et seule apparence politique, à laquelle se cantonnent les positivistes. Ce non-dit est celui d’un finalisme historique inconscient dont on peut tirer des éléments de méthode politique pour accompagner le mouvement immanent du devenir historique dans le sens de l’idéal socialiste. la « science socialiste » jauréssienne ouvre à la dimension de l’Humanité, elle marque le sens de l’évolution économique et sociale, le sens du progrès de la civilisation par l’étude des hommes en société. Le socialisme comme science est, chez Jaurès, une anthropologie sociale qui annonce et prépare la « civilisation socialiste ». C’est aussi en cela que Jaurès est un historien engagé, un scientifique militant de la vérité pour éclairer l’avenir.

Jaurès Introduction à Histoire socialiste de la Révolution française

C) La Révolution française dans l’histoire humaine (Jacques Serieys)

Les deux textes ci-dessus introduisent parfaitement mon point de vue. La Révolution française représente à la fois :

C1) Un moment central dans l’histoire de la France

En attestent encore la fête nationale du 14 juillet, la devise nationale (Liberté Egalité Fraternité), l’hymne national (Marseillaise), le drapeau tricolore, l’importance de la référence républicaine pour les partis de tout l’arc politique etc

Gloire à 1789 ! (Alexis Corbière)

14 juillet 1789 : la prise de la Bastille symbolise la fin définitive de la monarchie "absolue" et l’accélération du processus populaire révolutionnaire

6 juillet 1880 Le 14 juillet devient jour de fête nationale

Liberté, Egalité, Fraternité Une devise d’inspiration républicaine et socialiste revendiquée par le Français d’aujourd’hui

15 février 1794 : le drapeau bleu, blanc, rouge devient l’emblème national français

Lorsque Louis XVIII monte sur l’ancien trône de son frère Louis XVI, il ne peut qu’avaliser les grands changements sociétaux introduits par la Révolution malgré la soif de revanche de nombreux anciens émigrés comme de l’Eglise catholique.

C2) Une révolution anti-absolutiste et bourgeoise d’importance universelle

Du 16ème au 19ème siècle, le monde a connu des mouvements et révolutions que je caractérise d’anti-absolutistes et bourgeois (révolutions hollandaise, anglaise, américaine pour signaler les plus importantes).

Angleterre La révolution anti-absolutiste bourgeoise de 1640 à 1660

La Révolution française représente sans aucun doute la révolution anti-absolutiste et bourgeoise la plus radicale de l’histoire humaine. Cette question n’est pas abstraite. Plusieurs historiens ont prouvé que les pays n’ayant pas connu réellement ce type de révolution avaient, par exemple, généré des formes de fascisme à la tête de l’Etat dans les années 1920 et 1930.

La portée universelle de la Révolution française (Paine, Kant, HOBSBAWN)

C3) Un moment central dans l’histoire du projet républicain et démocratique

C’est ce que démontre René Revol dans son texte fouillé De la République à la République sociale Histoire et dynamique où la partie sur la Révolution française suit celle sur L’idée républicaine avant la Révolution française

Aulard (historien républicain, radical-socialiste) : "le peuple français qui fut le véritable héros de la Révolution française"

Emmanuel Kant : La révolution française est un évènement "mêlé aux intérêts de l’humanité"

Parmi les initiatives significatives de la Révolution signalons :

Henri PENA RUIZ La Révolution française et la laïcité

25 juillet 1793 l’école gratuite et obligatoire pour tous les enfants

Révolution française, famille, mariage et divorce

21 février 1795 : La révolution française pose les bases d’une séparation de l’Eglise et de l’Etat (Henri PENA RUIZ)

4 février 1794 Abolition de l’esclavage par la Révolution française

11 mai 1794 : La Révolution française crée un embryon de sécurité sociale

L’œuvre révolutionnaire : les fondements de la justice actuelle http://www.justice.gouv.fr/histoire...

La Révolution française et l’idée de Justice

4 mai 1793 La Convention institue la loi du maximum

15 et 17 décembre 1792 : La Révolution française proclame la guerre révolutionnaire aux privilégiés

L’abolition de la royauté par la Convention (21 septembre 1792)

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 23 juin 1793, texte d’importance historique universelle

C4) De 1792 à 1794, un premier exemple de pouvoir populaire avec des pratiques qui seront revendiquées comme siennes par le socialisme

En l’an 1793, le peuple de Paris a réussi à détenir le pouvoir entre ses mains pour une courte durée (Rosa Luxembourg)

Pierre Kropotkine (théoricien anarchiste) et la Révolution française

VERS LA REPUBLIQUE SOCIALE (bilan de la Révolution française et du combat républicain par Jean Jaurès)

"Nous considérons la Révolution française comme un fait immense et d’une admirable fécondité" (Jean Jaurès)

Kautsky et la Révolution française

1789-94 : Une immense révolution, bourgeoise et «  avant-courrière  » (NPA)

Quelques textes littéraires sur le sens de la Révolution française

"La révolution française, c’est le sacre de l’humanité" Victor Hugo Les Misérables

Sur toutes les tombes de tous les révolutionnaires de 1789, il est écrit "Mort pour l’avenir et ouvrier de l’humanité" (par le poète Lamartine)

Victor Hugo et la Révolution française : "Désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation"

C5) Pour approfondir le sujet de la place de la Révolution française dans l’histoire humaine

- > La place de la Révolution française dans l’histoire du monde (Georges Lefebvre) : http://www.persee.fr/doc/ahess_0395...

- > La Révolution française et l’histoire du monde (Par Jacques Guilhaumou, UMR Triangle, ENS/Université de Lyon) : http://revolution-francaise.net/201...

- > La Révolution française et l’histoire du monde :(Jean-Numa Ducange) https://books.google.fr/books?id=-3...


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